Auteur: Sire
Yves (---.f140.globetrotter.net)
Date: 04/07/2003 07:57
Reprenons donc le raisonnement de Polaire, présumé sophistique.
«Si vous êtes aveugle vous ne le savez pas , à tout le moins vous ne
savez pas ce que c’est que de ne pas l’ être . Vous n’ êtes pas privé de
ce dont vous ne savez rien».
Ce qu'il faut que vous sachiez, Polaire, c'est que chez les
aristotéliciens, le concept de privation a une dimension téléologique.
La privation est définie, de notre point de vue, comme l'absence chez un
sujet, d'une perfection qui devrait s'y trouver, ou encore l'absence
d'une perfection chez un sujet apte à cette perfection.
L'exemple classique est la cécité. La cécité est dite d'un homme, mais
elle n'est pas dite d'une pierre ou d'une plante. C'est que la pierre et
la plante ne sont pas supposés avoir la vue, au contraire de l'homme.
S'il est naturel à la pierre et à la plante de ne voir pas, ce ne l'est
pas pour l'homme. C'est pareil pour la surdité ou la paralysie. Un homme
est handicapé s'il ne peut pas se mouvoir, mais une pierre qui ne peut
pas se mouvoir, rien de plus normal. C'est conforme à sa nature. La
pierre n'est pas faite pour voir. Aristote ajoute que la privation est
"irréversible". Un voyant peut devenir aveugle, mais pas l'inverse.
Mais, au nom de la médecine moderne, cette irréversibilité devient
contestable.
J'ai l'impression que vous, de votre côté, vous identifiez privation et
le sentiment de privation. Et votre assertion peut se défendre par un
principe tout scolastique: "nihil volitum nisi praecognitum". On ne
désire pas ce qu'on ignore. On ne souffre pas si on manque d'une chose
en ne le sachant pas. Votre assertion peut se tenir à condition que vous
entendiez par privation toute espèce de manque voire des besoins.
Néanmoins, votre exemple de la cécité n'est pas adéquat. D'abord, parce
qu'il coïncide avec l'exemple de la privation selon les aristotéliciens,
ensuite parce que, si un individu aveugle n'a pas été aveugle depuis sa
naissance, il peut effectivement se sentir privé de la vue. D'ailleurs
est-il un aveugle qui puisse vraiment échapper à un sentiment de manque
lorsqu'il saura, au contact des autres, qu'il lui manque -
définitivement - quelque chose d'important et que son entourage possède?
Cordialement,
Le Chevalier de la Logique
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