Chapitre II - Rencontres personnelles autour du sujet
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II- Rencontres personnelles autour du sujet

                        Après avoir fait, dans le chapitre précédent, l'historique des origines de la controverse théologique de l'apocatastase, je vous propose maintenant d'entendre des gens d'aujourd'hui aborder le problème du salut de tous.

                        Ces personnes, dont je vais vous présenter le discours sur l'apocatastase, je les ai connues, et pour deux d'entre elles, nous nous fréquentons encore. Ainsi, après avoir écouté Origène, Saint Grégoire de Nysse, Evagre le Pontique et Saint Maxime le Confesseur, nous prêterons maintenant attention aux propos tenus par Mickaël, par Philippe, par une jeune femme nommée Magali et par un professeur d'histoire de Strasbourg.

                        Ce qu'ils nous disent n'est pas moins intéressant, pas moins instructif, pas moins troublant que ce que nous avons pu découvrir chez les Pères de l'Eglise précédemment cités.

                        Car ce qu'ils nous disent mélange dans une expression contemporaine très vive des choses déjà anciennes, puisque le discours sur l'apocatastase remonte au troisième siècle de notre ère.

                        Ces choses anciennes, rangées sous le titre de l'apocatastase, sont toujours présentes à l'esprit de nos contemporains, comme si le problème qu'elles posent était insoluble du point de vue de la foi. C'est entre autre le cas avec le professeur d'histoire, qui, bien que chrétien, ne parvenait pas à résoudre le problème et en était très troublé.

            Pour les trois autres personnes présentées, Magali, Philippe et Mickaël, leur croyance se rapprochant de façon beaucoup moins évidente de la définition chrétienne de la foi, le problème se révèle sous un aspect tout différent, et à l'inverse du professeur d'histoire, la chose apparaît chez eux pleine d'optimisme et d'espérance certaine.

                        Les chrétiens semblent en cette affaire d'apocatastase beaucoup plus gênés et même peinés que les autres, en ce sens où, comme nous l'avons déjà vu, l'Eglise par ses dogmes enseigne l'existence de l'enfer et son éternité pour les pécheurs invétérés.

                        Autrement, je tiens également à prévenir ici le lecteur que ces témoignages de contemporains au sujet de l'apocatastase n'ont pas pour but d'introduire de la subjectivité dans cette étude mais de montrer qu'il existe toujours de nombreux discours sur le salut de tous, partagés non pas par les seuls théologiens professionnels mais aussi par des gens comme vous et moi, simplement intéressés et soucieux de savoir ce qui arrivera aux hommes après la mort.

                        1/ Monsieur le professeur de Strasbourg et le poème d'Eloa

                        Ce professeur d'histoire que j'ai rencontré à Strasbourg est un homme d'âge mûr, père de famille et même grand-père je crois. Il n'était pas très loin de prendre sa retraite.

                        C'est à l'occasion d'un cours d'histoire médiévale du XIIIème siècle que je fais sa connaissance. L'homme est un excellent pédagogue, ce qui est assez rare parmi les rangs des universitaires pour être signalé. Le cours est intéressant et la première heure file comme si un quart d'heure seulement avait passé. La seconde heure, après une courte pause, débute aussi bien que la première. Les propos de Monsieur le professeur sont tout à la fois attrayants et enrichissants. L'homme est intelligent et s'exprime en un langage limpide. La seconde heure vient à passer elle aussi sans qu'on se soit ennuyé. Notre attention va se relâcher, alors que le cours s'achève, quand Monsieur le professeur nous entraîne sur un tout autre sujet que l'histoire de l'Occident médiéval au XIII° siècle. L'homme a-t-il ressenti le besoin de se confier? Est-il si pressé d'en finir avec une question qui le tourmente à ce point pour nous choisir subitement comme témoins de son désarroi? Quoi qu'il en soit, il nous fait part ouvertement de son trouble.

                        A l'évidence, la présence dans l'assistance de personnes ayant engagé religieusement leur vie décide et précipite Monsieur le professeur à se confesser sur un sujet de religion. Que nous dit alors l'homme? Ses paroles sont à quelques choses près les suivantes:

            "Je ne sais pas si vous croyez à l'enfer. Personnellement je suis chrétien, et si le ciel m'est accordé, je crains malheureusement de ne pas avoir le goût de participer aux chants du chœur des anges, sachant que d'autres brûlent pendant ce temps en enfer. Ma joie de bienheureux au ciel ne saurait être parfaite si quelques autres souffrent en bas dans les flammes éternelles de l'enfer."

            Pour créer la surprise, une telle sortie sur le paradis et son contraire l'enfer nous surprend. Curieusement, les religieux présents ne disent mot, ne répondent pas à cet appel aussi urgent qu'impromptu. Il me semble alors qu'ils sont presque gênés par la question posée. En tout cas aucun d'eux ne prend le risque de tenter une réponse. Plus grave, car c'est un manque évident de charité, aucun non plus ne prend la peine de rassurer notre homme, ne serait-ce qu'en lui prouvant, en partageant son émotion, qu'il n'est pas seul face à l'adversité de cette vision du malheur des damnés.

                        Je prends donc la parole, non pas pour apporter une réponse dont je n'étais pas encore maître, mais pour faire savoir au professeur que son trouble peut être partagé. De fait, ses propos m'avaient, aussitôt prononcés, rappelé un poème d'Alfred de Vigny. Le poème en question, que j'avais lu quelques années plus tôt et qui m'avait marqué, raconte l'histoire d'un ange nommé Eloa. Cet ange qui ne peut plus en effet communier pleinement à la joie du chœur des anges à cause de la pensée obsédante qu'il a de l'absence d'un de ses frères, Lucifer, qui, s'étant révolté contre Dieu, ne participe plus à la félicité du Ciel. Aussi l'ange Eloa, dont la vie spirituelle est marquée par la compassion, ne peut-il connaître le bonheur que si tous le connaissent également.

"Eloa s'écartant de ce divin spectacle,
Loin de leur foule et loin du brillant Tabernacle,
Cherchait quelque nuage où dans l'obscurité
Elle pourrait du moins rêver en liberté...
Les Vierges quelquefois, pour connaître sa peine,
Formant une prière inattendue et vaine,
L'entouraient, et prenant ces soins qui font souffrir,
Demandaient quels trésors il lui fallait offrir,
Et de quel prix serait son éternelle vie,
Si le bonheur du Ciel flattait peu son envie;
Et pourquoi son regard ne cherchait pas enfin
Les regards d'un Archange ou ceux d'un Séraphin.
Eloa répondait une seule parole:
"Aucun d'eux n'a besoin de celle qui console;
On dit qu'il en est un..." Mais, détournant leurs pas,
Les Vierges s'enfuyaient et ne le nommaient pas."

(Alfred de Vigny, Eloa, -1823-)

                        Notre ange et notre professeur sont tristes de la même façon. Ils ne conçoivent la perfection de leur bonheur qu'à travers l'assurance du bonheur de tous. Aussi sont-ils en quête d'une réponse au sujet de ce mal qui déroge aux lois divines du bonheur céleste. L'ange chimérique d'Alfred de Vigny et notre professeur d'histoire rêvent du même bonheur pour tous que l'on nomme apocatastase: Tous reviendrons à Dieu et seront sauvés.

            J'ose seulement espérer que le professeur, dans la détresse où il se trouvait, n'a pas lu le poème d'Eloa, car, au final, l'ange, dans son désir de sauver celui qui est perdu, se perd avec lui. Alfred de Vigny pousse le malaise à sa plus extrême expression en avouant que le plus noble sentiment de compassion et d'amour ne sauve pas le réprouvé mais condamne aussi par là même l'ange secourable.

""Que vous ai-je donc fait? Qu'avez-vous? Me voici.
- Tu cherches à me fuir, et pour toujours peut-être.
Combien tu me punis de m'être fait connaître!
- J'aimerais mieux rester; mais le Seigneur m'attend.
Je veux parler pour vous, souvent il nous entend.
- Il ne peut rien sur moi, jamais mon sort ne change,
Et toi seule es le Dieu qui peut sauver un Ange.
- Que puis-je faire? Hélas! dites, faut-il rester?
- Oui, descends jusqu'à moi, car je ne puis monter.
- Mais quel don voulez-vous? - le plus beau, c'est nous-mêmes.
Viens! - M'exiler du Ciel? - Qu'importe, si tu m'aimes?
...
- Je t'aime et je descends. Mais que diront les Cieux?"
...
Des plaintes de douleur, des réponses cruelles
Se mêlaient dans la flamme au battement des ailes:
"Où me conduisez-vous, bel Ange? - Viens toujours.
- Que votre voix est triste, et quel sombre discours!
N'est-ce pas Eloa qui soulève ta chaîne?
J'ai cru t'avoir sauvé. - Non, c'est moi qui t'entraîne.
- Si nous sommes unis, peu m'importe en quel lieu!
Nomme-moi donc encore ou ta sœur ou ton Dieu!
- J'enlève mon esclave et je tiens ma victime.
- Tu paraissais si bon; Oh! qu'ai-je fait? - Un crime.
- Seras-tu plus heureux? du moins, es-tu content?
- Plus triste que jamais. - Qui donc es-tu? - Satan.""

(Alfred de Vigny, Eloa, -1823-)

                        Plutôt sinistre, non? Il ne s'agit cependant, rappelons-le, que d'une fiction poétique.

            Je pourrais aujourd'hui objecter à Alfred de Vigny et à Monsieur le professeur, qu'étant tous deux chrétiens, ils auraient normalement dû savoir, d'après la théologie chrétienne, qu'il n'y a pas de souffrance en Dieu, ni chez les bienheureux qui vivent dans Sa contemplation.

                        Dans la Bible, on peut lire que la voix inaugurale du Royaume des Cieux proclame la fin de toute souffrance. L'inauguration du paradis marque la fin de toute souffrance:

                        "J'entendis alors une voix clamer, du trône: "Voici la demeure de Dieu avec les hommes. Il aura sa demeure avec eux; ils seront son peuple et lui, Dieu-avec-eux, sera leur Dieu. Il essuiera toute larme de leurs yeux: de mort, il n'y en aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n'y en aura plus, car l'ancien monde s'en est allé"" (Apocalypse, 21.3-4).

                        Contrairement à ce qu'écrit Vigny lorsqu'il parle de "ces soins qui font souffrir", et qui découlent de la compassion, le paradis est indemne de toute souffrance. Car au ciel, si l'on doit y croire, la compassion n'existe plus, tout comme n'existe plus ni la foi ni l'espérance. En effet, les bienheureux voient Dieu: "ils verront sa face, et son nom sera sur leurs fronts. De nuit, il n'y en aura plus; ils se passeront de lampe ou de soleil pour s'éclairer, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront pour les siècles des siècles" (Apocalypse, 22.4-5). Le soleil de la foi et la lune de l'espérance sont supplantés par la lumière de l'Amour divin dans laquelle les bienheureux vivent pour toujours. Ce qu'espéraient les hommes, Dieu, ils le possèdent, car c'est Dieu même qui se donne à eux. Aussi l'espérance est-elle rassasiée. Quant à la foi, alors qu'il fallait croire sans voir, là-haut, c'est la vision même de Dieu qui fait vivre. Aussi la foi est-elle dépassée et consommée en Dieu. Quant à la compassion, elle n'a plus d'objet, la souffrance ayant disparu. Seul reste l'amour, l'amour dans sa perfection. Tel est le Ciel (sans nuage) auquel les chrétiens croient et qu'ils espèrent.

            S'ils y mêlent de la souffrance, Alfred de Vigny et Monsieur le professeur se trompent de ciel. Du point de vue chrétien en tout cas, leur ciel n'est pas le Ciel. Mais nous leur concéderons toutefois que l'enfer pose problème. Cependant, l'enfer n'est pas le ciel, heureusement! Aussi ne doit-on pas mélanger les visions. Si les gens en enfer sont malheureux, ceux qui sont au paradis sont par définition heureux. Il faut faire très attention de ne pas mêler l'enfer au paradis, et inversement. En ce premier sens où il n'y pas de souffrance au Ciel, en ce second sens où il n'y a pas de compassion possible pour l'enfer. La démarche de l'ange Eloa est malsaine.

            "Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres, qui changent l'amertume en douceur et la douceur en amertume!" (Isaïe, 5.20).

            Le ciel est le ciel, l'enfer est l'enfer. Cela au moins a le mérite d'être clair. Poursuivons...

                        2/ Magali et le pari de Pascal à l'envers

            Magali est une jeune femme que je connais depuis plusieurs années et que je retrouve chaque été en vacances.

                        Ce devait être une soirée d'août, il y a deux ans. Nous étions réunis entre amis sous un beau ciel étoilé, chassant du regard les étoiles filantes du côté des perséïdes. La conversation dériva sur Dieu, et, à les en croire, j'étais une fois de plus responsable de la manœuvre. Enfin me connaissent-ils et savent-ils que j'aime parler de Dieu. Ce soir là donc, Dieu faisait de nouveau irruption dans la conversation, mais, plus rapidement que d'habitude, les autres se lassèrent de devoir s'interroger sur le Créateur du magnifique ciel qu'ils avaient sous les yeux. De telle sorte que Magali, sentant bien la lassitude de ses camarades, décida de mettre un terme à la discussion. Elle nous administra donc pour conclure une surprenante formule:

            "Si Dieu existe, Il est amour, aussi, qu'on croie ou non en Lui, Il nous sauvera tous. N'est-ce pas?"

            Je n'ai rien répondu, d'autant plus que les autres espéraient bien, après une telle déclaration consensuelle, que la conversation cesserait. Il est vrai que la formule imaginée par Magali fournissait une conclusion magistrale, satisfaisante pour tous, croyants ou incroyants.

                        Ainsi Magali, quoi qu'incroyante, voyait Dieu d'un bon oeil. Je ne pouvais certes pas nier que Dieu est amour et qu'Il désire sauver tous les hommes. Je concédai donc silencieusement à Magali en cette nuit d'été la victoire de l'apocatastase.

                        Mais, du point de vue de la pratique religieuse, la formule de Magali me laissait perplexe. Sa formule ne cessa pas dès lors de me hanter. Car à quoi bon sert-il de croire si l'incroyance est tout aussi salutaire que la vie de foi la plus exigeante et la plus contraignante? C'est la fin de toute religion...

                        A bien y réfléchir, la formule de Magali m'apparut ensuite comme le pari inverse de celui proposé par Pascal. Pascal, vous savez, c'est celui qui figure sur le billet de 500 francs.

                        Voici maintenant le pari de Pascal, et ce n'est pas 500 francs qu'il s'agit de parier mais une vie terrestre finie en échange de la vie éternelle:

                        "Dieu est ou il n'est pas; mais de quel côté pencherons-nous? la raison n'y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu à l'extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez-vous? par raison vous ne pouvez faire ni l'un ni l'autre; par raison vous ne pouvez défaire nul des deux. (...). Oui, mais il faut parier. Cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqués. Lequel prendrez-vous donc? Voyons; puisqu'il faut choisir voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre: le vrai et le bien, et deux choses à engager: votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude, et votre nature deux choses à fuir: l'erreur et la misère. Votre raison n'est pas plus blessée puisqu'il faut nécessairement choisir, en choisissant l'un que l'autre. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude? Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas: si vous gagnez vous gagnez tout, et si vous perdez vous ne perdez rien: gagez donc qu'il est sans hésiter" (Pascal, Pensées, 418, -1658-).

                        Mais il faut savoir que le pari de Pascal se veut la première étape sur le chemin de la foi. Si le pari se fait dans un premier temps en dehors de l’amitié de Dieu, c'est à celle-ci qu'il doit conduire ensuite celui qui a choisi de parier pour Dieu.

                        Maintenant voyons comment le pari de Magali est celui de Pascal à l'envers.

            Pour établir une telle constatation, on peut apporter les arguments suivants:

            1/a- Le but du pari pascalien est de trouver la foi, c'est-à-dire de croire en Dieu, non plus seulement en Sa simple existence, mais en une personne divine qui vous aime.

             /b- Le pari de Magali à l'inverse dégage de toute responsabilité de croire en Dieu.

            2/a- Chez Pascal, le terme du pari est la mort, après quoi, il n'est plus temps de parier. C'est ici-bas qu'il faut se décider à choisir Dieu.

             /b- Chez Magali, le pari ne prend effet qu'après la mort, lorsque l'on peut découvrir si Dieu existe.

            3/a- Chez Pascal, le pari implique la foi, car il est certain lorsqu'il propose aux autres de parier qu'il croit déjà lui-même en l'existence de Dieu.

             /b- Chez Magali, l'existence de Dieu est incertaine et de toute manière ne relève d'aucune croyance ou dévotion particulière.

            4/a- Chez Pascal, celui qui n'a pas parier pour Dieu et qui n'a pas ensuite vécu selon Ses commandements n'hérite pas du Ciel.

             /b- Chez Magali, on hérite à coup sûr du Ciel si Dieu existe.

            Ce qui différencie fondamentalement Magali de Pascal, c'est qu'il croit de foi en l'existence du paradis alors qu'elle n'y croit qu'en pari, c'est qu'il croit de foi en l'existence de l'enfer mais qu'elle n'y croit pas du tout.

            Or, comme le dit Pascal en un autre passage des Pensées, l'enfer est un des termes du pari:

                        "Ceux qui espèrent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contrepoids la crainte de l'enfer. Qui a plus sujet de craindre l'enfer, ou celui qui est dans l'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de la damnation s'il y en a; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a un enfer, et dans l'espérance d'être sauvé s'il est" (Pensées, 748).

                        La possibilité de l'existence de l'enfer, pas plus que celle du paradis, ne doit être écartée. Aussi à l'esprit de Pascal, le pari de Magali apparaîtrait dangereux. Car pour y échapper, mieux vaut poser l'enfer et s'en défendre en suivant les commandements de Dieu que de l'ignorer tout en bafouant la Loi divine.

                        Mais peut-être que l'enfer ne touche que ceux qui, ne l'ignorant pas, bafouent malgré tout les préceptes de Dieu? Ce serait alors choisir l'enfer en toute conscience!

                        Cependant pour Pascal et son époque, on ne pouvait être sauvé si l'on n'avait pas la foi. Le risque de l'enfer est ainsi beaucoup plus grand. A ce titre, notre époque indifférente à Dieu aurait fortement inquiété Pascal, ce qui de son temps n'était pas le cas, la très grande majorité des gens étant alors croyante.

                        Pour être sauvé, il faut avoir la foi. Dans Les Provinciales, Pascal s'en prend justement aux jésuites qui, de son vivant, osaient dire que l'on pouvait être sauvé même si l'on n'avait pas cru en Dieu:

                        "On viole le grand commandement qui comprend la loi et les prophètes. On attaque la piété dans le coeur; on en ôte l'esprit qui donne la vie; on dit que l'amour de Dieu n'est pas nécessaire au salut; et on va même jusqu'à prétendre, que cette dispense d'aimer est l'avantage que JESUS-CHRIST a apporté au monde. C'est le comble de l'impiété. Le prix du sang de JESUS-CHRIST sera de nous obtenir la dispense de l'aimer. Avant l'Incarnation, on était obligé d'aimer Dieu; mais depuis que Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique, le monde racheté par lui sera déchargé de l'aimer. Etrange théologie de nos jours. On ose lever l'anathème que S. Paul prononce contre ceux qui n'aime pas le Seigneur JESUS. On ruine ce que dit S. Jean, que, qui n'aime point demeure dans la mort; et ce que dit Jésus-Christ même, que qui ne l'aime point ne garde point ses préceptes. Ainsi on rend digne de jouir de Dieu dans l'éternité ceux qui n'ont jamais aimé Dieu en toute leur vie. Voilà le mystère d'iniquité accompli" (Pascal, Dixième Provinciale, -1656-).

                        Pascal ne mâche pas ses mots, et c'était à forte partie qu'il s'attaquait là, en s'enflammant de colère contre la théologie et la morale à géométrie variable des jésuites de son temps: ces fameux casuistes, qui excusaient les âmes des puissants de ce monde de l'importance de leurs péchés pour mieux les gouverner ensuite par leurs faiblesses et gouverner ainsi le monde à travers eux.

                        Pascal eût alors dit que les jésuites venaient d'inventer l'apocatastase à des fins politiques.

                        Pour conclure, on conviendra de la divergence de pensées entre Pascal et Magali. A coup sûr Pascal aurait vivement désapprouvé le pari de Magali. Du reste, de son côté, je ne sais ce qu'elle pensera du jugement du grand homme.

                        3/ Philippe et la prière de Papini pour le diable

                        Philippe est l'un de mes meilleurs amis. Nous nous connaissons depuis l'enfance, mais nous ne nous étions plus revus depuis le lycée jusqu'à son retour du service militaire. Depuis, nous nous voyons régulièrement et échangeons sur les sujets les plus variés: cela va des nouvelles des gens que nous connaissons à la pluie et au beau temps, en passant par la théologie. Et à ce propos, un beau jour, Philippe me servit un étrange discours:

                        "Je prie de temps à autres pour le diable, m'apprit-il... car si le diable était sauvé, ne serait-ce pas la plus grande victoire du bien sur le mal?"

                        Je restais un moment sans voix, mais ayant déjà lu ça quelque part, la chose ne m'apparut pas aussi stupéfiante que si je l'eusse entendue pour la première fois. J'étais toutefois inquiet de l'état d'esprit religieusement atypique de mon ami. Je retrouvais cependant assez d’aplomb pour me rappeler où cette prière pour le diable avait auparavant retenu mon attention. C'était dans un livre intitulé Le diable, -comme c'est curieux!-, et dont l'auteur se nommait Papini. M'étant remémoré cela, je demandais aussitôt à Philippe s'il n'avait pas pioché son intention de prière chez un certain Papini? Ce à quoi il répondit que c'était dans le livre d'un auteur italien dont le nom sonnait en "i", qu'il avait entendu dire qu'il fallait prier pour le diable!

            La fameuse prière de Papini pour le diable continue donc de faire des émules depuis sa formulation en 1953. Tout comme l'explique Monseigneur Cristiani, "Papini nous demande d'avoir pitié de Satan, en raison du châtiment qu'il subit. Il suppose que nous, les fils de l'orthodoxie théologique, nous enseignons qu'en face d'un Dieu inapaisable et irrité, d'un Dieu intraitable en sa justice, il y a un pauvre Lucifer très malheureux qui voudrait bien être pardonné, mais à qui Dieu refuse le pardon, à moins que nous n'intercédions en sa faveur" (Mgr Cristiani, Présence de Satan dans le monde moderne, -1959-).

                        Dans les années 50, le livre de Papini fit grand bruit en Italie et frisa même la censure de Rome, qui, en raison de la conversion de l'auteur quelques années plus tôt, témoigna toutefois à son égard d'une bienveillante indulgence. On ne pourra donc pas cette fois critiquer l'Eglise de matraquer systématiquement un auteur pour ses thèses hérétiques. Cependant, c'est bien, à en croire son contemporain et ami Janvier Lovreglio, d'hérésie qu'il s'agit dans le livre en cause: "Dans Il Diavolo, l'auteur se révèle profondément croyant; mais ce livre témoigne d'une importante déviation des principes catholiques sur le dogme de la damnation" (Janvier Lovreglio, Une odyssée intellectuelle entre Dieu et Satan: Giovani Papini (1881-1956), vol.2, -1975-).

                        Mais il n'y a pas, si vous me permettez ce jeu de mot, de fumée sans feu! Papini, si l'on en juge par sa bibliographie, est venu au christianisme par le chemin tortueux du satanisme. Tous les chemins mènent à Rome, dit-on. Certes! Et l'itinéraire de Papini est en ce sens des plus imprévus et des plus chaotiques. Le Christ aura chez lui finalement supplanté sa fascination pour le diable. Mais quel parcours!

                        "Nous avons vu que dès son enfance, sous l’influence de ses lectures, il avait adopté l'athéisme et voulu combattre toute forme de religion. Mais, parallèlement, une autre influence s'exerce sur son esprit à la même époque: celle de l'Inno a Satana de Carducci, qui éveilla en lui, avoue-t-il, une forte admiration pour "l'Ange rebelle"; ce qui serait tout à fait contradictoire, absurde même, chez un véritable athée. Il avoue aussi que, devenu adulte, il fut poussé par le désir de parvenir à "la conquête de la divinité" et qu'il fréquenta quelques réunions d'odeur diabolique. Tout cela est assez incohérent, mais dénote que les problèmes religieux et en particulier celui du destin de Lucifer ne le laissaient point indifférent. Peut-être y a-t-il eu également, de la part de Papini, qui avait pris si souvent une attitude de rebelle, de révolté et d'anticonformiste - et cela sans qu'il en fût nettement conscient -, une certaine admiration pour celui qui avait osé se rebeller contre Dieu. Quoi qu'il en soit, dès ses premiers écrits on décèle un intérêt certain pour Satan. Le 26 avril 1903, il fit, à la Société italienne d'Anthropologie de Florence, une communication sur les Yézidis, considérés comme des adorateurs du Diable. Papini souligne que leur religion comporte, entre autres dogmes, celui de la réhabilitation future de Lucifer. Nous en reparlerons plus loin, à propos de Il Diavolo. Mais l'on voit que cette idée le préoccupe déjà près de cinquante ans avant la publication de ce livre..." (Janvier Lovreglio, o.p. cité).

                        Quant à la question de savoir s'il est légitime de prier pour le salut du diable, la réponse, avant même de se trouver consignée dans les dogmes de l'Eglise, est écrite noir sur blanc dans la Bible:

            "Nous avons en Dieu cette assurance que, si nous demandons quelque chose selon sa volonté, Il nous écoute. Et si nous savons qu'Il nous écoute en tout ce que nous Lui demandons, nous savons que nous possédons ce que nous Lui avons demandé. Quelqu'un voit-il son frère commettre un péché qui ne va pas à la mort, qu'il prie et il lui donnera la vie, il ne s'agit pas de ceux qui pèchent jusqu'à la mort, car il y a un péché qui conduit à la mort pour lequel je ne demande pas de prier" (Première épître de Saint Jean, 5.14-16).

                        4/ Mickaël et le spiritisme

                        Cela se passait l'été, en vacances, une fois de plus au mois d'août. Cette année-là, Allan nous avait rejoint en fin de saison. Il venait de faire sa confirmation. Il avait reçu quelques mois plus tôt l'effusion de l'Esprit Saint. Il était plein de vigueur et d'initiative dans la foi. Parmi les jeunes, nous étions donc maintenant deux à confesser Jésus-Christ. Pour ma part, j'étais un peu usé dans la pratique de "mon" christianisme tandis qu'Allan avait vraiment le feu sacré. Cela m'émouvait de le voir et de l'entendre se déclarer chrétien avec conviction. On n'a plus trop l'habitude ni l'occasion de voir ça.

                        Quant aux autres jeunes, pour une bonne part d'entre eux, ils s'occupaient chaque soir en faisant du spiritisme sous une grande tente dressée dans les bois. Je leur avais déjà fait savoir plusieurs fois ma désapprobation quant à de telles pratiques occultes. Mais une curiosité malsaine les poussait toujours à organiser de nouvelles séances. Ils cherchaient de la sorte pour certains à se faire peur alors que d'autres y étaient pour des raisons plus sérieuses: c'était une preuve de l'au-delà qu'ils cherchaient à obtenir en contactant des forces supérieures. On peut même dire que, parmi eux, Jean-Yves désirait avidement interroger les démons.

                        Bref, il arriva qu'Allan, exclu de par son christianisme du cercle spirite, vint à apprendre que ses copains de vacances faisaient bouger les verres. La première fois qu'il se trouva dans les parages d'une séance, il s'assit non loin pour prier Dieu d'arrêter la chose. Ce soir-là, la séance avorta! Il ne faut pas s'en étonner, car, rappelons-le, Allan avait avec lui l'Esprit Saint. Enfin, ceux qui voudront bien croire que l’Esprit Saint avait agi par sa prière le croiront, les autres évidemment resteront sceptiques. Ainsi Allan, avec la grâce de Dieu, triompha de l'esprit contacté lors de la séance. L'esprit dut céder la place et s'en aller ailleurs.

                        Mais qui gagne une bataille n'a pas encore gagné définitivement la guerre. Dès le lendemain, Allan eut à faire la dure expérience de l'entêtement des apprenti-spirites. Ils avaient remis cela, espérant cette fois-ci que ça marcherait. Allan vint alors me trouver. Je traînais sur la plage, observant la nuit se mêler aux vagues sombres (c'est romantique, non?). Il m'aborda et m'expliqua vivement le problème. Je lui fis alors savoir que je les avais déjà invité à abandonner le spiritisme. Evidemment, ils n'en avaient rien fait! En tout cas, expliquai-je à Allan: "ils sont prévenus. La chose est de leur seule responsabilité à présent. On ne peut pas les empêcher manu-militari de continuer. Et puis le spiritisme n'est pas un délit au regard de la société. Devant Dieu oui. "On ne trouvera chez toi personne qui interroge les spectres ou les esprits, qui invoque les morts. Car quiconque fait ces choses est en abomination au Seigneur ton Dieu" (Deutéronome, 18.10-12). "Ils le savent que cela déplaît à Dieu, je le leur ai dit; c'est à eux maintenant de savoir ce qu'il veulent. Pour ma part, je n'interviendrai plus".

                        Mon propos, que je trouvais cohérent, ne satisfit pas Allan, qui me reprocha aussitôt mon laisser-aller. Ah! les jeunes confirmés, ils ont la foi des souleveurs de montagnes.

                        J'eus beau protester que je ne voulais pas y aller, Allan m'entraîna à la tente où la séance de spiritisme se tenait. Je parvins toutefois à convaincre Allan que c'était la dernière fois que nous les mettions en garde contre les dangers du spiritisme, et qu'après cela, quoi qu'il arrivât, nous n'interviendrions plus.

                        Bref, nous écartâmes donc la toile d'entrée de la tente et nous fûmes accueillis par Jean-Yves. Il nous déclara tout de go: "On vous attendait; l'esprit nous a prévenu de votre arrivée". Pour marcher, ça avait l'air de marcher, cette fois-ci, leur petite séance! Mais je ne me laissai pas impressionner par cette remarque. J'ai lu la vie de Saint Antoine du désert par Saint Athanase d'Alexandrie, et je suis au courant des petites ruses des esprits malins pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes. En la circonstance, il ne faut surtout pas croire que l'esprit ait été capable de prédire l'avenir. Le "bougre" nous a vu venir, et cela d'un peu plus loin que les participants à la séance de spiritisme, c'est tout.

                        "Les démons usent volontiers d'un autre moyen. Voient-ils quelqu'un se mettre en route pour visiter un frère? Profitant qu'ils ont un corps plus léger que celui des hommes, ils prennent les devants et "prédisent" au frère, plusieurs jours à l'avance, la visite qu'il va avoir; mais malheur à eux si le voyageur change d'avis en cours de route. (...). C'est avec de pareils subterfuges qu'ils cherchent à faire croire qu'ils ont des pouvoirs extraordinaires, bien qu'ils soient, en fait, impuissants" (Saint Athanase, Vie d'Antoine, IV° siècle après Jésus-Christ).

            Je restais calme, mais alerté de la présence d'un démon s'activant autour de cette séance de spiritisme. La galère ne faisait que commencer...

                        Allan et moi, après avoir échangé un regard pour juger de notre détermination mutuelle, approchâmes de la table, devant laquelle nous restâmes debout.

                        A la séance de spiritisme en cause, participaient Jean-Yves, un nommé Mickaël que je ne connaissais pas, deux autres garçons et deux filles. Allan et moi leur rappelâmes que le spiritisme était dangereux et que communiquer avec les esprits ne pouvait en aucun cas constituer un jeu.

                        Jean-Yves paraissait sûr de lui. Et, ayant su qu'Allan disait avoir interrompu la séance précédente et que moi-même j'affirmais que par la prière on pouvait stopper le verre, il nous mit au défi de le prouver sur le champ. Mouais... L'esprit qui animait alors le verre ne m'apparut pas bien coriace. Quelle faute! Quelle erreur! J'acceptais le défi. Il est vrai que pour leur prouver la supériorité des chrétiens en pareille matière, une réussite de ce genre nous aurait bien servi. Je me disais donc que l'esprit présent ne paraissait pas bien puissant: il avait beaucoup de difficulté à mouvoir le verre. De plus, il faisait le bouffon, donnant des réponses sans queue ni tête. Enfin, il déclara qu'il était gêné par notre présence, à Allan et à moi. "Pourquoi?" demanda aussitôt Jean-Yves. La réponse me plut: "Dieu..." venait de dire l'esprit en désignant les lettres adéquates. A notre tour, Allan et moi, nous fîmes les fanfarons: "Vous voyez bien que Dieu est le plus fort!". Nous laissâmes notre vigilance s'endormir; le démon, en nous flattant, nous détacha de la prière avec laquelle, depuis que nous étions sous la tente, nous le tenions en respect et allions le forcer à lâcher prise. Bref, lorsque le défi débuta, Allan et moi n'étions plus en prière mais attentifs aux réponses du verre. Aussi, et nous en fûmes punis, le verre continua de bouger. L'esprit était toujours là et agissait à sa guise sous notre nez.

                        Nous avions perdu la partie et Jean-Yves ne manqua pas de se moquer à juste titre de notre présomptueuse certitude de parvenir à stopper la séance. Dans les faits, on venait de se faire entuber!

            De plus Mickaël s'énervait, ne supportant plus de nous voir intervenir dans leurs affaires. Il se leva et commença à me menacer de représailles si je ne partais pas. J'appris peu après qu'il avait été sur le point de me frapper...

                        Ayant perdu, Allan et moi, nous quittâmes la tente. Nous marchâmes ensuite de concert dans la nuit noire, récapitulant la désastreuse intervention que nous avions produite. Dépité, Allan nous reprocha d'avoir échoué et d'avoir de la sorte plaidoyé contre Dieu, d'avoir ridiculisé Sa puissance. En nous laissant prendre à leur jeu, il est vrai que nous avions oublié Dieu en cours de route!

                        Allan était furieux et triste tout à la fois. Pour lui, en rester là, s'était avouer que le mal est plus fort que le bien, que le diable est plus fort que Dieu, etc. Il n'y allait pas de main morte le confirmé! Peut-être avait-il raison? Et cette fois-ci, ce fut moi qui pris la résolution d'y retourner à la charge. Sus aux démons!

                        Au moins ce coup là, on ne se laisserait pas amadouer ni manipuler. On y allait pour mettre ipso-facto un terme à la séance. On ne gagne pas une guerre à la première bataille...

                        De nouveau sous la tente, la tension était montée d'un cran. Pendant notre absence, le démon, fort de sa victoire je suppose, avait pris de l'ascendant sur les participants. Pour quatre d'entre eux, il les tenait par la peur. Les deux filles étaient mortes de trouille et deux des garçons également n'en menaient pas large. Je ne sais pas ce que leur avait raconté l'esprit, mais il les tenait paralysés de peur. Jean-Yves jubilait, tout à la fois impressionné et flatté par la réussite de la séance. Mickaël était absorbé par les déclarations du verre; cela semblait l'avoir touché de près.

                        L'esprit farceur désigna ceux qui avaient peur. C'était encore très astucieux. Il aurait pu ainsi nous disqualifier, Allan et moi. Nous n'avions pas peur mais un démon n'est pas à un mensonge près. Je ne sais pourquoi, et demeurant en prière je ne l'interrogeais pas, mais l'esprit déclara qu'Allan et moi-même n'avions pas peur. Les chrétiens étaient de retour! J'en profitais pour réclamer à Jean-Yves, qui était le maître de cérémonie, d'arrêter tout de suite la séance. Il s'y refusa et fit monter les enchères en invoquant le "grand patron" en personne. Il invitait Satan à venir!

                        Allan et moi restions calmes. Jean-Yves pouvait toujours causer, ce n'était pas pour ça qu'il obtiendrait satisfaction du prince des ténèbres... Et bien pas du tout, il y eut une réponse: le verre, qui tremblotait péniblement pour aller désigner chaque lettre, céda la place à un nouvel esprit d'une promptitude et d'une capacité motrice des plus... impressionnantes! Le contact à peine effectué, le verre se mit à glisser sans gêne apparente d'une lettre à l'autre, à tel point que les participants ne trouvaient même plus le temps d'identifier les lettres désignées pour construire les mots recherchés.

            Pour avoir la confirmation qu'il s'agissait là du Malin, Jean-Yves lui demanda de donner le chiffre "de puissance" (comme il dit alors) auquel il pensait. Ce fut aussitôt fait. Le verre se mit à quadriller à une vitesse impressionnante la table en traçant des pentacles.

                        Allan et moi restions calmes. C'est une grâce. Tous les autres semblaient très inquiets. Seul Jean-Yves, fasciné, tenait à poursuivre. Ce fut à ce moment-là que je me résolus à intervenir définitivement. A mon tour, je fis monter les enchères: "Bon, ça suffit maintenant! (le verre continuait de traverser furieusement l'espace de la table; l'atmosphère était devenue délétère). Allan et moi allons prendre les mesures qui s'imposent si vous ne brisez pas immédiatement le verre pour en finir. Jusqu'à présent nous nous sommes montrés patients, mais si vous ne voulez pas arrêter, nous allons prendre les mesures qui s'imposent..."; et je me retournais vers Allan, qui, d'un hochement de tête leur confirmait qu'il savait ce que nous allions faire. "Quelles mesures?" s'inquiéta tout à coup Jean-Yves. "Ca suffit, répétai-je, sans répondre à la question. C'est vous qui avez convoqué l'esprit, c'est à vous de le chasser en décidant volontairement de briser le verre. Brisez-le! maintenant!"

                        Quatre d'entre eux étaient trop effrayés pour oser étendre le bras, se saisir du verre et le briser. Seuls Jean-Yves ou Mickaël auraient pu en avoir le courage. Mais Jean-Yves était trop subjugué pour s'en prendre à l'objet de sa fascination. Restait Mickaël, ambigu à l'extrême, tiraillé, malmené mais encore assez fort. Il esquissa même l'idée de pouvoir accepter en lui la venue de l'esprit... Mais finalement, il saisit le verre et le brisa net d'un coup violent!

            L'atmosphère malsaine, la peur des uns, la tension des autres, tout retomba. Le silence se fit... Puis nous discutâmes de tout cela paisiblement. De tout l'été, il n'y eut plus de séance de spiritisme. La leçon avait été profitable. Quant à moi, je remerciai Allan. C'était la première séance de spiritisme à laquelle j'assistais. Plutôt chaud!

                        Dès lors, comme je l'ai dit, nous discutâmes; et ce fut à ce moment là que Mickaël déclara: "Si le diable est ici, c'est que Dieu aussi existe. Et on peut bien jouer un peu avec le démon, Dieu est toujours là pour nous. Quoi qu'il arrive, on ira tous au Ciel. On se moque bien du diable, Dieu est bon et il nous sauvera tous". APOCATASTASE!

La présence de l'esprit durant la séance a-t-elle influencé la déclaration de Mickaël, songeai-je? Curieux...