La mort de Marie

Par Arnaud Dumouch, juillet 2006, http://eschatologie.free.fr

 

 

Le secret de Jean

« À compter du jour où Jésus est monté au Ciel, après sa résurrection, j’ai vu Marie décliner peu à peu. Elle devenait diaphane à mesure que la vie s’échappait d’elle.

Elle m’a demandé de célébrer pour elle l’eucharistie. Je l’ai fait chaque jour. Mais elle n’en a pas été rassasiée.

Vers la fin de sa vie, nous étions retirés à Éphèse. J’avais aménagé dans sa maison une sainte Arche pour qu’elle ne soit jamais séparée de la Présence de son Fils, sous la forme du pain et du vin.

Un jour, elle m’a dit : « Je vais mourir, je crois. J’aimais tant l’aimer... »

-         Mais, mère, il est là, dans l’eucharistie.

-         Oui, mon fils, mais je ne peux pas. J’aimais trop l’aimer, je crois. Mon cœur et mon corps souffrent trop. Nos âmes, nos vies enlacées… »

-         Il ne vous a pas abandonnée.

-         Oui, il ne m’a pas abandonnée… C’est malgré moi… J’entends des chants anciens, des chœurs à deux. Et après je pleure. »

 

Marie est vraiment morte[1]. Je l’ai trouvée un matin, endormie dans sa chambre. Elle était près du calice qu’elle tenait contre elle. Je crois qu’elle n’a pas survécu à l’absence de celui qui était présent auprès d’elle. Elle a été usée, je crois, par le mystère de l’eucharistie. Jésus y était trop silencieux. »

 

Le secret du Chérubin

« Je suis le chérubin chargé de veiller sur le paradis terrestre (Genèse 3, 24). C’est moi qui empêche l’homme d’approcher de l’arbre de vie, afin qu’il ne vive pas toujours sur cette terre. Mais il y avait une exception, sur ordre de Dieu. Une fillette virginale, Marie, était chaque jour nourrie des fruits de cet arbre, directement par Dieu, par grâce. Si bien qu’après environ soixante années passées sur la terre, elle était comme une jeune fille, de l’avis de tous ceux qui la voyaient[2]. Contemplant Marie, je pensais qu’elle devait rester sur terre physiquement jusqu’à la fin du monde pour accompagner l’Église avec l’eucharistie. Et pourtant elle est morte, douze ans après Jésus. Celle-là devait vraiment aimer beaucoup et beaucoup souffrir pour mourir alors qu’elle était immortelle. »

 

Le secret de Jésus

« Marie, elle est pour la Trinité le jardin le plus précieux de la création. À chaque seconde de sa vie elle a été façonnée, et jamais on ne verra créature plus petite, plus humble, plus aimante.

Il existe cependant un secret bien scellé. Il le sera jusqu’à la fin du monde. Il n’y aura jamais de dogme sur ce point. Chacun verra ce fait un jour, mais uniquement de l’autre côté de cette vie.

Le voici :

Le jour de ma résurrection  et les jours qui ont suivi, Marie ne m’a pas vu ressuscité.

Le jour de mon ascension, elle était là. Mes Apôtres m’ont vu dans toute ma gloire, et elle seule parmi eux, ne m’a pas vu.

Le jour de la Pentecôte, une flamme a surmonté son visage, mais elle n’a rien senti. Son esprit a été dans la nuit, qui ne l’a pas quittée.

Elle n’a pas émis une plainte, une protestation, se sachant indigne...

 

Il fallait qu'elle passe par cette dernière épreuve. Si le grain de blé ne meurt pas à tous ses désirs, il reste seul. Et le trésor de Marie, c'était moi ...

Pour voir Dieu face à face, il faut avoir tout perdu. C'est le mystère de la Trinité. Dieu ne peut se changer.

 

Et, pas à pas, dans cette nuit, Marie a commencé à accompagner mon Église naissante, rapportant tous mes commandements, racontant à Luc mon enfance, à Jean les secrets les plus profonds. Elle était prête à rester 1000 ans sur terre pour me plaire, s’il l’avait fallu. »

 

« Se sachant indigne » ! Voilà pourquoi mon Père l’aime, Marie, la plus sainte des femmes, elle qui n’a jamais péché …

 

L’ange de la mort

Je suis l’ange gardien de Marie. À l’heure de sa mort, j’étais là. C’est moi qui étais aussi présent à l’agonie de Gethsémani, pour son Fils, Dieu fait Homme. Marie n’a pas désobéi en mourant avant que son Fils ne vienne la chercher. C’est son âme qui, brisée dans son tréfonds, n’a pu maintenir plus longtemps son emprise sur ce corps. Son cœur avait trop attendu.

Il existe dans la Bible un cantique qui ne parle que du secret de cette nuit-là (3, 1) : « Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé ! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé ! »

Marie s’est juste levée avec trop d’effort, et son corps n’a pas suivi son âme. Son âme s’est mise à chercher partout sur cette terre. Lorsqu’elle m’a rencontré, moi le gardien de la vie, elle m’a dit (Cantique 3, 3) : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime? »

Je lui ai dit (Cantique 1, 8) : « Si tu ignores où il se trouve, ô la plus belle des femmes, suis les traces du troupeau, et mène paître tes chevreaux près de la demeure des bergers. »

Par cette phrase, je lui indiquais de prendre le chemin de tous les hommes à l’heure de leur mort. Marie est donc passée par le chemin que tous suivent. Elle a dû rester quelques jours sur terre. Elle est retournée sur les lieux de l’Évangile. Au Golgotha, tout était comme au fameux Jour, ce jour où son âme avait été transpercée… Elle a visité chacun des Apôtres, chacun des anciens, chacun des fidèles, là où ils étaient. Pour chacun, elle avait un mot, une caresse. C’est ainsi que Thomas l'Apôtre, mystérieusement prévenu de sa mort par un songe, se mit rapidement en marche du lieu où il était vers Éphèse. Il voulait la voir une dernière fois. Elle l’avait tant soutenu dans ses doutes !

Le troisième jour, je suis venu vers elle. Elle répandait tant de simple tendresse auprès de ceux qu’elle visitait de son âme, que je ne me lassais pas d’un tel spectacle. Je me suis dis que j’étais heureux d’avoir choisi Dieu au jour de ma création. Quelle Reine il me donnait !

À mon invite, Marie a franchi le seuil qui ouvre sur l’autre monde. Et, comme tous, elle a  dû, avant toute chose,  croiser le chemin de l’Ange de lumière.

Mais Marie connaissait la nécessité de cette dernière épreuve. Elle en avait averti elle-même saint Paul, qui en avait averti tous les chrétiens (2 Thessaloniciens 2, 1) : « Nous vous le demandons, frères, à propos de la Parousie de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par des manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant de nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et se révéler l'Homme impie, l'Être perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. »

 

Moi, Je suis Lucifer

« Moi, je suis Lucifer. J’étais donc là, pour elle seule, sûr de moi plus que jamais, ayant aiguisé mes armes décisives pour l’entraîner à jamais loin de Dieu. Puisqu’elle avait résisté à la révolte au jour de la Croix, c’est par la désespérance que je me préparais à attaquer cette femme, sachant qu’il n’y a pas beaucoup de distance entre l’humilité et le désespoir. Mais, un certain doute subsistait : il existe un tel chemin entre le désespoir (ce sentiment de définitive perte) et la désespérance comme péché contre l’Esprit (cette volonté, libre, consciente, choisie de définitive perte)... J’ai donc pris la parole en regardant Marie droit dans les yeux :

« Je suis Lucifer. Je suis l’ange de la vérité, celui qui discerne les intentions du cœur. Et j’ai vu aujourd’hui une chose inédite, une chose qu’on ne voit pas chez les amis de Dieu. J’ai cherché un exemple dans les Écritures. Il n’y en a pas. A-t-on jamais vu un serviteur de Dieu devancer l’heure de sa mort ? Est-il permis de franchir les portes de la mort sans y être invité ? »

Marie se tenait là, debout devant moi. Elle contemplait face à face cette vérité que je lui assénais. Elle ne nia pas. Elle ne se défendit pas. Elle ne se justifia pas.

Puis elle murmura, dans la direction invisible de son Dieu qu’elle attendait et qu’elle ne voyait toujours pas : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir. Mais dis seulement une parole et je serai guérie. »

 

Ce fut tout.

 

Et je me dois de témoigner pour Marie, une seule fois, bien qu’il m’en coûte : Cette créature  est décidément trop puissante : elle transforme en humilité jusqu’à l’amour extrême !

 

Je suis Jésus

« Marie m’a en quelque sorte forcé à revenir pour elle. Comme Joseph l’Égyptien vis-à-vis de ses frères (Genèse 45, 1), je me tenais jusqu’ici dans l’obscurité, caché, méconnaissable. Et je brûlais de déchirer pour elle les voiles de cette eucharistie où je me dissimulais. J’attendais cependant, voulant la conduire plus loin encore sur ce chemin. Mais, lors de sa rencontre avec Lucifer, au spectacle de son âme, de tant d’amour humble, je n’ai pu me contenir devant tous les gens de ma suite et je me suis écrié, déchirant le ciel : « Je suis Jésus ». Et personne ne put comprendre l’intensité de ce qui se passa pendant que je me faisais reconnaître de Marie. Et je pleurais tout haut, et tout le Ciel entendit, et la nouvelle parvint jusqu’au palais de la Trinité. Et la Trinité ne put attendre plus longtemps. Sur son ordre, on cassa pour Marie toutes les règles. Les anges furent brusqués. Par leur action immédiate, le précieux corps de Marie fut littéralement évaporé de la planète Terre à travers la tombe que Jean venait de fermer. Il rejoignit son âme sans plus attendre. Car ce jour-là, la Trinité voulut habiter toute entière et face à face en Marie, et visiter sans obstacle ce jardin secret, dans sa plénitude, corps et âme.

On entendit juste deux phrases, comme une colombe au creux du rocher, dites par la Trinité : « Je t’attendais. Je désirais tant t’aimer. »

 

Le secret de Thomas, Apôtre

J’ai mis quatre jours pour rejoindre Éphèse. J’avais été averti en songe de la mort de Marie. Je voulais la voir, la remercier une dernière fois. Lorsque je suis arrivé, elle était déjà en terre  et les Apôtres, qui avaient tous été avertis comme moi en songe par Marie elle-même, me racontèrent sa mort, son corps vêtu d’une robe blanche, son enterrement, et la joie de tous, à cause de la certitude de sa joie à elle : « Elle est avec son Dieu. Elle n’attendait que cela. »

Mais je les suppliai tant et tant, je leur fis tellement de prières, voulant voir une dernière fois son visage, qu’ils acceptèrent de rouvrir pour moi sa tombe. Elle était enterrée selon la coutume romaine, dans un sarcophage de calcaire et dans le sol.

Lorsqu’on ouvrit le sarcophage, il était vide. La robe était là, comme affaissée, et les fleurs intactes. Mais le corps de Marie avait disparu.

 

J’ai vu cela de mes yeux. Et cette fois, j’ai cru. Je crois que Marie est au Ciel, avec son corps, dans la vision de Dieu. Et je crois qu’elle ne cesse de nous visiter, un à un, sur terre et dans tous les purgatoires que nous traversons, comme au jour de sa mort, mais dans l’intégrité de son corps.

 

EXPLICATION THÉOLOGIQUE DE CE SURPRENANT CONTE

"Nul ne peut voir Dieu sans mourir". Cette phrase indique la nécessité de mourir à tout ce qui est un désir profond, même légitime et noble, "pour voir Dieu".

J'essaye d'expliquer pourquoi (c'est le sommet de la mystique) :

La cause de cela vient de la Trinité.

Elle est, par essence, don absolu. Le Père, dit saint Thomas, n'est que relation subsistante (il n'existe qu'en relation avec le fils). Cela peut paraître très théorique. En fait cela signifie que la Trinité ne vit que dans une perpétuelle "mort à soi-même" qui donne vie.

C'est ce qu'on signifie habituellement (et de manière maladroite car le mot ne va pas) par[i] l'HUMILITÉ[/i] en Dieu.

Si Dieu est comme cela, la conséquence immédiate, c'est qu'il ne PEUT ÊTRE COMPRIS (donc vu) que par des gens qui sont comme cela. Et Dieu ne peut pas faire autrement. Le moindre retours sur soi, le moindre désir individuel (même légitime, même lié à la charité la plus sublime) et on ne peut voir Dieu.

Alors, pour préparer à tout homme un tel coeur (puisque c'est indispensable), Dieu procède de la manière suivante: il retire tôt ou tard à TOUTE PERSONNE ce qui constitue son trésor.

- Pour purifier l'avare, c'est facile: Dieu lui retire sa cassette d'or. C'est pour lui une vraie nuit de l'esprit, très efficace pour le disposer au salut (c'est la croix du mauvais larron).

- Pour purifier sainte Thérèse de l'Enfant Jésus (dont le trésor est le Christ), Dieu lui retire le Christ (d'où sa terrible nuit de l'esprit jusqu'à sa mort).

- Pour purifier encore plus Marie, la Vierge immaculée, il est probable qu'on puisse imaginer ce que raconte ce conte.
 


[1] C’est l’opinion explicite du grand pape Jean-Paul II. Il la soutint vers la fin de sa vie dans une catéchèse du mercredi.

[2] Saint Polycarpe, qui l’a vue, le rapporte à travers la plume de son disciple, saint Irénée, évêque de Lyon.