Jeanne d’Arc et la mort à soi-même

Par Arnaud Dumouch, 14 septembre 2006

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« Nul ne peut voir Dieu sans mourir ». Ce récit voudrait rapporter comment saint Jeanne d’Arc fut si bien préparée par Dieu à la vie éternelle qu’elle entra au Ciel sans passer par un autre purgatoire que celui de sa prison et de sa mort.

 

Jeanne abandonnée

Depuis le jour de son entrée en prison, les "voix" de Jeanne d'Arc (ses trois amis de jeunesse, sainte Catherine, sainte Marguerite, saint Michel) s’étaient tues. C’est ainsi que, au moment où elle en avait le plus besoin, elle se retrouva comme abandonnée. Et elle ne reçut aucune visite d’elles lorsqu’elle dut affronter, seule, le redoutable rhéteur qu’était Maître Cauchon, son accusateur, un redoutable logicien rompu à tous les pièges de la parole. Mais, sans qu’elle en ait conscience, elle fut sans cesse assistée de l’Esprit Saint au point qu’elle « était revêtue d’un langage et d’une sagesse, auxquels nul de ses adversaires ne pouvait résister ni contredire. » (Luc 21, 15).

Or voici qu'un soir ses voix revinrent. Elle les entendit de nouveau, murmurant physiquement à son oreille leurs encouragements. Jeanne, bouleversée et consolée, leur demanda aussitôt si elle serait sauvée. Elle pensait à ce procès où elle risquait sa vie. Les voix, unanimes et rassurantes, lui répondirent: « Oui, tu seras sauvée. Et par grande victoire ! » Evidemment, Jeanne se réjouit fort. Elle s’endormit toute joyeuse, et rêva à la venue de Charles VII, son roi, qu'elle imagina déjà en chemin.

 

Or, le lendemain, de bon matin, c'est Monseigneur Cauchon qui lui fut annoncé. Il vint en grand équipage, accompagné du greffier Manchon et de divers témoins civils et ecclésiastiques. Ils entrèrent dans sa cellule et la trouvèrent habillée en homme.

«  Jehanne, dit Monseigneur Cauchon. Vous vous êtes de nouveau travestie, malgré votre promesse d’hier.

- Monseigneur, vous m’aviez promis de me mettre dans une prison de femmes tenue par des femmes ! J’ai dû me défendre et me protéger contre les gardes avec des vêtements serrés et lassés.

- Messeigneurs vous constatez comme moi que Jehanne est retombée dans ses péchés. Jehanne, je ne peux plus rien pour vous. Vous allez être livrée au bras séculier qui fera de vous ce qu’il convient.

- Monseigneur, c’est par vous que je meurs, lui cria Jeanne avant que l’évêque ne se retire. 

 

Le jour même, on la conduisit vers l’échafaud dressé en place de Rouen. Les gardes qui l’accompagnaient furent frappés, tandis qu'on la conduisait au bûché, par la douleur de ses appels: "Jésus ! Jésus !". Et des femmes regardaient ce spectacle le cœur serré tandis que les Anglais et leurs collaborateurs criaient leur haine et insultaient sa vertu. On l’attacha sur les fagots. L’aumônier avait pris la grande croix de procession afin de laisser aussi près que possible d’elle Jésus Christ en croix tandis qu’elle souffrirait son martyre.

« Mon Père, ne restez pas là, vous allez vous brûler, lui cria Jeanne.

Le bourreau qui avait été convoqué pour le feu rapporte ceci : « Une fois dans le feu, elle cria plus de six fois : Jésus ! Et surtout en son dernier souffle, elle cria d’une voix forte : Jésus ! Au point que tous les assistants purent l’entendre ; presque tous pleuraient de pitié. »

Le procès de réhabilitation rapporte qu’un sergent anglais, particulièrement haineux vis-à-vis d’elle à cause du mal qu’elle avait fait à leur cause, s’était juré d’ajouter un fagot de bois à son bûcher. Et c’est ce qu’il fit. Mais il revint pâle et pétrifié. Et il criait : « Je suis damné ! Je suis damné ! C’était une sainte ! » On le pressa de questions. Quand il eut repris ses sens il raconta : « J’ai vu sortir une colombe blanche de sa bouche. »

Un maçon qui avait effectué plusieurs travaux dans le château où Jeanne fut emprisonnée et jugée et qui l’avait vue plusieurs fois, raconte également : « J’ai entendu dire que maître Jean Tressart, secrétaire du roi d’Angleterre, revenant du supplice de Jeanne, affligé et gémissant, pleurait lamentablement sur ce qu’il avait vu en ce lieu et disait : nous sommes tous perdus, car c’est une bonne et sainte personne qui a été brûlée ; et qu’il pensait que son âme était entre les mains de Dieu et que, quand elle était au milieu des flammes, elle avait toujours clamé le nom du Seigneur Jésus. » Le sens profond de la vie de Jeanne s’exprime ainsi dans ses derniers instants.

 

Le mensonge des amis de Dieu ?

C’est sainte Catherine qui, la veille au soir, avait répondu à Jeanne : « Oui, tu seras sauvée, et par grande victoire ! » C’est donc elle qui recueillit, toute pantelante, la colombe de son âme. Elle la pressa contre son cœur, sécha ses larmes. Et Jeanne lui dit, d’une voix encore hachée par la douleur de son supplice : « Pourquoi m’as-tu abandonnée ? » « Pourquoi m’as-tu menti ? »

Il n’y avait pas de grands raisonnements théologiques dans la question de Jeanne, juste cette expérience du désespoir, de sa marche au supplice et de ce Jésus qu’on a beau appeler du fond du puit et qui ne répond pas (Genèse 42, 21). Il y avait aussi, pire que tout, l’impression d’avoir été trahie par ses meilleurs amis. Elle arrivait donc ayant tout perdu, brisée intérieurement, plus encore que par les mois de prison. « J’ai pleuré, dit Jeanne, en ces deux heures, plus que toute ma vie. »

Et il faudra effectivement que le Ciel ait de bonnes explications, lors du Jugement, pour s’expliquer. Il est clair que sainte Catherine avait parfaitement vu que Jeanne avait compris de manière simple et humaine son annonce qui parlait, de fait, de son salut éternel. Et ce n'est pas l'orgueil de Jeanne qui fut en cause dans ce malentendu, juste son intelligence de jeune fille de 19 ans. Elle reçut les mots du Ciel selon leur sens humain. Or, il n'y eut aucune rectification de la part des voix célestes.

 

« Nul ne peut voir Dieu sans mourir »

Jésus vint et le démon qui était resté tapis auprès de Jeanne s’enfuit. Jésus se montra à Jeanne, cœur à nu. Il ne dit rien et ils se reconnurent. Et, en instant, dans un regard profond qui explique tout, elle comprit tout. D’abord, elle le vit dans le même état qu’elle, comme s’il sortait juste de sa croix, encore marqué des stigmates. Et, comme elle, son âme était marquée d’une expérience : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! pourquoi m’as-tu abandonné ? » Elle vit que, comme elle, il n’était pas mort dans les transports de l’amour mais dans l'impression que cet amour était perdu (nuit de l'esprit).

 

Elle vit que la cause était Dieu lui-même. Et Jésus le lui confirma : « Nul ne peut voir Dieu sans mourir »

- Pourquoi, Jésus ? Ne suffit-il pas qu’on t’aime ?

- Non, Jeanne, cela ne suffit pas. Viens et vois ! lui dit Jésus dont l’humanité disparut, laissant place à … sa divinité.

 

Et elle vit.

 

Elle comprit.

 

Et elle demeura en Dieu, à jamais, comme happée. Elle n’en sortit plus jamais, même lorsqu’elle parcourut la terre pour aider ses habitants. Elle vit le Père, tout mort à lui-même, n’existant que dans, par et pour le Fils. C’était un don absolu, comme une perpétuelle "mort à soi-même" qui donne vie. On ne peut pas parler d’humilité en Dieu. Ce serait maladroit. Mais quel mot trouver ? C’était si humble qu’il était impossible de l’aimer, de le comprendre, sans lui ressembler sur ce point. Elle vit que Dieu ne pouvait pas faire autrement. Le moindre retours sur soi, le moindre désir individuel (même légitime, même lié à la charité la plus sublime), et on ne pouvait voir Dieu.

 

Voilà pourquoi, pour préparer tout homme un tel Coeur (puisque c'est indispensable), Dieu procède de la manière suivante: il retire tôt ou tard à toute personne ce qui constitue son trésor.

 

- Pour purifier l'avare, c'est facile: Dieu lui retire sa cassette d'or. C'est pour lui une vraie nuit de l'esprit, très efficace pour le disposer au salut (c'est la croix du mauvais larron).

 

- Pour purifier sainte Jeanne d’Arc (dont le trésor était le Christ), Dieu lui retira … le Christ (d'où la terrible nuit de l'esprit de sa mort).