Auteur: Gilles
Plante (---.f1783.ts.globetrotter.net)
Date: 17/04/2004 18:29
Cher Nathalie,
Voici ce que Raymond Truchon dit de cette parabole de Jésus de
Nazareth tiré de l’Évangle selon Saint Mathieu dans «Aujourd’hui Les
paraboles», Éditions Anne Sigier, Québec, 1980
LES OUVRIERS DE LA VIGNE
Mathieu 20, 1-16. Voir aussi Mathieu19, 13-16; et Mathieu 19, 16-30
incl.
«Tenez, il en va du Royaume des Cieux comme d’un propriétaire qui
sortit au point du jour afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
Il convint avec eux d’un denier pour la journée et les envoya à sa
vigne. Sorti vers la troisième heure, il en vit d’autres qui se
tenaient, désoeuvrés, sur la place, et il leur dit: “Allez, vous
aussi, à ma vigne, et je vous donnerai un salaire équitable.” Et ils y
allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, il agit de même.
Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d’autres qui se
tenaient là et leur dit: “Pourquoi restez-vous ici tout le jour sans
travailler?” — “C’est que, lui disent-ils, personne ne nous a
embauchés.” Il leur dit: “Allez vous aussi à ma vigne”. Le soir venu,
le maître de la vigne dit à son intendant: “Appelle les ouvriers et
remets à chacun son salaire, en remontant des derniers aux premiers.”
Ceux de la onzième heure vinrent donc et touchèrent un denier chacun.
Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu’ils allaient toucher
davantage; mais c’est un denier chacun qu’ils touchèrent eux aussi.
Tout en le recevant, ils murmuraient contre le propriétaire: “Ces
derniers venus n’ont travaillé qu’une heure, et tu les as traités
comme nous, qui avons porté le fardeau de la journée, avec sa
chaleur”. Alors il répliqua en disant à l’un d’eux: “Mon ami, je ne te
lèse en rien: n’est-ce pas d’un denier que nous sommes convenus?
Prends ce qui te revient et va-t-en. Il me plaît de donner à ce
dernier venu autant qu’à toi: n’ai-je pas le droit de disposer de mes
biens comme il me plaît? Ou faut-il que tu sois jaloux parce que je
suis bon?” Voilà comment les derniers seront premiers, et les premiers
seront derniers.»
La pointe: Dieu est juste et bon; pour les uns Il est tellement bon
qu’il ne serait plus juste — or il est plus que juste: Il est bon.
L’objectif pédagogique: Éduquer notre foi à ne pas limiter la
puissance, la bonté et l’Amour de Dieu à sa justice.
L’appui psychosociologique: Notre tendance à réduire l’amour de Dieu à
notre justice.
Cette parabole est extraordinairement forte, frappante, percutante,
pour révéler l’Amour de Dieu pour nous, le salut, la vie éternelle et
le chemin qui y conduit. Mais, en même temps, elle est un test
efficace de ce que l’on est vraiment devenu face à Dieu et aux hommes,
en même temps qu’elle révèle l’image réelle de Dieu et des hommes et
de la vie que nous vivons, véhiculons et transmettons. Une parabole
qui nous révèle le vrai visage de Dieu et le vrai visage du faux juste
ou du juste pas assez juste, selon la vraie justice de Dieu.
L’épisode précédent, celui du jeune homme riche, Mathieu 19, 16-30,
nous montre que cet homme avait un problème avant de voir Jésus, et
qu’il l’a encore en le quittant. Il demande ce qu’il faut faire de
BON. Son problème est le suivant: il fait ce qu’il faut faire, ce qui
est juste. Mais on dirait qu’il est insatisfait, qu’il veut faire
plus, qu’il ne vit pas vraiment. Il est juste, de la justice
extérieure, des oeuvres exigées par la loi: il fait ce qui est
commandé et ne fait pas ce qui est défendu. Alors il semble dans un
cul de sac. Il est juste, il a la justice: il est honnête. Mais il
n’aime pas encore. Il a en lui un obstacle majeur pour vivre vraiment
sur terre et commencer dès maintenant à vivre de la vie éternelle, la
vraie Vie de Dieu. Il demande à faire maintenant quelque chose DE BON.
Voilà nettement tracée la démarcation entre l’observance de la loi et
son esprit; entre la lettre et l’esprit; entre la justice des oeuvres
et celle du coeur, intérieure, amoureuse; entre la loi et la grâce;
entre les commandements anciens et le nouveau demandé par jésus; entre
le devoir et l’amour. Le jeune homme riche a un problème: il n’a pas
un coeur de pauvre. Il n’est pas amoureux de Dieu, ni de son prochain,
ni de lui-même, vraiment. Il est honnête, libre, mais pas libéré,
parce que pas donné lui-même à Dieu et à son prochain. Il donne,
reçoit, mais ne partage pas. Il lui manque l’amour.
Pour aimer, il faut tout donner, surtout soi-même, à cause de l’autre
que l’on aime vraiment. Garder ou vouloir garder un bien ou une chose,
ou un standing, ou un emploi, ou un statut social, ou quoi que ce
soit, la plus petite chose soit-elle, est un obstacle majeur à
l’amour, à tout amour, humain ou divin. Ce n’est plus de l’amour mais
du commerce, de l’échange, du profit, de la justice, de la loi, du
devoir. La mesure de l’amour c’est d’être sans mesure, disait
saint-Augustin. On le touche du doigt ici. Quand on aime, rien n’est à
soi, tout est à l’autre: il peut disposer de tout. Or, seul l’amour
est bon et fait vivre. Seuls ceux qui font vraiment les oeuvres de
l’amour, qui donnent sans restrictions, de tout leur coeur, sont
vraiment bons, amoureux, libérés, esclaves de leur amour qui les fait
vraiment vivre, pardonnant et pardonnés.
Ils sont plus que justes, honnêtes et légaux, ils sont gratuits et
incitent à la gratuité, quels que soient la situation, le lieu, le
temps, la personne, le prix même. La veuve avait donné de son
nécessaire comme obole. Elle n’avait presque rien. Elle avait donné
son coeur. Ce que Dieu désire, c’est la justice intérieure, notre
coeur, nous-même, car Il est ainsi et ainsi est sa Vie: bonté, justice
intérieure, tou t en ne manquant évidemment pas à la justice
extérieure. Bien plus, Il fait luire son soleil sur les bons (ce qui
est juste), mais aussi sur les méchants (ce qui est bon), c’est-à-dire
plus que juste. La charité, l’amour sans justice, est utopie,
mensonge, leurre. La justice sans amour est platitude, frustration,
ennui, mort, échec. Nous sommes créés pour l’amour. Dieu seul est
vraiment l’unique justice capable de nous satisfaire. Ma richesse, ma
justice, c’est la personne que j’aime.
La parabole qui nous concerne ici, met noir sur blanc cette
problématique de notre vie. Nous avons un discernement capital à
faire. Si en lisant cette parabole nous trouvons que les ouvriers de
la première heure ont raison de se lamenter, c’est que nous sommes
comme eux, centrés sur la paye, l’ouvrage, le commerce, les oeuvres,
les mérites, le neuf à cinq. Mais le plus important dans la vie, ce
n’est pas le travail (bien que necessaire pour nous exprimer et nous
libérer) ce n’est pas non plus de ne pas manquer à la justice (à
travail égal, salaire égal) le plus important c’est le partage, la
fête, la fraternité, la bonté, l’amour.
Aucun contrat n’a été brisé. Le salaire était juste le matin, pour la
journée; pourquoi serait-il injuste le soir? Bien sûr ce n’est pas le
principe “à travail égal, salaire égal”, mais c’est la bonté, c’est
l’amour; c’est la personne qui prime.
De renvoyer ces ouvriers de dernière heure, avec aussi peu d’argent
aurait été légal, honnête, juste; mais aussi inhumain, sans coeur,
ridicule; ils sont des hommes comme les autres, avec les mêmes besoins
et les mêmes enfants à nournr. Le Maître est plus que juste il est
bon.
Les ouvriers de la première heure sont jaloux, mesquins; ils sont
humains, mais pas selon l’humanité voulue par Dieu; ils ne sont pas
selon le coeur de Dieu: partage de ce qu’Il est, bonté infinie pour
tous, pour toujours.
Chaque fois que nous lisons cette parabole et que nous sentons un
pincement de coeur de jalousie, d’injustice, nous refaisons le test
par A + B, et nous voyons combien nous sommes mesquins, centrés
seulement sur la justice (donc mauvais); combien nous avons besoin de
devenir pauvres de coeur, sensibles à l’homme plutôt qu’aux mérites,
qu’à ce qui paraît, passe ou passera. Notre oeil est encore mauvais,
notre coeur aussi; notre jalousie est le signe d’une justice
extérieure; elle est signe de notre manque d’amour: Seul l’Amour
demeure et a du goût, le goût du sel de la vie, de la Vie éternelle.
Dieu est Amour.
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