Auteur: OJC (83.201.168.54) Date: 14-04-2005
22:41
Cher Arnaud,
Après moults et mûres réflexions,
je confesse que j'entrevois dans ton édifice théologique concernant
la Parousie du Christ à l'heure de la mort un certain nombre de
points faibles.
En premier lieu, les NDE furent pour toi un
guide dans l'élaboration de ton hypothèse (à dessein, je n'emploie
pas le terme de "démonstration" que tu revendiques), même si elle ne
s'appuie qu'à titre incident sur elles. Or, il me semble que la
particularité des NDE est, justement, que ce sont des NDE.
C'est-à-dire que les personnes qui en ont fait l'expérience, si l'on
se place dans un cadre de réflexion chrétien, ont bénéficié d'une
grâce. Mais, dans la mesure où elle ne sont pas mortes, considérer
que ces NDE nous révèlent quelque chose de l'heure de la mort est
peut-être un peu trop audacieux. Il me semble plus raisonnable de
n'y voir qu'une révélation privée au sujet de la béatitude de la vie
éternelle en Dieu.
En second lieu, et nous rejoignons ici le
vaste débat entre les parts respectives de la liberté et de la
grâce, il me semble que tu fait part trop grande à la
liberté. Tout ce qui concerne la vie surnaturelle est, me
semble-t-il, grâce, et la liberté de l'être humain consiste (sans
doute pas exclusivement, mais ceic est un autre débat) précisément à
demander l'obtention de cette grâce. Telle m'apparaît ainsi
l'articulation entre la justice et la miséricorde divine : la
justice s'applique, si je puis dire ainsi, automatiquement, tandis
que la miséricorde divine ne joue que dans la mesure où elle est
sollicitée. Car, en effet, si l'on se penche un peu sur les
écrits et enseignements laissés par toutes les personnes, canonisées
ou non, qui ont été appelées par Dieu à accomplir une mission
salvifique particulière, que ce soit à l'égard des pécheurs
impénitents ou des âmes du purgatoire, l'on se rend rapidement
compte que le salut, ou la vision béatifique, n'est accordée aux
intéressés, de l'aveu même parfois de Notre Seigneur, qu'en
considération des mérites des personnes en question. C'est, par
exemple, toute la tradition de la vocation victimale dans laquelle
tant de saints se sont illustrés avec grand mérite.
L'on
pourrait, certes, me rétorquer que les mérites du Christ sont
infinis, et que ceux des saints ou autres sont en conséquence
superfétatoires. Ce à quoi je ne puis que répondre avec les mots
mêmes du Christ dans l'Evangile : Jésus est un avocat qui nous
défend devant le Père dans la mesure où nous croyons en lui. Ne
dit-il pas, en effet, que pour ceux qui le rejette, il ne les
défendra pas devant le Père ? Ainsi, la dimension communionnelle
de la sainte Eglise du Christ prend elle toute sa dimension : ce que
le Christ ne fait pas, et pour cause (pourquoi défendrait-il
quelqu'un qui ne veut pas être défendu ?), c'est à nous de le faire,
glorifiant la miséricorde divine ici-bas.
Prenons l'exemple
d'une personne arrivant à l'heure de sa mort en état de péché mortel
actuel. Dans votre hypothèse, son entrée au paradis, ou à tout le
moins en purgatoire, ne peut que résulter, in fine, d'une grâce de
conversion. Or, nous venons de voir que cette personne est en
état de péché mortel. Donc, ses prières ne sont pas efficaces, et
sont impuissantes à obtenir une grâce de conversion. De même, le
Christ ne peut lui accorder cette grâce de lui-même, ainsi qu'il l'a
affirmé dans les paroles sus-rapportées. Dès lors, il apparaît
que cette grâce de conversion ne peut lui être procurée que par
d'autres âmes. Lesquelles ? En premier lieu, il me semble qu'il faut
écarter l'hypothèse selon laquelle les âmes du paradis pourraient se
mouvoir d'elles-même en ce but. Etant, en effet, en communion de
volonté parfaite avec la divine Volonté, il faut considérer que ce
qui est impossible au Christ leur est, également, impossible. De
plus, ils n'agissent que par intercession, et doivent donc, de même
que le Christ, être sollicités. Ce n'est donc qu'aux âmes encore
dans leur existence terrestre qu'il est loisible d'agir pour obtenir
toute grâce, soit grâce de conversion à l'article de la mort, soit
grâce pour les âmes du purgatoire. A ce propos, je me souviens du
livre du P. Garrigues, A l'heure de notre mort. Ce prêtre
accompagne les mourants, et rapportait son expérience : il
constatait qu'à l'approche de la mort, était perceptible ce qu'il
appelle une "pression de la grâce", et s'affirmait persuadé, sur la
foi de son expérience, qu'aucune des personnes qu'il avait
accompagnées n'était allée en enfer, et que toutes avaient
bénéficié, en vertu de la miséricorde divine, d'une grâce de
conversion à l'heure de leur mort. On retrouve le même "principe"
chez sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, à propos de cet homme dont le
nom m'échappe qui était condamné à mort. MAIS ce que ces personnes
oublient de préciser, disons par modestie ?, c'est que les personnes
qu'elles ont accompagnées, justement, elles les ont accompagnées.
Elles ont prié pour elles. Et cela fait toute la différence, même si
elles n'en ont pas, apparemment, une claire conscience. Puissante
est la prière d'un prêtre (notamment la prière liturgique (par
laquelle le prêtre confie l'âme à Dieu), le viatique : toute
l'Eglise, militante comme glorieuse, d'une certaine manière, est au
chevet d'un mourant en même temps que le prêtre. Et également, le
Christ lui-même), et combien était puissante, également, la prière
de la petite Thérèse. Et que dire de sainte Faustine, dont c'était
là l'apostolat particulier ? Tu évoquais, admiratif, le mystère des
épousailles mystiques, dans lesquelles l'être humain en vient à
avoir des "droits" sur Dieu : en voilà un bel exemple avec cette
grande sainte.
Dès lors, il faut considérer comme plausible
que la Parousie de Christ à l'heure de la mort n'est pas un
évènement général, survenant au terme de la vie terrestre de toute
âme. D'ailleurs, en apprenant à sainte Faustine le chapelet de la
Msiéricorde divine, Jésus précisait bien que si l'on récitait ce
chapelet auprès d'un agonisant, il serait là pour l'acceuillir.
Donc, a contrario, il ne serait pas là dans le cas
contraire. D'autres témoignages conduisent à détacher cela de ce
chapelet particulier, et à considérer que le Christ ne vient
chercher, à l'heure de leur mort, que ceux qui l'ont, en quelque
sorte, demandé, et ceux pour lesquels cela a été demandé. Ceux qui
n'ont jamais eu la possibilité de connaître le Christ sont également
dans ce cas, et l'on comprend alors toute l'importance des ordres
contemplatifs voués à être le "coeur priant" des
missionnaires.
Il me semble, pour essayer de ramasser tout
ceci en un résumé rapide, que ton hypothèse est trop individualiste,
là où elle devrait se laisser irriguer par le personnalisme,
c'est-à-dire, in fine, qu'il faudrait sans doute prendre en
considération de façon plus aïgue la solidarité surnaturelle
existant entre tous les êtres humains. Pour dire les choses
autrement, je suis, d'une certaine manière, responsable du salut
éternel de tous les membres de ce débat, comme tous les membres de
ce débat sont, chacun, reponsables du mien.
C'est tout
l'enjeu, me semble-t-il, de ce virage anthropologique amorcé par
Vatican II : rappeler que si le deuxième commandement laissé par le
Christ est l'amour du prochain, c'est "comme Je vous ai aimé" qu'il
faut aimer le prochain. En d'autres termes, en vivant pour le salut
de notre prochain, comme l'a fait le Christ. Toutes les personnes
que Dieu nous donne de rencontrer, jusqu'à notre conjoint, jusqu'à
nos enfants, et en passant par le buraliste chez qui vous achetez
votre journal tous les jours, Il vous les confie pour que vous les
sanctifiez, pour que vous viviez pour eux, pour leur salut. Car
il n'y a rien, sur cette terre qui n'est qu'un purgatoire très
temporaire, qui aie plus d'importance que cela, ou tout du moins qui
devrait avoir pour chacun de nous plus d'importance que cela : le
salut, non pas seulement des personnes que nous aimons ( ce serait
trop facile), mais de toutes les personnes que Dieu met sur notre
route. Quid de notre salut personnel, me direz-vous ? Orgueil,
égoïsme, vous répondrais-je. Saint Paul n'affirme-t-il pas accepter
l'enfer si cela devait permettre aux âmes qui lui sont confiées
d'être sauvées ? Se soucier de son salut, comme l'on fait tant et
tant de chrétiens dans l'histoire de l'Eglise, doit finalement être
regardée comme un relent d'orgueil et d'égoïsme. Il n'y a pas de
plus grand amour, nous dit Jésus, que de donner sa vie pour ses
amis. Et c'est à cet amour que nous appelle le Christ : nous oublier
nous même, oublier jusqu'à la question de notre salut personnel,
pour le salut des autres, nos amis comme nos ennemis (encore qu'un
chrétien, devant aimer ses ennemis, n'a à proprement parler pas
d'ennemis mais, de son point de vue, que des amis, comme le Christ
suppliant sur la Croix que le Père pardonne à ceux qui le
crucifient).
Ceci dit, en étant conscient que mon
"raisonnement" est plus mystique que dogmatique, et il convient donc
de voir comment l'harmoniation des dogmes peut accepter ce
"raisonnement", avec les nuances qui seraient requises... Mon
intention, tu t'en doutes, étant surtout de nous permettre de
rester, toujours, des chercheurs de la Vérité, et non des détenteurs
de la Vérité. Puisse Notre Seigneur, dans sa grande miséricorde,
nous accorder la grâce de toujours être conscient de cela. Et,
ceci dit également, il est envisageable que, de fait, à sa mort,
toute personne soit mis en présence du Christ. Mais pas en vertu
d'une disposition générale de la divine Volonté, mais en vertu des
multiples supplications qui montent jusqu'au trône du Père de toutes
les Miséricordes. Le résultat est certes le même, mais tu
conviendras que cela, tout de même, change tout... Et, surtout, cela
reste de l'ordre de l'espérance et de la confiance en la divine
Miséricorde, et non du dogme. Ce qui, également, change tout, et met
en lumière la grave responsabilité qui nous incombe pour le salut de
nos frères et de nos soeurs. Et quand l'on sait que l'efficacité
de notre prière est, pour ainsi dire, proportionnelle à pureté de
notre coeur et de nos intentions, cela rend d'autant plus fort
l'appel universel à la sainteté lancé par les Pères conciliaires, et
relayés avec force par le pape Jean-Paul II.
"L'Eglise est le
sacrement, c'est-à-dire le signe et le moyen de l'union avec Dieu et
de l'unité de l'humanité". "L'Eglise est le sacrement du
salut". Mon Dieu... Les Pères conciliaires avaient-ils claire
conscience de l'implication de ces mots
??
Amicalement,
PS : Pardonnez-moi pour la longueur de
ce message...
Message modifié (14-04-2005
23:37)
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