L'apocatastase: Introduction
 Accueil Archives du forum  

ACCUEIL         FORUM      SUITE

Introduction

                        * L'étymologie du mot "apocatastase":

            Le mot apocatastase n'apparaît qu'une seule fois dans la Bible, aux Actes des Apôtres, où l'on peut lire:

            "Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus, celui que le ciel doit garder jusqu'aux temps de l'apokatastasis pantôn dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes" (Actes des Apôtres, 3.21).

            Cette phrase est issue d'un discours que Saint Pierre fit au peuple juif devant le portique de Salomon du Temple de Jérusalem, quelques temps après la Passion de Jésus. Dans la traduction qu'en donne la Bible de Jérusalem, les deux mots grecs apokatastasis pantôn sont traduits en français par restauration universelle. Ce choix de traduction efface hélas les nuances de sens du grec sous une terminologie globalisante.

            Tout d'abord, le mot pantôn peut être érigé en "Tout" cosmologique avec une majuscule ou bien servir de simple mot de liaison dans la phrase avec la traduction suivante: "...tout ce dont Dieu a parlé".

            Ensuite, le mot apokatastasis peut selon l'ensemble de la phrase être dé-formé soit en res-tauration ou en ins-tauration, soit encore en ré-tablissement ou en é-tablissement. De telle sorte que la phrase pourrait se traduire soit par: "jusqu'aux temps du rétablissement du Tout, dont Dieu a parlé", soit par: "jusqu'à l'établissement de tout ce dont Dieu a parlé par ses prophètes".

            On admettra aisément que la différence est de taille.

            La première traduction induit un mouvement cyclique de ce qui doit être réalisé, cela ayant été et devant être finalement à nouveau. Le mot apokatastasis appelle cette notion de cycle, de retour à la normale, de rétablissement, car en grec le mot en question désigne en effet le rétablissement du malade, le retour des otages dans leur cité d'origine, l'alignement des astres sur leur position de départ. Quant à la portée de la récapitulation du cycle, l'addition du mot "Tout" implique évidement que ce ré-tablissement du "Tout" sera une restauration universelle. Ainsi toute chose ayant été créée bonne par Dieu, toute chose redeviendra à la fin des temps bonne.

            Tout à fait différemment, la deuxième traduction part d'une transcription plus liée de l'ensemble des mots de la phrase. Le sens de la phrase est plus cohérent dans l'organisation de ses éléments au niveau syntaxique. Du reste, le verset 18 du même discours de Saint Pierre suggère une telle traduction, où il est retranscrit du grec de la façon suivante: "Dieu a ainsi accompli ce qu'il avait annoncé d'avance par la bouche de tous les prophètes, que son Christ souffrirait" (Actes des Apôtre, 3.18). On aurait alors une parenté de construction et de signification entre les versets 18 et 21:

            - le verset 18 faisant part d'un "accomplissement de ce que Dieu avait annoncé par la bouche de tous les prophètes"

            - et le verset 21 d'un "établissement de tout ce dont Dieu a parlé par ses prophètes".

            Il va sans dire que cette deuxième traduction invalide toute idée d'une restauration universelle. Elle témoigne tout du moins d'un nouveau règne de Dieu sur Sa création, mais sous une forme qui ne sera pas nécessairement identique à la première. De plus, cet établissement du règne de Dieu, pour être une chose nouvelle, doit apparaître dans sa singularité pour la première fois.

            Il m'est difficile, vu mes courtes connaissances en exégèse, de pouvoir trancher en faveur d'une traduction plutôt que d'une autre. Toujours est-il que les traducteurs de la Bible de Jérusalem, à partir de laquelle je viens de vous faire mention de la phrase sur l'apocatastase, ont opté pour la première version, celle d'une restauration universelle, ce que confirment les notes de traduction jointes au texte.

            Ainsi, dès l'antiquité chrétienne, cette expression d'apokatastasis pantôn a donné naissance à l'idée d'une restauration universelle. Depuis lors, cette idée a fait son chemin; elle est même devenue un des enjeux de la vie de foi et de la théologie contemporaines. C'est entre autre cela que ce livre tentera de démontrer.

                        * La définition du problème

            Aujourd'hui, et depuis déjà bien longtemps, la question de l'apocatastase dépasse de loin le simple problème de traduction que nous venons de mettre en relief; en effet, la question de la "restauration universelle" est devenue un enjeu théologique de premier ordre. Qu'on sache ou non d'où est issu le mot "apocatastase", qu'on ignore du reste ce mot lui-même, le concept qu'il exprime s'impose comme une perspective de l'au-delà globalement partagée par de très nombreuses personnes.

            A titre d'illustration, pour bien montrer que cette question de l'apocatastase est bien plus populaire qu'on pourrait le croire au premier abord, je vous rappellerai seulement les paroles de la chanson de Michel Polnareff: On ira tous au Paradis. A l'heure où j'écris, la chanson a été reprise deux fois dans l'année; tout d'abord par les "restos du cœur" comme titre générique de leur disque 1996 au profit  de l'association montée par Coluche; ensuite par l'auteur lui-même, Michel Polnareff, dans une version remixée à l'occasion d'une représentation donnée au Roxy à Los Angeles.

            Les paroles de cette chanson sont donc bien connues en France du grand public:

"On ira tous au Paradis
Qu'on soit béni, qu'on soit maudit
On ira!

Toutes les bonnes soeurs
Tous les voleurs
On ira tous au Paradis
Même moi!
Qu'on soit béni, qu'on soit maudit
On ira!
Avec les saints, les assassins
Les femmes du monde et les putains
On ira tous au Paradis
Ne crois pas ce que les gens disent
c'est ton coeur la seule Eglise
Ne crains pas les flammes de l'enfer
On sera tous invité au bal
On ira tous au Paradis
Même moi!
Avec les chrétiens et les païens
On ira!"

            De fait, la question de la restauration universelle peut se diviser en deux parties. Pour une claire compréhension de ce qui est en cause dans l'apocatastase, il paraît indispensable de distinguer en elle deux formes principales.

            Il y a en effet dans l'apocatastase deux apocatastases distinctes quant à leurs sujets: il y a l'apocatastase des hommes, et l'apocatastase des démons.

            1/ L'apocatastase des hommes: cette restauration implique qu'aucun homme ne peut finalement se perdre et que tous seront donc sauvés. La damnation est niée et logiquement, suivant ce qui vient d'être dit, l'enfer n'existe pas. Si l'on devait donner un titre général à cette apocatastase n°1, ce serait: "La négation de la perpétuité de l'enfer".

            2/ L'apocatastase du démon: la restauration est universelle, ce qui veut dire que toute chose, toute créature revient à Dieu. Le diable lui-même, quoique traditionnellement présenté comme l'hostilité la plus implacable au règne de Dieu, retournerait au Ciel accueillir le pardon de son Créateur. Le mot pantôn, universel, implique que toutes les créatures soient sauvées; par conséquent, une telle vision inclut aussi le diable. Si l'on devait donner un titre à cette apocatastase n°2, ce serait: "Le pardon du diable".

            Je définis dès maintenant deux formes distinctes d'apocatastase, car, comme nous le verrons par la suite, selon que l'on parle des anges ou des hommes, ces deux genres de créatures de Dieu étant différents, les modalités de leur apocatastase ne se poseront évidemment pas dans les mêmes termes.

            La question, pour résumer, sera de savoir si l'apocatastase est vraie. Vraie pour les hommes, et également vraie pour le démon?

                        * Rappel du dogme de l'Eglise

            La principale difficulté que peuvent rencontrer les tenants de l'apocatastase est sans conteste le dogme de l'Eglise. En effet, on peut lire dans le Catéchisme de l'Eglise Catholique publié en 1992 et largement diffusé, les deux articles suivants. Ce catéchisme expose la pensée officielle de l'Eglise. Comme on pourra en juger, l'article n°1033 réfute l'apocatastase n°1 et l'article n°392 l'apocatastase n°2:

            - article n°1033: "Nous ne pouvons pas être unis à Dieu à moins de choisir librement de l'aimer. Mais nous ne pouvons pas aimer Dieu si nous péchons gravement contre Lui, contre notre prochain ou contre nous-mêmes: "Celui qui n'aime pas demeure dans la mort. Quiconque hait son frère est un homicide; or vous savez qu'aucun homicide  n'a la vie éternelle demeurant en lui" (1 Jn 3.15). Notre Seigneur nous avertit que nous serons séparés de Lui si nous omettons de rencontrer les besoins graves des pauvres et des petits qui sont ses frères. Mourir en péché mortel sans s'être repenti et sans accueillir l'amour miséricordieux de Dieu, signifie demeurer séparé de Lui pour toujours par notre propre choix libre. Et c'est cet état d'auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux qu'on désigne par le mot "enfer"".

            - article n° 392: "L'Ecriture parle d'un péché de ces anges. Cette "chute" consiste dans le choix libre de ces esprits créés, qui ont radicalement et irrévocablement refusé Dieu et son règne. Nous trouvons un reflet de cette rébellion dans les paroles du tentateur à nos premiers parents: "Vous deviendrez comme Dieu" (Genèse 3.5). Le diable est "pécheur dès l'origine" (1 Jn 3.8), "père du mensonge" (Jn 8.44)".

            A la négation de la perpétuité de l'enfer, l'Eglise rétorque que l'enfer est l'"état d'auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux".

            Au pardon du diable, l'Eglise oppose un démenti catégorique en affirmant que "c'est le caractère irrévocable du choix des anges, et non un défaut de l'infinie miséricorde divine, qui fait que leur péché ne peut être pardonné" (n°393).

            Ainsi, officiellement, l'Eglise ne prêche pas l'apocatastase. C'est une première constatation, qui, comme nous nous en rendrons compte, n'est pas tout à fait partagée, -c'est peu de le dire!-, par tous les membres consacrés de l'Eglise ni par tous les fidèles.

            La question de la non-réception du dogme de l'enfer par de nombreux chrétiens d'aujourd'hui comme d'hier, constituera l'essentiel des chapitres I et VII de ce livre.

            Les chapitres III et IV traiterons de l'apocatastase du diable.

            Le chapitre II fournira l'occasion au lecteur de faire connaissance avec des personnes que j'ai rencontrées et qui prêchaient d'une manière ou d'une autre l'apocatastase.

            Le chapitre V permettra au

lecteur de mesurer sur le plan spirituel les graves déviations de pensée et de pratique religieuse que la question de l'enfer ne manque pas de susciter.

            Quant au chapitre VI, on y trouvera une tentative de conciliation des exigences formulées dans les dogmes avec une hypothèse théologique satisfaisante du problème de la disparition de tout mal à la fin des temps.

            L'ouvrage étant conçu sous la forme d'une enquête, dont les éléments s'enchaînent et se répondent, j'invite le lecteur à lire les chapitres dans l'ordre.

            "On se rend bienveillant, en montrant l'utilité, l'intérêt de ce dont on va traiter; docile en exposant déjà l'ordre et la distinction des parties; attentif en montrant les difficultés" (Saint Thomas d'Aquin, In Aristotelis librum de anima commentarium, L.1, 1.1).

            "Irons-nous tous au Paradis?". Telle est la question. Le dossier est ouvert, le débat est lancé. Enquêtons pour trouver la réponse...