Accueil Archives du forum  

ACCUEIL     TEXTE EN CAUSE     FORUM

Questions Disputées

http://www.thomas-d-aquin.com

a.dumouch@hotmail.com

 Les enfants arrêteront-ils de grandir au retour du Christ?
----- Original Message -----
Sent: Saturday, September 18, 2004 3:22 AM
Bonjour !

Pouvez-vous m'aider à vérifier une citation supposément de Thomas > d'Aquin ?

Voici le contexte :

« Pour un homme comme Nietzsche en tout cas, poser des questions pareilles et vivre avec de telles représentations signifie tout simplement ceci : Dieu n'est, pour les chrétiens, que l'instrument de leur ressentiment sordide à l'égard de ceux qui sont différents d'eux; et de citer complaisamment, pour illustrer son propos, cette parole atroce de saint Thomas d'Aquin : « Les bienheureux, dans le royaume des cieux, contempleront les souffrances des damnés pour que leur béatitude soit complète » (2) ...
(2) Généalogie de la Morale, I § 15. La citation de Nietzsche étant faite en latin, cela nous semble une garantie presque certaine de son
> authenticité. »
S'agit-il véritablement d'une citation de Thomas d'Aquin ? Si oui, quelle est la référence ?
> Merci de votre aide à ce sujet.

Paul Ladouceur

 Re:  Les enfants arrêteront-ils de grandir au retour du Christ?
----- Original Message -----
Sent: Saturday, September 18, 2004 3:22 AM
 

her Thabor, C'est tout à fait vrai. Saint Thomas dit cela explicitement
dans le supplément de la Somme théoplogique (vous trouverez l'article
dans le site http://docteurangelique.free.fr, somme théologique,
supplément: "l'enfer".

Cependant, bien évidement, Nietzsche a lu cette citation à sa façon. Ce
texte signifie que les élus se réjouissent du choix libre des damnés.
Car cette damnation est vraiment, totalement, un choix libre des damnés.
Ils le choississent non comme un mal mais à cause du bien (apparent)
qu'il y a en
enfer: C'est le même lieu que le paradis, mais dans une liberté totale,
absolue, divine... et sans amour (mais il ne voudraient pour rien au
monde de cet amour).

Cela change tout. Nietzsche pensait que l'enfer était une marmite de feu
où Dieu plongeait les damnés en se réjouissant de leurs totures...

Arnaud


 

 Les enfants arrêteront-ils de grandir au retour du Christ?
-

From: "thabor" <thabor@megaweb.ca>
To: <a.dumouch@free.fr>
Sent: Monday, September 20, 2004 5:38
Subject: RE : Citation de saint Thomas d'Aquin ?


Christ est parmi nous !
Cher Arnaud,
Je vous remercie de vos précisions. J'ai essayé de trouver la référence exact, mais sans succès - j'ai télécharger le fichier de la Somme, mais
il y a un problème avec le fichier .zip et je n'ai pas pu l'ouvrir.
Pouvez-vous m'envoyer soit l'URL exact où se trouve cette citation, ou un extrait avec la citation dans son contexte? Je vous en remercie. Si
j'utilise le document original où se trouve la citation, j'aimerais ajouter une explication à la note existante, pour ne pas diffamer s. Thomas.
Paul Ladouceur
 

 Les enfants arrêteront-ils de grandir au retour du Christ?
----- Original Message -----
Sent: Saturday, September 20, 2004 23:22
Cher Paul,
je vous envoie la question exacte de saint Thomas ainsi que les trois
articles réécrits pour éviter les mauvaises interprétations dans le traité
des fins dernières (site http://eschatologie.free.fr).

1-    Texte exact dans le Supplément à la Somme de saint Thomas

Saint Thomas d’Aquin n’a jamais terminé sa Somme de théologie. Surpris par une apparition du Christ alors qu’il célébrait la messe, il n’a jamais voulu reprendre sa dictée. Ce Supplément n’est donc pas directement de lui. Il est une compilation effectuée après sa mort par son secrétaire particulier, Frère Réginald, à partir d’œuvres de jeunesse du Maître, le Commentaire des Sentences de Pierre Lombart.

 

 

QUESTION 94: LE COMPORTEMENT DES SAINTS ENVERS LES DAMNÉS

Voyons maintenant le comportement des saints envers les damnés, et posons trois questions: 1. Les saints voient-ils les souffrances des damnés? - 2. Ont-ils pour eux de la compassion? - 3. Sont-ils satisfaits de les voir souffrir?

 

ARTICLE 1: Les saints dans le ciel verront-ils les souffrances des damnés?

Objections:

1. Il semble qu’ils ne les verront pas. La distance entre les damnés et les bienheureux est plus grande que celle qui sépare ceux-ci des hommes de la terre. Mais les bienheureux ne voient pas les événements des hommes de la terre, puisque, à propos d’Isaïe: "Abraham nous a ignorés", la Glose dit: "Les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants, fussent-ils leurs propres fils. "Ils voient donc moins encore les souffrances des damnés.

2. La perfection de la vision dépend de l’objet à voir. Aristote dit que "la plus parfaite opération du sens de la vue est celle de ce sens quand il est le mieux disposé à voir le plus bel objet visible". Donc, au contraire, la laideur de l’objet à voir produit une imperfection dans la vision. Il n’y aura aucune imperfection chez les bienheureux ils ne verront donc pas les misères des damnés, dans lesquelles il y a une extrême laideur.

Cependant:

Isaïe dit: "Ils sortiront et verront les cadavres des hommes qui se sont révoltés contre moi." Et la Glose ajoute "Les élus sortiront par leur intelligence ou par une vision directe, pour être davantage enthousiasmés dans la louange de Dieu."

Conclusion:

Rien ne doit être enlevé aux bienheureux de ce qui appartient à leur béatitude. Une chose est mieux connue par contraste avec son contraire, car les contraires quand ils se rapprochent sont mieux mis en lumière. C’est pourquoi, pour que la béatitude des saints leur plaise davantage, et qu’ils en rendent à Dieu de meilleures actions de grâces, il leur est donné de voir parfaitement les souffrances des impies.

Solutions:

1. La Glose parle ici des saints décédés, selon leur possibilité naturelle. Par celle-ci, il n’est en effet pas nécessaire qu’ils parviennent à la connaissance de tout ce qui se passe chez les vivants. Mais les saints qui sont dans le ciel, connaissent clairement tout ce qui arrive chez les hommes de la terre et chez les damnés. C’est pourquoi saint Grégoire dit: "A propos des âmes des saints, on ne peut point penser ce que dit Job (à savoir "que ses fils soient nobles ou misérables, il ne connaîtra pas..."), parce que pour ceux qui possèdent la clarté de Dieu, on ne peut en aucune manière croire qu’il y ait en dehors de Dieu quoi que ce soit qu’ils ignorent"

2. Bien que la beauté de l’objet vu contribue à la perfection de la vue, cependant la laideur de l’objet peut ne pas entraîner d’imperfection de la vision. Les représentations des choses, par lesquelles on connaît les contraires, ne sont pas contraires dans l’âme. C’est pourquoi Dieu, qui a la plus parfaite des connaissances, voit toutes les choses, belles comme laides.

 

ARTICLE 2: Les bienheureux ont-ils de la compassion pour les souffrances des damnés?

Objections:

1. Cela semble. La compassion procède de la charité. Les bienheureux auront une très parfaite Charité: ils compatiront donc pleinement aux souffrances des damnés.

2. Les bienheureux ne seront jamais aussi éloignés de la compassion que Dieu peut l’être. Mais Dieu a de quelque manière de la compassion pour nos misères (d’où son titre de miséricordieux), et aussi les anges. Les bienheureux ont donc de la compassion pour les souffrances des damnés.

Cependant:

Toute personne qui compatit devient de quelque manière participante à la souffrance d’autrui. Mais les bienheureux ne peuvent point participer à aucune souffrance. Ils n’ont donc point de compassion pour les souffrances des damnés.

Conclusion:

La miséricorde ou compassion peut se trouver en quelqu’un de deux manières: soit par passion, soit par un acte de choix de la volonté. Chez les bienheureux il n’y aura pas de passion dans la partie inférieure de leur nature, sauf à la suite d’un choix de la raison. Il n’y aura donc chez eux de compassion ou de miséricorde qu’à la suite d’un tel choix de la raison. Une telle élection de la raison ne peut faire naître la miséricorde ou la compassion que si quelqu’un veut que le mal d’autrui soit éloigné: point de compassion si nous ne voulons pas raisonnablement que les maux d’autrui soient écartés. Tant que les pécheurs sont en ce monde, ils se trouvent dans un tel état qu’ils peuvent être libérés de leur misère et de leur péché sans préjudice pour la justice divine, et être introduits dans la béatitude. La compassion est donc possible envers eux, par choix de la volonté (comme Dieu, les anges et les saints compatissent en voulant leur salut) ou par passion, comme les hommes bons compatissent aux pécheurs qui sont encore dans la vie terrestre. Mais dans l’au-delà, les pécheurs ne pourront plus sortir de leur misère. Il n’y aura donc plus de possibilité d’une compassion, voulue avec rectitude, à l’égard de leurs souffrances. Les bienheureux qui seront dans la gloire n’auront donc aucune compassion pour les damnés.

Solutions:

1. La charité est source de compassion quand nous pouvons à cause d’elle vouloir l’éloignement de la souffrance d’autrui. Mais les saints ne peuvent pas vouloir cela par charité à l’égard des damnés, puisque ce serait contraire à la justice divine.

2. Dieu est miséricordieux en tant qu’il va au secours de ceux qui, selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice, peuvent être libérés légitimement il ne peut pas avoir pitié des damnés, sauf en les punissant moins qu’ils ne le méritent.

 

ARTICLE 3: Les bienheureux se réjouiront-ils des peines des impies?

Objections:

1. Cela ne semble pas: se réjouir du mal d’autrui se rattache à la haine. Dans les bienheureux il n’y en aura pas. Ils ne se réjouiront donc pas des souffrances des damnés.

2. Les bienheureux au ciel seront tout à fait conformes à Dieu. Mais "Dieu ne se réjouit pas de nos peines". Donc pas davantage les bien heureux.

3. Ce qui est réprouvable chez l’homme de la terre ne peut aucunement se trouver en celui du ciel. Mais ici-bas il est tout à fait condamnable de se réjouir des peines d’autrui, et très louable de s’en affliger. Donc, les bienheureux ne se réjouiront aucunement des peines des damnés.

Cependant:

Le Psalmiste dit: "Le juste se réjouira en voyant la vengeance."

En outre, Isaïe dit que les cadavres des révoltés "donneront une vision de satiété à toute chair". Mais la satiété signifie l’assouvissement de l’esprit. Les bienheureux jouiront donc des peines des impies.

Conclusion:

Une chose peut être occasion de joie de deux manières: ou bien, par soi, quand on se réjouit d’une chose pour elle- même; et de cette manière les saints ne se réjouiront pas des peines des impies. Ou bien par accident, c’est-à-dire à cause de quelque chose qui s’y ajoute; et ainsi les saints se réjouiront des peines des impies en considérant l’ordonnance de la divine justice pour ceux-ci, et leur libération personnelle, source de joie. Ainsi la justice divine et la libération des bienheureux seront par elles-mêmes causes de joie, tandis que la peine des damnés ne le sera que par accident.

Solutions:

1. Se réjouir du mal d’autrui, en soi, appartient à la haine, mais non pas se réjouir de ce mal à cause d’une autre circonstance qui s’y rattache. De cette manière, il arrive même que quelqu’un se réjouisse de son propre mal: si, par exemple, quelqu’un se réjouit de ses proches souffrances en tant qu’elles lui procurent du mérite pour le ciel.

Saint Jacques dit: "Frères, quand vous tombez en diverses tentations, considérez-le comme une joie."

2. Bien que Dieu ne se réjouisse pas des peines en tant que telles, il s’en réjouit en tant qu’elles sont ordonnées à sa justice.

3. Chez l’homme de la terre, il n’est pas louable de se réjouir, en soi, des peines des autres; mais cela devient louable s’il s’en réjouit en tant qu’elles sont liées à quelque bien. Cependant, il y a cette différence entre l’homme de la terre et celui du ciel: en celui de la terre, les passions naissent fréquemment sans jugement de sa raison; et pourtant, elles sont parfois louables, en tant qu’elles indiquent une bonne disposition de l’esprit: comme les mouvements de honte, ou de miséricorde, ou de regret du mal. Chez les hommes du ciel, il ne peut y avoir de passion qui ne suive pas un jugement de la raison.

 

2-    Texte réécrit dans le traité des fins dernières, Arnaud Dumouch (site http://eschatologie.free.fr

 

Article 8 : Les saints dans le Ciel verront-ils les souffrances des damnés ?[1]

Objection 1 : Il semble qu’ils ne les verront pas. La distance entre les damnés et les bienheureux est plus grande que celle qui sépare ceux-ci des hommes de la terre. Mais les bienheureux ne voient pas les événements des hommes de la terre, puisque, à propos d’Isaïe : « Abraham nous a ignorés », la Glose dit : « Les morts, même saints, ignorent ce que font les vivants, fussent-ils leurs propres fils ». Ils voient donc moins encore les souffrances des damnés.

Objection 2 : La perfection de la vision dépend de l’objet à voir. Aristote dit que « la plus parfaite opération du sens de la vue est celle de ce sens quand il est le mieux disposé à voir le plus bel objet visible ». Donc, au contraire, la laideur de l’objet à voir produit une imperfection dans la vision. Il n’y auna aucune imperfection chez les bienheureux : ils ne verront donc pas les misères des damnés, dans lesquelles il y a une extrême laideur.

Cependant : Isaïe dit : « Ils sortiront et verront les cadavres des hommes qui se sont révoltés contre moi ». Et la Glose ajoute : « Les élus sortiront par leur intelligence ou par une vision directe, pour être davantage enthousiasmés dans la louange de Dieu ».

Conclusion : Le choix des damnés est libre et obstinée. Le livre de Job le montre de manière claire lorsqu’il présente Satan, digne dans son option, se présentant au conseil de Dieu[2]. Les bienheureux respectent leur choix et le prennent comme ce qu’il est : une glorification du Créateur qui a fait les hommes et les anges libres. Rien ne doit être enlevé aux bienheureux de ce qui appartient à leur béatitude. L’expérience visible du respect de Dieu devant le choix des damnés en fait partie. C’est pourquoi, il leur est donné de voir parfaitement à la fois le choix et les conséquences de ce choix dans les impies.

Solution 1 : La Glose parle ici des saints décédés, selon leur possibilité naturelle. Par celle-ci, il n’est en effet pas nécessaire qu’ils parviennent à la connaissance de tout ce qui se passe chez les vivants. Mais les saints qui sont dans le Ciel, connaissent clairement tout ce qui arrive chez les hommes de la terre et chez les damnés. C’est pourquoi saint Grégoire dit : « À propos des âmes des saints, on ne peut point penser ce que dit Job, à savoir : « que ses fils soient nobles ou misérables, il ne connaîtra pas « , parce que pour ceux qui possèdent la clarté de Dieu, on ne peut en aucune manière croire qu’il y ait en dehors de Dieu quoi que ce soit qu’ils ignorent ».

Solution 2 : Bien que la beauté de l’objet vu contribue à la perfection de la vue, cependant la laideur de l’objet peut ne pas entraîner d’imperfection de la vision. Les représentations des choses, par lesquelles on connaît les contraires, ne sont pas contraires dans l’âme. C’est pourquoi Dieu, qui a la plus parfaite des connaissances, voit toutes les choses, belles comme laides.

Article 9 : Les bienheureux ont-ils de la compassion pour les souffrances des damnés ?

Objection 1 : Cela semble. La compassion procède de la charité. Les bienheureux auront une très parfaite charité. Ils compatiront donc pleinement aux souffrances des damnés.

Objection 2 : Les bienheureux ne seront jamais aussi éloignés de la compassion que Dieu peut l’être. Mais Dieu a de quelque manière de la compas­sion pour nos misères (d’où son titre de misé­ricordieux), et aussi les anges. Les bienheureux ont donc de la compassion pour les souffrances des damnés.

Cependant : Toute personne qui compatit devient de quelque manière participante à la souffrance d’autrui. Mais les bienheureux ne peuvent point participer à aucune souffrance. Ils n’ont donc point de compassion pour les souffrances des damnés.

Conclusion : La miséricorde ou com­passion peut se trouver en quelqu’un de deux manières soit par passion, soit par un acte de choix de la volonté. Chez les bienheureux il n’y aura pas de passions dans la partie infé­rieure de leur nature, sauf à la suite d’un choix de la raison. Il n’y aura donc chez eux de compassion ou de miséricorde qu’à la suite d’un tel choix de la raison. Une telle élection de la raison ne peut faire naître la miséricorde ou la compassion que si quelqu’un veut que le mal d’autrui soit écarté. Tant que les pécheurs sont en ce monde, ils se trouvent dans un tel état qu’ils peuvent être libérés de leur misère et de leur péché sans préjudice pour la justice divine, et être introduits dans la béatitude. La compassion est donc possible envers eux, par choix de la volonté (comme Dieu, les anges et les saints compatissent en voulant leur salut) ou par passion, comme les hommes bons compatissent aux pécheurs qui sont encore dans la vie terrestre. Nous avons montré que cette compassion, fruit de la charité, s’exerce sans aucune douleur au Ciel. Mais dans l’au-delà, les pécheurs ne voudront plus, lucidement, sortir de leur misère. Il n’y aura donc plus de possibilité d’une compassion, voulue avec rectitude, à l’égard de leurs souffrances. Les bienheureux qui seront dans la gloire n’auront donc aucune compassion pour les damnés.

Solution 1 : La charité est source de compassion quand nous pouvons à cause d’elle vouloir l’éloignement de la souffrance d’autrui. Mais les saints ne peuvent pas vouloir cela par charité à l’égard des damnés, puisque ce serait contraire à la justice divine.

Solution 2 : Dieu est miséricordieux en tant qu’il va au secours de ceux qui, selon l’ordre de sa sagesse et de sa justice, peuvent être libérés légitimement il ne peut pas avoir pitié des damnés, sauf en les permettant qu’ils ressentent moins qu’ils ne le devraient, les souffrances de la viduité de leur vie.

Article 10 : Les bienheureux se réjouiront-ils des peines des impies ?[3]

Objection 1 : Cela ne semble pas : se réjouir du mal d’autrui se rattache à la haine. Dans les bienheureux, il n’y en aura pas. Ils ne se réjouiront donc pas des souffrances des damnés.

Objection 2 : Les bienheureux au Ciel seront tout à fait conformes à Dieu. Mais « Dieu ne se réjouit pas de nos peines ». Donc pas davantage les bien­heureux.

Objection 3 : Ce qui est réprouvable chez l’homme de la terre ne peut aucunement se trouver en celui du Ciel. Mais ici-bas il est tout à fait condam­nable de se réjouir des peines d’autrui, et très louable de s’en affliger. Donc, les bienheureux ne se réjouiront aucunement des peines des damnés.

Cependant : Le Psalmiste dit : « Le juste se réjouira en voyant la vengeance ».

En outre, Isaïe dit que les cadavres des révoltés « donneront une vision de satiété à toute chair ». Mais la satiété signifie l’assouvis­sement de l’esprit. Les bienheureux jouiront donc des peines des impies.

Conclusion : Une chose peut être occasion de joie de deux manières : ou bien, par soi, quand on se réjouit d’une chose pour elle-même ; et de cette manière les saints ne se réjouiront pas des peines des impies. Ou bien par accident, c’est-à-dire à cause de quelque chose qui s’y ajoute ; et ainsi les saints se réjouiront des peines des impies en considérant l’ordonnance de la divine justice pour ceux-ci, et leur libération personnelle, source de joie. Ainsi la justice divine et la libération des bienheureux seront par elles-mêmes cause de joie, tandis que la peine des damnés ne le sera que par accident. [4]

Solution 1 : Se réjouir du mal d’autrui en soi, appartient à la haine, mais non pas se réjouir de ce mal à cause d’une autre circonstance qui s’y rattache. De cette manière, il arrive même que quelqu’un se réjouisse de son propre mal si, par exemple, quelqu’un se réjouit de ses propres souffrances en tant qu’elles lui procurent du mérite pour le Ciel. Saint Jacques dit « Frères, quand vous tombés en diverses tentations, considérez-le comme une joie ».

Solution 2 : Bien que Dieu ne se réjouisse pas des peines en tant que telles, il s’en réjouit en tant qu’elles sont ordonnées à sa justice.

Solution 3 : Chez les élus du Ciel comme chez les hommes qui vivent de la charité sur la terre, il n’est pas louable de se réjouir des peines des autres en tant qu’elles font souffrir. Mais cela devient louable s’il s’en réjouit en tant qu’elles sont liées à quelque bien. On le voit aussi dans l’amour parental. On se réjouit d’une épreuve subie par un enfant, non parce qu’elle l’a fait souffrir mais parce qu’elle l’a fait mûrir. Ainsi, au Ciel, on se réjouit de la souffrance des damnés non parce qu’elle les torture mais parce qu’elle est le signe de la liberté de leur choix et du respect de Dieu pour ceux qui, pourtant créés pour l’amour, préfèrent subir le feu de leur nature coupée de sa fin que de se repentir de l’orgueil. Cependant, il y a cette différence entre l’homme de la terre et celui du Ciel : en celui du Ciel, les passions naissent fréquemment sans jugement de sa raison ; et pourtant, elles sont parfois louables en tant qu’elles indiquent une bonne disposition de l’esprit, comme les mouvements de la honte ou de miséricorde ou de regret du mal. Chez les hommes du Ciel, il ne peut y avoir de passion qui ne suive pas un mouvement de la raison.

 


 

[1] Il s’agit de l’article de saint Thomas, Supplément Question 94, article 1.

[2] Job 1.

[3] BALTHASAR H. U, La dramatique divine, culture et Vérité, Namur 1993, p. 252-253.

[4] Les saints ont eu parfois sur le mystère de l’enfer des mots qui donnent le vertige. Reprenant l’invocation des Litanies : «Par tes saints jugements, délivre-moi, Seigneur », Angèle de Foligno disait : «Je ne vois pas plus la Bonté de Dieu dans un homme bon et saint, et dans plusieurs hommes bons et saints, que dans un damné ou dans la multitude des damnés. Cette profondeur ne m’a été montrée qu’une fois, mais jamais je n’en perds le souvenir ni la joie. Et si tout ce qui tient à la foi venait à me manquer, il me resterait encore pour­tant cette unique certitude au sujet de Dieu, celle de ses jugements, de la justice de ses jugements. Mais, oh! quelle grande profondeur est ici! Mais tout ceci va à l’utilité des bons : car toute âme qui aurait ou qui aura la connaissance de ces jugements et de cet abîme, tirera fruit de tout, par cette connaissance du nom de Dieu ». Livre de sainte Angèle de Foligno, fin de la 1re partie, vers te milieu du 7ème passage.