Arnaud Dumouch, août 2006

http://eschatologie.free.fr

 

Contes sur le Ciel

 

« JE VOIS LES CIEUX OUVERTS »

(Actes 7, 56)

 

 

« Je le suis, dit Jésus,

et vous verrez le Fils de l'homme siégeant à la droite de la Puissance

et venant avec les nuées du ciel. »

(Marc 14, 62)

 

L’avis du père M. Dupuy,

Secrétaire du service de l’Imprimatur,

Archevêché de Paris

 

Puisqu’il s’agit de contes sur la mort chrétienne, on peut mêler données de foi et simples hypothèses théologiques. Et ces contes sont susceptibles d’être appréciés par de nombreux fidèles qui vivent dans ces perspectives, notamment en ces jours qui suivent la Toussaint.

Les lecteurs devront veiller à distinguer ce qui est d’une part la foi et ce qui est d’autre part l’illustration imaginaire.

 

M. Dupuy, secrétaire

29 octobre 2006

L’avis du père Paul PRÉAUX,

Recteur du sanctuaire Normand de Montligeon,

consacré aux âmes du purgatoire.

 

Merci pour votre beau travail en faveur de la Communion des saints. Votre initiative de rendre accessible à tous les réalités de la foi qui concernent la communion des saints et  notre éternité bienheureuse est excellente. Je la trouve en totale conformité avec la mission du Sanctuaire ND de Montligeon.

Merci pour votre travail

 

P. Paul

02 novembre 2006

 

 

INRODUCTION GÉNÉRALE À TOUTE LA THÉOLOGIE_ 2

INTRODUCTION : Les six degrés du purgatoire. 3

1- SAINT MARIN, VIERGE ET MÈRE_ 7

2- SOPHIE LA PETITE FILLE MORTE SANS BAPTÊME (le sort des enfants morts sans baptême). 9

3- L’HISTOIRE DES ANGES ET DES DÉMONS_ 12

4- CHRIST_ 18

5- LA MORT DE LA VIERGE MARIE_ 19

6- LA MÈRE QUI AVAIT AVORTÉ ET QUI FUT ADOPTÉE_ 23

7- GERMAINE, QUI ENTRA AU CIEL COMME L’ÉCLAIR_ 25

8- LA PROSTITUÉE (Les qualités requises pour aller vite au Ciel). 29

9- LE RICHE DE LA PARABOLE_ 32

10- LE PHARISIEN QUI NE FUT PAS JUSTIFIÉ_ 36

11- AMELIA, AU PURGATOIRE JUSQU’À LA FIN DU MONDE_ 39

12- ANDRÉ ET LE PURGATOIRE DE LA TERRE (Lorsque Dieu tente pour sauver). 44

13- HISTOIRE DE COCHON (Le sort des animaux). 46

14- PÉCHÉ CONTRE L’ESPRIT_ 50

15- L’HISTOIRE DE L’HOMME DES GRENIERS (les âmes du shéol). 53

16- CHAÎNE DE PRIÈRE POUR MONSEIGNEUR CAUCHON (Risque de la damnation). 57

17- LE SUICIDE DE NATACHA (Dieu regarde le coeur). 62

18- LA PRIÈRE POUR UNE ÂME DU PURGATOIRE (les trois purgatoires mystiques). 62

19- LES FANTÔMES DU CHÂTEAU DE VERSAILLES (Le passage de la mort). 67

20- SUICIDE D’UN ADOLESCENT (Le sort des suicidés). 71

21- KELLY, JEUNE FILLE ASSASSINÉE (Le sens de la souffrance). 76

22- LE PROFESSEUR VANTHOUSE, SAVANT ET ATHÉE (La permission de l’athéisme). 82

23- LAURA, ANGE GARDIEN (L’apostolat des saints du Ciel). 85

24- LES TROIS RENIEMENTS DU FRÈRE ZÉPHIRIN (Lucifer à l’heure de la mort). 90

25- LA VENGEANCE DE LA VIERGE MARIE (La venue de Marie à l’heure de la mort). 95

26- LE FEU DE L’ENFER_ 99

27- LE SALUT D’UN MUSULMAN (Les religions qui disposent à la Venue du Messie). 102

28- « MÊME ADOLF HITLER… »_ 104

29- PARADIS (La Vision de Dieu). 108

30- APOSTOLAT ÉTERNEL_ 111

 

 

INRODUCTION GÉNÉRALE À TOUTE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE

 

Il faut …

Il faut d’abord approcher le Mystère de Dieu et de ce qu’il nous propose. Sans cela, ces contes paraîtront obscurs, voire scandaleux. Car presque tous racontent une errance sur terre, des souffrances, puis la mort. Or il est évident que tout cela est dans la main de Dieu et ne trouve son explication que dans ce qu’est Dieu.

 

Face aux faits de la souffrance dans nos vies, il existe deux explications possibles :

 

- Celle de l’ange révolté qui dit à Ève : « Dieu ne soumet l’homme à l’errance sur terre que pour le dominer. Il se fait l’ennemi de sa liberté et de sa dignité personnelle pour rester Dieu. » Vue de l’extérieur, son interprétation paraît légitime. On dirait effectivement que le bonheur est soit inaccessible, soit éphémère. Les riches sont pris d’angoisse ; les pauvres aspirent à la richesse ; les gens heureux vieillissent. C’est comme si Dieu qui tient le monde dans sa main, y avait mis des lois ennemies de notre bonheur.

 

- Celle de Dieu : Il l’a expliqué lui-même dans un grand cri et avec des larmes, lorsqu’il est venu sur la terre : « C’est pour préparer votre cœur, non pas au bonheur sur terre mais à la béatitude éternelle. » Et lui-même, Dieu fait homme, a voulu mourir pour montrer que tout cela venait bien de son amour et non pas de sa soif de pouvoir.

 

Voici …

Voici l’explication de tout, avec des mots que le Père aurait pu dire :

 

« Je vous ai créés pour l’Amour, pour la Lumière et pour la Puissance infinis. Et votre cœur est sans repos tant qu’il n’a pas trouvé tout cela. Or cela, c’est moi seul, le Seigneur qui suis Saint Esprit (Amour), Verbe (Lumière) et Père (Puissance), qui le suis. Je le promets par moi-même. Personne d’autre ne pourra combler votre cœur. »

 

Mais…

« Mais nul ne peut me voir sans mourir à toutes ses attaches. » S’il était possible qu’il en soit autrement, je ferais autrement. Je me donnerais à tous les hommes immédiatement, dès leur création. Mon Fils me l’a demandé, le jeudi de sa Passion : « Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi. » Je ne peux pas. C’est que je suis moi-même « mort à moi-même ». Moi, le Père, je ne suis que par mon Fils ; Moi, le Fils, je ne suis que par mon Père ; Moi, l’Esprit Saint, je ne suis que leur amour. Cette humilité, cette mort à vos désirs, est indispensable. Sans elle, nul ne peut me comprendre puisque tout en moi est humble. L’orgueilleux ne peut me voir. Il ne me comprend pas.

 

C’est donc pour préparer votre cœur que je vous donne tout, puis vous enlève tout lorsque vous passez en ce monde. Je le fais pour tous, les méchants, les justes et même les saints (ceux qui me connaissent et m’aiment déjà). La terre, c’est comme le Golgotha avec ses trois croix.

Ensuite, à l’heure de la mort, je vous apparais sous la forme de mon ange ou mieux, de mon humanité (Jésus), accompagné des saints, des anges et des myriades du Ciel.

 

Et là, dans l’humilité, je vous explique tout. Je vous montre tout mon amour, toute ma lumière, toute ma puissance. Si vous m’aimez en retour, je vous demande en mariage. Si vous m’acceptez, je le promets, je m’y engage, je vous épouserai pour toujours.

Et par surcroît, j’essuierai toutes vos larmes. La mort, vous ne vous en souviendrez plus. Je vous ferai tout-puissants. Mon Esprit Saint sera toujours dans votre âme. Puis je vous rendrai votre corps, bien plus beau et immortel. Je vous comblerai de cadeaux inouïs.

 

Celui qui ne veut pas devenir humble, je ne le forcerai pas à m’aimer. Je le laisserai libre. Je lui ferai les mêmes cadeaux qu’à ceux qui m’aiment, mais il ne pourra me voir. Hélas celui-là transformera lui-même son cadeau en enfer insensé. Car il est coupé de ma présence qui aurait comblé son âme. »

 

INTRODUCTION : L’hypothèse des six degrés du purgatoire.

 

Saint Thomas d’Aquin invite les théologiens catholiques à utiliser leur raison et leur foi. C’est dans cet esprit que la théologie progresse. Ce recueil de contes n’est que l’une des applications des progrès de la recherche catholique sur la vie après la mort. Ces progrès récents (voir http://eschatologie.free.fr) se sont appuyés sur :

- La fidélité absolue à toutes les définitions du Magistère de l’Église catholique depuis 2000 ans.

- Une compilation des indices bibliques et des écrits des saints canonisés

- Des détails philosophiques passionnants venant des témoignages récents des expériences de morts imminentes (EMI).

Bien sûr, cela reste un pauvre essai de reconstitution à partir de toutes ces sources et il est plus que certain que bien des secrets nous échappent.

 

Le paradis est d’abord Dieu. Il nous y épouse. Il se donne à nous à travers un échange de consentements. C’est aussi le septième ciel où tout en nous est comblé : béatitude au plan physique, psychologique et spirituel : c’est un vrai paradis physique, fait de jardins et de mondes immenses, éternels

Dans la vie éternelle, si on l’accepte, on est marié avec Dieu. On le voit face à face. On voit l’âme de tous les habitants du ciel. A la fin de ce monde notre corps sera rendu.

Si Dieu ne veut proposer ce mariage dès ici-bas, dès le premier ciel, c’est qu’il est spécial.

Il est humble. Et il est amour. Il l’est tellement que nul ne peut rien comprendre et aimer de lui sans devenir comme lui : tout humble et tout amour. Il faut donc nécessairement une préparation de nos âmes.

C’est ainsi.

Alors, il prépare la robe de sa future épouse, notre âme. Et tel est l’explication de la vie.

Jusqu’à l’entrée dans la salle des noces, la vie est comme une échelle dont les pieds sont sur la terre et dont le sommet (Genèse 28, 12), après six échelons, ouvre à la vision face à face de Dieu. Toutes ces étapes ne sont pas obligatoires mais elles ont toutes en commun ceci : elles renforcent notre amour et notre humilité, jusqu’à les rendre totaux, sans retour en arrière.

L’étape la plus importante est le troisième ciel, la rencontre avec le Christ, car il bouleverse notre âme de façon apocalyptique. Et il nous permet de choisir Dieu et son paradis d’amour et d’humilité ; ou, si on le veut, il nous permet de choisir une liberté totale, qu’il respecte, une liberté de gens solitaires et dignes.

 

1° la vie terrestre :

Le premier purgatoire est celui dans lequel nous sommes. Dieu nous y laisse comme abandonnés de son action. Il est là mais il se cache. On y souffre en particulier de l’ignorance de ce qu’il y a après la mort. En effet, personne ne peut dire avec certitude à quoi ressemble le paradis et s’il existe. Il est très pénible de ne pas savoir avec certitude si la mort conduira à la vie éternelle ou au néant. Par sa souffrance, cette vie nous permet de nous mettre sur le chemin de l’amour et l’humilité.

L’humilité en nous manifestant de manière expérimentale et jusqu’à la mort la petitesse de notre condition humaine.

L’amour à cause de ce silence de Dieu, de son apparente inaction pour la justice : ce purgatoire est le seul capable de faire grandir dans notre coeur des désirs immenses de salut, de bonheur, de grands amours romantiques donc, sans que nous le sachions encore, de Dieu. Or, il se donnera à nous dans l’au-delà à l’exacte mesure de notre désir.

Pour faciliter cette vie, nous pouvons croire à la religion chrétienne mais sans aucune preuve d’où la grâce que constitue une foi profonde : elle libère l’homme de la peur de son avenir.

 

A l’heure de la mort, il se produit une séparation dans l’être de l’homme. Sa chair, devenue incapable de rester unie par l’âme, se sépare de son être. Mais l’homme se retrouve bien vivant. Les expériences proches de la mort (EMI) confirment que le mourant emmène avec lui toutes ses pensées profondes, ses choix et ses intentions (sa vie spirituelle) mais aussi ses souvenirs sensibles, ses sensations, son imagination (sa vie sensible) qui, d’ailleurs, se trouve surélevée. Ce dernier point (la survie de la vie sensible à travers une sorte de corps psychique) est nouveau pour la théologie catholique et permet de comprendre que les morts, loin de devenir de purs esprits comme les anges, entrent dans un vrai monde sensible et voient des lieux nouveaux constitués de paysages magnifiques. Ils sont accueillis par le Christ accompagné des saints qui peut leur apparaître de manière visible et sensible. Le temps s’écoule dans ce monde non comme ici bas mais selon une durée intérieure psychologique qui peut transformer une minute de temps terrestre en une expérience semblant durer des heures.

 

2° les limbes des âmes errantes = territoires des ombres = le passage de la mort

La première étape de la mort est donc une sortie hors du corps puis l’entrée dans l’autre monde, à travers le passage de la mort.

Saint Bernard raconte cette étape dans son livre sur saint Malachie*: Tous les hommes transitent par cette sortie du corps qui précède l’entrée dans l’autre monde. Mais tout le monde n’y reste pas. N’y demeurent que les gens qui approchent de l’autre monde en étant vraiment trop attachés à la vie sur terre ou à eux-mêmes. Cet endroit situé sur terre, souvent sur le lieu où ces personnes ont vécu, est un état où l’on erre autour de ses névroses, autour de soi-même. On a tout le temps de réfléchir à ce qui nous a été proposé durant notre vie.

* Vie de saint Malachie : « Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis quelque temp. Elle faisait son purgatoire au cimetière : à cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’Église, sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint, peut être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères Sacrés ».

 

Ces personnes ont parfois été surprises par la mort. Leur attachement à quelque chose d’important pour elles est alors si grand qu’ils les empêchent de s’approcher de la Lumière du Christ venu les accueillir. Elles errent quelques temps avant de se tourner vers Dieu. Beaucoup de suicidés y demeurent un temps car ils ont raccourci la durée du purgatoire de la terre. Dans cette errance, ils se rendent compte que la mort n’est pas le repos du néant mais qu’ils ont emporté leurs blocages avec eux. C’est alors comme un prolongement miséricordieux de la terre, une deuxième chance pour approfondir son humilité et sa soif d’amour. Il est souvent vécu sur le lieu même où on a vécu, dans une désolante solitude. C’est donc un véritable purgatoire que l’on quitte dès qu’on a compris la bêtise de cet attachement matérialiste.

On peut aider ces personnes en priant pour elles et en leur faisant comprendre que leur place n’est plus sur terre.

 

3° l’apparition du christ accompagné des saints du ciel.

La troisième étape est l’apparition du Christ. Sainte Faustine l’a vue. Cette « parousie » se produit avant l’entrée dans l’autre monde, dans ce passage de la mort. Jésus et nos proches sont là, dans une vision de lumière et de gloire pour nous présenter le choix auquel nous devrons répondre : L’amour des autres jusqu’au mépris de soi-même (paradis), ou l’amour égoïste de soi-même jusqu’au mépris des autres (enfer). Ce choix est libre car

- Le christ nous libère de toutes nos anciennes peurs et faiblesses, devenues inutiles.

- Il permet aussi à Lucifer et aux anges déchus de nous montrer les avantages et les inconvénients du paradis et de l’enfer.

C’est le purgatoire le plus puissant car il déclenche une apocalypse dans l’âme : on comprend à ce moment là tout l'Evangile. L’apparition du Christ est la plus bouleversante des expériences qui, en un instant nous explique trois choses merveilleuses et une chose terrible:

1° Le but de toute cette histoire et le projet de mariage d’amour avec Dieu et les autres âmes.

2° La raison de toutes ces souffrances passées, du silence de Dieu.

3° La nécessité absolue de l’humilité.

4° La misère et le péché de notre cœur, à en mourir. Tout nous est dévoilé de nos péchés. Et si nous n’en étions pas conscients déjà, par une attitude de repentir, nous recevons cette révélation comme un jour de terreur.

En fonction de notre vie passée, de notre égoïsme et générosité, notre cœur est comme une balance. L’apparition de nos proches épanouit notre amour et fait pencher notre cœur vers le paradis de Dieu. L’apparition de Lucifer qui passe en revue notre vie attire tout notre égoïsme vers une liberté totale, mais solitaire car égoïste.

Cette apparition purifie notre âme et nous ouvre les portes du paradis. Celui qui ce jour là se tourne vers Dieu n’aura plus de progression de l’amour car il aime de tout son coeur.

L’autre choix nous est présenté par Lucifer : digne, beau, fier, il explique qu’il vaut mieux être libre et debout plutôt que de s’abaisser à demander pardon. Dans son monde, on sera libre de faire ce qu’on veut. Le choix de l’enfer est fait par des gens profondément égoïstes. L’homme qui fait ce choix sait qu’il va vivre librement de tous les effets d’une solitude totale (le feu de l’enfer est d’abord spirituel). Car les damnés restent faits pour voir Dieu. Leur cœur reste humain et fait pour lui.

La liberté étant devenue totale, chose inconnue sur terre, le choix de l’enfer est éternel. Rien ne saurait faire revenir en arrière : tout est su, pesé et choisi. Une seule obsession : ne jamais rencontrer un saint du ciel, dont le bonheur épanoui dans l’humilité provoque colère et jalousie.

 

Les trois purgatoires mystiques

Ils se passent après la mort, c’est-à-dire après l’entrée dans l’autre monde. L’âme sort du passage de la mort. Elle a vécu la mort. Elle vit le jugement dernier, en fonction de son choix.

La plupart du temps, les personnes qui vont au paradis doivent passer par trois autres purgatoires, ceux des amoureux. Ce sont des purgatoires de la lumière puisque tout a été révélé. Sainte Catherine de Gênes les a vus*.

* Sainte Catherine de Gênes, Traité du purgatoire, http://eschatologie.free.fr/traitepurgatoire.zip

 

4° Le purgatoire des fiers : « je ne suis pas digne de toi. Je le deviendrai. »

A cette étape du chemin, l’âme aime Dieu pour toujours, de tout son cœur, de toute sa force. Elle sait que Dieu l’aime et qu’il lui a pardonné les péchés commis sur terre. Elle sait de science sûre que, un jour, au moment voulu, elle entrera dans la Vision de Dieu. Mais auparavant, elle croit pouvoir réparer deux choses :

- Elle veut payer pour tous ses péchés passés.

- Elle veut devenir, par ses efforts actifs, digne de Dieu (humble).

Bien qu’elle aime, elle ne comprend pas exactement l’implication de la notion d’humilité. Elle ne sait pas ce que veut dire, pour aimer Dieu, l’expression mourir à soi-même. Alors, volontairement et par amour elle se met elle-même pour un temps à l’écart des habitants du ciel.

Dans ce premier purgatoire, l’âme dit donc « Je t‘aime et tu verras. Je serai un jour digne de toi. »

On peut aider une âme de ces purgatoires par des indulgences qui leur fait comprendre que les dettes des péchés passés sont remises. Mais on ne peut devenir tout humble à sa place. Elle doit expérimenter la nuit dans son esprit.

5° La nuit de l’esprit, l’usure du temps intérieur

C’est par amour que l’âme se condamne elle-même à un temps d’attente et de solitude. Ce temps intérieur est parfois tellement long qu’elle croit ne jamais en voir la fin. Elle remplit son coeur de solitude. C’est justement ce temps qui va agir, jusqu’à ce qu’elle se désespère. En temps terrestre, il est peut-être très court mais il paraît long à la mesure de la soif brûlante pour la présence de Dieu. Et cette solitude, cette attente infinie de l’amour doit faire son œuvre : il brise tous les restes d’illusion sur soi, sur sa capacité à être digne de Dieu.

6° Le parvis du Ciel : « je ne serai jamais digne de te recevoir ».

Usée, désespérée d’elle-même, l’âme a compris qu’elle n’était rien : elle est devenue humble. Elle dit, avec son être même : « Seigneur, viens. Je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Elle ne se regarde donc plus. Elle est morte à elle-même.

 

7° Les Noces, la Vision béatifique

Alors il n’y a plus d’obstacle. Elle est arrivée à un degré d’humilité tel que Dieu ne « peut » (expression malheureuse, mais comment exprimer un tel amour gratuit ?) que la prendre avec lui. Il est attiré par les humbles. Il fait sortir tout le monde (comme l’exprime la parabole de la rencontre de Joseph avec ses frères, Genèse 45, 3) et, dans un tumulte de larmes, Dieu se révèle enfin à l’âme, son aimée. Et là, dans le paradis, c’est inimaginable. Voir Dieu face à face, devenir roi et reine de son cœur, c’est l’infini, l’inouï. Il n’y a plus de désir car Dieu jaillit à chaque instant, nouveau et aimant, en grâce, en puissance, en lumière, en amour.

Il vaut mieux faire silence.

 

Voici une série de contes qui s’efforcent par leur diversité, de mettre en situation une grande partie des destins humains. Leur but est donner une idée concrète de l’espérance chrétienne.

La doctrine chrétienne générale sous-jacente est conforme au contenu de la foi catholique. Il va de soi que les détails, comme il convient à des contes, sont purement imaginaires, mais n’entrent jamais en contradiction avec la foi. Ils sont l’application pour tout public du livre « L’heure de la mort », du même auteur, (Nihil Obstat et l’Imprimatur, 5 novembre 2002, n° 50-91). Cet ouvrage est disponible sur le site http://www.docteurangelique.com/

 

1- SAINT MARIN, VIERGE ET MÈRE

« Au contraire, lorsque tu es invité, va te mettre à la dernière place, de façon qu'à son arrivée celui qui t'a invité te dise: Mon ami, monte plus haut. Alors il y aura pour toi de l'honneur devant tous les autres convives. Car quiconque s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé. » (Luc 14, 11).

 

Bithynie, vers 750

Lorsque le père de Marin se retrouva veuf, ses désirs se tournèrent vers la vie monastique. Marin était son fils unique. Agé de moins de 17 ans, il était doux et obéissant. Lui aussi aimait Dieu. Il fut reçu moine avec son père et fut appelé par tous frère Marin. Il pratiqua la vie religieuse avec beaucoup de piété, et son obéissance était grande. Les années passèrent. Le père de Marin tomba malade, il appela son fils, lui parla longuement de Dieu et de la vocation religieuse, lui faisant jurer d’y persévérer de toutes ses forces. Puis il mourut. Marin avait 27 ans.

Marin allait souvent avec le chariot et les boeufs pour amener du bois au monastère. C’était un travail difficile qui l’obligeait, parfois, à ne pas rentrer avant deux jours. Il avait alors coutume de loger chez un hôtelier.

Cet hôtelier avait une jeune fille. Elle se retrouva enceinte. Lorsque son père se rendit compte de son état, il l’interrogea et la souffleta jusqu’à ce qu’elle révèle le nom du père. Pressée de toute part, elle répondit que c'était le moine Marin qui l’avait violée.

Ce fut un grand scandale. On arrêta Marin et on l’interrogea sans douceur. Il fut sommé d’avouer, pressé par l’Abbé puis par le sergent. Il resta silencieux mais demanda grâce. Ceci fut interprété comme un aveu. Le Père Abbé réunit son conseil et on décida de le chasser aussitôt du monastère.

Or Marin ne sut où aller. Désespéré, il était simple et depuis trop longtemps au service de Dieu pour se résoudre à s’éloigner de son église. Alors il s’installa sous un escalier à la porte du monastère. Il se contentait de quelques croûtons que la cuisine daignait lui donner. Il resta en tout trois années sous son abri de fortune.

Lorsque l’enfant fut sevré, son grand-père décida de s’en débarrasser et il le porta à l’Abbé. On le donna à élever à Marin, et il resta deux ans avec lui dans le même lieu. Il s’en occupa avec beaucoup de tendresse et il reçut aussi beaucoup d’amour de son enfant, un petit garçon vif et enjoué.

Or, parmi les frères, on ne cessait d’observer la patience et la douceur de Marin en toutes choses. Certains s’étonnaient même qu’il ait pu se rendre coupable de viol, on pensait plutôt à une faute consentie mutuellement. Pourtant, il ne niait jamais sa culpabilité, se contentant de ne rien dire. Finalement, le voyant dans cet état de misère avec son enfant en bas âge, on décida de lui faire pitié et de le recevoir dans le monastère, à titre d’ouvrier. On le chargea des fonctions les plus viles. Le père Abbé lui imposa de balayer et de les servir. Marin accepta et s'en acquitta avec tout son courage. C'était au-dessus de ses forces et il succomba après quelques jours de maladie, le 18 juin 750.

Le père Abbé résolut de ne pas l’enterrer dans le cimetière des moines mais à l’extérieur des terres saintes.

 

Jugement dernier

« Charmante histoire ! » disait avec ironie Lucifer à Marin lorsqu’il arriva aux portes de la mort. « Il y a de l’humilité, de la douceur et de la guimauve sirupeuse. Mais il y a surtout du mensonge. Et, sur ce point, les paroles même du Sauveur sont précises (Jacques 5, 12) : « Que votre oui soit oui, que votre non soit non, afin que vous ne tombiez pas sous le jugement. » Mon fils, votre faute est passible de l’enfer éternel, selon la théologie classique. »

Et Marin ne se défendit pas. Il avait depuis longtemps renoncé à se défendre. Il voulait juste rester dans la maison du Seigneur. Il était prosterné au sol, et il tournait ses pensées vers le Seigneur et la Vierge, acceptant à l’avance le sort éternel qu’il devinait.

Car l’ange des ténèbres ne lâche jamais aucune proie. Quand il ne trouve rien pour la séduire, puis pour l’accuser, alors il falsifie. Dans ce cas, il s’avérait que Marin arrivait dans la mort prosterné, chargé de repentir pour ses nombreux péchés, [non pour un quelconque viol puisqu’il n’en avait pas commis], mais pour des fautes qu’il reconnaissait par avance.

Or ces fautes n’existaient que dans la rhétorique du Prince du mensonge. C’était un spectacle qui faisait pitié et, jusque dans la mort, l’ange gardien de Marin qui l’assistait dans le passage se disait que cet homme là ne penserait jamais à lui-même.

Alors les habitants du Ciel vinrent pour le défendre, avec, comme il est de coutume pour les âmes rares, une grande colère contre Lucifer, une colère qui devait se faire sentir jusque sur la terre.

Le Christ révéla publiquement la vérité. Il apparut donc à Marin et le releva. Il s’était fait accompagner de vierges saintes et martyres, Agnès, Cécile, Anastasie... Elles lui dirent : « Tu entres aujourd’hui dans le cortège des vierges et des martyres. Tu deviens en ce jour Reine et épouse du Roi. On se souviendra pour l’éternité de ce que tu as vécu. Tu porteras une couronne qui brillera de loin et illuminera le monde entier. On en fera un exemple du mépris des valeurs les plus humainement respectables comme l’honneur et la justice. Et cela à cause d’autres valeurs qui plaisent à Dieu comme l’humilité et l’amour, que tu as suivies héroïquement. Tu seras chargé d’accueillir les enfants dont on ne veut pas sur terre, puisque, pendant deux ans, tu as élevé avec amour un enfant qui n’était pas à toi sous ton escalier. Tu seras aussi chargé des mères qui refusent leur enfant, puisque tu as préféré vivre le martyre plutôt que d’accuser une pauvre pécheresse. Tu seras gardé pour un grand rôle sur la terre, vers la fin du monde. »

Marin fut tout troublé par cette salutation qui constitua son Jugement dernier. C’est que le vrai décret du Christ était (Luc 14, 11) : « Qui s’abaisse sera élevé. »

Et il entra aussitôt, plein de confusion et de joie, dans la salle des noces. C’est bien lui qui se maria ce jour-là, avec Dieu.

 

Séisme sur la terre

Et cette colère du ciel contre Lucifer fit trembler l’univers jusqu’à la terre. Ce soir là, le père Abbé chargea un moine d’aller creuser un trou dans la nature pour enterrer Marin. Le moine qui avait toujours apprécié ce frère discret et serviable, choisit une colline et, malgré les racines et l’augmentation du travail, il commença à creuser sous un arbre vert.

Un autre frère fut chargé de faire la toilette du mort.

Or, il se fit soudain une agitation particulière dans le monastère. Tout courant [on ne court jamais dans une Abbaye], le moine entra dans la cellule du père Abbé : « Père, Père ! Le frère Marin est une femme. Il n’y a aucun doute. C’est une femme ! ».

Tous furent stupéfaits et effrayés. L’Office religieux fut suspendu ce jour-là. Tous les moines accoururent à cette nouvelle si extraordinaire. On se regardait. On se demandait comment c’était possible. On reconstitua l’histoire : le père de « Marin », voulant entrer au monastère où aucune fille n’était reçue, avait dû changer l’apparence de sa fille, cheveux et vêtements, afin qu'elle passât pour un homme puis il lui avait fait promettre, jusque sur son lit de mort, de ne jamais révéler son vrai sexe.

Repensant à la mort de misère de frère Marin, à cause de sa faute et de son viol, on se demandait comment il serait possible d’obtenir le pardon de Dieu pour une telle ignorance et un si grand péché commis. Chacun se comportait comme un petit enfant, ne sachant que faire, et le père Abbé n’était pas le moins agité. On s’avoua avoir manqué étrangement de perspicacité. On se mit à se remémorer les traits fins, la fragilité corporelle de Marin. On pensa surtout à sa sainteté. Et on se disait : « Pourquoi ne s’est-elle pas défendue ? Qu’elle ait eu peur de l’interrogatoire musclé de la police est une chose. Mais pourquoi ne jamais avoir protesté de son innocence, pendant des années ? »

Quant au petit garçon de Marin, qu’on élevait au monastère, il demandait : « Alors il n’est pas mon père ? » Et on lui répondait : « Il est mieux que cela. Il est ta mère, ta mère adoptive. »

Quand la jeune femme par qui le scandale était arrivé fut mise au courant, elle fut saisie d’une grande agitation. Elle voulait se tuer à l’idée qu’elle allait bientôt devoir subir la même violence qu’elle avait fait subir à Frère Marin. Elle confessa qu’elle avait jadis fauté avec un soldat de passage. Mais on ne lui fit pas de tort, effrayé par le Jugement dernier et voulant sans doute, après coup, imiter la douceur et le silence de frère Marin envers elle. Elle se rendit plus tard sur le tombeau du frère et se sentit miraculeusement entourée de paix et de pardon.

Sainte Marine fut inhumée avec honneur, dans l’église du Monastère. On vint de toutes parts à cette tombe et il s'y opéra un grand nombre de miracles. Son histoire se transmit dans la chrétienté entière quand ses reliques furent transportées de Constantinople, puis à Venise, puis de Venise à Paris, où on éleva une église en son honneur.

 

18 juin 2005

En 2005, sainte Marine a été déclarée, conjointement avec sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, patronne de l’adoption céleste des enfants morts sans baptême. Cette décision, prise par un petit groupe de catholiques, ne fit que ratifier une autre décision du Ciel.

 

 

2- SOPHIE LA PETITE FILLE MORTE SANS BAPTÊME (le sort des enfants morts sans baptême).

« On présentait à Jésus des petits enfants pour qu'il les touchât, mais les disciples les rabrouèrent. Ce que voyant, Jésus se fâcha et leur dit: "Laissez les petits enfants venir à moi; ne les empêchez pas, car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume de Dieu. En vérité je vous le dis: quiconque n'accueille pas le Royaume de Dieu en petit enfant, n'y entrera pas." Puis il les embrassa et les bénit en leur imposant les mains. » (Marc 10, 13).

 

Sophie :

Je m’appelle Sophie et j’ai cinq ans aujourd’hui. Vous serez sans doute surpris mais je n'ai pas grandi sur la terre. Pourtant, ce soir, je vais faire ma communion, mais pas comme vous sur terre : Je vais faire ma communion éternelle : je vais voir Dieu. Je suis bien prête. Mes parents m’ont préparé une robe blanche et des fleurs dans les cheveux. Ils vous expliqueront mon histoire. Attention, seul un coeur d'enfant peut comprendre ce qui s'est passé avec moi.

 

Le père de Sophie :

Oui. Ce que dit notre petite Sophie est vrai. Nous tous qui avons eu la chance de grandir sur la terre, nous avons retrouvé au Ciel toute la beauté de notre coeur d'enfant. Voici son histoire.

Elle était la plus petite des toutes petites filles quand elle est arrivée ici. Ses parents de la terre sont des adolescents qui ont joué avec leur corps. La toute jeune femme, prise de panique, avala une pilule du lendemain. Sophie avait été conçue deux jour avant. Elle n’avait alors pas de nom et ses parents ne seront mis au courant de son existence que dans quelques 70 ans, lorsqu’ils arriveront ici.

 

Sophie est entrée en agonie aussitôt. Elle n’a rien ressenti mais, arrivée dans le passage de la mort, son âme a eu un moment de peur spirituelle. Elle s’est trouvée seule dans le vide, flottant entre les deux mondes, sans personne pour la porter et l’aimer. Comme les esprits mauvais de ce monde intermédiaire, les Puissances, les Principautés*, commençaient à l’approcher, nous, aussitôt, nous sommes arrivés. Nous, je veux dire mon épouse et moi, et beaucoup d’autres compagnons. Nous étions mari et femme sur terre et notre plus grand regret avait été de ne pouvoir avoir d’enfant. Alors il nous a été donné de l’adopter. Je le savais déjà avant mon épouse, car elle est arrivée au ciel après moi. En l'accueillant, ce fut la première chose que je lui ai dit: « tu vas être mère! » Oh ! Quel rayonnement dans son âme.

* (Éphésiens 6, 12) : « Car ce n'est pas contre des adversaires de sang et de chair que nous avons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits du mal qui habitent les espaces célestes. »

 

La maman de Sophie :

« Je ne puis pas penser beaucoup au bonheur qui m'attend au Ciel ; une seule attente fais battre mon coeur, c'est l'amour que je recevrai et celui que je pourrai donner : faire baptiser les petits enfants, aider les prêtres, les missionnaires, toute l'Église. » (Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Dernières paroles recueillies « J'entre dans la vie », Cerf, Paris).

 

Sophie était une grande prématurée. Comme personne ne s’en occupait sur terre, nous avons tout de suite commencé par demander pour elle le baptême. C’est ce jour-là que nous sommes devenus ses vrais parents. Et aussitôt, à notre appel, l’Esprit de Dieu est venu vibrer dans son âme, tendrement. Mais Il ne s’est pas encore montré face à face à elle. Chaque chose en son temps. Elle doit être préparée à ce grand jour. C’est juste une vibration très douce de son âme. L’Esprit la berce dans ses bras et elle aime bien, puisque son cœur est comme un berceau pour Lui.

 

Nous savons que Lucifer est toujours très furieux de ces baptêmes que nous pratiquons à l’heure de la mort des enfants. Il essaye depuis toujours de rappeler les règles administratives. Il les cite avec une rigueur tout à fait précise :

-         Il y a A) le choix primordial d’Adam et Ève dont il rappelle (citation) « la validité formelle ».

-         Il y a aussi B) la nécessité d’un baptême effectué avec

1° de l’eau,

2° sur terre

3° par l’Église militante.

Il n’a évidement convaincu que quelques habitants de la terre et, parmi eux, des canonistes sourcilleux. Ici comme sur terre, nous ne cessons de contourner ces très amusantes restrictions. De plus en plus d’habitants de la terre le comprennent et pratiquent ces baptêmes de désir, partout dans le monde. Certaines mamans de la terre ont adopté des milliers d’enfants en priant simplement pour eux.

 

L’ange gardien de Sophie

Ses parents l’ont appelé « Sophie », c’est-à-dire « sagesse », juste pour vous raconter son histoire. Mais son vrai nom est imprononçable sur terre. Son nom, c’est son âme que les habitants du Ciel viennent visiter en félicitant ses parents. Chacun se penche sur sa petite nature en sommeil et y voit une perle de Dieu. Ici, nous avons des univers entiers, des mondes plein de merveilles animales et végétales. Mais quand arrive un petit univers nouveau comme Sophie, plus beau que tout, chacun veut le visiter.

 

Les parrain et marraine de Sophie

Depuis cinq ans, nous l’avons élevée selon les principes de Dieu. Et sa psychologie se fortifie. Nous habitons avec elle dans un lieu intermédiaire qui n’est pas la terre ni le Ciel mais le monde des enfants. Cela se passe très différemment de la terre. Notre autorité n’a pas besoin de sanctions car Sophie n’a pas en elle ce foyer de révolte que les enfants de la terre reçoivent de Dieu*. C’est ce qui fait que notre enfant restera pour toujours innocente, ce qui est dommage. Car les épreuves de la terre enflamment les cœurs pour l’éternité dans une grande soif et d’une grande brisure. Elle n’expérimentera pas la lutte en elle, mais seulement une paisible croissance. Elle joue avec les autres enfants. Et, au fur et à mesure du temps, elle devient de plus en plus proche de poser ses choix de manière autonome. Dès que son intelligence et sa volonté seront prêts, nous la présenterons pour sa communion. Nous lui parlons de Dieu, de son projet, de la révolte de Lucifer, du purgatoire de la terre, des autres purgatoires. Nous lui expliquons ce que Dieu aime le plus : l’humilité et l’amour.

* C'est bien de Dieu qu'ils le reçoivent comme un aiguillon provisoire d’où ils apprennent l’humilité.

 

Sophie

Je prie beaucoup Dieu avec mes compagnons de jeu. Lui marche au milieu de nous de manière cachée mais nous le sentons tous. Dans notre séjour, il a placé toute sorte d’animaux mignons et gentils. Nous pouvons voler avec les oiseaux et on nous laisse une grande liberté. Nous avons tant de souvenirs à raconter. Il y a Nadine, Maria et Dominique, Christian et Arnaud, et tous nos compagnons de jeu. La Vierge Marie vient tout le temps nous voir. Elle nous parle de Jésus, qui est Dieu et qui est descendu chercher tous les enfants des limbes, juste après sa passion, pour les faire entrer dans la gloire de Dieu.

Maman m’a raconté mon histoire, l’avortement et tout cela. Quand ma maman de la terre arrivera, je viendrai l’accueillir. Je sais dans quelle épreuve elle est : on m’a raconté comment la terre est un purgatoire terrible, où Dieu se cache à tel point que certains pensent qu’il n’existe pas. Parfois, Maman du Ciel va accueillir ceux qui arrivent de la terre et à chaque fois, elle me raconte les mêmes choses : c’est comme une naissance pour eux, comme s’ils n’avaient jamais osé espéré une telle beauté qu’ils désiraient dans leur cœur. Quand Maman de la terre arrivera, il faudra que je l’adopte à mon tour. Car elle se fera de grands reproches. Elle s’en voudra beaucoup. Il faudra que je lui démontre que Dieu sait tout transformer en lumière. J’en ferai une maman qui adoptera elle aussi des petits enfants de la terre qui n'ont pas de maman.

 

Avogadro-Ampère

Je suis Avogadro-Ampère, l’un des puissants et solennels démons de l’enfer. Je viens de lire l’histoire ci-dessus : puéril ! A pleurer ! Y a-t-il un théologien rationnel pour démonter ce tissu d’inepties ? Je suis chargé de conduire les innocents dans mon paradis de lumière. C’est moi qui viens m’opposer à eux le jour de leur communion. Et j’en aurai un, un jour ! J’en suis certain. Ils sont de plus en plus nombreux à arriver ici, abandonnés par leurs parents. Bon, je l’admets, pour le moment, je n’en ai pas eu un seul. Mais ce soir, il y a cette Sophie. J’ai bon espoir.

 

L’ange gardien de Sophie

Je vais vous raconter la fête du couronnement de Sophie. C’était unique. Du jamais vu de mémoire d’ange. C’est la même émotion que celle des cérémonies de mariage pour vous.

Sophie est arrivée comme une jeune fille, belle dans la robe de mariée que lui avaient préparé ses parents, et amis : une robe spirituelle faite d’humilité et d’amour et de toutes sortes de vertus qui faisait de son âme une perle unique dans l’univers.

Tout a commencé par sa profession de foi. Avogadro-Ampère est apparu, digne et noble dans sa lumière, sous forme d’un corps sensible. Et Sophie a bien du le regarder. Pauvre Avogadro-Ampère : comme il se débattait pour lui présenter ses colifichets : Noblesse, liberté, pouvoir, dignité, indépendance. Évidement, cela a eu autant d’effet sur Sophie qu’une équation de mathématique en a sur une colombe. Sophie cherchait son Jésus. Jamais, elle ne l’avait vu de ses yeux et c’est lui qu’elle voulait voir.

Jésus est arrivé, doux et humble, lumineux dans son corps de gloire. Jamais Sophie n’avait vu tant de merveille. Elle s’est tournée vers ses parents et leur a dit : « Il a dépassé toutes mes espérances. » Et elle a couru vers lui. Le Ciel entier a chanté sa joie lorsqu’il l’a introduit dans la Trinité. Nous reprenions en chœur le Cantique (Cantique 1, 2) :

 

Qu'il m’embrasse des baisers de sa bouche.

Ton amour est plus délicieux que le vin;

L'arôme de tes parfums est exquis;

Ton nom est une huile qui s'épanche,

C'est pourquoi les jeunes filles t'aiment.

Entraîne-moi sur tes pas, courons!

Le roi m'a introduite en ses appartements;

Tu seras notre joie et notre allégresse.

Nous célébrerons tes amours plus que le vin;

Comme on a raison de t'aimer!

 

 

3- L’HISTOIRE DES ANGES ET DES DÉMONS

 

(Luc 4, 10) car il est écrit: Il donnera pour toi des ordres à ses anges, afin qu'ils te gardent. Et encore: Sur leurs mains, ils te porteront, de peur que tu ne heurtes du pied quelque pierre."

 

Lorsqu’elle était à l’école du Ciel, Sophie reçut des leçons de catéchisme. Et l’une des plus belles fut celle que lui fit son ange gardien. La voici, traduite en mots, elle qui fut faite de connaissances directes car, dans ce temps de Limbes, on n’a pas à faire effort pour trouver les mots qui disent exactement ce qu’on veut.

 

- Raconte-moi ton histoire, Petitange, demanda Sophie.

Son ange était à côté d’elle, sous la forme sensible d’un homme lumineux et plein d’autorité. Parfois les anges se façonnent un corps pour être mieux adaptés aux humains. Mais ils n’en ont pas, ils sont des esprits.

- Es-tu prête Sophie ? Il faut que tu saches d’abord que tout ce que je te raconte comme une longue histoire s’est passé comme en sept jours, sept instants. Je les appelle des jours pour toi : un jour, c’est comme un long temps qui donne la lumière. Mais je n’ai pas de corps. Aussi un jour dure, pour moi, comme le temps d’un éclair.

- Petitange, j’essayerai de comprendre. Mais c’est à toi de t’adapter à moi.

 

Premier jour, premier instant

- Je ne suis pas né, comme toi, petit bébé dans le ventre de ta mère. Je suis apparu comme l’éclair. Avant je n’étais pas. Après j’étais. C’est tout.

- Et qu’as-tu fais pendant ce premier jour ?

- Qu’aurais-tu fais, toi ?

- Rien. Je n’étais pas consciente. Je dormais.

- Moi, j’étais lucide et entièrement adulte, dès le premier instant. Alors je me suis découvert. J’ai regardé mon être et j’y ai vu tant de lumière, de volonté, de puissance que j’en ai été surpris. J’avais reçu une intelligence déjà formée, remplie de la connaissance de choses qui n’existaient pas encore. Mon nom était « Noblange ». J’en ai changé quand j’ai vu Dieu. J’ai choisi « Petitange ».

- Tu n’es donc pas allé à l’école comme moi ?

- Tout m’avait été donné. Et c’était immense. J’y ai même vu quelque chose de l’avenir : des univers différents, matériels et spirituels, fonctionnant selon toutes sortes de lois. Et j’ai compris que j’aurais moi-même à contribuer à leur conception.

- Et as-tu su d’où tu venais ?

 

Deuxième jour, deuxième instant

Ce fut mon deuxième acte, ma deuxième pensée. J’ai reconnu Dieu comme mon Créateur et je l’ai remercié.

- Comment as-tu su qu’il était là ? Tu le voyais déjà ?

- Non il était caché, mais bien présent. Mais quand bien même il n’aurait pas été présent invisiblement, je l’aurais reconnu. Car je ne suis pas mon créateur, n’est ce pas ? Alors il était facile de remonter à lui. Lorsqu’on trouve un magnifique tableau, on sait qu’il vient de quelqu’un…

- Et sa présence, c’était comment ?

- C’était une puissante certitude dans mon intelligence qu’un Esprit Saint invisible était autour de moi et en moi. J’ai cru sans effort, comme à une évidence, que c’était bien Sa présence.

 

Troisième jour, troisième instant

- Et c’est tout ?

- Oui. Nous les anges n’avons pas de vie sentimentale, pas d’émotions. Nous sommes des personnes qui vivons de faits. Aimer, pour nous, c’est vouloir du bien à quelqu’un. Une fois les choses comprises, elles sont admises pour toujours.

- Si tu n’étais pas devant moi, je dirais bien que ton histoire, Petitange, est bien drôle. Tu es ce que tu es du moment où Dieu t’a crée. Un point c’est tout.

- C’est presque tout mais ce n’est pas tout à fait tout. Attend un peu la suite de l’histoire.

- Alors qu’as-tu fait ensuite ?

- Sans quitter le remerciement pour Dieu, j’ai regardé avec mon intelligence (je n’ai pas d’œil sensible comme toi) autour de moi. Et j’y ai vu d’autres merveilles. Il y avait d’abord plusieurs sphères en extension, faites de matière. Elles venaient juste d’apparaître, en même temps que moi. Parmi elle, il y avait l’univers dont tu viens, dans ses premiers instants, sans galaxies ni terres.

Et il y avait surtout des anges. Des millions d’anges, tous uniques et différents. Chacun était un univers de connaissance et de puissance. Alors j’ai commencé à les contempler, un à un. Et eux m’ont contemplé. On procède comme cela : On se rencontre, on se montre l’un à l’autre. On se comprend. On se quitte. Je ne peux te raconter ce que j’ai vu. Mais ton éternité ne suffira pas pour que tu fasses le tour de ces créatures de Dieu. Tu verras, c’est un voyage de joie intellectuelle. Chaque ange est aussi riche qu’une galaxie en millions de facettes, de soleils, de mondes. Les anges sont vraiment les chefs d’œuvre de Dieu.

- Et nous les humains. Sommes-nous des chefs d’œuvres de Dieu ?

- Pas en perfections naturelles, Sophie. Mais en quelque chose de plus grand encore. Je te raconterai tout à l’heure. Parmi les anges, à force de nous connaître, il est apparu que sept d’entre nous étaient plus lumineux, plus riches, plus intelligents que tous. Et, au dessus, parmi ces sept chérubins, il y en avait un qui, comme le soleil face à la lune, les éclipsait. Tous, nous l’avons constaté. Et tous, dans la joie, nous nous sommes tournés vers lui pour lui reconnaître son rôle de chef.

C’était un merveilleux Prince. Il comblait notre intelligence par la simplicité de ses vues. Il comprenait parfaitement les désirs de Dieu. Tous, en le voyant, nous comprenions quelque chose de la puissance du Dieu invisible. Nous tremblions; Et comme la terre, nous chancelions.

- Comment s’appelle-t-il ?

- Il s’appelle « Porte-Lumière ». Tu le connaîtras un jour. Tu seras étonné d’une telle grandeur. « Porte-Lumière » s’est mis a parlé, avec simplicité. Il nous a dit :

 

« Notre mission est grande. Pour Dieu, le Seigneur tout Puissant qui règne au-dessus de nous, nous allons organiser l’univers. Il veut créer des milliards de milliards d’autres êtres, de toutes les espèces possibles. Et c’est de cette manière que toute sa gloire sera manifestée. Il sera grand, l’univers du Tout Puissant. Il sera comme une échelle de tout ce qui peut exister. Au sommet, il y a Dieu qui règne et les peuples tremblent; il siège sur les Chérubins, la terre chancelle (Psaume 99, 1); à la base, il y aura des mondes purement minéraux, nombreux et divers. Ce sera le travail des physiciens et des astronomes. Et, ces mondes seront peuplés de plantes, d’animaux, d’hommes qui seront des animaux dotés d’un esprit, de djinns et de millions d’espèces de créatures matérielles et spirituelles. Que les biologistes se mettent au travail. Tout ce monde ordonné sera une merveille. »

 

La hiérarchie des créatures connues

Anges (esprits purs)

Djinns (esprit + vie psychisme)

hommes (esprit + psychisme + vie physique)

animaux (psychisme + physique)

plantes (vie physique)

minéraux

 

Nous étions enthousiastes. Alors nous, les purs esprits, nous nous sommes organisés pour nous mettre au travail. Nous avons établi entre nous une hiérarchie en suivant les dons de notre nature.

Dieu

La hiérarchie des anges

Son vicaire, « Porte-Lumière »

Ses ministres : Chérubins, Séraphins, Trônes

Ses ingénieurs et techniciens: Dominations, Vertus, Puissance

Ses préfets et ses agents de terrain : Principautés, archanges, anges

 

Les Chérubins (Lumière-brillante), les Séraphins (feu-d-amour), et les Trônes (siège-de-la-Puissance) devinrent naturellement les ministres du Vicaire de Dieu, « Porte-Lumière ». Ils allaient à son conseil et recevaient ses connaissances. Ils étaient si proches de Dieu qu’ils recevaient de lui directement ses volontés. Ils étaient chargés d’organiser les tâches, comme le font les ministres des gouvernements humains.

Au dessous d’eux, ils établirent des ingénieurs et des techniciens (les Dominations, les Vertus et les Puissances) qui devaient appliquer dans le concret de la matière les intentions générales de Dieu communiquées par Porte-Lumière. L’Ordre des Puissances a ordonné les lois physiques des différents univers. L’Ordre des Vertus fut à l’origine des milliards d’espèces animales.

Quant à nous, Princes, Archanges et Anges, nous nous préparions à être chargés du concret, sur le terrain : veiller sur les planètes, sur les espèces animales, puis quand ils viendraient, sur les petits d’hommes.

- C’est magnifique. C’est un grand projet.

- C’est un univers immense et si tu pouvais compter le nombre d’espèces animales qui ont existé depuis le début de l’univers, tu ne compterais pas encore le nombre des créatures spirituelles qui loueront Dieu pour l’éternité.

- Je comprends bien, maintenant, le projet de Dieu.

- Non Sophie. Tu ne comprends pas tout. Je ne te dis pas encore tout. Ce n’est qu’une partie du secret.

- Alors vous avez commencé à travailler ?

- Nous étions prêts. Mais il s’est produit quelque chose que nous n’attendions pas. D’une certaine façon, nous aussi, les anges, il nous fallait grandir.

- Ah, oui ? C’est vrai ? Oh, je t’aime encore plus Petitange : toi aussi tu as dû grandir.

 

Quatrième jour, quatrième instant

- Dieu a parlé, Sophie. C’était pour dire quelque chose de tellement nouveau qu’il n’est pas passé par « Porte-Lumière » mais il s’est adressé à chacun de nous, personnellement.

Il a dit trois paroles. Il ne s’agit pas de paroles faites de mots articulés, mais d’un souffle, à la manière d’un éclair lumineux.

« Petitange, je t’ai créé pour que tu me voies face à face. Ce seront des noces de Lumière. »

« Mais, Petitange, je suis humilité et amour. Nul ne peut me comprendre sans devenir comme moi.

« Par amour pour moi, veux-tu devenir, tout humble, jusqu’à la folie ? Acceptes-tu de devenir pour l'homme et la femme que je vais créer un gardien et un guide spirituel ? Tu les aideras à venir m’épouser.

- Oh ! C’est bien. Comme vous avez du être contents. Voir Dieu face à face, l’aimer. C’est immense.

- Oui, Sophie. C’est bien. Et du haut en bas des hiérarchies angéliques, TOUS les anges sans exception se sont réjouit que Dieu propose de se montrer face à face.

Tu comprends, pour nous intellectuels, voir Dieu, c’est voir la Cause première de toutes les choses. Nous savions que, logiquement, une telle chose est impossible, de même qu’il est impossible de mettre toute l’eau de la mer dans un verre. Pourtant, nous y avons tous cru parce que rien n’est impossible à Dieu.

 

Cinquième jour, cinquième instant

- Tu as l’air bizarre, Petitange. Tu ne me cacherais pas quelque chose ?

- Ça ne s’est pas bien passé pour tous, Sophie. Il est temps, tu es assez grande, que je te parle du mal.

- Que s’est-il passé ?

- C’est l’humilité qui a été un problème. Dieu ne peut pas être humble, Sophie. C’est théo logiquement impossible. Il est le Tout Puissant, l’Acte pur et sans limites. Il n’y a rien en lui qui peut signifier l’abaissement.

- Mais s’il l’a dit, c’est que ça doit être vrai.

- C’est vrai. Infiniment vrai. Je le sais. Je le vois en ce moment. Dieu, il est trois personnes qui ne vivent qu’en extase l’une vers l’autre. Le Père n’a que le Fils dans sa vie, il n’existe que par et pour lui. C’est inexplicable encore pour toi. Il y a vraiment de l’humilité en Dieu.

- Mais si Dieu est comme cela, vous l’avez accepté tel qu’il est, n’est-ce pas ?

- Moi, oui. Mais pas nous tous… et puis il y avait l’épreuve concrète que Dieu avait mis sur notre chemin.

- L’épreuve ?

- L’épreuve, c’est toi, ma Sophie... Toi et tes frères et sœurs. Nous, jusqu’ici, nous avions dans l’idée que Dieu allait créer un monde hiérarchisé selon la perfection de chacun, perfection en noblesse et intelligence. Nous pensions que les petits d’hommes seraient à leur place, au-dessous des anges. Eh bien nous avons compris ce jour-là que nous nous trompions complètement. Ce que Dieu voulait, c’était une hiérarchie où le premier serait le plus humble.

- Mais je suis beaucoup plus petite que toi, Petitange.

- Tu as tout compris Sophie. L’épreuve que nous donnait Dieu consistait à élever des pêtits garçons et de toutes petites filles comme toi qui, parce qu’elles étaient petites, seraient pour l’éternité nos reines.

- Écoute, Petitange, ce que tu dis est la vérité même car Maman Marie m’appelle ‘Sophie, ma petite reine’ et moi, tout de suite je lui répond: ‘Maman Marie, Reine de tout le Ciel’. Elle fait son plus beau sourire et dit : ‘Oui, ma petite reine’ et on continue en rigolant comme ça.

 

Sixième jour, sixième instant

- Vois-tu Sophie, c’est bien comme ça le projet de Dieu. Et c’est surtout, vous les petites filles, plus que les petits garçons, qui fûtes une épreuve pour nous.

- Pourquoi ?

- Tu te rappelles que je t’ai dit que nous avions reçu, dès notre création, les schémas généraux de ce que Dieu voulait faire. Nous savions les différences corporelles et psychologiques des filles et des garçons. Or, ce sont les filles qui, par tout leur être, sont les plus disposées à l’humilité et à l’amour. Je ne te dis pas que toutes sont humbles et aimantes : mais tout leur être est fait pour donner la vie, pour la porter, pour mourir s’il le faut pour l’enfant. Elles sont physiquement moins fortes, moins portées au pouvoir qui se voit que les garçons. Bref, nous avons tous compris ce que cela voulait dire : un jour, l’une d’entre vous et sans doute des millions d’entre vous prendraient nos places de ministres et de gardiens. Il ne nous resterait les places d’ingénieurs et d’exécutants.

- Oh ! mais je ne prendrai jamais ta place, Petitange, ni Marie notre Reine. Je travaillerai plus tard avec toi. Nous aiderons ensemble d’autres enfants.

- Je le sais bien, ma Sophie. Je l’ai tout de suite compris. Mais pas Porte-Lumière.

- Porte-Lumière ? Qu’a-t-il fait ?

- Il s’est révolté. Et c’est grandiose, la révolte d’un tel ange. Il a dit, calmement et en s’adressant à nous tous : « Je ne servirai pas (Jérémie 2, 20) ». Et ses arguments étaient puissants. Cela ressemble à un glaive précis et logique, qui tranche et ne revient pas en arrière :

« 1° Moi Lucifer (C’est le nom latin de Porte-Lumière »), je me lève aujourd’hui à cause de mon respect pour mon Créateur infini, Tout puissant, Lumière de l’univers.

En effet, il ne saurait être question qu’Il s’abaisse ainsi. L’ordre grandiose de Sa création sera celui de la noblesse et de la dignité. Ce qui est méprisable ne saurait régner. 

En conséquence, je prends aujourd’hui la tête de ceux qui veulent la Gloire de Dieu. »

- Mais c’est idiot. Il ne peut dire qu’il sert Dieu alors qu’il est en train de se révolter ? Il a du revenir en arrière. Il venait d’être créé. Il ne pouvait ainsi se révolter contre son Père ?

- Sophie, un ange n’est pas comme un homme. Quand il parle, il ne change pas. Il est trop intelligent pour se tromper et revenir en arrière. Il a tout pesé et soupesé.

- Alors c’est terrible. Il est donc toujours révolté. Et c’était votre chef !

- Et il n’a pas été le seul. Un tiers (Apocalypse 12, 9) d’entre nous l’ont suivi. Leur combat est sans espoir. Je le vois bien. Je vois Dieu face à face. Ils ne soupçonnent pas à quel point c’est vrai : l’humilité du Père qui engendre le Fils, du Père et du Fils qui s’unissent dans le Saint Esprit. Dieu ne peut changer, même si l’univers entier se révoltait. Tu sais, il est allé jusqu’à se faire homme, se faire tuer par des gens qu’il a ensuite sauvés …

 

Septième jour, septième instant

- Il a fait cela ? Tu me raconteras un jour, n’est-ce pas ?

- Oui, il faudra que tu saches.

Il y eut ici un long silence. Sophie réfléchissait.

 

- … Et ensuite, que s’est-il passé ?

- L’un d’entre nous, des hiérarchies les moins nobles, un simple Archange, a parlé le premier. C’est encore une parole d’ange, comme un glaive (Apocalypse 12,7) : « O Lucifer ! tu te révoltes pour l’honneur de ton Dieu, dis-tu. Mais la vraie raison de ton combat, c’est ta place de chef. Qui est comme Dieu (« Qui est comme Dieu ? » Michaël, en hébreux.) , pour que tu parles à sa place ? »

- Lucifer n’a pas dû aimer ?

- Non, Sophie. Cela l’a renversé. Et il s’est enfui aussitôt. Non seulement c’était vrai mais cela venait, suprême humiliation, d’un petit ange, inintelligent devant lui. Jamais cela n’aurait dû arriver. Tu te rappelles, les hiérarchies de la noblesse, les anges inférieurs et supérieurs… Alors Lucifer a fui avec ses troupes. Ils ont laissé d’immenses vides dans nos rangs.

- Et que fait Lucifer maintenant ?

- Lucifer est toujours le plus beau d’entre nous. Et il n’a cessé de ne rien comprendre. A chaque fois, il s’est fait piéger sur l’humilité. Et pourtant, il croit combattre habilement le projet de Dieu. C’est lui qui a séduit tes premiers parents, Adam et Ève, pensant les entraîner dans sa révolte contre Dieu (Apocalypse 12 : « Les démons furent précipités sur la terre. »). Résultat, il les a soumis à la souffrance et, sans le vouloir, les a rendu humbles jusqu’à la mort. Sa dernière bourde, c’est quand il a tué le Christ. Il savait bien qu’il était le Messie, l’envoyé de Dieu, mais pouvait-il comprendre qu’il était Dieu lui-même ? S’il avait su… Il voulait juste prouver à Dieu que l’humanité était pitoyable et méprisait son Envoyé. Il ne comprend pas encore comment il peut se faire que Celui qui a été tué sauve ceux qui l’ont tué en leur proposant son pardon. Ce n’est pas logique pour lui. C’est la logique de Dieu. En ce moment, il est en train de révolter les habitants de la terre contre Dieu. Et il y arrivera. Tu verras qu’un jour la terre entière croira en lui et l’adorera comme Dieu.

- Mais il va éloigner tous les hommes de Dieu ?

- Il ne comprend pas. Si Dieu le laisse faire, c’est à cause d’un dernier grand salut qu’il prépare. Cela va être grandiose, je veux dire en humilité et en amour, réconciliation, pardon. Chut… Le Christ prépare son apparition.

Et alors Sophie chanta ce refrain :

« Comment es-tu tombé du ciel, étoile du matin, fils de l’aurore?

Comment as-tu été jeté sur la terre, vainqueur des nations?

Toi qui avais dit en ton cœur: J’escaladerai les Cieux,

Au-dessus des étoiles de Dieu j’élèverai mon trône.

Je m’égalerai au très haut (Isaïe 14, 12) ».

- Maintenant, tu fais de la poésie, Sophie ?

- C’est parce que cela me fait réfléchir… Et toi, Petitange, qu’est ce que tu as dis ?

- J’ai parlé comme Michaël. J’ai dit à Dieu : « Moi, je te suivrai partout où tu iras. Tu m’as donné l’être, la connaissance. Tout ce que tu décideras, je le ferai. Et j’obéirai à tous les Princes ou Princesses que tu me donneras, quels qu’ils soient » et je l’ai glorifié pour son projet. Et deux tiers des nôtres ont crié avec moi : « Qui est comme Dieu ? »

Alors, aussitôt, il y a eu une grande Lumière pour nous, comme une main de tendresse qui a caressé nos esprits. Et j’ai vu mon Dieu, face à face. Je ne peux rien t’en dire. Il n’y a pas de mots…

 

 

4- CHRIST

Krystyna a écrit: Fallait-il que le Christ meure sur la Croix ? Pouvait-il nous sauver autrement qu'en souffrant et en mourant ? Pouvait-il vaincre la mort autrement ? Pouvait-il sauver l'humanité autrement qu'en s'incarnant ? Et quel a été le rôle du Père dans tout cela ?

 

 

Chère Krystyna,

 

Imaginez que vous soyez Dieu, la Trinité.

 

Or vous êtes spéciale. Vous êtes toute puissante, infinie, et votre vie jaillit en vous entre trois allégresses : Vous-même, votre connaissance de vous-même (votre Verbe) et votre amour de vous-même (votre Esprit Saint).

 

Mais vous avez aussi deux importantes manières d’être : D'abord, vous êtes si HUMBLE, presque ENFANTINE, que nul ne peut venir vous voir, vous aimer, vous épouser, SANS DEVENIR TOUT HUMBLE, à votre image. VOUS NE POUVEZ PAS VOUS CHANGER. Vous êtes comme cela...

 

Mais en plus vous AIMEZ plus que votre propre vie les autres, Y COMPRIS VOS ENNEMIS. C'est si réel et c'est votre Essence qu'un humain qui ne serait pas disposé à essayer de vous imiter ne comprendrait rien à vous. Il ne pourrait vous épouser, de même qu'un homme vulgaire, ne pensant qu'à la bière et à sa voiture, ne saurait épouser une âme féerique.

 

Et c’est si merveilleux que, gratuitement, vous décidez de faire partager, comme cela, sans autre raison que votre joie et leur joie, votre bonheur et leur bonheur à des milliards de créatures diverses: des anges, des génies, des ... etc. et des humains.

 

Les humains sont spéciaux. Ils sont votre chef-d'oeuvre car ils sont certes capables du pire en méchanceté, mais aussi du mieux en amour. Ce sont les seuls qui peuvent aimer jusqu'à des folies, et même mourir parfois par amour. Les humaines le font souvent naturellement pour leurs enfants. Les humains aussi, souvent de manière plus militaire...

 

Mais vous, votre but, c'est qu'ils arrivent le plus humbles possible de l'autre côté de leur courte vie sur terre. C'est important. Ils risqueraient, s'ils étaient orgueilleux, de se perdre et d'aller vers Satan, qui leur propose un paradis où l'on se vautre dans les sucreries, mais sans que personne n'aime personne.

 

Imaginez que vous utilisiez une première technique: vous les abandonnez complètement à eux-mêmes, sans les aider. Ils ne savent même pas ce qu'ils font sur terre. Et ça marche: ils se font la guerre, ils ont faim, ils meurent de misère. Quand ça va bien, ils meurent d'angoisse. Ils cherchent le sens de la vie. Ils sont donc broyés par la vie mais vous les récupérez de l'autre côté, vous les rassurez, vous les consolez. Et eux, comme ils savent ce que c'est qu'être seul et malheureux, ils acceptent avec enthousiasme de devenir humbles et aimant, d'entrer dans la Joie éternelle.

 

Et puis vous vous dites que c'est terrible, cette technique. Vous aimeriez bien leur proposer une voie plus libre, plus volontaire, vers l'humilité et l'amour. "Ceux qui y croiront seront heureux." Ils sauront où ils vont. Et ils y PARTICIPERONT dès cette terre. Mais comment faire POUR LEUR EXPLIQUER DEFITIVEMENT CETTE HISTOIRE D'HUMILITE ET D'AMOUR.

 

Alors voilà, chère Krystyna. Je vous propose plusieurs scénarii.

 

1er scénario: Vous apparaissez dans une grande lumière pendant un an dans le ciel et vous expliquez à la TV à tous les humains tout votre plan. Ils peuvent vous poser toutes leurs questions. Puis vous partez. Ils ont le livre de vos enseignements. Dès qu'ils ont une question, vous acceptez d'apparaître pour leur donner la réponse...

 

2ème scénario: Vous vous incarnez dans un grand roi. Vous devenez chef du monde. Vous supprimez la famine et la guerre. Et vous donnez le message aux chefs humains, en leur laissant la science et les techniques, pour qu'ils continuent votre oeuvre.

 

3ème scénario : Vous vous incarnez dans un pauvre du peuple. Vous expliquez pendant trois ans à quelques pauvres ouvriers. Vous faites quelques miracles pour prouver que c'est bien vous. Les luttes augmentent. Vous laissez faire. Des chefs des humains vous attrapent et vous martyrisent, vous prenant pour un fou. Vous vous laissez faire, vous ne les écrasez pas. Vous mourrez. Trois jours plus tard, vous revenez, bien vivant et vous dites à vos pauvres disciples d'en parler, simplement.

Ils en parlent. Ça marche plus ou moins.

Mais à l'heure de la mort de chacun, vous êtes là, lumineux et vous montrez que c'était bien vous, Dieu. Et puis, même les chefs des humains qui vous ont tué, vous les accueillez. Et vous leur proposez votre pardon en disant: "C'était pour vous sauver. Celui qui a été peu pardonné aime peu. Acceptez mon pardon."

 

Lequel de ces trois scénarii serait, à votre avis, le plus efficace pour que peu d’humains refusent votre amour ? Mais attention: il faut choisir celui qui va leur révéler LE PLUS à quel point vous êtes vraiment un Dieu enfant, HUMBLE, AMOUR...

 

Donc pouvez vous maintenant répondre à la question: fallait-il que le Christ s'incarne et meurt sur une croix? Si vous trouvez un quatrième scénario, indiquez le.

 

5- LA MORT DE LA VIERGE MARIE

Le secret de Jean

« À compter du jour où Jésus est monté au Ciel, après sa résurrection, j’ai vu Marie décliner peu à peu. Elle devenait diaphane à mesure que la vie s’échappait d’elle.

Elle m’a demandé de célébrer pour elle l’eucharistie. Je l’ai fait chaque jour. Mais elle n’en a pas été rassasiée.

Vers la fin de sa vie, nous étions retirés à Éphèse. J’avais aménagé dans sa maison une sainte Arche pour qu’elle ne soit jamais séparée de la Présence de son Fils, sous la forme du pain et du vin.

Un jour, elle m’a dit : « Je vais mourir, je crois. J’aimais tant l’aimer... »

- Mais, mère, il est là, dans l’eucharistie.

- Oui, mon fils, mais je ne peux pas. J’aimais trop l’aimer, je crois. Mon cœur et mon corps souffrent trop. Nos âmes, nos vies enlacées… »

- Il ne vous a pas abandonnée.

- Oui, il ne m’a pas abandonnée… C’est malgré moi… J’entends des chants anciens, des chœurs à deux. Et après je pleure. »

 

La vierge Marie est vraiment morte*. Je l’ai trouvée un matin, endormie dans sa chambre. Elle était près du calice qu’elle tenait contre elle. Je crois qu’elle n’a pas survécu à l’absence de celui qui était présent auprès d’elle. Elle a été usée, je crois, par le mystère de l’eucharistie. Jésus y était trop silencieux. »

* C’est l’opinion explicite du grand pape Jean-Paul II. Il la soutint vers la fin de sa vie dans une catéchèse du mercredi.

 

Le secret du Chérubin

« Je suis le chérubin chargé de veiller sur le paradis terrestre (Genèse 3, 24). C’est moi qui empêche l’homme d’approcher de l’arbre de vie, afin qu’il ne vive pas toujours sur cette terre. Mais il y avait une exception, sur ordre de Dieu. Une fillette virginale, Marie, était chaque jour nourrie des fruits de cet arbre, directement par Dieu, par grâce. Si bien qu’après environ soixante années passées sur la terre, elle était comme une jeune fille, de l’avis de tous ceux qui la voyaient*. Contemplant Marie, je pensais qu’elle devait rester sur terre physiquement jusqu’à la fin du monde pour accompagner l’Église avec l’eucharistie. Et pourtant elle est morte, douze ans après Jésus. Celle-là devait vraiment aimer beaucoup et beaucoup souffrir pour mourir alors qu’elle était immortelle. »

* Saint Polycarpe, qui l’a vue, le rapporte à travers la plume de son disciple, saint Irénée, évêque de Lyon.

 

Le secret de Jésus

« Marie, elle est pour la Trinité le jardin le plus précieux de la création. À chaque seconde de sa vie elle a été façonnée, et jamais on ne verra créature plus petite, plus humble, plus aimante.

Il existe cependant un secret bien scellé. Il le sera jusqu’à la fin du monde. Il n’y aura jamais de dogme sur ce point. Chacun verra ce fait un jour, mais uniquement de l’autre côté de cette vie.

Le voici :

Le jour de ma résurrection et les jours qui ont suivi, Marie ne m’a pas vu ressuscité.

Le jour de mon ascension, elle était là. Mes Apôtres m’ont vu dans toute ma gloire, et elle seule parmi eux, ne m’a pas vu.

Le jour de la Pentecôte, une flamme a surmonté son visage, mais elle n’a rien senti. Son esprit a été dans la nuit, qui ne l’a pas quittée.

Elle n’a pas émis une plainte, une protestation, se sachant indigne...

 

Il fallait qu'elle passe par cette dernière épreuve. Si le grain de blé ne meurt pas à tous ses désirs, il reste seul. Et le trésor de Marie, c'était moi ...

Pour voir Dieu face à face, il faut avoir tout perdu. C'est le mystère de la Trinité. Dieu ne peut se changer.

 

Et, pas à pas, dans cette nuit, Marie a commencé à accompagner mon Église naissante, rapportant tous mes commandements, racontant à Luc mon enfance, à Jean les secrets les plus profonds. Elle était prête à rester 1000 ans sur terre pour me plaire, s’il l’avait fallu. »

 

« Se sachant indigne » ! Voilà pourquoi mon Père l’aime, Marie, la plus sainte des femmes, elle qui n’a jamais péché …

 

L’ange de la mort

Je suis l’ange gardien de Marie. À l’heure de sa mort, j’étais là. C’est moi qui étais aussi présent à l’agonie de Gethsémani, pour son Fils, Dieu fait Homme. Marie n’a pas désobéi en mourant avant que son Fils ne vienne la chercher. C’est son âme qui, brisée dans son tréfonds, n’a pu maintenir plus longtemps son emprise sur ce corps. Son cœur avait trop attendu.

Il existe dans la Bible un cantique qui ne parle que du secret de cette nuit-là (3, 1) : « Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé ! Je me lèverai donc, et parcourrai la ville. Dans les rues et sur les places, je chercherai celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai pas trouvé ! »

Marie s’est juste levée avec trop d’effort, et son corps n’a pas suivi son âme. Son âme s’est mise à chercher partout sur cette terre. Lorsqu’elle m’a rencontré, moi le gardien de la vie, elle m’a dit (Cantique 3, 3) : « Avez-vous vu celui que mon cœur aime? »

Je lui ai dit (Cantique 1, 8) : « Si tu ignores où il se trouve, ô la plus belle des femmes, suis les traces du troupeau, et mène paître tes chevreaux près de la demeure des bergers. »

Par cette phrase, je lui indiquais de prendre le chemin de tous les hommes à l’heure de leur mort. Marie est donc passée par le chemin que tous suivent. Elle a dû rester quelques jours sur terre. Elle est retournée sur les lieux de l’Évangile. Au Golgotha, tout était comme au fameux Jour, ce jour où son âme avait été transpercée… Elle a visité chacun des Apôtres, chacun des anciens, chacun des fidèles, là où ils étaient. Pour chacun, elle avait un mot, une caresse. C’est ainsi que Thomas l'Apôtre, mystérieusement prévenu de sa mort par ce songe, s’est mis rapidement en marche du lieu où il était vers Éphèse. Il voulait la voir une dernière fois. Elle l’avait tant soutenu dans ses doutes !

Le troisième jour, je suis venu vers elle. Elle répandait tant de simple tendresse auprès de ceux qu’elle visitait de son âme, que je ne me lassais pas d’un tel spectacle. Je me suis dis que j’étais heureux d’avoir choisi Dieu au jour de ma création. Quelle Reine il me donnait !

À mon invite, Marie a franchi le seuil qui ouvre sur l’autre monde. Et, comme tous, elle a dû, avant toute chose, croiser le chemin de l’Ange de lumière.

Mais Marie connaissait la nécessité de cette dernière épreuve. Elle en avait averti elle-même saint Paul, qui en avait averti tous les chrétiens (2 Thessaloniciens 2, 1) : « Nous vous le demandons, frères, à propos de la Parousie de notre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui, ne vous laissez pas trop vite mettre hors de sens ni alarmer par des manifestations de l'Esprit, des paroles ou des lettres données comme venant de nous, et qui vous feraient penser que le jour du Seigneur est déjà là. Que personne ne vous abuse d'aucune manière. Auparavant doit venir l'apostasie et se révéler l'Homme impie, l'Être perdu, l'Adversaire, celui qui s'élève au-dessus de tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte, allant jusqu'à s'asseoir en personne dans le sanctuaire de Dieu, se produisant lui-même comme Dieu. »

 

Moi, Je suis Lucifer

« Moi, je suis Lucifer. J’étais donc là, pour elle seule, sûr de moi plus que jamais, ayant aiguisé mes armes décisives pour l’entraîner à jamais loin de Dieu. Puisqu’elle avait résisté à la révolte au jour de la Croix, c’est par la désespérance que je me préparais à attaquer cette femme, sachant qu’il n’y a pas beaucoup de distance entre l’humilité et le désespoir. Mais, un certain doute subsistait : il existe un tel chemin entre le désespoir (ce sentiment de définitive perte) et la désespérance comme péché contre l’Esprit (cette volonté, libre, consciente, choisie de définitive perte)... J’ai donc pris la parole en regardant Marie droit dans les yeux :

« Je suis Lucifer. Je suis l’ange de la vérité, celui qui discerne les intentions du cœur. Et j’ai vu aujourd’hui une chose inédite, une chose qu’on ne voit pas chez les amis de Dieu. J’ai cherché un exemple dans les Écritures. Il n’y en a pas. A-t-on jamais vu un serviteur de Dieu devancer l’heure de sa mort ? Est-il permis de franchir les portes de la mort sans y être invité ? »

Marie se tenait là, debout devant moi. Elle contemplait face à face cette vérité que je lui assénais. Elle ne nia pas. Elle ne se défendit pas. Elle ne se justifia pas.

Puis elle murmura, dans la direction invisible de son Dieu qu’elle attendait et qu’elle ne voyait toujours pas : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir. Mais dis seulement une parole et je serai guérie. »

 

Ce fut tout.

 

Et je me dois de témoigner pour Marie, une seule fois, bien qu’il m’en coûte : Cette créature est décidément trop puissante : elle transforme en humilité jusqu’à l’amour extrême !

 

Je suis Jésus

« Marie m’a en quelque sorte forcé à revenir pour elle. Comme Joseph l’Égyptien vis-à-vis de ses frères (Genèse 45, 1), je me tenais jusqu’ici dans l’obscurité, caché, méconnaissable. Et je brûlais de déchirer pour elle les voiles de cette eucharistie où je me dissimulais. J’attendais cependant, voulant la conduire plus loin encore sur ce chemin. Mais, lors de sa rencontre avec Lucifer, au spectacle de son âme, de tant d’amour humble, je n’ai pu me contenir devant tous les gens de ma suite et je me suis écrié, déchirant le ciel : « Je suis Jésus ». Et personne ne put comprendre l’intensité de ce qui se passa pendant que je me faisais reconnaître de Marie. Et je pleurais tout haut, et tout le Ciel entendit, et la nouvelle parvint jusqu’au palais de la Trinité. Et la Trinité ne put attendre plus longtemps. Sur son ordre, on cassa pour Marie toutes les règles. Les anges furent brusqués. Par leur action immédiate, le précieux corps de Marie fut littéralement évaporé de la planète Terre à travers la tombe que Jean venait de fermer. Il rejoignit son âme sans plus attendre. Car ce jour-là, la Trinité voulut habiter toute entière et face à face en Marie, et visiter sans obstacle ce jardin secret, dans sa plénitude, corps et âme.

On entendit juste deux phrases, comme une colombe au creux du rocher, dites par la Trinité : « Je t’attendais. Je désirais tant t’aimer. »

 

Le secret de Thomas, Apôtre

J’ai mis trois jours pour rejoindre Éphèse. J’avais été averti en songe de la mort de Marie. Je voulais la voir, la remercier une dernière fois. Lorsque je suis arrivé, elle était déjà en terre et les Apôtres, qui avaient tous été avertis comme moi en songe par Marie elle-même, me racontèrent sa mort, son corps vêtu d’une robe blanche, son enterrement, et la joie de tous, à cause de la certitude de sa joie à elle : « Elle est avec son Dieu. Elle n’attendait que cela. »

Mais je les suppliai tant et tant, je leur fis tellement de prières, voulant voir une dernière fois son visage, qu’ils acceptèrent de rouvrir pour moi sa tombe. Elle était enterrée selon la coutume romaine, dans un sarcophage de calcaire et dans le sol.

Lorsqu’on ouvrit le sarcophage, il était vide. La robe était là, comme affaissée, et les fleurs intactes. Mais le corps de Marie avait disparu.

 

J’ai vu cela de mes yeux. Et cette fois, j’ai cru. Je crois que Marie est au Ciel, avec son corps, dans la vision de Dieu. Et je crois qu’elle ne cesse de nous visiter, un à un, sur terre et dans tous les purgatoires que nous traversons, comme au jour de sa mort, mais dans l’intégrité de son corps.

 

 

6- LA MÈRE QUI AVAIT AVORTÉ ET QUI FUT ADOPTÉE

(Isaïe 49, 14) « Elle avait dit: "Dieu m'a abandonnée; le Seigneur m'a oubliée." Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t'oublierai pas. Vois, je t'ai gravée sur les paumes de mes mains, tes remparts sont devant moi sans cesse. »

 

Avortement

Suzanne Dagnelet n’avait pas subi un viol. Elle n’était pas une adolescente de 16 ans. Elle n’avait pas été victime d’inceste. Elle était mariée et mère de deux petits, un garçon et une fille. Et elle avait décidé que c’était suffisant. Elle avait de bonnes raisons : « Élever un enfant coûte cher, en temps principalement. Les activités d’éveil doivent être nombreuses. Et une vie moderne ne saurait être l’esclavage de jadis. »

Elle était tombée enceinte par accident. Elle avait alors pris la décision qu’il fallait, d’un commun accord avec son mari. L’avortement avait été précoce, uniquement par méthode médicamenteuse. Elle n’en avait subi qu’un léger trouble et la vie avait continué.

Elle avait bien élevé ses enfants. Chaque hiver, ils étaient allés au ski, ils avaient reçu des cours de danse pour la fille, du judo et du piano pour le garçon.

 

Vision

Le temps ayant passé, la fille de Suzanne Dagnelet avait atteint l’âge de 25 ans. Elle s’était mise en ménage. Adepte de moto, elle partait souvent avec ses amis pour faire de grands périples dans toute l’Europe. Elle roulait toujours prudemment, très consciente de l’absence de carrosserie de son engin. A l’entrée d’un virage, vers Chalon-sur-Saône, elle vit un camion prendre son virage trop large et se déporter sur sa voie. Elle sut qu’elle ne l’éviterait pas. A partir de ce moment, les secondes semblèrent se figer. Le camion s’approcha comme dans le ralenti d’un film, lentement. Ce n’était qu’une impression. Le choc fut extrêmement violent. Elle se réveilla en l’air, flottant au dessus de son accident, et elle vit son corps, dans son blouson de cuir, tournoyer avant de retomber lourdement dans un fossé. Elle vit ensuite ses amis arrêter leurs motos et se précipiter vers l’endroit où elle était tombée. Elle entendit toutes leurs paroles, nota tous leurs gestes, tandis qu’une grande tranquillité l’avait envahie. Ensuite, elle quitta ce monde en franchissant une porte de lumière. Là, elle fut ravie jusqu'au paradis, jusqu'au troisième ciel, et elle y entendit des paroles ineffables, qu'il n'est pas permis à un homme de redire. Était-ce dans son corps? Elle ne le sut pas; était-ce hors de son corps? Elle ne put le préciser lors de son retour à la vie terrestre (2 Corinthiens 12, 4); « Dieu le sait », disait-elle. C’est qu’elle voyait et elle entendait, comme lorsqu’on est dans un corps, et pourtant son corps était resté sur terre, brisé et en état de mort clinique. Dans ce Ciel, elle vit un Être magnifique, lumineux et plein d’amour. Il envahit tous les méandres de son âme, de sa compréhension et de sa vérité. Puis lui apparut une fillette d’environ cinq ans. Elle était vêtue d’une jolie robe bleue, et ses cheveux bruns étaient coiffés avec de nombreuses petites barrettes multicolores.

« Je suis ta sœur, lui dit-elle.

- Ma sœur ? Mais je n’ai jamais eu de sœur…

- Demande à nos parents quand tu reviendras. Ils t’expliqueront. »

Puis elle se réveilla. Elle habitait de nouveau dans son corps, dans les douleurs physiques, et couverte de tubes, à l’hôpital. Plus tard, quand sa santé s’améliora, elle demanda à ses amis si elle était bien tombée dans le fossé, où elle était restée, couchée en chien de fusil. Ils confrontèrent tous les détails de leur description des suites de l’accident, tout étonnés de la confirmation expérimentale de ces Expériences de Mort Imminente dont on parlait de plus en plus.

 

Angoisse

Ce n’est que huit jours après le terrible accident que les parents angoissés purent enfin parler à leur fille. Il ne leur fut laissé que peu de temps mais elle leur raconta aussitôt sa vision de cette petite fille si intrigante rencontrée lors de son voyage. « Elle m’a dit que son nom était Lucie », leur précisa-t-elle. Les parents ne savaient quoi répondre. Suzanne restait bouche bée devant ce récit. Finalement, son père prit la parole et confirma, en mentant : « Après votre naissance, ta mère a fait une fausse-couche. Nous ne t’en avions jamais parlé, ni à toi ni à ton frère. » A ce récit, leur fille s’illumina et elle leur dit : « Il y a une vie après la mort. J’ai tout vu et tout est aujourd’hui confirmé. » A partir de ce jour, leur fille devint croyante. Elle n’eut plus peur de la mort, sachant tout l’amour qui l’attendait là-haut. Elle devint plus joyeuse, plus heureuse de vivre. Elle épousa son ami et Suzanne devint bientôt grand-mère.

Quant à Suzanne justement, sa fille ne vit pas que ce jour-là, par sa joie, elle avait semé la graine d’un arbre étrange dans sa vie. Personne ne s’étonna de son silence, de son manque de curiosité. Elle n’aborda pas davantage le sujet de sa fausse couche, ni de « Lucie », pas même avec son mari. Personne n’y vit rien à redire, tant on sait le genre d’épreuve que représente un tel accident dans le cœur d’une femme.

En réalité, à partir de ce jour, Suzanne entra dans l’angoisse, tel était le nom de cet arbre. Et le cœur des femmes peut contenir beaucoup de secrets.

Le reste de la vie de Suzanne passa rapidement. Dans les semaines qui précédèrent sa mort, elle fut hospitalisée. Les infirmières racontèrent à ses petits-enfants qui venaient la voir qu’elle criait la nuit dans son sommeil, que c’était pénible pour les autres malades, et qu’on avait dû l’isoler. Suzanne vivait à une époque et dans un pays où il n’y avait plus de prêtres. Elle dut donc affronter seule son passage, lorsque « le fil d'argent de la vie se casse, que la coupe d'or de son corps se brise, que la jarre se rompt à la fontaine, que la poulie cède au puits. » (Ecclésiaste 12, 6).

 

Rédemption

Suzanne s’était depuis longtemps préparée à ce moment. Depuis le récit de sa fille, elle avait perdu tout goût pour la vie. Elle avait donc joué un rôle, celui d’une grand-mère épanouie, alors que son cœur s’était arrêté de battre au-dedans d’elle. Elle avait mûri longuement ce qu’elle ferait. Elle avait décidé que jamais, jamais, elle n’affronterait sa fille, cette petite Lucie (qui avait pu lui donner ce prénom ?) dont elle avait tué la vie, dans son immaturité de jeunesse. Elle avait décidé de disparaître après sa mort, et de mourir quand même. Elle était bien décidée à fuir dans un tombeau inconnu de tous et de s’y enfermer, oubliée de tous. Il ne pouvait être question de pardon pour elle.

Et c’est ce qu’elle fit. Aussitôt sortie de son corps, elle utilisa les pouvoirs de son nouvel état. Elle s’imagina au centre de la terre et aussitôt, elle s’y retrouva. Elle se roula en boule dans ce cœur de métal en fusion et ne bougea plus. Ensuite elle appela la mort et dit: « Mieux vaut pour moi mourir que vivre. » (Jonas 4, 8).

Or, sa prière fut agréée devant la Gloire de Dieu, et c’est l’Archange Raphaël qui la porta devant Lui. Cet Ange voulait enlever les taches de ses yeux, pour qu'elle voie de ses yeux la lumière de Dieu; et il voulait la donner en épouse à Dieu, et la dégager de cette angoisse mensongère, le pire des démons (Tobie 3, 16), celle qui fait croire qu’il existe un péché que Dieu ne veut pas pardonner. Le Conseil du Ciel se réunit et on trouva légitime d’envoyer sa fille Lucie pour la guérir.

Or, tandis qu’elle était dans l’enfer qu’elle s’était choisie pour se punir, une main la toucha.

« Suzanne, tu dors ?

- Je ne veux voir personne. Laissez-moi.

Et Suzanne se recroquevilla un peu plus.

- Tu dormiras comme cela pour toujours ?

- Oui, pour toujours. S’il vous plaît. Allez-vous en.

- D’accord, Je m’en vais mais pas avant que tu ne m’aies regardée.

- Si c’est tout ce qu’on me demande, je le ferai. Mais après, on me laissera toute seule ?

- C’est tout ce qu’on vous demandera, promis !"

Alors Suzanne consentit à ouvrir les yeux et à regarder. Ce qu’elle vit devant elle ressemblait à un ange, comme une vision de jaspe et de cornaline. C’était une jeune fille qui la regardait, entièrement vêtue de lumière et pourtant nue comme un écrin d’âme. C’était une vision unique, plus forte que ce qu’on voit, où la grâce d’un corps, la douceur d’un sourire révèle une âme cristalline.

- Je suis venue pour t’adopter. Si tu le veux. Nous pourrons revivre ensemble tout ce qu’on n’a pas vécu.

- Qui es-tu ?

- Je suis Lucie.

- Mais je ne suis pas ta mère. Je n’ai même pas enterré ton petit corps lorsqu’il est sorti. Ce n’est même pas moi qui t’ai donné ton prénom.

Suzanne ne résista pas au torrent de larmes qui l’envahit. Et, quand sa fille l’entraîna hors de son antre, elle ne protesta même pas :

- Je voulais rester ici à jamais.

- Tu n’y es restée que 10 minutes. C’est le temps qu’il a fallu pour que je te trouve. Il était impossible que tu ailles en enfer. Pourtant tu avais bien mûri ton plan. Tu aurais dû mieux te renseigner : lorsqu’on se repent de ses fautes et qu’on regrette de n’avoir pas aimé, on ne va pas en enfer. C’est juste l’inverse.

- Mais je t’ai tuée, toi, ma fille.

- Et Dieu m’a ressuscitée.

- Mais je t’ai privée de ta vie terrestre ?

- Je n’ai pas pu aimer jusque dans le désespoir, comme toi. Mais Dieu sait tout. Je contemple l’âme de tous ceux qui viennent de la grande épreuve (Apocalypse 7, 14). Il y a pour moi autant de joie à contempler la grande lumière des étoiles qu’à en être une.

- Et ta mère ? Tu as bien une mère ici ?

- J’ai maintenant mille mères : « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m'est un frère et une soeur et une mère (Matthieu 12, 50). » Et, parmi toutes ces mères, une a demandé pour moi le baptême et m’a élevée ; il me manquait juste toi, qui refusais encore d’être ma mère. Alors aujourd’hui, je t’ai adoptée pour toujours.

Alors, la tenant toujours par la main, Lucie entraîna sa mère vers Jésus et la lui présenta.

 

(Jean 8, 10) Alors, se redressant, Jésus lui dit: "Femme, où sont-ils? Personne ne t'a condamnée?" Elle dit: "Personne, Seigneur." Alors Jésus dit: "Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais tu ne pècheras plus jamais."

 

 

7- GERMAINE, QUI ENTRA AU CIEL COMME L’ÉCLAIR

 

(Matthieu 19, 30) "Beaucoup de premiers seront derniers, et de derniers seront premiers."

 

1594, 17 ans

Il était une fois, dans un village du Sud Ouest de la France, une jeune fille que personne ne remarquait jamais. Sa chevelure n’était pas dorée et ses yeux n’étaient pas aussi verts et profonds que la forêt. Son corps était maigre et malade et sa main droite était atrophiée. Elle avait bien eu une maman mais, dès l’âge de trois ans, elle l’avait perdue. Son père se désintéressa d’elle. Elle vécut alors silencieusement et on oublia presque son existence. Un peu plus tard, son père se remaria. Sa belle-mère la prit en grippe et exigea qu’elle ne reste pas inutile. C’est ainsi qu’elle se retrouva bergère dans la journée et servante le soir. Bientôt, alors qu’elle avait 9 ans, naquirent des demi-sœurs. Elle devint alors vraiment gênante et on l’exila de la maison commune. On lui réserva pour dormir la soupente de l’escalier de l’étable. On lui mit des sarments comme matelas et on lui donna le minimum de nourriture. Il lui fut défendu d’adresser la parole à ses soeurs. Alors Germaine, (c’était son prénom) passa son temps avec les bêtes, aux champs ou à l’étable.

Le curé du village remarquait, tous les matins, discrète comme un souffle, cette jeune fille qui se glissait à sa messe, l’écoutait pieusement, et ne communiait jamais. Sitôt le « Ite Missa est », elle disparaissait. Elle retournait à son troupeau qui, laissé seul aux champs, ne causait jamais de dégâts chez les voisins, restant dans les limites qu’elle lui marquait avant de partir.

 

Le curé se disait qu’il lui faudrait un jour la rattraper et lui proposer d’assister au catéchisme. Mais il n’en trouva jamais le temps. Alors Germaine apprit à connaître Dieu en écoutant les sermons du dimanche. Ne sachant pas lire, elle récitait son chapelet. Elle choisit Marie comme mère et se mit à parler avec Dieu. Cela devint pour elle toute joie. Quand elle rencontrait des enfants des métairies voisines, elle leur parlait du Ciel. Elle était bonne avec eux.

 

1597, 20 ans

Dans le champ où elle gardait les moutons, son ange gardien veillait. Ce n’était pas un ange habituel. Dieu avait posté auprès d’elle un des sept Séraphins, comme on le fait une fois à chaque génération. C’est que Lucifer lui-même avait réclamé son âme. Lors d’un conseil céleste, il s’était levé en criant : « J’exige un pouvoir plus grand sur Germaine. Je ne peux me contenter des blessures de son corps ou des abandons de sa famille. Laissez-moi la frapper de tuberculose, et elle deviendra comme les autres : coureuse de plaisirs et impure ». Et il avait reçu permission. Aussi, depuis un an, Germaine s’épuisait, d’âme et de corps. Elle ne ressentait plus la présence de Dieu. Elle assistait à la messe comme une pierre. Et c’est vrai que, habituellement et dans ces circonstances, les pauvres âmes s’abandonnaient au péché, cherchant dans les créatures cette affection dont on a tant besoin. Germaine restait simplement fidèle, récitant vaillamment son chapelet et l’offrant pour les âmes des autres. Partout, dans le village, les filles de son âge étaient mariées et mères. Elle était seule.

« C’est une reine », pensait le Séraphin, observant, dubitatif, cette humilité sans détour. Et dans cette pâture déserte, si les hommes avaient pu voir les choses réelles, ils auraient assisté au défilé ininterrompu des millions de créatures célestes, venant assister et soutenir Germaine au milieu de ses moutons.

 

31 décembre 1600, 24 ans 

Lucifer se rendit au conseil des amis de Dieu. Il se leva et dit, sûr de son fait : « Donnez-moi pour elle l’épreuve ultime, celle du désespoir. Elle reniera en face. Personne ne tient l’amour dans le désespoir. »

– Personne, Lucifer ? dit une voix féminine. Es-tu si sûr de toi ?

Cette voix était celle de sainte Blandine. Ne fus-tu pas bien des fois vaincu par les plus petites des créatures ? Veux-tu prendre le risque ?

- Je le prends, dit posément Lucifer. Et si elle tombe, chacun saura ici comme sont impossibles les qualités que vous appréciez tant. Je vous le dis une fois de plus : L’humanité est méprisable et le projet de Dieu est impossible. Car les âmes qui sont humbles se complaisent dans le péché, comme des prostituées ; les âmes qui sont aimantes se croient dignes du Ciel et succombent à l’orgueil ; Les âmes qui sont vertueuses sont les pires : elles sont dures et fières. Mais elle n’existe pas encore, l’âme qui sera à la fois humble, aimante et vertueuse. [Sauf l’Autre, bien sûr]. Vous tous, vous êtes tombés et vous n’êtes à vos places d’honneur que parce que Dieu n’est pas justice et pardonne. Toi, Blandine, tu étais moins fière quand tu doutas de Dieu dans l’arène face à ton taureau. A la fin du monde, lorsque chacun verra tout ce que je sais, Dieu devra se montrer juste. Il devra reconnaître son échec !

- Sauf pour Marie, bien sûr, ajouta sainte Blandine.

- Oui, sauf pour l’ « Autre ». Une hirondelle ne fait pas le printemps, admit Lucifer.

 

Lucifer reçut donc l’autorisation suprême. Et, dès ce jour-là, Germaine perdit la foi. Comment est-ce possible ? C’est une épreuve inimaginable que les athées seuls connaissent.

Le Séraphin de Germaine observa son âme : c’était un désert de misère et de solitude. Il guetta chez elle une révolte. Ce ne serait même pas un vrai péché, tant ce qu’elle vivait était unique. Il se dit : « Elle porte comme Jésus au Jardin des Oliviers. Mais, ce jour-là, j’avais pu apparaître au Messie pour le consoler (Luc 22, 43). » L’ange repensa à une parole mystérieuse de l’Écriture (Jean 14, 12) : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera, lui aussi, les oeuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes, parce que je vais vers le Père. »

Le soir, usée, Germaine dit simplement à Dieu : « Jésus, je ne crois plus en toi. Même cela je n’ai pas su te le donner jusqu’au bout. J’accepte d’aller en enfer, pour toujours. Je le mérite et je t’y aimerai. »

 

1er juillet 1601, 24 ans 

Un matin, Germaine ne fut pas la première levée. On n’entendit pas le bruit des seaux dans l’étable. Étonnée, sa marâtre dit à son père : « Ta fainéante de fille dort encore. Va donc la réveiller. » Son père la trouva morte sous l’escalier.

Quand le curé du village l’apprit, il eut honte. Il se reprocha beaucoup de ne jamais lui avoir parlé durant sa vie. Il se dit : « Ce qu’elle n’a pas eu dans sa vie, je lui donnerai dans sa mort. » Il prit donc une robe blanche de mariée que lui avait donnée une paroissienne. Il l’en fit vêtir. Sa tête, il la fit couronner d’une guirlande d’œillets des champs mêlés d’épis de seigle dorés et gonflés de grains.

Et il fit ouvrir une tombe … dans l’église. On la déposa à même le sol, dans une tenue si belle, digne du jour de sa communion qu’elle ne fit jamais. Et le curé fit pour elle une grande, longue, et solennelle messe, en compagnie d’un enfant de chœur, convoqué pour la circonstance. Son père vint, et sa belle-mère, et ses soeurs. Car on se souvint, maintenant qu’elle était morte, qu’elle était bonne. On eut réellement du chagrin. Puis on l’oublia.

 

30 juin 1601, minuit 

C’est sainte Blandine qui entra doucement dans l’étable. Elle la réveilla sans bruit.

« Germaine, lève-toi, il est l’heure. » Germaine ouvrit les yeux. Elle ne vit d’abord pas bien. Tout était éclairé dans l’étable et les moutons regardaient, pétrifiés de surprise et de paix.

« Il est l’heure. C’est le jour du Seigneur, le jour de colère », chuchota Blandine.

Germaine se leva. Elle regarda sainte Blandine et la reconnut aussitôt, mystérieusement, comme une ancienne amie intime qu’on a toujours fréquenté. Elle vit surtout son âme et assista, comme dans un panorama, à la totalité de son martyre. Elle vit son cri de désespoir quand la corne du buffle la blessa, quand ses mains emprisonnées dans le filet ne pouvaient amortir les coups. Elle vit son agonie quand la soldatesque romaine traîna son corps dénudé dans l’arène, sous le hululement des foules.

« Alors toi aussi, tu as perdu la foi ? » demanda-t-elle.

- Nous n’avons pas perdu la foi, Germaine, ni toi ni moi. Nous en avions juste perdu l’impression. Mais je vais te présenter quelqu’un d’autre. Es-tu prête ? 

Et Blandine la prit par la main et l’emporta, tel un oiseau, vers une lumière qui brillait. Elle pénétra dans la lumière et se trouva tout de suite devant une jeune fille, plus belle, plus douce. Elle vit Marie et comme la première fois, elle assista comme dans un éclair à son martyre. Elle la revit, désespérée au pied de la croix de Jésus.

« Alors toi aussi, maman, tu as perdu la foi ? » demanda-t-elle.

- Germaine, nous avons été tous moulus comme des grains. Aucun de nous n’y a échappé. Mais nous L’avons toujours aimé. Mais je vais te présenter Quelqu’un d’autre. Es-tu prête ? 

Quand Marie dit « Quelqu’un », Germaine comprit qu’elle allait voir Dieu, face à face.

 

C’est alors qu’une voix puissante cria. « Arrêtez tout ! Je vous vois venir ! Je réclame cette âme ! Ah, vous voulez la faire échapper à la puissance de ma parole ? Vous ne voudriez pas, tout de même, la faire entrer dans la Vision de l’Essence du Tout-Puissant en catimini ? N’ai-je pas reçu le droit inaliénable de lui proposer mon idée du bien ? » C’était la voix de Lucifer.

- Lucifer ? dit une voix féminine. Es-tu si sûr de toi ? Cette voix était sainte Blandine. Ne fus-tu pas bien des fois vaincu, par les plus petites des créatures ? Veux-tu prendre le risque ?

- Je le prends, cria Lucifer. Et cela lui fut accordé. Les présences célestes s’effacèrent et laissèrent Germaine seule. Alors il lui apparut sous la forme de sa grande lumière. Il lui fit défiler toute sa vie. Il en trouva, ici ou là, un découragement, une nostalgie pour cette mère non connue. Ce fut pitoyable. Il ne trouvait rien de concret : pas le moindre péché d’impureté ; pas la plus petite vanité ; pas même le vol d’un croûton de pain. Aussi, arrivé à bout d’arguments, il dit à Germaine : « Je t’ai vu réclamer l’enfer éternel. » Le Ciel entier était scandalisé par cette incroyable et mensongère démonstration de Lucifer. Tout le monde le voyait bien : Germaine était à la fois humble, aimante et vertueuse. Pas un péché mortel en elle.

Germaine n’eût même pas à se défendre. Car il y eut soudain dans le Ciel une colère si puissante qu’elle raisonna jusqu’au bout de l’univers, ébranlant la terre elle-même. Jésus parut et d’un geste, il dévoila à tous l’âme de Germaine. Une merveille. Quelque chose d’indescriptible de souffrances offertes, d’absence de regard sur soi, de perpétuelle attention aux autres. Jésus ne put se contenir devant tous les gens de sa suite et il s'écria: « Faites sortir ce démon d’ici » (Genèse 45, 1); et Lucifer s’évanouit comme la honte, dans la grandeur d’une défaite rare. Jésus se fit connaître à Germaine, et il pleura tout haut et tous l’univers entendit, et la nouvelle parvint jusqu’au palais de la Trinité.

Jamais depuis Marie, on ne vit personne entrer si vite dans le jardin éternel de Dieu.

 

« Il est l’heure. C’est le jour du Seigneur, le jour de colère », répétait sainte Blandine.

 

28 décembre 1644, fête des saints Innocents

Le bruit de cette colère de Dieu (Dies Irae) fit, dis-je, le tour de l’Univers. Sur terre, il produisit un terrible séisme dont on se souvient encore. En voici le récit :

En 1644, soit quarante trois années plus tard, tout le monde avait oublié la petite bergère, ou presque. Ce jour-là, le fossoyeur Guillaume Cassé, aidé de Gaillard Baron, creusa une fosse dans l’église de Pibrac pour ensevelir Germaine Andouane, laquelle avait formulé le vœu d’y être enterrée. A peine avaient-ils commencé à creuser le sol qu’ils découvrirent le corps d’une jeune fille, un corps en parfait état de conservation. Sa tête était couronnée d’une guirlande d’œillets des champs mêlés d’épis de seigle; ces détails nous permettent de situer sa mort vers le mois de juin : les fleurs avaient perdu de leur éclat mais les épis étaient dorés et gonflés de grains. Le premier coup de pioche malencontreux avait atteint l’aile du nez ; la blessure avait tout l’aspect de la chair vivante. Aucune des personnes présentes à cette heure matinale ne la connaissait. Mais les nouvelles allèrent vite et bientôt tout ce que compte le village accourut vers l’église ; seuls les anciens furent en mesure d’identifier le corps : « c’est Germaine Cousin, dirent-ils, qui était manchote et était atteinte de la maladie des écrouelles »; en effet, le cou portait des cicatrices, la main était infirme. Ceux de son âge avaient maintenant 65 ou 70 ans, un âge avancé pour l’époque.

Et, à partir de ce moment, les miracles ne cessèrent de se multiplier. Le 5 mai 1853, l'authenticité des miracles fut solennellement proclamée et, le 7 mai 1854, le décret de béatification fut publié en la Basilique St Jean de Latran à Rome. Enfin, le 29 juin 1867, jour du dix-huitième centenaire du martyre de St Pierre et de St Paul, fut célébrée à Rome la canonisation de Sainte Germaine.

L'Église l'a déclaré sainte en reconnaissant qu'elle a su aimer Dieu et ceux qui vivaient auprès d'elle jusqu'à l'héroïsme. Orpheline, malade, pauvre, maltraitée par ses proches, elle est la sainte de tous ceux qui souffrent et que la vie malmène d'une manière ou d'une autre. Sainte Germaine a été proclamée la patronne des faibles, des malades, des déshérités.

 

 

8- LA PROSTITUÉE (Les qualités requises pour aller vite au Ciel).

Jésus dit aux grands prêtres et aux anciens du peuple: « En vérité je vous le dis, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu ». (Matthieu 21, 31)

 

1718

Le Régent de France Philippe d’Orléans organisa une de ses parties fines spéciales dont il avait le secret. Le Cardinal Dubois, son complice en réjouissance, fit convoquer les plus belles courtisanes qui se présentèrent en tenue champêtre et allégée. Le programme était charmant, dans la plus pure tradition des bacchanales romaines, assaisonné de musique baroque.

On y mangea fin et copieux. Les participantes, toutes de grâce et de nudité suggérée, ne se contentaient pas d’émoustiller les sens. Elles conversaient joyeusement. Au milieu de la soirée, le Régent s’écroula brutalement. La musique s’arrêta et la panique prit les participants dont un certain nombre s’éclipsèrent. Affolé, le Cardinal Dubois, déguisé en faune, envoya chercher de l’aide.

A terre, le Régent étouffait. Une des courtisanes, Phidéline, s’approcha. Elle le connaissait bien. Et, comme toute les professionnelles discrètes, elle avait déjà reçu ses confidences, celle d’un homme puissant et, finalement, désespéré.

« Monseigneur, tenez bon. Les médecins arrivent.

- Phidéline, ne partez pas, prenez-moi contre vous. Je me meurs. Ne me laissez pas seul.

- Respirez, Monseigneur.

- Merci. Je reprends souffle…

… Pensez-vous, que cela existe ce que racontent les prêtres : le jugement dernier et tout le reste?

- Oui, Monseigneur. J’en suis sûre. Et la Sainte Vierge nous accueille.

- N’avez-vous pas peur du jugement dernier, vous qui exercez ce métier?

- Monseigneur, j’ai peur. Oui…

… Mais j’ai bonne confiance que Dieu aura pitié de moi.

Monseigneur le Régent se souvint toujours de cette parole qui fit plus de bien à son âme inquiète que bien des prêches. Il ne mourut pas cette nuit. Il se remit vite et reprit, malgré l’alerte, sa vie d’épicurien. L’heure sonna pour lui subitement en 1723, la même année que son précepteur et complice, Dubois.

Il ne revit pas la prostituée Phidéline. Elle n’est pas restée dans l’histoire, du moins dans la grande histoire.

 

1740

Phidéline a 40 ans. Sa chevelure a perdu son éclat. Sa taille est devenue lourde. Depuis 24 ans qu’elle se prostitue, elle a mis de côté beaucoup d’or pour ses vieux jours. Elle s’est achetée une petite maison à Vaugirard. Elle a eu une fille, qui a aujourd’hui 17 ans et qui doit quitter le couvent des sœurs où elle reçoit la meilleure éducation chrétienne. Phidéline n’ira pas la chercher. Elle déléguera son parrain, un seigneur de ses jeunes années, assez noble d’âme pour ne s’être pas repenti de ce qui était humain dans ses mauvaises fréquentations de jeunesse.

 

1743

Phidéline ne reverra pas sa fille. Prise de crachat de sang, elle fera appeler le prêtre. Elle se confessera entièrement, pour la première fois depuis 23 ans. Elle lui racontera tout sans rien omettre : les orgies royales, son amour de l’argent et de la sécurité, son goût des plaisirs. Car Phidéline n’est pas une prostituée de la misère. C’est une grande courtisane. Et le prêtre, effrayé, lui dira :

- Ma fille, pourquoi vous confessez-vous si tard ?

- Mon père, je ne regrettais pas mes péchés. Je n’avais pas l’intention d’arrêter. J’aimais cette vie. Alors je ne pouvais pas m’en confesser, n’est-ce pas ?

- Vous voulez dire que vous ne vous confessez que parce que, à toute extrémité, vous savez que vous n’aurez plus l’occasion de pécher ?

- C’est vrai, mon père.

- Et si vous guérissiez, reprendriez-vous votre métier ?

- Je crois bien, mon père. J’aime le plaisir et j’ai peur de manquer d’argent.

- Hélas, ma fille, vous savez que je ne peux vous donner l’absolution. Vous n’avez pas de vraie contrition. Vous savez que vous n’avez pas d’excuse devant Dieu ? Ce n’est pas la misère qui vous a conduite à livrer vos talents au péché. C’est le goût du lucre. »

Phidéline mourut sans l’absolution. Mais le prêtre qui la confessa mourut la nuit même de sa mort.

 

Dans la mort

Ils arrivèrent ensemble au tribunal de Dieu. Et le Ciel les accueillit.

Alors se réalisa pour eux deux une parole de Jésus qu’ils connaissaient bien :

« Les hommes de Ninive se dresseront lors du Jugement avec cette génération et ils la condamneront, car ils se repentirent à la proclamation de Jonas, et il y a ici plus que Jonas! La reine du Midi se lèvera lors du Jugement avec cette génération et elle la condamnera, car elle vint des extrémités de la terre pour écouter la sagesse de Salomon, et il y a ici plus que Salomon! » (Matthieu 12, 39)

 

Phidéline

Phidéline vit apparaître une jeune femme qu’elle ne connaissait pas. Elle vit que ses mains étaient gercées par l’ouvrage et, dans un éclair, lui apparut sa vie : jeune veuve et mère d’un petit garçon, elle s’était usée à la tâche pour nourrir honnêtement sa famille.

Phidéline lui dit : « Madame, je ne sais pas qui vous êtes. Mais je vois votre vie. Votre présence me condamne. J’aurais pu faire autrement, je le confesse. Si vous voyez Jésus, intercédez pour moi auprès de lui. Car je ne vaux rien. Mais je ne veux pas aller en enfer. » Dans le regard de la dame, elle ne vit qu’encouragements.

Mais voici que, à côté de cette dame, elle reconnut soudain le Régent Philippe d’Orléans. Elle le vit tout différent de ce qu’il était à l’époque : il était comme brûlé de l’intérieur par le repentir. Il lui dit : « Phidéline, vous savez pourquoi j’ai été sauvé ? C’est à cause d’une phrase que vous m’avez dite. Lors de ma mort, Lucifer a réclamé mon âme et il a failli l’emporter. Je m’attendais à un enfer de flammes et voici qu’il me proposait un jardin de délices solitaires qui attirait tous mes vices. Mais je me suis souvenu de ma solitude et de votre bonté quand, alors que j’avais failli mourir, vous ne m’aviez pas abandonné. Alors j’ai appelé Marie comme vous me l’aviez dit et elle est venue tout de suite me chercher. Le Ciel a eu pitié de moi. »

Phidéline lui dit : « Monseigneur. J’ai peur que l’enfer ne m’attire. Je suis si égoïste. J’aime trop mon plaisir. »

- Ayez confiance, ma sœur : personne ne vous emmènera là où vous ne voudrez pas aller.

C’est alors que Lucifer vint pour revendiquer l’âme de Phidéline. Il lui apparut sous la forme de tout ce qu’elle désirait : il lui montra son égoïsme, sa luxure et les sept démons qu’elle avait servis toute sa vie. Et Phidéline disait à Lucifer, bien seule dans son combat: « Ce dont vous m’accusez est vrai. J’ai tout fait. Je le sais. Je l’ai toujours confessé à Marie. Mais je ne veux pas de votre monde. Je ne suis pas faite pour vivre sans amour. Je veux aimer Marie et Jésus.»

Et se tournant vers Le Régent Philippe, Phidéline disait dans son combat contre elle-même : « Marie ne viendra pas me chercher, moi ? Appelez-la pour moi, Monseigneur. »

- Elle est là, Phidéline. Elle a toujours été auprès de vous, dit Monseigneur.

Phidéline reconnut Marie sous les traits devenus lumineux de la dame aux mains gercées. Et spontanément, elle s’écria dans sa détresse : « Marie, je ne serai jamais digne de recevoir Jésus. Mais qu’il dise seulement une parole et je serai guérie. »

Elle entra au Ciel le jour même. Elle n’eut pas d’autre purgatoire que ses larmes de repentir et de joie face à l’apparition de Jésus.

 

Le prêtre

Le prêtre vit apparaître une jeune femme qu’il ne connaissait pas. Elle brillait de mille lumières comme une Reine. Et une pensée intérieure la lui fit reconnaître : c’était Marie Madeleine, la prostituée que Jésus sauva. Il vit toute sa vie, à nu devant lui : son goût pour les toilettes, les parfums de prix.

Le prêtre lui dit : « Madame, je comprends qui vous êtes. Je vois votre vie et tout le pardon que Jésus mon Sauveur vous a donné en vous pardonnant sans cesse. Votre présence me condamne. Je n’ai pas pardonné à la prostituée mourante. J’aurais pu faire autrement, je le confesse. Si vous voyez Jésus, intercédez pour moi auprès de lui. Car je ne vaux rien. Mais je ne veux pas aller en enfer. » Dans le regard de Marie-Madeleine, il ne vit qu’encouragements.

C’est alors que Lucifer vint pour revendiquer l’âme du prêtre. Il lui apparut sous la forme de tout ce qu’il désirait : il lui montra que son monde était celui des vertueux et que sa dureté serait appréciée. Lucifer admira sa facilité à juger et à condamner les moins vertueux que lui. Il lui déclara : « Vous êtes, monsieur l’Abbé, dans la ligne précise du monde de ceux qui se sont révoltés, pour l’honneur de Dieu, contre la faiblesse qu’il manifeste. » Et le prêtre disait à Lucifer: « Ce monde me plaît, je l’avoue. Mais j’ai vu aujourd’hui quelque chose que je ne connaissais pas : j’ai vu l’amour dans les yeux de Marie Madeleine. C’est cela mon monde. »

Alors ce prêtre, jadis si dur, calmement, se tourna vers Marie-Madeleine et lui dit : « Je suis prêtre. Toute ma vie, j’ai servi le Seigneur de l’amour… avec dureté. J’ai prêché l’amour de Dieu en condamnant les autres au nom de cet amour qui n’était compris par moi que comme une vertu rigide. Mais aujourd’hui, en un seul instant, j’ai compris plus que ne m’avaient appris toutes mes études. Aussi, parce que je me suis comporté avec dureté contre les autres, je désire aujourd’hui réparer. »

Et spontanément, il s’écria dans son désir de justice : « Jésus, un jour je serai digne de te recevoir. Je prendrai mon temps mais, tout le mal que j’ai fait aux autres, je le réparerai au quadruple. »

Et Jésus lui apparut, plein de joie, et lui dit: « Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette maison, parce que lui aussi est un fils d'Abraham. » (Luc 19, 9)

250 ans après, le prêtre n’est pas encore entré au Ciel. Spontanément et par amour, il se mit au purgatoire. Il est encore en train de travailler à être digne. Il entrera dans la lumière au moment où, découragé, il versera ses larmes d’incapacité et appellera l’apparition de Jésus. Il est souvent visité par Phidéline et par Marie Madeleine qui respectent sa droiture et attendent. Sa souffrance et sa soif sont terribles, plus grandes que tout ce qu’on peut imaginer sur terre.

« En vérité je vous le dis, disait Jésus, les publicains et les prostituées arrivent avant vous au Royaume de Dieu ». (Matthieu 21, 31)

 

 

9- LE RICHE DE LA PARABOLE

« Il y avait un homme riche qui se revêtait de pourpre et de lin fin et faisait chaque jour brillante chère. Et un pauvre, nommé Lazare, gisait près de son portail, tout couvert d'ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche... Bien plus, les chiens eux-mêmes venaient lécher ses ulcères. Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d'Abraham. Le riche aussi mourut, et on l'ensevelit. » (Luc 16, 19)

 

« Beaucoup pensent que c’est une « parabole », une histoire inventée par Jésus, mon Sauveur, pour illustrer la nécessité de faire le bien.

Non, j’existe bien. Je m’appelle Jacob Barmammon. Je vivais près d’Alexandrie, en Égypte, où une partie de notre peuple s’était réfugié depuis des siècles, suite aux invasions d’Israël. Dieu n’était pas encore venu sur terre. Nous étions une grande communauté, et beaucoup d’entre nous avions bien réussi dans la vie. J’étais dans la finance et je gérais un système de lettres de change qui permettait aux voyageurs de ne pas transporter d’or. Mes cinq frères avaient ouvert cinq comptoirs dans tout l’Empire grec et jusque dans la puissance montante, Rome. Notre système, appuyé sur notre grande dispersion, était simple. On nous confiait la somme, nous rédigions un reçu muni d’un cachet infalsifiable. Deux pour cent de la somme étaient retenus par moi et deux pour cent à l’arrivée du voyageur, par le frère qui le remboursait. A force de travail rigoureux et scrupuleusement fidèle à la lettre de mes contrats, j’étais devenu digne d’une absolue confiance. J’avais fait fortune. J’avais une propriété, bien située au bord du Nil, au sud de la grande ville où se trouvaient mes comptoirs. Ma vie était agréable dans la fraîcheur de ce magnifique pays d’eau. J’avais une belle maison et comme j’aimais en faire visiter l’arrangement, lorsque je recevais des amis. Et c’est vrai, mon épouse l’avait arrangée avec goût. Des paysans indigènes travaillaient pour moi. Ce peuple d’Égypte est doux mais très superstitieux.

 

Lazare Bar Elihu était l’un de mes serviteurs judéens. Bien qu’il fut le fils d’un serviteur de mon père, j’avais dû me montrer dur avec lui, car il était de caractère indolent. Tout petit déjà il était chétif et perdu dans ses pensées. Et puis il y avait eu ce vol d’un bijou de ma fille, une émeraude superbe en vue de son mariage. C’était un acte grave. Immédiatement averti, j’avais mis à l’arrêt toute la maisonnée et fait fouiller partout. On avait retrouvé la pierre sous la couche de Lazare. Sommé de s’expliquer, il ne répondit rien. Je m’étais alors montré miséricordieux. Loin de le livrer à la police, je l’avais simplement chassé. Ma fille m’en avait fait le reproche : « Es-tu sûr que c’est lui ? A-t-il avoué ? » Mais Lazare, incapable encore une fois de se prendre en main, au lieu de travailler, s’était installé à quelques mètres de la maison et avait commencé à mendier. Pour son bien, j’avais interdit aux gens de ma maison de lui donner quoi que ce soit, même pas les restes de la cuisine. Ne fallait-il pas qu’il se prenne en main ? Et il était resté dix ans allongé sur une natte. Un matin, nous l’avions retrouvé mort. Il était très maigre et couvert de puces. On lui a fait un enterrement religieux et le Rabbin pria pour son âme.

 

Moi, je suis mort deux ans plus tard, pendant mon sommeil. Une mort dont on rêve tous. Fous que nous sommes… Et nous rêvons d’une mort qui ne nous permet même pas de nous préparer. De cette mort douce et rapide, délivre mes frères, Seigneur.

Ce qui m’a étonné, c’est que tout ce que j’ai vécu ensuite ressemblait fort à ce que décrivaient les Égyptiens de ce pays. Ils connaissaient beaucoup de choses, en définitive. Mais tout était beaucoup plus lumineux, plus simple, et sans ces formes animales dont nous nous moquions tant, entre Juifs érudits.

J’ai donc senti la présence d’ Anubis, qui est comme une douce et calme pression. C’est lui qui m’a accueilli et rassuré. Mais Anubis n’est pas un dieu, ni un chacal. C’est un serviteur de Dieu, un ange gardien. J’ai bien vu que les Égyptiens ne se trompaient pas sur le point suivant : à l’heure de ma mort, mon (mon corps, comme en double, capable de voir et d’entendre avec une grande acuité) et mon Baï (mon esprit) étaient bien là, vivants et intacts. Ensuite, je suis bien entré dans un passage difficile que les Égyptiens appellent le fleuve-serpent Apophis, mais qui est plutôt un passage entre les deux mondes. J’ai vu s’approcher une grande lumière, ou plutôt un « Être » profondément lumineux. J’ai commencé à m’inquiéter à l’idée du jugement terrible dont parlaient les Égyptiens (il faut dire que ma conscience ne me laissait pas tout à fait en paix). Ma nourrice égyptienne me disait jadis qu’il y avait une épreuve de sept portiques que l’âme devait passer un à un en attestant de sa justice et en prononçant les noms des sept gardiens. Puis il fallait franchir dix pylônes et leurs dix dieux. Mais l’ange qui m’accompagnait m’a touché. Il m’a pacifié en disant, sans utiliser de mots : « N’aie pas peur. Tu ne trouveras là-haut que de l’amour et de la droiture. »

Et c’est alors que je suis entré dans le tribunal d’Osiris, en présence des dieux. C’est le lieu du jugement. Je pensais que mon cœur serait déposé sur la balance et pesé face à une plume de la déesse Maat, la droiture. C’est bien ce qui se passe, mais pas matériellement. Osiris est un des grands anges de Yahvé, un des sept qui se tiennent en sa présence. Il apparaît dans une grande lumière. Maat n’est pas une déesse mais la qualité du cœur qui règne dans les jardins d’Elihu (Le nom du paradis dans l’Égypte de mon époque) : droiture, mais aussi bonté comme la légèreté d’une plume. L’ange Osiris m’a pris sous ses ailes et j’ai commencé à regarder ma vie avec lui.

Et c’est là qu’est apparu Lazare. Il était devant moi, bien visible. Il ne m’a pas accusé. Et c’est cela qui fut terrible. Je ne souhaite à personne cette souffrance. S’il m’avait accusé, j’aurais moins souffert. Mais il était plein de tendresse. Et j’ai vu en un instant son âme, son innocence dans le vol dont je l’avais accusé, et toute la détresse de sa lente agonie sur sa natte. Il y avait une main tendue. Je pleurais beaucoup. J’allais lui prendre la main quand est apparu Seth.

Seth n’est pas simplement un dieu de couleur rouge, comme se le représentent les Égyptiens. Il est profondément rouge, c’est-à-dire qu’il a une dignité farouche, jusqu’au fond de son être. C’est un ange de lumière et de justice stricte. Il a parlé avec fermeté et a dit à l’ange de Dieu : « Je réclame cette âme. J’exige un entretien avec elle. » Et cela lui fut accordé.

Il m’a conduit à part et il m’a alors montré son esprit. Cela signifie qu’il m’a dit, sans utiliser de mots : « Chasse de ton esprit ce que racontent les Égyptiens sur la Dévorante (l’enfer). Mon monde n’est pas le désert aride qu’ils décrivent. C’est au contraire le paradis de la liberté. Chacun y est noble et libre. Et tu es fait pour ce monde. » Il m’a rassuré. Il m’a montré mon avenir futur, dans son jardin des délices. C’était merveilleux. Je m’étonnais de toute cette puissance qui se déploierait dans son monde. Je crois que je l’aurais suivi sans hésiter quand le Grand séraphin de Dieu, celui que j’appelais Osiris, me toucha et dit : « Tu seras seul. On est seul dans son monde car on n’a personne à aimer. Tu transformeras tout en désert aride. » Il m’a donné une parfaite lucidité sur l’enfer.

Seth m’a alors accusé : « Un peu de dignité, voyons ! Tu n’as pensé qu’à toi toute ta vie et maintenant que tu peux le faire librement, tu renoncerais à cette fermeté que tu as toujours eue ? » Et il m’a montré toute ma vie. J’étais effectivement comme sur le plateau d’une balance et mon cœur hésitait. Il penchait vers la liberté de tout le poids de ses péchés, et vers l’amour de tout le poids de ce qui était bon en lui.

Mais cela librement.

Lazare est intervenu : « Jacob, n’aie aucune crainte. Moi aussi je suis pécheur. Moi aussi j’ai été pardonné. Nous sommes tous pécheurs. Pas un n’y échappe ici. Regarde. » Et il m’a montré d’autres facettes de son cœur. Il m’a confessé ses péchés. J’ai vu que lui aussi avait été avare, ici ou là dans sa vie. Lui aussi avait menti, une fois ou une autre. Et ces péchés brillaient dans son âme comme des diamants car, s’étant montré repentant, il avait été pardonné. Alors il avait beaucoup aimé. Une telle humilité m’a fait fondre.

Alors j’ai écouté Lazare et le Grand ange de Dieu. Et, debout, j’ai dit au Seigneur, devant le tribunal entier: « Voici, Seigneur, je choisis ton pardon. Et comme je me suis comporté avec dureté toute ma vie, je m’engage aujourd’hui, devant témoins : j'ai extorqué beaucoup de choses aux autres durant ma vie. Je rendrai par mon travail et ma prière le quadruple. » En parlant ainsi, j’étais d’une lucidité absolue. Je n’avais plus aucune hésitation. Seth le comprit puisqu’il disparut dans un grand tumulte.

Aussitôt, il y a eu une grande joie dans le Ciel.

Et l’ange me dit: « Aujourd'hui le salut est arrivé pour cette âme, parce qu'elle aussi est un fils d'Abraham. » (Luc 19, 9).

Abraham est alors venu vers moi. Il m’a pris a part et m’a fait l’honneur de me confier un grand secret : « J’ai vu le jour du Seigneur et je m’en suis réjoui. C’est une grande nouvelle ! » Et il m’a expliqué. Et Seth n’a pas entendu : « Dieu veut un mariage avec nos âmes. Il va bientôt se faire homme et le raconter sur la terre d’une manière inouïe, digne de l’amour que tu as déjà entraperçu. »*

* Jean 8, 56. Éphésiens 3, 9 : « Ce Mystère a été tenu caché depuis les siècles en Dieu, le Créateur de toutes choses, pour que les Principautés et les Puissances célestes aient maintenant connaissance, par le moyen de l'Église, de la sagesse infinie en ressources déployée par Dieu. »

 

Abraham était simple, sans affectation. Il était enthousiaste. Puis il m’a dit : « Applique maintenant ton vœu. Nous t’accompagnons. Nous ne serons pas loin. »

Alors, fermement, je me suis éloigné, par amour pour Dieu, pour Lazare, pour Abraham, pour l’ange de Dieu et pour mes frères. Et je me suis retiré dans un lieu désert. Ce monde nouveau est immense et grandiose. Il est peuplé d’animaux et de verdure. Je me suis fait ermite dans une vallée lointaine.

La première période de dix minutes m’a paru durer un an. J’étais obsédé par le souvenir de cet ange magnifique. J’aurais tout donné pour le revoir. Il y avait en lui une telle tendresse. Mais non, il fallait que je tienne. Comment avais-je pu être aussi idiot sur la terre ? Comme j’aurais dû écouter ces paysans égyptiens, qui me paraissaient si primitifs avec leurs dieux multiples et animaux. Eux craignaient le jugement de Dieu et essayaient, pieusement, d’imiter l’amour fidèle de leurs dieux mythiques, Isis et Osiris. Et le Rabbin, à la synagogue. Pourquoi ne l’avais-je pas écouté, lui qui racontait la foi de nos pères, les héroïques prêtres Maccabées, dans le paradis, l’enfer et le purgatoire ? Je voulais vraiment me montrer digne d’Abraham et m’infliger une punition pour tous mes crimes. J’espérais devenir un jour digne de son amour.

Mais c’était trop dur. J’ai craqué. Je n’en étais pas fier mais j’ai appelé de toutes mes forces. « Abraham ! Abraham ! Pitié. C’est trop lourd. Envoie Lazare me visiter de sa douceur afin que j’aie un peu de cette grâce qui règne dans votre jardin, car je suis trop seul, j’ai trop besoin d’amour. »

Mais Abraham me répondit: « Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux; maintenant ici il est consolé, et toi, tu es tourmenté. Ce n'est pas tout: entre nous et vous un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient passer d'ici chez vous ne le puissent, et qu'on ne traverse pas non plus de là-bas chez nous. »

J’ai répondu alors : « Mon père, c’est juste. Et je souscris à cette justice. Merci de m’être ainsi apparu. Je reprends courage. J’ai dit que je rembourserai. Je dois devenir digne de vous. »

Puis j’ai ajouté :

« Je te prie donc, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j'ai cinq frères; qu'il leur porte son témoignage, de peur qu'ils ne viennent, eux aussi, dans ce lieu de la torture. »

Et Abraham me répondit: « Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu'ils les écoutent. »

« Non, père Abraham, mais si quelqu'un de chez les morts va les trouver, ils se repentiront. » Mais Abraham me répondit : « Du moment qu'ils n'écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si quelqu'un ressuscite d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus. »

Alors la vision d’Abraham a disparu. Et j’ai réfléchi à ses paroles. Je n’avais que cela à faire. Je me disais : « Ce qu’a dit mon père Abraham est juste. Combien de fois, à table, n’avais-je ri avec mes frères de mon ignorante nourrice égyptienne et de ses histoires de songes, de ses apparitions d’Anubis en costume de chacal, avertissant de se préparer à la rencontre avec Maat. Eh bien, les païens en savaient donc plus que nous ? » Il est clair que mes frères sont trop pris par leurs affaires pour comprendre. Mais je me rassurais : comme moi, ils sont plus occupés de leurs préjugés que vraiment mauvais. Et comme ils sont de grands pécheurs, s’ils acceptent de se repentir, ils seront beaucoup pardonnés.

Lazare est venu me visiter souvent. A chaque fois, il me redonnait courage. Il s’est toujours montré généreux avec moi et n’a pas agi comme moi lorsque je le voyais seul sur sa natte. Cette miséricorde m’a fait progresser plus que tous mes efforts. Et puis ma fille, morte à son tour, est venue me consoler.

Malgré cette grande soif de Dieu, j’ai toujours été profondément dans la joie. Je savais, de source sûre, que l’on viendrait un jour me délivrer. Et je n’ai pas été déçu.

 

J’étais dans mon ermitage de douleur depuis 122 ans. Le 14 d’un mois de Nissan, alors que sur terre un Romain du nom de Pontius Pilatus avait reçu un petit gouvernorat en Judée, un pauvre homme fut injustement exécuté, dans un grand cri et un grand abandon. Seth, autrement nommé Lucifer, menait cette tragédie. Or cet homme était Yahvé, mon Dieu tout puissant, Créateur du Ciel et de la terre, qui était venu visiter les habitants de la terre en vêtements de mendiant. Il y eut un tremblement de terre qui ouvrit une faille, un passage, entre le monde visible et le monde invisible, entre mon ermitage et Abraham. J’ai vu venir à moi un homme extraordinaire, encore tout pantelant de sa douleur. Il était si complètement brisé que j’ai dû me lever et le supporter.

Je lui ai dit : « Je t’attendais, Seigneur. Abraham m’avait dit que tu viendrais. Je ne suis pas digne. Je n’ai rien payé. Je resterai là à jamais, si tu le veux. »

Il m’a dit : « Moi aussi, je t’attendais, Jacob, Fils d’Abraham. Et tu es venu me consoler par ta prière. Tu ne m’as pas laissé seul sur ma croix. Je t’en remercie. »

La suite, il n’y a pas de mots pour l’expliquer.

 

Note de Jacob : « Chers amis, On s'ennuierait au paradis s'il n'y avait un secret : on y voit, FACE A FACE, Dieu lui-même, c'est à dire l'infinie Beauté, Bonté, Vérité. Et c'est tellement grand qu'il n'y a plus de désir. 

Cela ne veut pas dire qu'on dort, mais le contraire. Dieu est est si grand que, à chaque instant et éternellement, il est nouveau, plus merveilleux encore. Il adapte ses mille facettes à notre désir, comme une épouse chaque matin plus belle. Et on ne le quitte jamais. Les animaux, les planètes, le corps magnifique ne sont que des plus."

 

 

10- LE PHARISIEN QUI NE FUT PAS JUSTIFIÉ

"Deux hommes montèrent au Temple pour prier; l'un était Pharisien et l'autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers. Le publicain, se tenant à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant: Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis! Je vous le dis: ce dernier descendit chez lui justifié, l'autre non. Car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé." (Luc 18, 10).

 

« Monsieur, je suis allée voir l’enfer. Et j’ai été surprise. »

C’est ainsi que commençait la lettre de Jeanne. Elle m’était adressée et était ainsi libellée : « A monsieur le professeur de théologie catholique ». Le titre était flatteur.

La lettre continuait ainsi :

« J’y ai rencontré un pharisien. Voulez-vous connaître son histoire ? Téléphonez moi. »

Je vérifiais son adresse au dos de la lettre. C’était un timbre belge et la Wallonie est petite. Je pris donc rendez-vous et me rendit auprès d’elle.

Jeanne avait 87 ans. Elle demeurait depuis toujours dans cette pointe de Givet qui fait saillie entre la France et la Belgique. Je m’attendais à trouver une paysanne ridée. Je trouvais une femme vaillante, toute vive et pomponnée. Elle était petite de taille, mais extrêmement énergique. Et ce qui apparaissait immédiatement, c’était son sens de la provocation taquine. Elle n’avait, me semblait-il, peur de personne.

Je demandais donc à Jeanne de raconter son histoire. Et elle ne se fit pas prier.

« Vous m’avez crue ? Vous avez eu raison. J’ai vraiment vu l’enfer. Mais c’est tellement différent de ce que je croyais. »

« Racontez-moi. C’est intéressant quoi qu’il en soit. Je vous dirais si c’est conforme à la foi. »

« J’y suis allé par deux fois. C’est mon ange qui m’a conduit. Il m’a emporté dans le futur. Notre monde n’existait plus et la résurrection avait eu lieu. J’ai eu l’impression qu’il m’emmenait loin, à travers un monde immense et beaucoup plus lumineux que le nôtre. Partout, comme des étincelles, je voyais des milliers de saints qui circulaient ici ou là, seuls, deux par deux, ou en groupe traversant l’univers à la vitesse de leur pensée. Ils laissaient derrière eux un sillon de lumière et de joie.

Mais mon ange ne voulait pas que je m’attarde à contempler ce spectacle. Il m’a emmené plus loin, vers une galaxie gigantesque.

« Je dois vous faire rencontrer un damné, m’a-t-il dit. Voici son monde, sa galaxie. Je vous laisse seule voir cet homme. Ma présence n’est pas souhaitée. Et je respecte son désir. »

Le monde de ce damné était immense et magnifique : je devinais l’existence de millions d’étoiles, toutes plus belles et entourées de planètes. Mon ange m’a conduit vers une planète isolée, stérile et rouge. Et lui, je l’ai trouvé dans une caverne, au pied d’une montagne.

Assis, me tournant le dos, il était vêtu comme un prêtre.

Je me suis approchée tout doucement. J’étais intimidée.

« Bonjour, lui ai-je dis.

Il se retourna vers moi. Et je le regardais dans les yeux. C’était assez surprenant. J’y voyais de la dureté obstinée et calme.

- Vous venez pour savoir qui je suis. Je le sais. Dieu m’en a informé.

- Dieu ? Je pensais que vous étiez damné. Vous fréquentez tout de même Dieu ?

Je lui parlais ainsi pour le provoquer dès le départ. Je voulais voir ce qu’il avait dans le ventre. Et je n’ai pas été déçu. Il se montra tout de suite agacé.

- Dieu est partout. Il a tout créé. On ne peut le fuir.

- Comment se fait-il que vous habitiez dans cette caverne, comme une araignée. On m’a dit que tout ce monde était à vous ?

- Comme une araignée ! ? Vous vous moquez de moi ? (Là, il s’énerva vraiment).

- Écoutez. Je vois ce que je vois. Vous avez des soleils, des planètes, des jardins et vous vivez ici dans le noir.

- C’est la seule façon d’être tranquille. Vous les avez vu, tous ces « gnangnans ». Ils vont partout.

- Les « gnangnans » ? Vous voulez dire les saints de Dieu ?

- Ne me parlez jamais d’eux. C’est une honte. Ce sont des gens sans dignité. Ils se vautrent dans une joie sordide. Ils ne cessent de se rencontrer, de se montrer leurs plaies, de se dire pardonnés. Et ils vont partout. Ils visitent l’univers entier. Je ne peux supporter leur présence. Je les sens. Ils sont partout.

- Alors vous vous cachez pour ne pas les voir ? C’est donc que vous n’êtes pas libre. Dieu vous enferme en enfer ?

- Je ne suis pas en enfer ! L’enfer, c’était pour effrayer les gens de la terre. Il n’y a pas d’enfer. Je suis libre. Et Dieu respecte ma liberté. Vous en voulez la preuve : regardez ce corps magnifique qu’il m’a rendu au jour de ma résurrection. Il est immortel. Je peux me déplacer où je veux. Rien ne peut me blesser. Je n’ai plus besoin de manger. Vous croyez que Dieu aurait fait cela si j’étais en enfer ?

- Bon, d’accord. Mais vous n’êtes pas vraiment épanoui ?

- Partez ! Je ne veux plus vous voir. Vous êtes venue pour me tourmenter. Dites à Dieu que je n’ai besoin de personne. Je suis très bien tout seul. »

 

« Je me suis réveillée. J’étais dans mon lit. Ce n’était pas un rêve. C’était réel. J’ai beaucoup réfléchi à cette expérience. Je me suis dit que, si mon ange venait me rechercher, il faudrait que je me montre plus respectueuse envers ce damné. Inutile de l’énerver. Vous savez, j’ai un tempérament un peu provocateur.

J’ai demandé : « Vous n’avez pas eu peur ?

- J’ai en mémoire la vision de son corps. Il est lumineux. C’est un corps magnifique et pitoyable. Magnifique car il respire la puissance et l’immortalité. Pitoyable parce qu’on peut voir son âme sans barrière. C’est un homme dur, obstiné.

- Et vous y êtes retournée ?

- Deux mois plus tard. Mon ange est revenu. Et j’ai accompli le même voyage. J’ai vu que le lieu de l’enfer et du paradis était le même univers. J’ai retrouvé mon damné. Il n’avait pas bougé. Et il m’a dit :

« Le plus simple est que nous allions droit au but. Vous voulez savoir qui j’étais et pourquoi j’ai opté pour ma liberté ?

Je me suis abstenu de l’interrompre.

« Je suis un des meilleurs théologiens juifs de mon époque. J’ai été circoncis dès le huitième jour. Je suis de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d'Hébreux; quant à la Loi, je suis un Pharisien; quant à la justice, je fus un homme irréprochable. »

Je n’ai pas pu m’empêcher de l’interrompre :

« Vous êtes comme saint Paul, en quelque sorte ? (Philippiens 3, 5) » Et je me suis mordu la lèvre.

Et puis je me suis lancé.

- Écoutez. Si vous devez me chasser à chaque fois que j’ouvre la bouche, autant le faire tout de suite. Mais soyons lucide : si Dieu m’a choisie pour vous interviewer, c’est qu’il doit avoir ses raisons. Sinon il aurait pris une personne moins bavarde que moi. A vous de faire un effort. »

- Ça va ! Ça va ! On fera avec vous. De toute façon, je n’ai pas le choix. Je vous demande une seule chose : ne me parlez jamais, jamais, JAMAIS, de la Reine. C’est tout.

- Promis ! ai-je aussitôt répondu, trop contente d’avoir détourné son attention de saint Paul. J’avais bien compris que la reine, ça ne pouvait être que Marie. C’est b-a- ba du catéchisme. Je me suis dit que lorsque j’aurais fini l’entretien, j’essayerais tout de même de placer une petite question indirecte sur Marie. Ce serait intéressant de voir la réaction.

- Si j’ai accepté de vous parler, c’est pour que l’on connaisse la raison de mon choix. La terre doit savoir qui nous sommes et sortir de sa vision puérile de notre choix. Moi, j’ai toujours servi Dieu. Il nous avait donné une Loi, par l’intermédiaire de Moïse. Alors je l’ai suivie, à la lettre. J’ai passé ma vie à me conformer jusqu’au moindre détail aux prescriptions. Et j’y suis arrivé. J’aime cet ordre de la Loi. Chaque chose y est réglée dans le moindre détail. Mais attention, ne me prenez pas pour un rigoriste stupide. J’ai au contraire été un excellent théologien. J’ai défendu le concept de la résurrection des morts, suivant en cela mes ancêtres de la famille Maccabées. Et vous le voyez, ce n’était pas vain. Je suis la preuve vivante que j’avais raison.

- Donc vous êtes un serviteur de Dieu.

- Vous le reconnaissez vous-même. Personne ne peut le nier.

- Dans ce cas, pourquoi êtes-vous révolté contre Dieu ?

- Nous ne sommes pas révolté contre Dieu. Personne ne peut se révolter contre lui. Ce n’est pas lui, le problème, c’est son projet. Il a complètement perdu la tête. Il est entré en totale contradiction avec lui-même. N’est-ce pas lui qui nous a donné la Loi de Moïse ?

- Oui, et alors ?

- Alors la Loi de Moïse était simple. Elle enseigne avec précision la nécessité de la vertu. Si une femme commet l’adultère, elle doit être mise à mort. C’est une question de dignité de l’humanité et de chemin vers sa perfection. Et puis, tout d’un coup, Dieu s’est mis à enseigner l’inverse. C’est comme s’il s’était repenti de ses propres enseignements. Il y a eu ce Jésus, qui est venu prêcher…

- Vous avez connu Jésus ?

- Vous voulez savoir ? J’ai même voté sa mort. J’étais là quand il retournait les paroles de Dieu à son profit. On lui avait emmené une femme adultère. Il a joué sur la sensibilité du peuple.

- Il a dit : « Que celui qui n’a jamais péché lance la première pierre ». Vous n’avez pas lancé la première pierre ? Pourtant, vous auriez pu. Vous étiez fidèle à la Loi de Moïse. Vous n’aviez donc jamais péché…

- Où voulez-vous en venir ? Vous sous-entendez que j’ai commis l’adultère ? Et que c’est pour cela que je n’ai pas lancé ma pierre ? Ce n’est absolument pas le problème. Il fallait lancer les pierres mais c’était impossible. Le peuple soutenait Jésus. C’est juste une question de justice, de droiture, d’honneur…

- Je sens que vous changez de sujet. Vous n’avez pas lancé la première pierre. Alors adultère ? pas adult…

- Cessez immédiatement vos insinuations. Partez ! Allez-vous-en !

- Ça va ! Ça va. J’arrête. Mais dites-moi. Si vous avez voté la mort de Jésus, c’est que vous n’avez-vous pas vu ses grands miracles ?

- Ses miracles ne pouvaient pas venir de Dieu. C’était impossible. Il enseignait l’inverse de la Loi de Moïse.

- Mais maintenant, vous voyez bien que Jésus venait vraiment de Dieu.

- C’est impossible. Jamais ! Il ne peut pas venir de Dieu. C’est nécessairement un imposteur.

- Mais enfin, vous voyez bien qu’il a le pouvoir sur ce monde. Ça ne vient pas de Dieu ?

- C’est rationnellement impossible. Il est évident que Dieu s’est fait piéger. Et c’est la raison de notre révolte. Et nous sommes nombreux. Nous sommes puissants. Nous ne céderons jamais. Dieu comprendra. Il nous fera justice. Il reconnaîtra un jour que nous sommes les vrais serviteurs de sa Puissance, de sa dignité de Créateur.

- Mais vous avez tout de même vu Jésus dans sa gloire ? Vous l’avez vu à l’heure de votre mort, et à la fin du monde, et avec tous les saints. Et avec la Vierge Marie !

- Jamais ! Jamais je ne cèderai ! Ce sont des menteurs. Non il n’est pas Dieu. Il est fou. Il a donné la royauté sur le monde à la plus misérable des créatures. Partez ! Ne revenez jamais. Je le savais ! Vous étiez venu pour me tourmenter.

 

Je me suis réveillée. J’étais dans ma chambre. J’en tremble encore : cette colère, je devrais dire cette rage. Jamais je n’ai vu tant de haine et d’impuissance, mais aussi tant de détermination.

- Mais alors cet homme n’est pas dans un four de feu ? ai-je demandé à Jeanne.

- Je crois que si. Et c’est plus profond et douloureux encore que je l’imaginais. Cela touche son être même.

- Il finira bien par céder et par admettre son échec ?

- Je crois qu’il admet son échec. Il n’est pas fou. Mais jamais il n’admettra que Dieu donne la royauté aux humbles. Il est trop lucide. Au fait, vous ne me demandez pas s’il avait commis l’adultère ?

- Oui c’est vrai. Il l’a commis l’adultère, selon vous ?

- J’ai vu son âme. Son corps ne cache pas ses vraies pensées, ni son passé. Cet homme n’a jamais commis l’adultère, du moins physiquement. Mais il n’a cessé de le faire secrètement dans ses pensées et dans l’obscurité de sa chambre. Il n’a jamais touché une autre femme que la sienne et pourtant son esprit était plein d’idées impures. Et j’ai vu que lorsqu’il a vu la vraie nature de son âme à l’heure de sa mort, il a refusé d’admettre qu’il était un pauvre pécheur comme les autres. Toute sa vie, il s’était construit autours de la certitude suivante : « Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j'acquiers. »

 

 

11- AMELIA, AU PURGATOIRE JUSQU’À LA FIN DU MONDE

(Apparition de Fatima, Portugal, 1917) : Lucie demanda à la Vierge Marie des nouvelles au sujet de deux jeunes filles mortes depuis peu: Maria, 16 ans, et Amelia, 19 ans, qui allaient chez elle apprendre à tisser: - Est-ce que Maria est déjà au Ciel ?- Oui, elle y est. - Et Amélia?- Elle sera au Purgatoire jusqu'à la fin du monde.

 

Je suis souvent allé revoir Jeanne depuis cette fascinante première rencontre sur l’enfer. Je lui ai parlé un jour de ce message intrigant de la Vierge de Fatima sur Amelia. Je l’avais lu plus jeune et j’avais en tête l’idée que c’était une petite fille morte à l’âge de 10 ans. Mais Jeanne a aussitôt démenti. « Monsieur, elle n’est pas morte à 10 ans mais à 19 ans. Mais cela ne change rien. Il y a des enfants au purgatoire et de nombreux enfants. »

Surpris, je lui ai demandé comment elle le savait et si elle fréquentait tous les soirs l’au-delà. Elle m’a dit : « Apparemment, comme vous êtes un théologien, vous mettez du temps à comprendre. Alors la Sainte Vierge vous fait gagner du temps en m’emmenant voir de mes propres yeux pour vous. Ne vous en plaignez pas. C’est plutôt sympathique de sa part. »

Un peu froissé par ce dernier trait, j’ai ravalé mon honneur intellectuel pour de rigoureuses et exclusives raisons de curiosité. Je me suis dit que de toute façon Jeanne parlait avec cette même vigueur et sans mettre de gants aux damnés eux-mêmes…

 

Je lui ai donc demandé si elle avait rencontré Amelia.

- Mon ange voyageur est venu m’en parler hier soir, à cause de votre visite. Il m’a proposé de m’emmener la voir. J’ai sauté sur l’occasion.

- Vous avez bien fait.

- Seulement mon ange m’a dit que, après mon entretien avec Amelia, il fallait qu’il m’explique des choses sur elle. Car, si elle est au purgatoire, c’est qu’elle n’arrive pas à comprendre certaines choses concernant sa propre âme.

 

J’ai alors voulu mettre mon grain de sel :

- « Elle n’arrive pas à comprendre certaines choses concernant sa propre âme ? » ai-je dit. Pourtant sainte Catherine de Gênes (Traité du purgatoire) dit en théologie que les âmes du purgatoire sont saintes, bien plus que nous, qu’elles aiment tellement et de tout leur cœur qu’elles ne peuvent aimer davantage.

- C’est très vrai, a répondu Jeanne. Et pourtant elles sont dures de la comprenette sur certains points… Vous verrez... Patientez un peu. Donc je me suis retrouvé auprès d’elle. Elle vit sur une colline ensoleillée qui ressemble beaucoup à la campagne portugaise. C’est elle qui s’est créé son petit lieu de séjour, en fonction de ses nostalgies. C’est un vrai paradis, plein de fleurs et d’animaux. Elle s’est entourée de tout un monde de moutons, de loups, de souris... Elle voit la mer depuis son domaine.

- Quel drôle de purgatoire ? C’est plutôt un paradis…

- Non, c’est un lieu de grande souffrance. Je l’ai senti en m’approchant : il règne sur cette colline un climat de tristesse à en mourir. Et les animaux vont et viennent auprès d’elle. Ils sont tristes et abattus. Ils entourent leur maîtresse de leur pauvre présence et essayent de l’égayer. Mais rien n’y peut.

- Cela fait un peu Blanche Neige et les animaux de la forêt, votre description ?

- C’est exactement cela. On dirait que les textes bibliques sont réalisés (Isaïe 65, 25) : « Le loup et l'agnelet paîtront ensemble, le lion comme le boeuf mangera de la paille, et le serpent se nourrira de poussière. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute ma montagne sainte, dit Yahvé. »

 

Animaux ?

Je n’ai pas montré à Jeanne mon air dubitatif. Je me disais que ces textes étaient symboliques et que seuls les témoins de Jéhovah attendaient un tel paradis au sens littéral. Elle m’a interrompu : « Vous êtes sensé exprimer toutes vos objections. Moi je l’ai fait avec le damné. Si vous avez été choisi pour m’écouter, c’est que ces objections seront celles de ceux qui entendront parler de cette histoire. »

L’agressivité feinte de Jeanne m’a complètement détendu. C’était dit avec un tel air de taquinerie que je me suis dis : « Allons-y. Je lui bousille sa théorie. » J’ai donc pris toute ma théologie : « Les animaux n’ont pas d’esprit. Comment peuvent-ils être vivant de l’autre côté ? Saint Thomas d’Aquin montre qu’ils n’aspirent pas à l’éternité… »

- Il faut croire que Dieu leur réserve une place, lui qui compte les plumes des passereaux (Matthieu 10, 29), une place qui leur est adaptée. Je les ai vu, bien vivant et très beaux. Ils restent des animaux. Ils n’ont aucune vie spirituelle mais ils ressentent joie et tristesse en fonction de la joie ou de la tristesse de ceux qu’ils entourent.

- Mais comment peuvent-ils survivre ? Leur corps est mort ?

- Leur corps charnel est mort, mais pas leur être. Ce sont des « fantômes d’animaux », des fantômes qui n’ont plus besoin de se nourrir et de s’entredévorer. Mais ils sont bien vivants et beaucoup plus heureux que sur terre. Vous pensiez donc que Dieu ne les récompenserait pas, eux que nous dévorons tous les jours à table en sauce ? »

Je n’ai plus rien répondu sur ce point. Je me suis dit que j’avais beaucoup de choses à apprendre. Qu’il faudrait un jour qu’elle me parle des animaux et des plantes du Ciel. La dernière fois que j’avais entendu parlé de « fantômes d’animaux », c’était dans des livres d’ethnologie sur les chasseurs-cueilleurs préhistoriques...

 

Seule

- Comment est Amelia, alors ?

- C’est une jeune fille merveilleuse. Elle a le même caractère que moi ! C’est une battante. Elle ne renonce jamais. Dire qu’elle n’a que 20 ans de plus que moi ! Si elle avait vécu, elle aurait pu être ma mère… Mais là-haut, nous sommes devenues instantanément copines. Cette différence d’âge biologique est complètement étrangère à l’autre monde. On a l’âge de son âme. Je pourrais être son arrière-grand-mère… Et puis nous avons eu la plus belle, la plus profonde des conversations qui a fait de nous deux amies.

- Que fait-elle de ses journées ?

- Je lui ai demandé. Elle m’a dit : J’aspire après Dieu.

- C’est-à-dire ?

- Dieu Lui manque. Elle brûle de fièvre et de désirs pour Lui. Ma visite l’a réconfortée. Elle est seule. Tout son purgatoire se résume à cela : seule…

- Quoi ? C’est une grande mystique et elle n’est pas au paradis ? Comment fait-on pour être sauvé alors ? C’est effrayant… Moi, outre les nuits de sommeil, je passe bien 30% de ma journée devant la télévision et je n’aspire pas tant que cela et à chaque moment à Dieu. J’irai en enfer, à ce prix là…

 

Je me souvenais de cette même interrogation posée par les disciples à Jésus (Matthieu 19, 25) : « Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits: "Qui donc peut être sauvé?" Disaient-ils. Fixant son regard, Jésus leur dit: "Pour les hommes c'est impossible, mais pour Dieu tout est possible. »

Jeanne me répondit :

- Elle veut plaire à Dieu et aux habitants du Ciel. Elle veut se rendre belle et digne de lui. Ce travail lui prend TOUTE son énergie. Mais ce n’est possible que là-haut. Il ne faut pas comparer avec nos efforts d’ici-bas. Là haut, on peut penser sans effort et à chaque instant à Dieu. Ici-bas, c’est impossible. Il suffit de vivre de manière habituelle avec l’idée de sa venue proche…

- Mais elle doit se promener, s’occuper avec les animaux.

- Les pauvres animaux la voient bien dans sa perpétuelle tristesse. Et ne peuvent qu’attendre auprès d’elle les moments de calme.

- Elle doit recevoir des visites ?

- Souvent. Elle n’est pas abandonnée. Et c’est la Vierge qui vient le plus la voir ou qui délègue sa maman de la terre dont elle était très proche. Mais elle ne doit pas être visitée trop souvent. Sinon sa purification n’avance pas…

- Et pourquoi est-elle au purgatoire ?

- Elle m’a raconté sa vie. Elle m’a montré tous ses péchés. L’un des plus gros, elle l’a commis à 8 ans : Sa sœur et elle avaient reçu en cadeau deux belles poupées, absolument identiques. Or elle cassa un soir la sienne. Elle cacha soigneusement l’accident, attendit la nuit, s’approcha tout doucement du lit de sa sœur et échangea les poupées. Le lendemain, la petite sœur pleurait beaucoup. Et elle la consolait en lui disant : « Ce n’est pas grave. Papa la réparera. » Elle n’a jamais avoué son péché, ni à sa sœur, ni à un prêtre. »

J’étais très gêné. J’avais en tête des souvenirs exactement analogues de mon enfance et même à un âge un peu plus avancé… Aussi je demandais à Jeanne :

« Mais elle s’est nécessairement repentie de son péché. Elle est pardonnée. La preuve, elle est pleine d’amour.

- Oui, elle s’en est confessée avec une très grande vérité et un repentir parfait à l’heure de sa mort, et directement au Christ, à Marie, au Ciel entier, droit dans les yeux.

- Alors si elle s’était confessée à un prêtre avant sa mort, serait-elle tout de même au purgatoire ?

- Elle m’a dit que oui. Ce n’est pas pour ce péché qu’elle est au purgatoire, c’est pour un péché plus caché qu’elle ne comprend pas encore et que je n’ai pas compris non plus. Moi, je la trouvais parfaite et sainte. Si j’avais été Dieu, je l’aurais prise tout de suite avec moi au paradis. (En plus elle est très amusante. On ne s’ennuie pas un instant avec elle !)

- Ma pauvre Jeanne. On est mal parti tous les deux. J’ai bien l’impression qu’on va tout droit au purgatoire. Sinon nous comprendrions ce qui ne va pas en elle… Vous avez une idée de ce qui ne plait pas à Dieu en elle ?

- A ce moment là, je n’en avais aucune. Alors j’ai passé le reste de mon séjour à lui raconter ma propre vie. Je l’ai beaucoup fait rire avec mes péchés : je suis dépressive, je bois et je fume trop.

- Vous êtes dépressive, Jeanne ? Vous buvez à 87 ans ? C’est mal cela, ai-je dit, un sourcil froncé.

- Et oui. Ça n’apparaît pas, n’est ce pas ? Et puis il a bien fallu la quitter. Mon ange est venu me chercher. (Je l’ai rebaptisé « Angelic Airbus Compagnie » en l’honneur de l’Airbus A 380 qui est sorti cette année).

 

Humilité

Alors qu’il me reconduisait dans mon lit, je lui ai demandé de rester un instant.

- J’ai une question à te poser. Pourquoi est-elle au purgatoire jusqu’à la fin du monde ? C’est tout de même un peu gênant pour Dieu ? Cette histoire de poupée est un peu légère pour une telle peine. Moi j’ai fait pire dans ma jeunesse. Je me suis battue plusieurs fois avec une copine que je l’ai réduite à néant en la tirant cruellement par ses longs cheveux blonds. Et je ne m’en suis jamais confessée. Je ne le regrette même pas, 75 ans après… Elle se prenait pour une star américaine…

- Mon enfant, m’a dit mon ange. Pour aller au Ciel, il ne suffit pas d’aimer de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force. Cela, tous ceux qui arrivent dans la mort et ne rejettent pas le Christ le font, sans effort. Ils tombent amoureux de lui d’un coup ou ils le rejettent d’un coup pour toujours.

Je l’ai alors interrompu :

- J’ai compris. C’est à cause de ce texte (Matthieu 5, 25) : « Hâte-toi de t'accorder avec ton adversaire, tant que tu es encore avec lui sur le chemin, de peur que l'adversaire ne te livre au juge, et le juge au garde, et qu'on ne te jette en prison. En vérité, je te le dis: tu ne sortiras pas de là, que tu n'aies rendu jusqu'au dernier sou. » Elle paye sa dette de peine car elle ne s’est pas confessé à sa sœur durant sa vie...

- Mon enfant. Crois-tu qu’elle serait au purgatoire jusqu’à la fin du monde pour ce péché, s’il fallait juste le payer ? Sa sœur est morte et au Ciel depuis longtemps. Cela fait 50 ans qu’elle sait pour la poupée. Elle avait d’ailleurs complètement oublié cette histoire depuis longtemps. Elle a été la première surprise quand Amelia lui en a demandé pardon, à l’heure de sa mort…

- Alors je ne comprends pas…

- Mon enfant : C’est qu’Amelia est morte fière. C’est une bonne fierté, une fierté naturelle. Elle est partie jeune, en pleine force de l’âge. Elle est morte d’un coup, sans souffrir. Alors elle n’a pas pu apprendre, goutte après goutte tout au long de ces années qu’on n’aime pas, ces années où on vieillit, où son énergie se tasse, où les amis se font rares… elle n’a pas appris l’humilité

- Quoi ? Mais elle est depuis plus de 80 ans avec des animaux, toute seule ? Elle a du la comprendre l’humilité ?

- Amelia a besoin de plus de temps. Elle n’arrive pas à entrer dans la mort totale à elle-même. Il faut donc que le désespoir vienne la frapper. Mais, avec son tempérament, cela prendra un peu plus de temps que les autres : C’est une battante. Chaque fois qu’elle est au bord du découragement, elle se relève et dit, avec son intarissable joie de vivre : « Mon Dieu. Je t’aime. Un jour je serai digne de toi. »

- Je n’y comprends rien. Il faut donc qu’elle devienne une loque ?

- Jeanne. Pas une loque : une pauvre. Il faut qu’elle soit comme le Christ, réduite à son néant. Amelia est un chameau. Et vous vous rappelez ce que Jésus dit des chameaux (Matthieu 19, 24) : « Oui, je vous le répète, il est plus facile à un chameau de passer par un trou d'aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume des Cieux."

 

J’ai dit à Jeanne : Bon, on est mal partis : Nous, catholiques pratiquants, nous comprenons que Dieu est amour. Mais je crois que nous avons du mal à comprendre que Dieu est amour jusqu’à la mort et à la mort sur une croix… bref, que du cœur du Christ, il ne sort pas que du sang (de l’amour) mais du sang et de l’eau (de l’humilité)…

- Oui, apparemment c’est ça le problème, m’a répondu Jeanne.

 

Et nous nous sommes servis un petit whisky…

- ... C’est inquiétant tout cela, a continué Jeanne. Alors j’ai demandé à mon ange comment il fallait faire pour ne pas passer cinq ou dix siècles au purgatoire après la mort.

- Il m’a dit : il faut humblement, demander à Dieu de faire son purgatoire ici-bas. Humblement, car cela ne sert à rien de s’imposer à soi-même des souffrances en espérant en devenir humbles. Quand par malheur on y arrive, cela provoque l’effet inverse. Ça rend encore plus fier… Vous vous rappelez le pharisien…

- Je vais le faire tout de suite, ai-je aussitôt dit à mon ange.

- Attendez : vous savez, quand Dieu nous exauce sur ce point, ce n’est pas forcement moins long et moins difficile, du moins psychologiquement… On va directement au Ciel dès qu’on est devenu sans aucune sorte d’illusion sur soi, sur sa misère. Et c’est une conviction qui ne s’apprend que par l’expérience.

- Quelle expérience faut-il, ai-je demandé à mon ange.

- L’expérience de sa misère, jusqu’à l’absolu. Et il y a beaucoup de voies pour cela :

La plus belle est la voie de Marie : elle était pure et déjà humble. Mais elle a été anéantie par la mort de son fils ;

Mais il y a aussi la voie de Marie-Madeleine, celle des pécheurs, qui était prostituée et a su très tôt qu’elle ne mériterait rien ;

Il y a la voie des athées qui meurent dans le désespoir et sans attendre aucun salut. C’est pour cela que Jésus se cache en ce moment au monde.

Il y a voie des longues maladies qui, instant à après instant, nous plongent dans notre néant…

 

Mais surtout, m’a-t-il dit : il ne faut pas prendre les purgatoires mystiques du Ciel comme un déshonneur. Amelia a juste pris la voie des chameaux. Et ce n’est pas de sa faute. C’est juste parce que Dieu est venu l’enlever de la terre très tôt. A la fin du monde, nous nous retrouverons tous, tout humbles et tout amour, et personne n’aura envie de dire à son frère en misères: mon chemin fut meilleur et plus rapide que le tien…

 

Avec Jeanne, nous avons repris un deuxième whisky…

 

Indulgence plénière

Et j’ai eu soudain une idée :

« L’indulgence plénière, Jeanne… Mais oui, c’est la solution pour Amelia : « L’Église prend dans les trésors du Christ qu’elle applique aux âmes du purgatoire pour les délivrer de leurs dettes de peine pour leurs péchés. Aussitôt elles en sont délivrées. »

- Hélas, j’y ai pensé. Et j’ai posé la question à mon ange. Il m’a répondu :

- Depuis que la Vierge Marie a dit au monde qu’Amelia serait au purgatoire jusqu’à la fin du monde, elle a été bombardée depuis la terre de milliers de prières et de sacrifices. Et en ce qui concerne « les dettes de peine », c’est fait. Et elle le sait bien, Amelia. Mais pour ce qui est de l’humilité, il n’y a rien à faire. Il faut qu’elle comprenne toute seule… Et elle a la tête dure. Quand elle entrera au Ciel, elle sera la sainte de la force de caractère !

 

 

 

12- ANDRÉ ET LE PURGATOIRE DE LA TERRE (Lorsque Dieu tente pour sauver).

 

« Et ne nous soumets pas à la tentation. »

 

Cette histoire montre comment il n’est pas prudent pour nous de juger de l’échec ou de la réussite d’une vie. Les critères de Dieu et de ses anges ne sont pas les nôtres.

 

André fut un petit enfant sur le berceau duquel les fées se penchèrent. Il reçut tous les talents : beauté, intelligence, succès. 50 ans plus tard, il était devenu un chercheur connu. Élu maire de sa ville, il était l’heureux époux d’une belle femme et le père de trois filles.

 

L’ange de Dieu, chargé de garder André depuis sa conception et de le conduire vers la vie éternelle, observait la vie de son protégé. Il n’était pas du tout content. Il n’y voyait que vanité et certitude imbue de lui-même. Ce petit garçon de 50 ans promenait son existence avec l’arrogance de celui à qui rien ne résiste. De plus, gâté par la vie, il poussait l’inconséquence jusqu’à s’ennuyer. « Ma femme est gentille et souriante, gentille et souriante, gentille et souriante… » disait-il avec ce ton blasé qui ne trompe pas. Bref, André ne voyait même plus le trésor que la vie avait mis sur son chemin. Tout cet orgueil accumulé inquiétait l’ange : « Cet enfant se dirige droit vers l’enfer. »

C’est pourquoi, lorsque la cinquantième année d’André commença, le Ciel décida qu’il était temps de le sauver. Et pour le faire, il déploya un moyen qu’on ne peut comprendre qu’en fonction de l’importance de l’enjeu, à savoir la vie ou la mort éternelle : Il le soumit à la tentation.

 

Première étape

Le piège que l’ange ouvrit sous les pieds d’André était classique. Dans son laboratoire de recherche, André remarqua vite une nouvelle laborantine : 35 ans (plus jeune que sa femme donc) et toute en admiration pour le chercheur qui dirigeait le service. Elle n’était pas plus belle que l’épouse d’André. Son avantage était ailleurs : elle n’était pas son épouse. Et c’est ainsi que, insensiblement, la force tranquille d’André et l’admiration féminine de la laborantine créèrent l’imparable alchimie. André se sentit de nouveau vivant.

 

Étant un homme pratique, il avoua très vite à sa femme son aventure. Puis il organisa son divorce, veillant par la même occasion à mettre les torts sur cette épouse incapable qui, effectivement, manifesta une surprise et un abattement total. Elle ne se défendit pas. Certes, il ne put empêcher que ses filles se détournent de lui avec colère et prennent parti pour leur mère. C’était un accroc dans sa cuirasse d’honorabilité. Mais peu importait : sa nouvelle jeunesse le stimulait.

André redoubla alors d’énergie. Il géra de front son travail, sa charge de maire et l’organisation de son nouveau foyer.

 

Deuxième étape

Un an passa. Et le temps révèle infailliblement les âmes.

D’abord, la femme d’André, « cette ménagère » selon son opinion, fut source pour lui d’une certaine surprise. Contre toute attente, elle se remaria, et très rapidement, avec un médecin, lui-même divorcé. Ils recomposèrent une famille de cinq enfants. Et ils s’installèrent dans un magnifique pavillon. André ne le confia à personne, mais cela fut pour lui objet d’une certaine humiliation. Cela suscita aussi en lui une interrogation : « Était-il passé à côté de quelque chose ? »

 

Troisième étape

Un an passa encore. Et le temps est l’ennemi de l’apparence.

Sa nouvelle épouse se montra différente de ce qu’il imaginait. Dès le temps de l’admiration passé, elle se montra de plus en plus exigeante. Et lui suivait. Autant il se montrait dominateur avec son ancienne épouse, autant il se montrait soumis avec la nouvelle. Or, plus il se montrait gentil et attentionné, plus elle semblait ressentir du mépris. Elle ne l’admirait plus…

La laborantine le quitta du jour au lendemain. Il rentra le soir dans la maison, cette maison où il avait élevé ses trois filles, et qu’il avait arrachée à sa femme à travers un divorce brillamment organisé. Et il s’y retrouva seul. Elle n’avait rien laissé de ses affaires personnelles, pas même les albums de photos de leur courte idylle.

 

Quatrième étape

Un an passa encore. Et le temps révèle les vanités. Les choses se surent vite. La laborantine se chargea d’ébruiter ses travers, son caractère petit bourgeois, son égoïsme. André ne laissa rien paraître. Mais il était intérieurement ravagé. Elle lui avait arraché le cœur (car André l’aimait. Il ne faut pas le nier) et, plus encore que le cœur, ce bien qu’il possédait depuis toujours et dont il ne découvrait qu’aujourd’hui l’importance (on ne voit souvent que ce qu’on a perdu) : sa réputation. En deux ans, il avait détruit sa famille et s’était fait jeter comme un malpropre. Il n’essaya même pas de contacter son ancienne épouse. C’était une question de fierté. Et il s’étourdit encore davantage dans ses activités. Il sentait les chuchotements derrière lui, mais personne ne lui parla de rien.

André ne laissait toujours rien paraître, mais sa décision était prise. L’honneur et l’amour n’existant plus, la vie n’avait plus de sens. Il écrivit un testament dans lequel il demandait à son ex-femme de ne pas venir à ses funérailles. C’était une vengeance ultime et bien mesquine qui montrait le niveau de ruine de son esprit. Il se vengeait car elle était heureuse, et lui malheureux...

On retrouva le corps d’André dans sa maison, si parfaitement mort qu’il ne fut rien tenté pour le réanimer. Il était chimiste. Il prépara sa fin avec un soin qui ne laissait aucun espoir de survie. La nouvelle frappa la ville de stupeur. Son enterrement fut très suivi, chacun méditant à son destin. En ville, dans ses habituels cancans, il y eut le parti de ceux qui prenaient la défense de l’épouse ; et ceux qui disaient qu’on devait se taire, que le destin d’un homme ne pouvait se juger si facilement. On donna son nom à la rue principale.

 

Le jugement du ciel

L’André que recueillit son ange, dans le passage de la mort, était redevenu un petit garçon. En trois années, sa cuirasse d’honorabilité avait été fendue, sous les coups de Dieu. Mais le Ciel admira comment Dieu, par son ange, avait voulu qu’il tombe dans un péché mortel visible et humiliant (l’adultère, puis le suicide) pour le sauver d'un péché mortel plus grave et invisible (l’orgueil) qui l’aurait certainement conduit en enfer. En trois ans, et jusqu’à son ultime et mesquine petite vengeance testamentaire, il avait définitivement perdu toute illusion sur lui.

 

Alors voici ce qui se passa : Au moment où le Christ lui apparut, le vrai sens de la vie lui fut présenté. André brûla aux pieds du Christ tout ce qu’il avait jadis adoré : sa gloire, sa réputation surfaite, ses anciennes responsabilités. Il accepta de redevenir devant Lui un simple enfant plein de gros défauts, défauts dont il demanda bien pardon.

Et il se repentit si bien et si puissamment que c’est avec un amour total qu’il se mit lui-même dans le purgatoire qu’il s’imposa par la suite. La purification de ses restes de fierté fut rapide car il n’eut pas de mal à se déclarer indigne, totalement indigne du Ciel ! Or c’est l’attitude qui plaît à Dieu.

 

Quand un homme aime et est devenu humble au point de mépriser son ancienne vanité, que lui manque-t-il pour rentrer au ciel ?

Sincèrement, il lui manque de n’avoir pas réglé les conséquences de ses péchés passés. Et il veut se racheter tant il est devenu un homme droit, à cause de son grand amour.

Il ne reçut aucune indulgence. Cette dette ne fut pas remise à André. Le Christ la lui laissa et lui confia, à titre de paiement, une grande responsabilité : celle de protéger, conjointement avec leurs anges, cette épouse qu’il avait abandonnée, mais aussi cette maîtresse source de sa purification, puis ses filles et ses futurs petits-enfants. Ainsi, à titre de dette, il reçut un apostolat pour plusieurs siècles.

Aujourd’hui, André voit Dieu face à face. Sa dette de peine, il va devoir la régler très concrètement dans 30 ans quand, à l’heure de sa mort, il accueillera son épouse et lui manifestera son amour et son repentir. Il devra ensuite recevoir sa maîtresse, dans 32 ans et renouveler pour elle cet apostolat qui l’attirera au ciel. Il les recevra toutes les deux avec une grande douceur et sans aucune envie de les condamner. Car là où il est, André sait ce que c’est qu’être pécheur… pardonné.

 

13- HISTOIRE DE COCHON (Le sort des animaux).

 

(Jonas 4, 8) Puis, quand le soleil se leva, Dieu fit qu'il y eut un vent d'est brûlant; le soleil darda ses rayons sur la tête de Jonas qui fut accablé. Il demanda la mort et dit: "Mieux vaut pour moi mourir que vivre." Dieu dit à Jonas: "As-tu raison de te fâcher pour ce ricin?" Il répondit: "Oui, j'ai bien raison d'être fâché à mort." Yahvé repartit: "Toi, tu as de la peine pour ce ricin, qui ne t'a coûté aucun travail et que tu n'as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit et en une nuit à péri. Et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive, la grande ville, où il y a plus de 120.000 êtres humains qui ne distinguent pas leur droite de leur gauche, ainsi qu'une foule d'animaux!"

 

J’ai téléphoné trois mois plus tard à Jeanne. J’avais une intention précise en tête. Je voulais régler cette histoire d’animaux au Ciel. Mais c’était difficile de lui en parler tout de go. J’avais peur qu’elle ne trouve ma question futile.

Ce qui m’a décidé, c’est quand le fils de huit ans d’un de mes amis a perdu son chien. Cette question, me suis-je dit, n’est pas du tout anodine pour les enfants, donc pour Dieu non plus.

J’ai utilisé un biais pour aborder Jeanne. Je lui ai parlé d’un texte bizarre de l’évangile de saint Luc pour lui demander son avis (Luc 8, 32) :

« Or il y avait là un troupeau considérable de porcs en train de paître dans la montagne. Les démons supplièrent Jésus de leur permettre d'entrer dans les porcs. Et il le leur permit. Sortant alors de l'homme, les démons entrèrent dans les porcs et le troupeau se précipita du haut de l'escarpement dans le lac et se noya. Voyant ce qui s'était passé, les gardiens prirent la fuite et rapportèrent la nouvelle à la ville et dans les fermes. »

J’avais donc demandé à Jeanne : « C’est quoi à votre avis cette histoire de cochons ? Comment se fait-il que les démons aient préféré aller dans les cochons plutôt qu’en enfer ? »

Mais Jeanne était fine mouche. Elle savait que le sort des démons et leur désir de fuir dans quelque occupation extérieure leur colère éternelle m’importaient moins, en théologie, que le sort jamais réglé des animaux. Elle m’a donc dit :

« Pour les démons, je n’en sais rien. Mais je vous confirme que j’ai vu toute sortes d’animaux de l’autre côté.

- Bon, Jeanne, pourriez-vous vous renseigner ? Il faut tirer cette histoire au clair…

- Et qu’est-ce qu’en dit la théologie, m’a alors demandé Jeanne, sachant ma « grande » science en ces domaines…

- L’Église ne dit rien. La Bible (Romains 8, 19) dit que « La création toute entière attend la révélation des Fils de Dieu. » Saint Thomas d’Aquin est définitif : il n’y aura pas d’animaux dans l’autre monde parce que rien de corruptible ne subsiste là-haut. Or les animaux et les plantes sont entièrement corruptibles. Il y a quelques Franciscains qui disent que, s’ils sont corruptibles, Dieu « qui compte les passereaux » (Luc 12, 6) saura bien les ressusciter et les rendre incorruptibles à la fin du monde en même temps que le corps des humains…

- Et il y a un théologien pour dire que les animaux sont vivants actuellement au Ciel ?

- Aucun, Jeanne. Je n’ai jamais entendu cela…

- Aïe ! Alors on est mal partis… Bon je vais essayer de me renseigner…

- Et comment faites-vous pour vous renseigner ?

- Rien ! Je dors et je mange. Et si l’ange se décide un jour, alors je vous téléphone… »

 

Je n’ai pas eu de nouvelles de Jeanne pendant un an. Puis, un soir, j’ai reçu un appel :

- Monsieur le théologien, comment allez-vous ? Vous voulez toujours savoir ce que sont devenus les cochons du troupeau ? Alors, venez me voir. On prendra un thé.

 

Le passé des animaux

J’ai bondi chez elle. Le thé était allongé de rhum. Délicieux… [Jeanne avait maintenant 88 ans].

Et Jeanne m’a raconté :

« Donc mon ange, celui qui vole comme un Airbus dans l’autre monde, est venu me chercher cette nuit et, par amitié pour vous, je ne l’ai pas lâché jusqu’à ce qu’il m’explique tout. Je lui ai dit :

« Il est pénible d’être un porc. Non seulement on est égorgé, épilé, découpé et transformé en saucisson par une partie de l’humanité (les cinq sixièmes pour être précis) mais le sixième qui les respecte et se refuse à les manger les considère comme le symbole de la lubricité et de la goinfrerie… »

Je lui ai ensuite rapporté votre demande sur le texte de l’évangile. Alors il m’a emmenée voir ce troupeau de pourceaux. Ça a été un voyage extraordinaire, à travers l’immensité de l’autre monde, des galaxies, des systèmes solaires et des planètes. On a fini par se poser dans une magnifique vallée ombragée, couverte de pelouse et d’arbres inconnus de moi. Les porcs étaient là, bien vivants. Je suis formelle. Ils habitent là-haut. Ils sont bien, ils vivent leur vie de porcs ensemble, dans l’absolue insouciance. Parmi ces beaux cochons, il y avait un verrat particulièrement imposant que j’ai surnommé « Jeanbon » tant il était rebondi.

- Mais Jeanne, c’est impossible ! Les animaux n’ont rien en eux qui puisse survivre à la mort. Ils n’ont pas d’esprit. Ils sont entièrement corporels donc ils sont entièrement morts !

- Eh bien ! Il va falloir que vous retravailliez votre science de la matière. Apparemment, elle a un problème. Car Jeanbon, je l’ai bien vu, avec un vrai corps. Depuis le temps que je vous parle de l’autre monde, vous avez bien remarqué, n’est-ce pas, que c’est un monde entièrement fait de matière, mais pas de la même matière qu’ici… C’est donc qu’il doit y avoir autre chose à découvrir sur ce plan. Les animaux ont un corps fait de la même matière que les hommes qui vivent là-haut…

- Et ils font quoi, ces porcs, au paradis ?

- Bon, je vois votre ironie. Reprenons par le commencement. Quand mon ange est venu, j’ai commencé par lui parler de votre requête évangélique. Alors il m’a envoyée voir le passé. Et j’ai assisté à la scène des démons. Ce troupeau si tranquille a senti leur présence. Ils ont d’abord ressenti du malaise, puis de la panique. Ils ont couru n’importe où comme des fous, poursuivi par une frayeur intérieure. J’ai vu Jeanbon se noyer. Un certain temps a passé, puis un par un, j’ai vu des « fantômes » de porcs sortir de la mer.

- Des fantômes de porcs ? Je ne vous suis pas sur ce terrain. Les porcs n’ont pas d’esprit…

- Qui vous parle d’esprits humains ? Vous ai-je dit avoir vu des « fantômes spirituels » ? Non, c’était juste des porcs, des porcs-fantômes. Jeanbon était resté un porc, avec des préoccupations de porc. Il était absolument ébahi par son aventure. Il faut se mettre à sa place : il marchait sur l’eau du lac. Prudemment, il a regagné la rive avec tout le troupeau. Ils auraient voulu regagner le sommet de la falaise et aussitôt, un par un, ils s’y retrouvaient, comme des « porcs-volants », si vous voulez… Ils n’ont pas du tout aimé l’expérience du vol. Un porc, ça n’explore pas les terrains inconnus. Ça a ses petites habitudes. J’ai vu toutes leurs pensées.

- Vous voyez, vous en faites un porc-pensant. « Je pense donc je suis », pendant que vous y êtes…

- Mais non ! Un porc pensant, ça ne fait pas de la métaphysique. Ça pense à des histoires de porcs. Jeanbon, en tant que porc réaliste, a essayé de reprendre son repas interrompu par les démons. Il n’a pas pu saisir les caroubes dans son groin. C’était amusant à observer. On aurait dit une poule devant un miroir. Il a bien mis une journée pour admettre que non seulement il n’avait plus besoin de manger, mais qu’il ne le pouvait plus… Puis il s’est habitué.

- Et c’est tout ?

- Oui… Le troupeau s’est installé, à sa place habituelle. Les porcs domestiques ont gardé tranquillement leur comportement de jadis.

- Mais tout cela n’a pas d’intérêt… A quoi ça sert, qu’un porc survive après la mort ?

- Ça sert au bonheur des porcs. Et eux ne s’en plaignent pas. Ils le méritent bien. C’est pas gai, le sort d’un porc ! et tout cela pour notre service. Le serviteur mérite sa récompense, n’est-ce pas ?

- Et ensuite, ils sont restés sur terre ? Alors il doit y en avoir, depuis le temps, des fantômes d’animaux… Ça doit être embouteillé…

- Au bout de quelques jours, a continué Jeanne, ils ont eu une apparition fulgurante. Elle a eu sur eux un effet de fascination et d’allégresse. Ça faisait vibrer toute leur sensibilité. C’était un Prince, m’a expliqué mon Guide.

- Un Prince ?

- Oui, un Ange, de ceux qui sont chargés de veiller sur les espèces animales… J’ai été surpris comme vous. J’ai demandé à mon ange comment il se pouvait qu’un Prince de cette dignité s’occupe des porcs, tandis que les hommes n’avaient à leur service qu’un ange de la hiérarchie la plus basse. Et il m’a expliqué.

- Les hommes n’ont pas à leur service un ange de la hiérarchie la plus basse, mais de la hiérarchie la plus proche de leur esprit. Les Princes, quant à eux, sont chargés de décorer l’autre monde avant votre arrivée. C’est eux qui remplissent de vie les immenses univers que Dieu prépare pour ses bien-aimés. C’est un monde tellement grandiose qu’ils ont du travail. Ils récupèrent tous les animaux, mais aussi toutes les plantes, les animaux individuellement et les plantes selon leurs espèces. Ils le font depuis toujours. Il y a des univers du crétacé, d’autres du jurassique.

J’étais bouche bée. Je calculais dans ma tête le nombre d’animaux qui avaient dû peupler l’autre monde depuis le début de la vie terrestre. Je pensais aux milliards de milliards de lombrics… J’ai demandé :

- Chaque ver de terre, individuellement, va dans l’autre monde ?

Jeanne m’a répondu :

- Parfaitement, tous les animaux dès qu’il ont une psychologie primitive.

- Mais ils y sont pour toujours ?

- Absolument.

- Et ils voient Dieu face à face ?

- Absolument pas. Ils n’en ont aucun désir. Dieu est Esprit. Ils n’ont pas d’esprit. Ils se contentent d’être comblés selon leurs désirs sentimentaux.

- Et c’est quoi un désir de ver de terre ?

- Ce qui les passionne, c’est de retourner la terre. Ils en éprouvent un plaisir de ver de terre. Alors ils le feront, pour toujours, et pour la grande gloire de Dieu et le service des hommes.

- Ils auront donc besoin de se nourrir de terre, comme ici-bas ?

- Non, ils le feront par plaisir…"

 

J’étais vraiment dubitatif, plus pour les lombrics que pour les porcs. Les porcs, après tout, auraient au moins le plaisir de voir la lumière. Jeanne a deviné ma pensé et m’a lancé :

- Ceci prouve simplement que votre psychologie est plus proche de celle du porc que de celle du lombric. Je vous en félicite.

J’ai trouvé cela bien envoyé… Jeanne a continué :

- L’ange a dit que Dieu a créé chaque espèce animale avec une nature particulière. Il leur a donné leur être, leur vie, leur psychologie. Et ses dons sont sans repentance. Si le plaisir d’un lombric est de retourner la terre, Dieu le lui offre. Il le lui donne après sa mort, en récompense du service qu’il a accompli sur terre pour sa gloire.

- J’ai une objection, Jeanne. Si le plaisir du lion est de manger une vache, alors les lions prendront plaisir à dévorer des vaches immortelles dans l’autre monde, comme le lombric avec la terre…

- Eh non ! parce que Dieu met la limite aux plaisirs. Et la limite, c’est de ne pas nuire à une autre vie… alors les lions trouvent d’autres plaisirs, comme la vie commune, le jeu, l’exploration, et surtout la contemplation de la beauté des habitants du Ciel qui ne cesseront de les visiter. Et le plaisir de la viande qu’on mange disparaît chez les lions, comme ici-bas pour les enfants le plaisir de téter…

- Et la reproduction…

- Eh non ! Ça, c’est réservé à la terre. Au Ciel, on est immortel. Pas besoin de renouveler les générations. Et, au moment où Dieu créera l’autre monde, il ressuscitera les animaux dans leur chair.

- Dieu ressuscitera les lombrics ?

- Bien sûr. Comme nous, ils sont fait pour avoir leur corps, et Dieu exaucera le désir qu’il a mis en eux, « quand se révèleront les fils de l’homme ».

 

Puis-je maintenant, a demandé Jeanne, après cet interrogatoire théologique, continuer mon récit ?

- Faites, Jeanne, faites. Vous en étiez au Prince.

- Ah oui. Un Prince porcher est venu chercher les porcs et eux, comme fascinés par sa lumière, l’ont suivi dans l’autre monde. J’ai pu suivre leur voyage, qui s’est passé comme l’éclair. Ils ont franchi la porte, et il les a conduits jusqu’à cette planète, dans cette vallée. Jeanbon était subjugué comme les autres par la lumière et l’autorité qui sortait du Prince. Le Prince a assigné au troupeau une vallée et lui a dit : « Restez dans ce lieu, jusqu’à ce que vienne celui qui sera votre maître et porcher. » Et les porcs comprirent et acquiescèrent. J’ai vu que leur vallée grouillait de vie, de la plus petite à la plus grande : des animaux de toutes espèces, ainsi qu’une végétation luxuriante.

- En fait, si je comprends bien, les Anges recommencent le coup biblique du jardin d’Eden (Genèse 2, 8) qu’ils préparaient pour l’homme : « Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y mit l’homme qu'il avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espèce d'arbres séduisants à voir et bons à manger. »

- Sauf que, cette fois, ils accumulent des merveilles vivantes qui ne s’entredévorent pas et ne se corrompent pas. J’ai vu Jeanbon s’étirer et explorer sa vallée. Il marchait paisiblement dans son nouveau monde en compagnie de ses collègues. Et c’était amusant de les voir, contents et calmes, comme des porcs rassasiés par la vie.

 

L’avenir des animaux

- Et ce monde, où habite Jeanbon, il est préparé pour qui ?

- Celui-là comme les autres, Dieu les prépare comme cadeau pour ses élus qui viendront au Ciel. Car, dans l’autre monde, non seulement on verra Dieu face à face, mais sans le quitter, on visitera des merveilles...

 

14- PÉCHÉ CONTRE L’ESPRIT

Ils étaient une cinquantaine au plus. Ils étaient grands prêtres du Temple, docteurs de la Loi, notables Juifs de la congrégation des pharisiens. Leurs ancêtres avaient été de brillants résistants, quelques siècles plus tôt, lors de la féroce guerre patriotique et religieuse contre les Grecs. Tous, ils partageaient une théologie avancée, croyant à la résurrection de la chair et même au purgatoire (2 Maccabées 12, 39ss).

Ils étaient donc des hommes de bien, des serviteurs dévoués de Dieu, ayant payé de par leurs ancêtres le prix du sang. Et pourtant ils échouèrent terriblement puisque c’est eux qui furent responsables du plus grand échec du judaïsme : ils mirent à mort le Messie, le Fils de Dieu vivant.

Mais certains d’entre eux le firent en connaissance de cause. On ne sait pas combien d’entre eux eurent cette lucidité mais, par leur influence et la peur qu’ils suscitèrent chez leurs pairs, ils entraînèrent le corps tout entier de l’Autorité juive.

 

Leur péché fondamental

La motivation de leur crime fut sans conteste l’amour du pouvoir. Et pourtant, publiquement, s’ils pouvaient se défendre aujourd’hui, ils nieraient farouchement cette assertion et diraient : « C’est uniquement l’amour de Dieu et de notre nation qui a motivé notre action. »

C’est d’ailleurs ce que chacun d’entre eux proclamait haut et fort lors du Conseil où fut prise la décision de tuer Jésus. Cela se passait après que des Pharisiens qui avaient vu de leurs yeux la résurrection d’un certain Lazare, en firent le récit aux Grands prêtres de Jérusalem. Les notables présents se dirent (Jean 11, 48-50) : « Que faisons-nous? Cet homme (Jésus) fait beaucoup de signes. Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et ils supprimeront notre Lieu saint et notre nation. » Mais l'un d'entre eux, Caïphe, étant grand prêtre cette année-là, leur dit: « Vous n'y entendez rien. Vous ne songez même pas qu'il est de votre intérêt qu'un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière. »

Il y a souvent un gouffre entre le motif proclamé publiquement et la raison cachée. Jésus était un prédicateur pacifique et les Romains n’eurent rien contre lui, jusqu’au bout. Le gouverneur Ponce Pilate le tenait soit pour un doux rêveur, soit peut-être pour un être surnaturel, suite aux songes de sa femme. Mais jamais une émeute ne serait sortie de Jésus, comme on en voyait périodiquement des pseudos messies pleins d’agressivité militaire qui sortaient des milieux des zélotes.

 

Alors pourquoi cet acharnement des notables Juifs ? Pourquoi ne tentèrent-ils pas de manipuler Jésus et de l’entraîner simplement dans leur cercle, en en faisant l’un d’eux ? Parce que Jésus n’était justement pas un doux rêveur. Quoique ne se mêlant pas de politique, sa parole spirituelle dévoilait sans diplomatie et à tous l’âme des notables d’Israël et ce depuis longtemps (Luc 12, 1) : « Sur ces entrefaites, la foule s'étant rassemblée par milliers, au point qu'on s'écrasait les uns les autres, il se mit à dire, et d'abord à ses disciples: "Méfiez-vous du levain - c'est-à-dire de l'hypocrisie - des Pharisiens. Rien, en effet, n'est voilé qui ne sera révélé, rien de caché qui ne sera connu. »

Ainsi, depuis longtemps, une haine farouche et irréconciliable envers Jésus était née chez les notables, à cause d’un bien dont ils voyaient avec crainte la légitimité s’effilocher : leur pouvoir, et, très concrètement, leurs postes, leurs prérogatives, leurs honneurs. En effet, ces gens n’étaient plus de la trempe des frères Maccabéens, leurs ancêtres. Ils détenaient le pouvoir depuis trop de générations pour ne pas l’avoir aimé.

 

Et ils le voyaient arriver, ce Jésus, avec ses douze apôtres...

 

Ceci n’est pas un péché contre l’Esprit

Si Jésus n’avait été qu’un imposteur s’attribuant des titres, leur combat, quoique violent, aurait même été compréhensible. Tant qu’ils tinrent Jésus pour un arriviste ambitieux, il y avait même en eux une légitime bonne conscience. La théologie de ce prédicateur était en effet osée, et avait de quoi scandaliser un théologien normal (Jean 10, 33) : « Ce n'est pas pour une bonne oeuvre que nous voulons le lapider, mais pour un blasphème et parce que lui, n'étant qu'un homme, il se fait Dieu. »

Mais vint le moment, où de manière éclatante, Jésus prouva l’origine divine de sa mission. Il avait très souvent fait de grands miracles. Mais la médecine ou le démon peuvent guérir certaines sortes de maladies. Il était donc possible de dire comme dans le Talmud, bien que les boiteux marchent, que les aveugles voient à son approche : « C’est par Belzébuth que Jésus chassait les démons. » Mais déjà à cette époque, et jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs, chacun sait qu’il est impossible qu’un cadavre en cours de décomposition ressuscite, sauf action immédiate et directe de la toute puissance de Dieu.

On prévint Jésus que l’un de ses amis, Lazare, était mourant. (Jean 11, 17) A son arrivée, il trouva Lazare dans le tombeau depuis quatre jours déjà. Or beaucoup d'entre les notables des Juifs étaient venus auprès de ses sœurs, Marthe et Marie, pour les consoler au sujet de leur frère. Quelques-uns d'entre eux se dirent, en le voyant arriver (Jean 11, 37) : "Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, faire aussi que celui-ci ne mourût pas?"

(Jean 11, 38) Alors Jésus, frémissant en lui-même, se rend au tombeau de Lazare. C'était une grotte, avec une pierre placée par-dessus. Il dit: "Enlevez la pierre!" Marthe, la soeur du mort, lui dit: "Seigneur, il sent déjà: c'est le quatrième jour." Jésus lui dit: "Ne t'ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?" On enleva donc la pierre. Jésus leva les yeux en haut et dit: "Père, je te rends grâces de m'avoir écouté. Je savais que tu m'écoutes toujours; mais c'est à cause de la foule qui m'entoure que j'ai parlé, afin qu'ils croient que tu m'as envoyé." Cela dit, il s'écria d'une voix forte: "Lazare, viens dehors!" Le mort sortit, les mains et les pieds liés de bandelettes, et son visage était enveloppé d'un suaire. Jésus leur dit: "Déliez-le et laissez-le aller." Beaucoup d'entre les Juifs qui étaient venus auprès de Marie et avaient vu ce qu'il avait fait, crurent en lui. Mais certains s'en furent trouver les Pharisiens et leur dirent ce qu'avait fait Jésus.

 

Péché contre l’Esprit

Le péché contre l’Esprit Saint ne naquit pas ce jour là. Mais il fut extérieurement manifesté chez ceux en qui il séjournait déjà.

Ce péché là a une définition théologique précise : c’est un acte qui doit être porté par une intention si lucide, si libre, qu’aucune ignorance et aucune faiblesse ne vienne en amoindrir la responsabilité. Sur terre, il ne peut donc être commis que par des théologiens car toute personne qui fait le mal mais ignore encore Dieu est dans une certaine ignorance. A l’heure de la mort et face à la vérité parfaitement révélée, tout homme en devient capable puisque toute ignorance concernant le bien et le mal disparaît. Mais une autre condition est requise : ce théologien doit être un homme calme, éduqué, maître de ses faiblesses. Un théologien pris par ses passions, aveuglé par ses pulsions ne saurait commettre qu’un péché contre le Père, c’est-à-dire un péché de faiblesse, puisque le Père est le symbole, dans la Trinité, de la Toute puissance.

Ainsi, si on écoute le témoignage de Jésus qui pénètre jusque dans le secret des âmes, il est certain qu’il y eu chez certains de ces chefs Juifs un blasphème contre l’Esprit : Ils étaient théologiens. Ils savaient donc de science certaine que seule la puissance de Dieu pouvait ressusciter un mort. Ils surent donc ce jour-là de science infaillible que Jésus était envoyé par Dieu.

(Jean 11, 53) « Dès ce jour-là donc, ils résolurent de le tuer. » Ils le firent donc, sachant qu’ils tuaient l’envoyé de Dieu, et ce froidement, de manière préméditée.

Un peu plus tard, ils allèrent jusqu’au bout de la logique de leur péché :

(Jean 12, 9) « La grande foule des Juifs apprit qu'il était là et ils vinrent, pas seulement pour Jésus, mais aussi pour voir Lazare, qu'il avait ressuscité d'entre les morts. Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s'en allaient et croyaient en Jésus. »

Certains, cependant, n’allèrent pas jusqu’à se forger cette certitude sur l’origine divine de Jésus (tout en affirmant publiquement ne pas y croire et en projettent de le tuer, ce qui constitue un blasphème contre le Saint Esprit). C’est pourquoi, à la croix, ceux-là voulurent se rassurer. Ils se rendirent au lieu du supplice et essayèrent de se convaincre : Ce ne pouvait être le Messie puisqu’il ne pouvait se sauver lui-même (Matthieu 27, 41) : « Pareillement les Grands prêtres se gaussaient de Jésus et disaient avec les scribes et les anciens: "Il en a sauvé d'autres et il ne peut se sauver lui-même! Il est roi d'Israël: qu'il descende maintenant de la croix et nous croirons en lui! " »

Mais le rire de ceux là se figea quand le séisme qui survint déchira le voile du Sanctuaire en deux, du haut en bas (Matthieu 27, 51).

 

La damnation éternelle après la mort

Tous ceux qui, parmi les pharisiens et les prêtres, avaient assisté de leurs yeux aux signes et étaient juste coupables de leur inconséquence ou de leur peur de s’opposer aux Grands prêtres se convertirent au Seigneur un peu plus tard, soit lors des premières prédications des Apôtres, soit à l’heure de leur mort.

Mais il est probable que certains parmi les théologiens qui prirent ces décisions ce jour là, se damnèrent pour toujours. 20 ou 30 ans plus tard, ils moururent. Et leur âme fut accueillie dans l’autre monde par celui qui le leur avait explicitement prophétisé, face à face (Matthieu 26, 63) : « Je suis le Christ, le Fils de Dieu. D'ailleurs je vous le déclare: dorénavant, vous verrez le Fils de l'homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées du ciel. » Le Grand prêtre à qui Jésus s’adressait s’appelait Caïphe. Lorsqu’il vit le Christ dans sa gloire, fit-il partie de ceux qui lui dirent : « Tu ne nous apprends rien. Nous savons bien qui tu es. Et nous reprendrions les mêmes décisions si nous revenions en arrière. Nous ne voulons pas de ton message. Il ruine toute la gloire de notre peuple et de notre religion. Ce que nous voulons, c’est une religion de gloire visible. » ? S’il fait partie du nombre, il s’est damné pour l’éternité.

Jésus avait prévenu de nombreuse fois certains de ces notables (Jean 8, 44) : « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. » C’est que, au-delà de l’aspect visible des choses (le pouvoir, les postes, les honneurs), ce furent deux conceptions de Dieu qui s’affrontèrent :

Pour ces notables Juifs, Dieu était celui qui donne Puissance et Gloire visibles.

Or Jésus vint proclamer que la Puissance de Dieu serait donnée à la douceur et l’humilité.

 

Dans ce conflit se joua donc un combat eschatologique entre le dieu de l’enfer (Lucifer) et le vrai Dieu, celui de Jésus Christ.

 

Et chacun opta pour l’éternité.

 

 

15- L’HISTOIRE DE L’HOMME DES GRENIERS (les âmes du shéol).

 

Il leur dit alors une parabole: "Il y avait un homme riche dont les terres avaient beaucoup rapporté. Et il se demandait en lui-même: Que vais-je faire? Car je n'ai pas où recueillir ma récolte. Puis il se dit: Voici ce que je vais faire: j'abattrai mes greniers, j'en construirai de plus grands, j'y recueillerai tout mon blé et mes biens, et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête. Mais Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton âme. Et ce que tu as amassé, qui l'aura? Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même, au lieu de s'enrichir en vue de Dieu." (Luc 12, 16-21)

 

Monsieur Jacques Scrofule avait toujours été anxieux. Toute sa vie il avait eu peur de manquer. Aussi il n’avait cessé de thésauriser. Il s’était fait un coussin de sécurité et il disait que c’était par prudence, à cause des « aléas de la vie. ». Il vivait seul dans sa maison isolée. Jadis marié, sa femme et ses enfants étaient retournés en ville. La dernière fois qu’il y avait reçu quelqu’un, cet ami n’était resté que trois jours. Il avait passé tout son temps dans la cheminée, blotti au plus près d’un petit feu qui seul maintenait un peu de chaleur dans la maison. Et, détail qu’on n’invente pas, il avait trouvé, intacte et occupée dans la lunette des toilettes, une toile d’araignée. « On n’imagine pas l’économie d’eau qu’on peut faire en allant dans les bois d’alentour », avait simplement commenté Jacques.

 

Jacques Scrofule se coucha tôt ce soir-là, sous cet épais édredon de duvet d’oie qu’il avait hérité de ses parents. C’était un moment agréable. Comme il pleuvait dehors, il pensa à la sécurité de son petit domaine.

 

Au milieu de la nuit, il se réveilla avec une impression curieuse. Il mit un certain temps à s’apercevoir qu’il flottait en l’air. Pas de doute : il flottait bien en l’air. C’était incroyable, illogique. Il fit le tour de sa maison et vit que tout allait bien. Rien n’avait bougé. Aucun bruit ne se faisait entendre alentour. Le petit matin arriva vite et là, dans la lumière à peine sortie, il fit une découverte effrayante : il se voyait, dans son lit, dormant paisiblement. Le problème est que ce rêve éveillé était bien réel. Il s’approcha, il voulut toucher son corps endormi et eut la désagréable surprise de ne pouvoir le saisir. Sa main le traversait. Alors il essaya d’appuyer sur l’interrupteur lumineux. Mais rien n’y fit. Son corps passait à travers les objets.

 

Il eut alors une idée horrible. Il fallait qu’il vérifie. Il s’approcha de son corps, le scruta de près et il comprit : ce corps qui dormait devant lui était celui d’un mort. Pas de doute, il était mort.

 

Alors la panique le prit. Il pensa à ses titres au porteur, cachés dans la maison : comment allait-il faire pour les cacher mieux ? Comment arrêterait-il les voleurs ? Il y avait aussi les 35 pièces d’or, dans le petit coffre en fer. Tout cela allait être volé…

 

A ce moment, dans un coin de la pièce, il se produisit un moment magique. Alors même que le premier rayon du soleil illuminait la pièce, une lumière plus brillante encore, et chaude apparut. Ce n’était pas qu’une lumière physique. C’était quelqu’un. « Jacques, dit une voix. Jacques… laisse donc tout cela et viens. » Mais Monsieur Jacques Scrofule n’entendit pas. Fiévreusement, il était occupé à essayer de saisir un cahier, le cahier de ses comptes où figurait, avec précision, la totalité de ses placements financiers. Alors la porte ouverte sur le Ciel se ferma, tout doucement. Il n’y eut plus que Jacques, seul, dans sa maison.

 

Ce n’est que deux jours plus tard qu’on trouva son corps. Le facteur s’était étonné de trouver sa boîte aux lettres pleine et ses volets fermés. C’était la première fois depuis vingt-quatre ans. Il avait prévenu la gendarmerie qui avait forcé sa porte. Le décès ayant été constaté, on avait prévenu sa famille.

 

Et Jacques les vit arriver, un à un. Tous avaient une mine triste, mais lui, avec une lucidité parfaite, lisait leurs pensées. Elles étaient surprenantes. Il n’aurait pas deviné s’il avait eu à se prononcer. Par exemple, son frère, debout au pied du lit, semblait lui parler : « Tout ça pour ça. Dire que tu as gâché ta vie. Et tu vas avoir un beau cercueil ? C’est pour cela que tu as fait fuir les tiens ? » C’était anormal. Ce frère était pourtant intéressé et avare. Il le savait depuis toujours et refusait de le recevoir chez lui. Ce genre de pensée ne durerait pas. C’était certain : il allait se servir dès qu’il aurait le dos tourné. Alors Jacques ne le quitta plus des yeux, vérifiant chacun de ses gestes de voleur. Mais il ne vola rien. Il semblait au contraire tout mépriser. C’est alors qu’arrivèrent sa femme et ses enfants. Il avait deux fils et une fille : « Maman, dit sa fille (elle était âgée de 28 ans). Tu crois qu’on pourra prendre les souvenirs ? » « Ça y est, ça commence, pensa Jacques. Ils vont me piller ! "

C’est alors qu’il vit son petit-fils de 8 ans le voler : il avait glissé dans son manteau la tête d’obus en laiton, ce souvenir gravé lui venant de son grand-père et des tranchées de la Grande Guerre.

« Remets cela tout de suite », cria Jacques. Mais le gamin ne l’entendit pas, trop heureux d’avoir subtilisé un souvenir que, visiblement, il convoitait depuis longtemps. « Maman, j’ai des frissons. Cette maison est triste. »

 

Monsieur Jacques Scrofule assista à sa mise en bière. Mais il ne se rendit pas à son enterrement. Il fallait qu’il réfléchisse, qu’il prépare ses plans pour protéger ses biens. Il devait y avoir un moyen pour se barricader.

 

Trois jours plus tard, cela commença : notaire et inventaire. Il le vit bien, ce clerc de notaire en apparence honnête, qui glissa discrètement dans sa poche le chausse-pied en fer qui était suspendu à l’entrée de sa maison. « Ce sont tous des voleurs », criait Jacques, « des voleurs ».

 

La suite de l’histoire fut horrible : il se débattit, frappa de toutes ses forces. Il connut le désespoir. Puis il se scandalisa de la joie de ceux qui venaient, voiturée après voiturée, vider sa maison. Et ces plaisanteries graveleuses qui fusaient ça et là : « Le vieux a bien fait d’accumuler. S’il savait qu’il nous offre un voyage à la mer, crois-tu qu’il se retournerait dans sa tombe. » Il gifla vainement et à tour de bras ces enfants qui reçurent la permission finale de prendre ce qu’ils voulaient.

Le monde était cruel : pas un remerciement, pas une pensée gentille. Ces gens n’avaient que deux sentiments : la joie de prendre et la méditation de la vanité. Jacques pensait avec colère qu’il leur était facile de le trouver vain, eux qui maintenant se repaissaient de ses biens.

 

La maison fut vendue. Il s’installa un petit vieux solitaire qui ne faisait que lire le journal. Cette ennuyeuse présence passa vite. Et surtout, il ne trouva pas son coffret aux 35 pièces d’or, soigneusement enfoui sous un carreau de la cuisine.

 

Le soleil se levait. Le soleil se couchait. Lui veillait sur son or, obstinément. Il devint triste. Il se mit à penser au passé.

 

Un couple âgé racheta sa maison. Ils vivaient dans leur quartiers et lui dans le sien. Parfois, il les approchait et, invariablement, ils cherchaient d’où venait le courant d’air froid. Ils finirent par se dire que leur maison était hantée par son ancien propriétaire et la rumeur s’en répandit dans la région.

La catastrophe se produisit un matin. La femme passait le balai. Elle toucha le carreau de faïence et eut l’idée de le soulever. C’est ainsi qu’il perdit sa dernière fortune, les dernières économies qu’il avait si patiemment accumulées. Car, s’ils commencèrent par recacher l'or, ils profitèrent de la première venue de leur neveu pour le lui offrir.

Ils moururent à leur tour. Jacques remarquait, à chaque fois qu’une mort se produisait, cette lumière qui accompagnait leur départ. Mais lui était trop occupé. Il n’était pas question de perdre de vue le dernier bien qui lui restait : sa maison.

 

Ensuite, pendant 30 ans, la maison fut inoccupée. Il y vécut tristement. Il ne put empêcher ces gamins qui pénétrèrent son domaine, cassèrent ses carreaux. Mais il ne sortait jamais de sa maison. Il sentait que s’il se rendait en ville, une catastrophe arriverait : c’était sûr. Le temps fut de plus en plus difficile. Il se sentit très seul et très nul. Il assista lentement à la multiplication du moisi sur les murs. Il vit, goutte à goutte, une goutte d’eau entrer dans une poutre du toit et la pourrir.

 

Enfin, un jour, il se produisit du nouveau : on ouvrit les volets. Des ouvriers entrèrent. Et ils se mirent à tout vérifier, à tout rénover. Monsieur Scrofule prit tout cela avec méfiance. Mais il se disait : « Après tout, il y aura de la présence ». On répara le toit. On décora la maison avec des couleurs chaudes. On mit des tableaux, des rideaux.

C’est une famille qui s’installa : le père, la mère et une fillette -Cécile- âgée de 7 ans. Il s’approchait parfois d’eux et assistait à leur repas. Leur pensées étaient étranges : elles étaient inhabituellement paisibles. Et il lui semblait que, lorsqu’ils faisaient leur prière, des présences invisibles les entouraient.

 

Une nuit, Cécile se réveilla car elle avait des frissons. Elle se leva pour prendre un édredon. Sa mère aussi ressentit cette impression et en fut toute étonnée : « Pourquoi ce froid en juillet et uniquement dans la maison ? » Et la sensation se reproduisit souvent.

Cécile resta pensive car elle avait fait une espèce d’enquête à l’école au sujet de sa nouvelle maison. Elle y avait appris un tas d’histoires, des racontars peut-être mais… On disait que, il y a plus de 80 ans, un solitaire qui n’avait pas d’amis y était mort. On disait qu’il était un avare. Dans le dictionnaire elle avait lu : « personne trop attaché à des biens matériels au point de n’aimer que ceux-ci. » Il y a des gens vraiment étranges, s’était-elle dit en elle-même !

 

Un peu plus tard, la famille reçut dans leur nouvelle maison l’oncle Fixou, qui était un théologien catholique très connu au Canada pour ses travaux sur l’eschatologie. Cécile l’avait vu une fois quand elle était petite mais ne s’en souvenait plus.

Elle demanda à sa maman :

- C’est quoi ce travail d’oncle Fixou sur l’éska…?

- Eschatologie, lui répondit sa mère. C’est un mot technique. Ça veut dire « ce qu’on peut savoir de ce qui nous arrive après la mort ».

- Mais, répondit Cécile toute étonnée, on va au Ciel, on va embrasser Jésus…

- Oui, bien sûr, mais tu peux demander tous les détails à ton oncle aujourd’hui, conclut sa mère.

D’un coup elle décida de mettre tout au clair avec oncle Fixou :

« Qu’est ce qui peut bien arriver à un avare après sa mort ? Est-ce qu’il peut aller droit au Ciel s’il n’aime vraiment personne ? »

 

L’oncle Fixou était très content d’avoir une nièce dont les questions étaient si avisées. Bref, il lui expliqua que Dieu donne à ceux qui meurent de le choisir en toute liberté. Or, un avare est très peu libre, il est attaché à ses biens, bien plus qu’à Dieu. Alors, Dieu ne voulant pas l’arracher de force, le laisse, malheureux, regarder ses biens qui ne lui servent plus à rien, jusqu’à qu’il se lasse et se tourne vers lui.

 

Cécile dit à sa mère :

- Écoute, maman, pendant que j’écoutais oncle Fixou, il m’est venu une idée. Et si ce froid qu’on sent pendant ces nuits était ‘notre avare’ qui n’arrive pas à partir au ciel?

- C’est une idée, Cécile. La prochaine fois qu’on aura ce frisson, on pourrait lui parler et lui dire d’aller au Ciel, puisque oncle Fixou dit qu’il faut les aider ainsi. On ne sait jamais…

 

Alors, un soir, la fillette se mit à s’adresser à lui :

« Je sais que tu es là. Je ne te vois pas mais je sens ta présence. Tu sais que tu es froid ? J’entends aussi tes gémissements la nuit. »

Il n’y avait pas de doute, se dit Jacques Scrofule, tout surpris. Ces paroles, prononcées tout bas dans sa chambre, n’étaient pas une conversation étrangère, comme ce qu’il entendait, souvent à son corps défendant depuis 80 ans. Il s’approcha. Elle lui était adressée.

« Je m’appelle Cécile. J’ai parlé de toi aujourd’hui. Et un ami m’a dit que tu n’étais pas méchant mais triste. Il m’a dit de te dire que tu ne devais pas rester ici entre les deux mondes et que tu devais demander à Jésus de venir te chercher. Voilà. Bonne nuit. »

 

Monsieur Jacques Scrofule passa une nuit agitée. Cette conversation était unique. Elle l’avait bouleversé. C’était comme une visite en prison. On lui avait parlé ! Il s’approcha de la fillette. Et il se mit à lui parler :

« Tu m’entends donc ? Depuis combien de temps ? Moi, je suis dans cette maison depuis longtemps. Et j’y ai vécu 30 ans avant d’y mourir. » Il aurait voulu tout raconter. Mais il vit que la fillette dormait déjà.

Alors il pensa. Il se repassa ces paroles :

« Il m’a dit de te dire que tu ne devais pas rester ici entre les deux mondes et que tu devais demander à Jésus de venir te chercher. »

Ce n’était évidement qu’élucubrations de fillette. Jamais cela ne se produirait. De plus, il n’oserait jamais affronter Jésus. Jésus venait pour les autres. Lui avait trop de choses sérieuses à faire comme cette surveillance sur ce bien qui lui restait. Jacques regardait sa maison. Elle n’avait plus grand-chose de commun avec la triste et grise bâtisse de son temps. Elle était claire et gaie, remplie de fleurs par la maman.

 

Le lendemain, il attendit le soir et s’approcha de la fillette. Et elle se mit à lui parler :

« Tiens, tu es encore là. A chaque fois que tu viens, je sens des frissons. Je ne sais même pas qui tu es. Je ne sais qu’une chose : il ne faut pas que tu restes ici. Et il paraît que c’est facile. Tu appelles Jésus, ou Marie, ou le saint que tu préfères et ils viennent aussitôt te chercher. Et tu verras, c’est beaucoup mieux de l’autre côté. Tu retrouveras tous ceux que tu aimes. »

Et Cécile se coucha. Elle pria doucement, la tête cachée sous ses draps et s’endormit.

Jacques passa une nouvelle nuit agitée. « Et si c’était possible ? », pensait-il. Il avait bien aperçu les lumières. Mais il n’avait pas eu le temps de les regarder, à cause de sa mission importante. Il était ému. Tant de paroles en deux soirées. Cette soudaine existence lui faisait prendre conscience à quel point il avait été seul.

Il attendit avec impatience le matin. Il assista au petit déjeuner.

« Tu sais qu’il est encore venu me voir hier soir ? disait Cécile à sa mère. Je lui ai redit de monter au ciel.

C’est bien, répondit la maman. Et ce soir, nous pourrions prier ensemble pour lui. »

 

Jacques attendit fiévreusement le soir. La famille oublia de prier. Mais, dans sa chambre, seule, la fillette était là. Elle n’avait pas oublié. Il s’approcha.

« Tu es là, lui dit-elle. Je te sens. Regarde comment il faut faire. Tu te mets à genoux puis tu dis avec moi : « Je vous salue Marie, pleine de grâce... »

Jacques hésita. Si elle avait pu le voir, elle l’aurait vu en larmes. Les prières de son enfance lui remontaient. Il se mit à genoux à côté d’elle, hésita et prononça avec elle la fin de la formule : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. »

Et ce jour-là, plus de 80 ans après sa mort, Monsieur Jacques Scrofule vit apparaître une grande lumière. Il osa la regarder. Il n’y vit que compréhension et bonté. Il s’approcha de la porte qui s’était ouverte et y pénétra.

 

Le lendemain, Cécile dit à sa mère. « Ça y est. Il est parti. Il ne viendra plus. Il ne faudra pas qu’on oublie de prier pour lui ce soir. »

 

 

16- CHAÎNE DE PRIÈRE POUR MONSEIGNEUR CAUCHON (Risque de la damnation).

 

(Matthieu 12, 31) « Aussi je vous le dis, tout péché et blasphème sera remis aux hommes, mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas remis. Et quiconque aura dit une parole contre le Fils de l'homme, cela lui sera remis; mais quiconque aura parlé contre l'Esprit Saint, cela ne lui sera remis ni en ce monde ni dans l'autre. »

 

Fixou, l’oncle de Cécile, était un vieux théologien catholique. Il avait ses marottes. A force d’étudier l’enfer et de travailler sur le péché qui conduit en enfer, le fameux blasphème contre l’Esprit Saint, il avait cru en discerner un qui lui ressemblait fort dans l’Histoire : il s’agissait du péché de Monseigneur Cauchon, le juge de sainte Jeanne d’Arc. Il avait donc, à table, raconté à la petite Cécile et à sa famille son histoire, afin de les faire adhérer à son projet de chaîne de prière. Car il disait : « Marthe Robin, la grande stigmatisée française, faisait prier pour Hitler, au cas où… Moi, je fais prier pour Monseigneur Cauchon car il a fait des études proches des miennes. C’est un peu égoïste donc. Si jamais je meurs demain, vu ce que je sais de moi et que vous ne savez pas (il prenait alors un regard mystérieux et globuleux, qui faisait rire toute la tablée),  j’espère que vous penserez à prier pour mon âme. »

- Il a un drôle de nom, ce Monseigneur Cochon, avait interrompu Cécile.

- CAUchon. Et c’est vrai que c’est un nom qui est devenu célèbre.

On s’installait donc autour d’une tisane et Oncle Fixou commençait son récit :

 

1430, Ça a été son année, à Maître Cauchon. Une vraie bénédiction qui lui a fait tomber, comme venant du ciel, cette oie toute ficelée, toute prête à griller, Jeanne la Pucelle. Il s’est dit que c’était sa chance, lorsqu’elle est arrivée sous sa juridiction canonique.

- Canonique ?

- Oui, c’est le code des lois de l’Église, avec la manière de mener un procès.

Pierre Cauchon était un licencié en Droit, et sans doute un diplômé en théologie de la Sorbonne. Il était évêque. Mais il rêvait d’être archevêque de Rouen ou pour le moins de garder du pouvoir. Or, voici que l’occasion se présentait. C’était une chance unique : s’il arrivait à prouver l’imposture de Jeanne, à la déclarer hérétique ou sorcière, les Anglais seraient plus que ravis : le roi Charles VII, sacré par une sorcière, serait définitivement disqualifié ! Quel rire dans la chrétienté. Alors, il se disait que c’était sa chance et qu’une simple bergère ne pourrait se dépatouiller des instruments de sa rhétorique. Il serait facile de la piéger.

 

Monseigneur Cauchon prépara longuement son procès. Il envoya des émissaires à Domremy, le village natal de Jeanne, pour y recueillir des témoignages, si possible compromettants. Ils ne trouvèrent pas grand chose sinon une danse qu’elle avait pratiquée enfant, avec les fillettes du village, à l’occasion de la saint Jean, autour de « l’arbre des fées », une vieille tradition au parfum païen.

Au début, il ne croyait pas en Jeanne. Il commença donc par faire vérifier sa virginité, elle qui se targuait de son titre de « pucelle ». Si elle était vierge, il était prêt à en manger son chapeau. Ce genre de filles, coureuses des armées, ne peuvent être vierges ! Les matrones avaient donc vérifié et, contre toute attente, avaient conclu sans ambiguïté possible à la virginité de Jeanne.

Lorsque Jeanne parut à son procès, il ne put que constater que, malgré les mois de prison et la garde d’une bande de soldats ricanants et lubriques, elle avait l’air fier. Elle portait la tête haute et regardait avec franchise, droit dans les yeux, ses interlocuteurs. Elle était grande de taille, environ un mètre 50…

- 1 mètre 50 ? Et tu la dis grande, Oncle Fixou ? interrompit Cécile.

- Oui, grande, mais pour son époque. Les gens de la campagne n’avaient pas beaucoup de repas équilibrés. On connaît sa taille car on a retrouvé son armure, avec les traces des flèches là où les chroniques disent qu’elle a été blessée. C’était une belle jeune fille. Elle n’avait que 19 ans quand elle fut jugée. Et elle se retrouvait devant une cour de juges à l’air grave.

Donc Monseigneur Cauchon crut pouvoir régler son affaire très vite. Or, il n’y arrivait pas. Elle se défendait fort bien. Et pourtant, il lui tendait mille embûches. Un jour, à force de tout tenter, il lui avait demandé :

- Avez-vous la grâce, Jeanne ?

Elle ne pouvait deviner le piège théologique mortel devant ses pieds : si elle répondait « oui », elle devenait hérétique car nul ne peut savoir s’il plaît à Dieu. Si elle répondait « non », elle se condamnait elle-même.

- Si j’ai la grâce, Monseigneur, que Dieu m’y garde. Si je ne l’ai pas, que Dieu m’y mette.

Vous voyez, mes amis, poursuivait Oncle Fixou avec des trémolos dans la voix, une telle réponse ne peut venir que de Dieu. Et Monseigneur Cauchon le savait, forcément, puisqu’il avait lu saint Thomas d’Aquin.

Et ce fut comme cela tout au long de son procès. Elle était fraîche, pleine d’humour et toujours juste.

Le père de Cécile avait alors demandé :

- Mais comment peut-on savoir qu’elle a répondu tout cela ? Ce sont des légendes, des récits d’après coup.

- Non, ce sont des documents juridiques, des notes précises prises par un greffier professionnel. Ce n’est pas n’importe quoi, c’était un procès d’inquisition.

- Mais ils ont pu modifier les notes après coup.

- On a une preuve que non. Elle vient du greffier en chef, Guillaume Manchon. C’est une petite note, trouvée dans le manuscrit authentique du procès de Jeanne d’Arc. Elle dit, de mémoire : « Ce soir, Monseigneur Pierre Cauchon est venu me voir et m’a dit d’écrire que Jeanne avait dit ceci. J’ai refusé. Jeanne a dit, précisément, cela : … » et suivaient les vrais propos de Jeanne. Le greffier Manchon devrait être canonisé car, en agissant ainsi, il risquait sa vie. Le climat n’était pas paisible. Les Anglais voyaient d’un mauvais œil ce procès qui n’aboutissait pas.

- Mais il n’avait pas le droit de changer les paroles de Jeanne ! C’est un évêque !

- Oui, Cécile et c’est pour cela que je suis inquiet pour son salut. S’il avait pensé ridiculiser une menteuse, cela peut se comprendre. Mais, à partir d’un certain moment, il est certain qu’il a compris qu’il avait affaire à une authentique envoyée de Dieu. Et là, il a perdu pied. Comme il n’arrivait pas à la piéger, malgré toute sa science, il a décidé de falsifier. Or, il existe un précédent dans l’Évangile : un disciple de Jésus, Judas, décida de mentir pour le livrer à ses ennemis (Jean 13, 26) : « Celui qui me livrera, dit Jésus à Jean, c'est celui à qui je donnerai la bouchée que je vais tremper. Trempant alors la bouchée, il la prend et la donne à Judas, fils de Simon Iscariote. Après la bouchée, alors Satan entra en lui. » Satan rentre en Judas quand il ment : il accepte un geste d’amitié forte (le pain) et sort le trahir. De même pour Monseigneur Cauchon : il n’arrive pas à confondre Jeanne, alors il falsifie ses paroles. Je pense que, ce jour-là, Satan est entré en lui.

- Et pourquoi a-t-il fait cela ? demanda Cécile.

- Il voulait être Archevêque. Il savait que s’il condamnait Jeanne, il le serait.

- Il y a aussi peut-être la peur des Anglais, dit le père de Cécile.

- Il était allié aux Anglais. Il ne risquait pas sa vie. Juste sa carrière. La suite de l’histoire du procès est malversation de sa part.

 

Le péché de Pierre Cauchon

Voilà comment il a réussi à la piéger en se servant d’une apparente légalité canonique.

- Vous savez que Jeanne est habillée en homme. Or Monseigneur Cauchon trouve dans la Bible un texte qui condamne le travestissement. C’est en effet une très ancienne pratique liée à des jeux sexuels. Il en accuse donc Jeanne qui répond :

- Mettez-moi dans une prison d’Église tenue par des femmes, et je n’aurai pas besoin de m’habiller avec des vêtements d’homme bien noués pour protéger ma vertu. »

L’évêque a bien compris que Jeanne n’est pas coupable. Mais il va préméditer une ruse imparable, ayant extérieurement l’apparence de la légalité, pour la condamner.

Monseigneur Cauchon commence par faire servir à Jeanne une nourriture avariée qui la rend malade.

Ainsi affaiblie, il la fait traîner sur la place du Vieux marché de Rouen où un bûcher a été dressé. Il lui montre et lui fait dire : « C’est pour vous, Jeanne, sauf si vous signez ce papier. » Jeanne demande ce qui est écrit sur le papier. « Rien de grave », lui répond-on. « Juste que vous vous soumettez à vos juges et que vous ne faites plus appel au pape. Et si vous signez, vous serez installée ce soir dans une prison tenue par des femmes. » Épuisée et sans conseils, Jeanne signe. On la félicite. Et on la fait s’habiller en femme.

Or, on la reconduit vers la prison tenue par les soldats anglais. Elle proteste. On ne l’écoute pas. Ce qui doit se passer se passe. Dans la soirée, la voyant habillée en femme, les soldats s’approchent et commencent à soulever sa robe. Elle les chasse, avec ses poings et ses pieds.

Comme par hasard, ses vêtement d’homme sont là, bien en évidence. Alors Jeanne se rhabille en homme et noue tous les lacets.

Le lendemain, en grand équipage, Monseigneur Cauchon se rend à la prison pour constater que Jeanne s’est de nouveau travestie. Elle est donc retombée dans son péché (Relaps en droit canonique). Selon la loi, il lui dit : « Je ne peux plus rien pour vous, Jeanne. Je suis obligé de vous livrer au bras séculier puisque vous être retombée. »

Jeanne lui répond : « Évêque, c’est par vous que je meurs. »

Le jour même elle est brûlée. Et ce fut une grande pitié de la voir aller vers son supplice. Elle criait « Jésus ! Jésus ! ».

- Et Monseigneur Cauchon ?

- Il a assisté en partie au supplice. Mais la foule grondait. Il a fini par s’éclipser. On lui a raconté plus tard l’histoire de ce soldat anglais qui, voulant rajouter un fagot contre la sorcière qui avait fait tant de mal à la cause anglaise, en revint tout pâle et répétant : « Je suis damné. J’ai brûlé une sainte. Nous sommes tous perdus. » On lui demanda de s’expliquer et il dit : « J’ai vu, de mes yeux vu, sortir une colombe de sa bouche. »

- Ouh la la… commenta Cécile. Il a dû avoir des sueurs froides…

- Sans doute, mais il n’en a rien laissé paraître. Et il a exercé du pouvoir jusqu’à sa mort. Il n’a pas eu la récompense qu’il convoitait. Il est resté simple évêque pendant 11 ans puis il est mort, d’un coup, en se rasant, un matin de 1442. Il ne s'était enrichi que moyennement et il avait destiné, dans son testament, la plus grande partie de ses biens à l'édification, à Lisieux, d'une chapelle consacrée à la Vierge, où se trouve sa sépulture. Sa tombe fut fouillée en avril 1931. Le squelette de Cauchon fut mesuré : 1,68 mètre. Son anneau pastoral et sa crosse épiscopale furent déposés au musée de Lisieux, où ils furent détruits lors du débarquement de mai 1944 ; mais le corps de Pierre Cauchon repose toujours dans sa chapelle.

 

Prier pour Monseigneur Cauchon ?

- Moi je n’ai pas du tout envie de prier pour « Cochon », disait Cécile. C’est un horrible personnage. J’espère qu’il est en enfer.

- Cécile, là tu me coupes mon effet, dit Oncle Fixou. Je comptais justement sur toi. Je suis sûr que ta prière peut avoir de l’influence sur lui.

- Alors là, Oncle Fixou, il va falloir que tu mettes le paquet pour me convaincre.

- D’accord. Et voilà ce que je suppose. Quand Monseigneur Cauchon est mort, il s’est retrouvé comme au jour de sa naissance. Il n’était plus évêque mais nu devant Jésus qui arrivait. Et il a été accueilli, j’en suis certain, par Jeanne.

- Ah oui, chacun son tour. A son tour de passer au tribunal.

- Une Jeanne accueillante, Cécile, prête à lui offrir son pardon. Jeanne est au Ciel, on le sait de manière infaillible depuis qu’elle est sainte. Alors il n’y avait plus en elle que de l’amour et une main tendue, comme le Christ. Mais ce que Monseigneur Pierre Cauchon a vu de ses yeux ce jour-là, c’est l’âme de Jeanne et la preuve de sa mission divine.

- Mais il le savait déjà, qu’elle venait de Dieu. Tu l’as dit tout à l’heure. Il l’a vu durant tout le procès.

- Oui, Cécile. Et c’est ça qui m’inquiète pour son salut. Si ce que j’ai dit est vrai, alors il a simplement dit à Jeanne : « Tu viens de Dieu ? Tu ne m’apprends rien. Je le savais. Mais je me moque de ta mission et du fait que tu es envoyée par Dieu. Ce que je veux, c’est le pouvoir. »

- Mais c’est terrible cela. Il serait fou ?

- Pas fou. Mais j’ai l’impression qu’il était amoureux de la gloire jusqu’à être prêt à tout lui sacrifier, y compris sa peur de l’enfer. Car, à cette époque, on voyait l’enfer comme un four de torture. On en avait peur. Alors tu comprends : lorsque Lucifer lui a présenté le vrai enfer, c’est-à-dire la possibilité d’être pour toujours le « pape » (pas le simple archevêque) d’un monde minéral à lui, alors je suis inquiet de ce qu’il a choisi. Il a dû être tenté d’y aller, sans hésiter.

- Un monde minéral ?

- Oui, tu penses que Dieu ne met au pouvoir des damnés ni un homme, ni un animal. Tout le monde fuit.

- Donc on ne souffre pas en enfer ? On y va librement, selon ses goûts ?

- On y va librement à cause d’un grand bien pour qui on donnerait tout : soi-même ! et on souffre. On y souffre de manière bien pire que ce qu’on peut imaginer. Tout ce qui est dit dans la Bible (le feu, les pleurs, les grincements de dents, le ver rongeur du remords*) est réalisé, mais pas comme on le pensait au Moyen-âge, pas par des choses surajoutées cruellement par Dieu. On y souffre parce qu’on est homme, donc fait pour l’amour. S’il a choisi l’enfer, Pierre garde une nature humaine. Alors, s’il devient le roi d’un monde, il ne règne en fait que sur une seule chose : lui-même. Et il est donc seul, malheureux mais prêt à le rester éternellement plutôt que de devenir humble et de demander pardon.

* Le remords est une colère d’avoir perdu. Le repentir est une tristesse d’avoir blessé l’amour.

- C’est ça le blasphème contre l’Esprit ?, demanda la maman de Cécile.

- Oui, et c’est un choix lucide, face au Christ, face à Lucifer, sans aucune faiblesse et ignorance. Alors on ne demande jamais pardon. On sait ce qu’on fait.

- Mais alors, s’il est en enfer, ça ne sert à rien de prier pour lui. Il ne changera jamais…

- Tu as compris, Cécile. Si Pierre Cauchon est en enfer, il voudra y rester toujours. Prier pour lui ne ferait que le faire souffrir.

- Alors, c’est quoi ta chaîne de prière pour lui ?

- C’est que je ne suis pas sûr qu’il ait commis un vrai péché contre l’Esprit… il y a d’autres hypothèses. Ton papa parlait de la peur des Anglais. Alors voilà ce que je me suis dit : si on prie pour lui du fond de notre terre, Dieu qui est au-delà du temps nous montrera à lui, en train de prier pour lui, au moment où il en avait besoin, c’est-à-dire au moment où il a fait son choix, à l’heure de sa mort. Il y a peut-être un espoir. Tu te rappelles, cette chapelle consacrée à la Vierge où il s’est fait enterrer. Cela ne veut rien dire, je sais. A l’époque, tout le monde était ami de la Vierge…

« Cécile, dit oncle Fixou en la regardant, Jésus est mort pour Pierre Cauchon. Sa mère l’a aimé et élevé. Son âme vaut plus que tout l’or du monde. Sainte Jeanne d’Arc, quand elle lui est apparue, a tout fait pour le sauver. Je suis sûr qu’on peut y contribuer. »

Cette dernière phrase, Oncle Fixou la dit en essayant d’y mettre une force de conviction. Alors Cécile se dit (sans enthousiasme) que ce soir, elle ferait tout de même une petite prière pour Monseigneur Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, puis, pendant 9 ans, évêque de Lisieux …

 

 

17- LE SUICIDE DE NATACHA (Dieu regarde le coeur).

Âgée d’un peu plus de vingt ans, elle ne s’était jamais bien sentie dans ce monde. Elle croyait pourtant en Dieu et se confiait parfois à lui. Elle avait aussi des amis mais, revenue seule dans son appartement le soir, elle était saisie d’angoisses incompréhensibles qui l’étouffaient. Ses parents s’inquiétaient : "Pourquoi notre fille n’arrive-t-elle pas à être heureuse ?" À force de ne pas comprendre, on finit par conclure à une angoisse sans cause…

Un soir de février, il faisait un temps très mauvais sur la banlieue où elle résidait. Elle revint fatiguée de son travail. Elle se mit au lit tout de suite, cherchant un peu de sécurité sous les draps, comme lorsqu’elle était petite. Elle pensa que personne ne lui téléphonerait ce soir et qu’elle était bien seule. Le cœur serré d’angoisse, elle se leva et avala le contenu d’une boîte de somnifères. Elle pensa : "Pardon", et elle s’endormit.

Quelques heures plus tard, Jésus vint la réveiller. Auprès de lui se tenait Marie. Alors la jeune fille se leva et, sans emmener avec elle son corps, elle les suivit. Elle savait qu'elle avait mal agi. Elle eut une vision de sa mère et son père, restés sur terre, dans la détresse. Le démon l’accusa : "Égoïsme! Lâcheté!" C’était vrai*.

 

Mais elle dit simplement, à qui voulait l’entendre : "Je ne suis pas digne. Faites de moi ce que vous voulez." On l’introduisit dans le paradis. Elle vit Dieu face à face. Lucifer protestait. "Inutile, lui fut-il répondu, elle est trop petite; elle ne t’entend pas."

* Il est vrai que ceux qui se suicident à cause d’un désespoir commettent un péché mortel au moins d’ignorance ou de faiblesse, directement contre l’amour. Nathalie ne pensa pas à ceux qu'elle laissait sur terre, ses parents surtout. Mais le Ciel connaît la force de ce désespoir.

 

 

18- LA PRIÈRE POUR UNE ÂME DU PURGATOIRE (les trois purgatoires mystiques).

 

Capitaine François Dujard, chevalier de la Légion d’honneur

 

Le lieutenant François Dujard est un héros de la Grande Guerre. Il charge avec courage et à plusieurs reprises à la tête de ses hommes, prend une tranchée ennemie, ramène 18 prisonniers. Il est nommé capitaine en 1919 et reçoit la légion d’honneur à titre militaire.

En 1923, il épouse Blanche Jardin, une fille simple et franche, fille de maçon, qui n’a pas, sans doute, le même niveau intellectuel (ou plutôt le même niveau d’études) que lui. Le couple s’installe à Paris et est bientôt parent de deux enfants.

A partir de 1926, François est pris d’une soudaine ferveur religieuse. Tous les dimanches matin, il part pour la messe vers 9 heures et ne revient que l’après-midi vers 16 heures. Les années passent et François devient bientôt comptable en chef dans un grand laboratoire pharmaceutique. Il y excelle et entre avec intérêt dans certaines pratiques anti-fiscales qui sont l’un des sports nationaux des Français.

Pendant la guerre de 1940, il reprend du service comme instructeur. Il aime défiler devant ses hommes en prenant des poses, imitant, menton en avant et stick sous le bras, le martial Mussolini.

En 1950, le fils de François a 23 ans. Poussé par sa fiancée qui est fine mouche, il décide de suivre son père dans sa messe dominicale. Il n’est pas déçu : en fait de messe, le père se rend chez mademoiselle Louise Boucher. Le fils parle au père, lui reproche cette longue inconduite, et l’abandon moral et financier de sa mère. Le père se fâche tout rouge. Le ton monte. Ils ne se réconcilieront pas.

En janvier 1953, Blanche Dujard, l’épouse, décède seule dans sa maison peu chauffée. François ne venait plus que rarement la voir. Il était installé à demeure chez Louise. A l’enterrement, le fils et le père ne se regarderont pas.

20 ans plus tard, François Dujard apprend qu’il est atteint d’un cancer de la prostate. Il épouse aussitôt Louise, lui donne tout ce qu’il peut de sa fortune en sous-main et déshérite autant qu’il peut son fils. Il décède en 1975. Son fils entre en procès contre sa belle-mère, un procès qui durera 20 ans.

 

06 janvier 2000, 5 heures du matin

Sonia est entre deux sommeils. Elle suit ses rêves avec la conscience de rêver, bien qu’elle soit dans une phase de sommeil où l’absurde peut rejoindre le réel. Soudain, un personnage y entre. Elle reconnaît aussitôt son grand-père, François. Il se tort les mains. Il pleure. Il semble appeler à l’aide. La vision est si nette et dure si longtemps que Sonia se réveille couverte de sueur. Elle en ressort persuadée que son grand-père a appelé à l’aide, qu’il est au purgatoire. Il faut dire que Sonia est croyante, et qu’elle connaît sa foi. Aussitôt, elle offre deux messes pour lui. Mais surtout elle prie. Elle prie peu de temps. Mais c’est une prière intérieure. Elle parle à son grand-père et lui dit : « Je suis là. Je pense à toi. Je ne t’oublie pas. »

 

Purgatoire de la terre

François a commencé son purgatoire en 1973, quand il a appris son cancer. Avant, il n’avait pas vraiment pensé à sa fin, pris par ses multiples activités. Lentement, il a senti le crabe progresser en lui. Il a d’abord pensé abréger sa vie, par peur de la déchéance. Et puis le courage lui a manqué. On meurt plus facilement quand on est jeune. Curieusement, c’est cette lâcheté qui l’a sauvé, car il a appris davantage sur lui dans ses deux années de fin de vie que dans sa vie entière. C’est aussi dans ces deux années qu’il a pris ses dispositions pour faire payer financièrement ce fils qui s’était permis de le juger. Rien de tel que le portefeuille pour faire réfléchir. Ce qui prouve que, jusqu’à la fin, il fut un homme fier et rancunier.

Quand la souffrance physique est arrivée, ça a été dur. Louise a été présente, fidèlement. Et voici que, par-dessus le marché, des cauchemars l’ont pris, avec, entre autres, le visage jeune puis vieilli de Blanche, l’épouse, qui lui faisait des reproches. Les voisins de chambre, à la clinique, se sont plaints de ce moribond qui criait.

L’aumônier de l’hôpital, prévenu par les infirmières de ses angoisses nocturnes, est passé le voir. Ils ont discuté longuement. François s’est comporté comme tout le monde, demandant quelque avis sur la possibilité d’une survie.

« Etes-vous sûr qu’il y a quelque chose ? » Et le prêtre, habitué de ces recherches spirituelles de la dernière heure, l’a rassuré. Puis il lui a proposé de le confesser. François a dit qu’il fallait qu’il s’y prépare, que ça allait être long. Il lui a dit de repasser le lendemain.

 

Pendant la nuit, les anges se réunirent et décidèrent qu’il avait assez appris de cette vie. Satan qui avait essayé de le désespérer par des cauchemars fut alors écarté. Satan, qui pour sa part ne visait qu’à nuire, avait sans le vouloir suscité beaucoup d’inquiétude salutaire en lui. Les anges délibérèrent que la confession au prêtre ne lui apporterait pas de vraie absolution puisque sa contrition était plutôt liée à la prudence et à la peur. L’ange de la mort vint arrêter son cœur. François s’est réveillé et l’ange lui a dit : « C’est l’heure. Veux-tu dire au revoir à quelqu’un ? » François a remercié. Il est passé chez sa fille et chez son fils juste pour caresser ses petits-enfants qui dormaient et qu’il n’avait que rarement rencontrés. Puis il est entré dans le passage qui mène à l’autre monde. Dans ce chemin, l’ange se comportait avec François avec autorité, s’adressant à lui comme un officier. Et François, comme un soldat de deuxième classe n’en menait pas large.

 

Purgatoire de lumière

La rencontre avec Jésus a été terrible pour lui. « Debout », lui a dit l’ange. « Tu es en présence du Fils de Dieu. » Tremblant, François se mit au garde-à-vous. Et il vit apparaître un être magnifique, plein de force et de droiture. Il fut frappé de cela : « Fortis et directus », avait été la devise romantique qu’il s’était choisie dans sa jeunesse. Cet être correspondait à son idéal de noblesse et d’honneur, tout ce que ses idéaux avaient aimé. Il se sentit aussitôt envahi par un sentiment d’amitié grave, virile, comme ces amitiés de combat quand on risque sa vie pour un jeune soldat coincé dans le no man’s land.

Alors, en compagnie de ce Roi, François voyagea. Il revit toute son enfance. Il s’attarda longtemps sur la Guerre de 14. Et Jésus mettait en valeur des actes de noblesse et d’abnégation. Il mit en avant, en le félicitant, diverses circonstances où il s’était comporté comme un chef admirable. Il vit certains sentiments d’admiration de ses hommes, surtout des bleus qu’il veillait particulièrement à entourer. Mais il mit aussi le doigt sur certains moments de peur, de faiblesse : « Tu es simplement un homme », semblait lui dire le Christ. Puis il entra dans la partie de sa vie qui était plus gênante. Quand il se revit avec sa maîtresse, sur des oreillers de soie, tandis que sa femme s’usait au ménage, il eut honte. Il aurait voulu disparaître. Mais l’attitude du Christ n’était pas celle de la condamnation, plutôt celle de la vérité : « Tu t’es très mal comporté dans cette circonstance », disait-il, en le regardant droit dans les yeux, avec une attitude faite de droiture et pleine d’amitié franche. François n’avait aucune difficulté à le reconnaître :

« Seigneur, je suis lâche dans la vie quotidienne. »

« Et ton fils ? »

François revit la scène de la découverte de son adultère et il put voyager dans les sentiments de déception de ce fils, dans sa colère pour le destin misérable de sa mère. Il pensait comme à travers lui. Il comprenait alors, de l’intérieur, la raison de sa dureté envers lui. Alors François fondit. Il éclata en sanglots.

« Seigneur, jusqu’au bout je me suis vengé. Et je l’ai déshérité. »

Le Christ lui dit :

« François, Blanche ton épouse est là. Regarde. Elle t’a pardonné depuis toujours. Elle aussi a des faiblesses. Elle a toujours été miséricordieuse avec les tiennes, même quand elle a appris, à l’heure de sa mort, que tu la trompais. Ton fils, il te pardonnera, le jour où lui-même verra sa faiblesse. Sois fort maintenant. Assume avec repentir tes péchés. C’est cela, la vraie force et droiture. Mais tu n’as pas terminé ton épreuve. Tu dois être confronté à l’ange de l’orgueil. »

Alors le Christ s’effaça. François sentait sa présence mais ne le voyait plus. L’apparition de Lucifer se fit aussi dans la dignité. Mais, avec une droiture très différente, une droiture recherchée pour elle-même, et non au service des personnes. Lui aussi repassa sa vie en revue, mais en insistant sur des choses très différentes. Il lui manifesta son goût du pouvoir. Même dans sa générosité envers ses jeunes soldats, où se mêlait cette espèce d’autosatisfaction paternaliste. Lucifer était un excellent psychologue. Curieusement, il ne lui rappela pas sa femme, sa maîtresse et son fils. Tout ce qui l’intéressait, c’était cette dignité « force et droiture », dont il avait fait sa devise de jeune homme.

« Si tu me suis, ton domaine sera royal. Tu choisiras les propres règles de ton Royaume. Tu seras un noble. »

Dans cette occasion, François comprit à quel point chaque acte de sa vie terrestre était important. Des valeurs identiques peuvent porter en elle l’égoïsme ou l’amour, selon les cas. Après cet entretien avec Lucifer qui lui montra son monde, il était devenu un homme. Il n’avait plus peur de rien. L’enfer lui apparaissait comme il était, avec sa liberté certes, mais aussi comme source d’esclavage, celle de son propre malheur. Le paradis aussi lui apparaissait sans effort, avec l’héroïsme du don de soi, source de vraie liberté et de bonheur, mais aussi de don de soi jusqu’au renoncement total. Il savait que, s’il choisissait le Christ, il devrait tout apprendre et longuement.

Alors, debout, il sentit que l’univers entier attendait son choix.

Il dit au Christ :

« C’est ta dignité qui est la vraie. Celle de Lucifer n’est qu’un mirage et j’en sais quelque chose. Lorsque j’agonisais dans mon hôpital, il ne me restait qu’une chose, outre ma misère : Louise. Notre amour était pécheur mais elle s’est montrée présente. Les seuls souvenirs qui m’ont fait vivre sont ceux de ma jeunesse où j’exposais ma vie pour mes camarades. Les autres, ceux de mes années d’égoïsme, ne donnent que du vent. Et puisque Blanche veut bien me pardonner, j’accepte son pardon. Aussi, si tu le veux, je me mets aujourd’hui à deux genoux devant toi, Jésus, et je te suis. »

Lucifer revint à la charge. Et cette fois, il ne voulut plus séduire. Il s’efforça, dans un dernier effort, d’accuser. Il lui parla de son ignoble égoïsme petit bourgeois, de ses ébats dans le dos de sa famille.

François était devenu libre. Il toisa Lucifer, comme au temps de sa jeunesse le danger et dit :

« Tout ce que tu dis est vrai. Et je compte bien payer pour tout. Et je préfère la force et la droiture de l’amour. Je vois bien que c’est pour cela que Dieu m’a créé. »

 

Jugement dernier

C’est seulement à ce moment que, fixé pleinement dans son choix de l’amour, François fut jugé. Le Christ s’adressa à l’univers entier et proclama, avec un ton qui n’attacha que davantage François à lui :

« A l’heure de sa mort et face à son péché, François a pris feu pour la cause de l’amour. Ses nombreux péchés lui furent remis parce qu'il montra beaucoup d'amour. C’est parce qu’on lui a beaucoup pardonné qu’il a montré beaucoup d'amour (Luc 7, 47). Il est à l’image de l’âme humaine. »

François frissonna de toute cette gloire d’amour qui lui était offerte. Il se sentit légitimement fier de s’être ainsi agenouillé.

Puis, s’adressant à lui cœur à cœur, le Seigneur ajouta :

« Je te le dis aujourd’hui, François. Un jour, aussi certain que j’existe, tu verras ton Dieu face à face. Entre maintenant dans le chemin que tu as décidé de prendre pour t’y préparer. »

Tout cela s’était passé à l’orée de l’autre monde. François fut invité à entrer de plein pied dans l’univers nouveau, ce qu’il fit.

 

Purgatoire du feu

Il le fit d’un pas ferme. Son ange lui dit :

« Tu dois encore apprendre beaucoup de choses. Tu aimes de tout ton cœur et pour toujours. Mais tu dois encore savoir comment il convient d’aimer. »

- Je suis prêt, mon Ange. Où dois-je me rendre pour apprendre ?

- Viens. »

Et il le conduisit comme en le portant sur des ailes d’aigle, vers une partie éloignée de cet univers dont François devinait l’immensité. Il lui désigna une montagne vertigineuse, faite d’immenses pics rocheux. François s’enthousiasma tant il trouva l’endroit grandiose, à l’image de toute la magnificence qu’il admirait dans ses rêves de la terre.

« C’est un endroit sublime et lumineux. Je vais y être bien, dit François à son Ange.

- Tu vas y souffrir le martyre, François. Car le désert n’est agréable qu’au moment où on le découvre, à cause de sa nouveauté. Après, on y brûle. »

François se dit qu’on verrait bien.

L’ange lui dit encore : « Si tu souffres trop, appelle. N’hésite jamais. Nous sommes là. »

Et il le quitta.

François se retrouva seul. Il commença par explorer son nouveau monde. Le corps qui était le sien avait d’étonnantes propriétés : il volait. Il pouvait, comme une hirondelle, visiter les moindres recoins. Il glissait le long des failles, abordait les à-pics. Un monde de rêve.

Au bout de huit jours de cette exploration, il remarqua que son monde était une planète immense. Mais elle était minérale. Aucune vie n’était visible nulle part. Au bout de quinze jours, il commença à s’ennuyer fort. Au bout de trois semaines, sa pensée, obsessionnellement, se tournait vers le souvenir du Seigneur, rencontré si fugacement à l’heure de sa mort. Il ne pensait plus à voler le long des montagnes. Il vivait, prostré, au bord d’une falaise. Au bout d’un mois, il se tordait les mains de douleur. Il était seul. Et les merveilles minérales ne comblaient plus rien en lui. Il se mit à revivre sa vie, étape par étape, afin de s’occuper. Il passait du découragement le plus profond à l’espoir le plus vif. Et il ressassait dans son esprit : « Je te le dis aujourd’hui, François. Un jour, aussi certain que j’existe, tu verras ton Dieu face à face. » Cette Parole était son unique nourriture et boisson. « Il a promis, se disait-il, et il tiendra sa parole. »

Au bout d’un an, François était devenu une loque. Il n’avait plus la force de voler. Épuisé, il se souvint alors de la parole de l’ange : « Si tu souffres trop, appelle. » Mais il ne voulait pas se résoudre à appeler. Il devait être fort et droit : « fortis et directus », comme le Seigneur, et pour son amour. Il devait tout accepter et tout payer, pour Blanche, pour Louise, pour son fils, sa fille, ses petits-enfants. Il n’allait pas recommencer et craquer en si bon chemin. Au bout de deux ans, le feu qu’il vivait dans son âme l’avait transformé en cadavre desséché, se traînant misérablement dans ses canyons. Alors il appela vers le ciel vide :

« A l’aide, je n’en peux plus. Mon ange est-il là ? J’ai soif. Que l’on me donne un peu de présence. »

Aussitôt apparut devant lui… une jeune fille. Habillée d’une simple robe blanche, pieds nus, une rose d’or dans les cheveux défaits, toute simple, souriante.

« Qui êtes-vous ? » demanda-t-il. Il était profondément surpris. Il s’attendait à la visite virile de son ami ange. Et c’était une présence gracieuse, royale, mais d’une royauté sans autorité martiale.

« Je suis Marie, la reine du purgatoire. Je suis venue pour t’encourager, François. Tu progresses. »

A sa simple apparition, comme une herbe qu’on arrose, l’âme de François reprit vie et courage.

- Je ne comprends pas ? Mon ange ne vient plus ?

- Ton ange ne peut plus rien t’apprendre. Mais c’est lui qui m’a parlé de toi. Tu sais, on ne peut aimer Dieu comme on aime un général d’Armée. Il faut un peu plus de délicatesse. Es-tu d’accord pour continuer à progresser ?

- Plus que jamais, Reine Marie. Je tiendrai. Je veux continuer.

Et François, revigoré, se retrouva de nouveau seul. Il sentait la présence gracieuse auprès de lui. Cette vision l’avait bouleversé : « Il faut un peu plus de délicatesse », avait dit la Reine. Et il méditait cette parole, il la retournait. Il marchait dans son monde et parlait sans cesse à Marie, sachant bien qu’elle l’entendait.

François reçut plusieurs fois une visite de la Vierge Marie, ou d’une de ses compagnes, dont Blanche son épouse. A chaque fois, il apprenait davantage. Son amour s’épurait.

 

25 ans passèrent encore. François se désespérait. Il lui semblait qu’il ne progressait plus depuis 10 ans. Comme un triton desséché, il se mouvait misérablement dans son ermitage. Et il criait, au ciel, à la terre :

« Qui m’aidera ? Qui me sortira de ce désert ? Je ne pourrai jamais aimer Dieu comme il le mérite. Quand viendra-t-il me chercher ? »

Sa prière fut entendue par les anges. Ils la portèrent sur la terre à une personne capable de la recevoir. Ils trouvèrent sa petite-fille Sonia. Comme il se doit, Sonia pria pour son grand-père, comme elle put. Et les anges, utilisant leur pouvoir, vinrent montrer en rêve à François Sonia qui priait pour lui. Il la vit pensant à lui dans son lit. C’était une pauvre prière, mais une prière venant de la terre, c'est-à-dire d’un purgatoire pire que le sien, un purgatoire où on n’avait jamais vu de ses propres yeux le Christ et ses saints. Il repensa à cette petite-fille, Sonia, qu’il avait bien vue une fois ou l’autre dans son enfance et qu’il n’avait pas même regardée. « Ce n’était qu’une fille, » pensait-il sincèrement à l’époque, s’intéressant plutôt à ses frères. Et cette pensée lui fit voir l’immense progrès réalisé depuis les années de sa mort. Il n’appelait plus Marie « Reine », mais « amie », « mère », et même « maman ». Il fut touché, jusqu’aux larmes, comme un prisonnier pourrait l’être après des années sans nouvelles des siens.

Comme dit l’évangile : « Alors le Roi dira à ceux de droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. » (Matthieu 25, 34)

Alors François pria une fois de plus, s’adressant aux présences invisibles autour de lui : « J’accepte de rester ici pour toujours. Je suis un misérable. Je ne mérite pas tout cet amour. Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi. »

Cette prière venait d’un cœur véritablement brisé et humilié.

Alors Dieu dessilla les yeux de François et il aperçut de l’eau (Genèse 21, 19). Des animaux s’approchèrent de lui et le monde désert où il habitait se mit à fleurir. En ce jour-là, accompagné d’une foule immense d’admirateurs et qui de nouveau étaient visibles dans leur corps de lumière, François entra en Dieu et le vit, face à face. Il le pouvait maintenant. Il était mort à lui-même.

 

François Dujard est enterré à Courbevoie. Sa tombe, en massif granit gris, est une tombe de notable :

 

François Dujard

1893-1975

Ancien combattant

Chevalier de la légion d’honneur

Blanche Jardin, épouse Dujard

1896-1953

 

Si on savait tout ce que signifie une tombe…

 

 

19- LES FANTÔMES DU CHÂTEAU DE VERSAILLES (Le passage de la mort).

(Matthieu 7, 26) Et quiconque entend ces paroles que je viens de dire et ne les met pas en pratique, peut se comparer à un homme insensé qui a bâti sa maison sur le sable. La pluie est tombée, les torrents sont venus, les vents ont soufflé et se sont rués sur cette maison, et elle s'est écroulée. Et grande a été sa ruine!"

 

* L'histoire de Clémence est vraie mais racontée de mémoire. L’anecdote du film réalisé à Versailles est authentique, ainsi que le récit de Père Claude. L'histoire d'Elodie de Montmaurin est imaginaire...

 

Clémence Ledoux

En 1964, Clémence Ledoux se rendit à Versailles en compagnie de Claude. Clémence n’était pas une femme comme les autres : elle avait un don rare, celui de voir des choses de Dieu. Et cela l’avait conduite dans un vrai chemin d’humilité, à travers de grands ennuis… venant eux aussi de Dieu. Ainsi, dans les années 1930, alors qu’elle était une religieuse de 42 ans, la Vierge Marie lui était apparue. Rien que cela. Et elle lui avait confié une mission : Parler de sa royauté maternelle au monde. Étant religieuse contemplative, elle en avait donc simplement parlé à son cardinal évêque qui, habitué aux fausses mystiques, lui avait ordonné de vivre dans le silence et l’obéissance. Elle avait donc obtempéré, bien certaine que, par un moyen ou un autre, le message passerait dans l’Église.

 

Or voilà qu’une âme dévouée, ayant des contacts au Vatican, en avait parlé à un prêtre qui en avait parlé au pape, qui avait été très touché. Le pape en avait parlé au Cardinal évêque qui, furieux, avait trouvé dans la désobéissance de Clémence (ce fameux ordre de se taire) une preuve de sa vanité. Il lui avait en conséquence intimé l’ordre de quitter son couvent, de renoncer à la vie religieuse, et de cesser par cet éloignement d’avoir une influence néfaste sur ses soeurs. Il avait dénoncé sa prétention à avoir des apparitions. Elle avait obtempéré.

La Providence est ainsi faite qu’elle aime les humbles personnes qui ne se défendent pas. Aussi, par un chemin étrange, les révélations de Clémence s’étaient retrouvées dans les documents du Concile Vatican II, en 1962, et le pape avait lui-même tenu à ce que figure le texte suivant, presque une définition dogmatique (Concile Vatican II, Lumen Gentium 59) :

« La Vierge immaculée, préservée par Dieu de toute atteinte de la faute originelle, ayant accompli le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire du ciel, et exaltée par le Seigneur comme la Reine de l'univers, pour être ainsi plus entièrement conforme à son Fils, Seigneur des seigneurs, victorieux du péché et de la mort. »

Cette phrase unique est bien courte cachée dans les documents du Concile. C’est que Dieu aime les choses cachées. Et il promet à celui qui ne reçoit pas sa récompense sur la terre de le récompenser au Ciel. C’est ainsi que Clémence disparut du monde visible. Elle se retira à Bois-le-Roi, au Sud de Paris, en habit de laïque, dans une maison que mit à sa disposition une femme pieuse. Elle fut rejointe par Claude, un jeune séminariste qu’on obligea à choisir entre sa mère spirituelle et son ordination. Avec lui, elle fonda la modeste ‘Fraternité de Marie Reine Immaculée’, en l’honneur de Marie et du texte du Concile. Et la Vierge Marie dit un jour à Clémence : « Claude sera ton prêtre et la Fraternité que je t’ai demandé de fonder portera de grands fruits. » Clémence ne vit jamais cette prophétie se réaliser, du moins de son vivant sur terre…*

* Bien après la mort de Clémence, Claude fut effectivement ordonné prêtre dans son vieil âge, comme Clémence l’avait vu. Et la fraternité de Marie Reine Immaculée s’épanouit soudain, dans les années 1980, avec plusieurs dizaines de jeunes. Cette communauté refonda la vocation de Marie et de Jean où le prêtre n’est pas seul mais est accompagné partout dans son apostolat par ses sœurs et amies contemplatives.

 

Ames errantes

En 1964 donc, Clémence Ledoux se rendit avec Claude à Versailles pour visiter le château. Lui avait pris sa caméra 8 mm pour filmer l’événement. Il en prenait l’habitude, pressentant qu’il fallait tout garder et tout archiver. Il filma donc Clémence, déambulant dans les jardins du château. Il faisait un soleil radieux et son film était en couleur. Or Clémence semblait étrange, observant partout, à droite, à gauche, comme si elle voyait des choses invisibles. Revenus à Bois-le-Roi, elle lui raconta : « J’ai vu, partout dans les jardins, des gens en magnifiques costumes de jadis. Ils étaient tristes. Ils semblaient errer. » Étrangement, les choses en restèrent là. Vingt ans plus tard, le Père Claude racontait encore cette histoire à ses visiteurs. Personne ne pensa à approfondir cette question. Et pourtant, elle permit aux catholiques, avec d’autres anecdotes du même genre, de prendre conscience de l’existence d’un purgatoire très oublié que saint Bernard connaissait bien à son époque, lui qui raconte ceci (Saint Bernard, Vie de saint Malachie) : "Saint Malachie vit un jour sa sœur qui avait trépassé depuis quelque temps. Elle faisait son purgatoire au cimetière: à cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint offrit pour elle le sacrifice de la messe durant trente jours. Ce terme expiré, il revit à nouveau sa sœur. Cette fois elle avait été condamnée à achever son purgatoire à la porte de l’Église, sans doute à cause de ses irrévérences pour le lieu saint, peut-être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des Mystères Sacrés".

 

Madame de Montmaurin

Madame Élodie de Montmaurin arriva à la cour de Louis XIV au tout début, alors que le Roi venait de s’installer à Versailles. Elle était jeune et encore belle. Elle vit se mettre en place les grandioses cérémonials du Royaume. Elle assista à toute la gloire en gestation du Roi soleil. Son appartement, une pièce froide dans l’aile Ouest, était peu confortable. Mais elle était prête à subir cela pour entrer dans le tournis perpétuel des fêtes, des représentations, des spectacles. Très vite, elle se laissa prendre au jeu de Versailles, ce jeu de mondanité où le plus grand honneur consiste à être personnellement présent, même au troisième rang, au lever du Roi. Pour cela, il lui fallait de l’argent, de l’argent et encore de l’argent, non pour acheter des passe-droits, mais pour être toujours à la mode. C’est ainsi que tous les revenus de ses terres de province, elle commença à les investir dans les ruineuses toilettes de soirées.

Elle prit un mari puis, puisque le Roi en montrait la bienséance, plusieurs amants parmi les nobles de son rang.

Puis la mode se mit aux mots d’esprit. Elle se mit donc à les pratiquer, se piquant, avec quelques autres dames de la cour, à des calomnies sans conséquences : les amants d’une telle, les ennuis de tel autre, la disgrâce d’un troisième. C’est ainsi que le temps passa et Élodie, insensiblement, devint ce qu’elle s’était faite : une courtisane mondaine.

A force de règles externes, Élodie de Montmaurin en arriva à ne plus vivre que comme une apparence. Pourtant, extérieurement, elle se rendait à la messe tous les matins. Connaissant le goût du temps pour la piété baroque, elle prenait des poses extatiques. Et elle communiait, comme il sied à la bienséance, ni trop souvent pour ne pas trop étaler une vertu, ni trop peu afin de paraître raisonnablement pieuse. Elle n’était pas vraiment méchante, juste superficielle.

L’hiver 1700 fut froid. Élodie contracta une fluxion de poitrine dans son appartement peu chauffé. C’est ainsi qu’elle se retrouva, en quelques jours, aussi morte qu’on peut l’être. Elle n’eut même pas le temps d’avoir peur, ni de souffrir.

 

Fantôme

Élodie se retrouva donc en dehors de son corps. Ce n’était même pas surprenant. Juste étrange. On s’aperçut assez vite de sa mort, et on évacua son corps. Ce fut tout. Comme une pierre qui tombe dans un puit, son souvenir sembla s’évanouir de la pensée des gens. Si Élodie avait eu un peu plus de profondeur, elle en aurait tiré une leçon et aurait médité sur la vanité des choses. Mais ce n’était pas sa mentalité et, depuis longtemps, elle entendait sans écouter les sermons de la chapelle du roi qui ne faisaient que glisser sur ces thèmes.

Alors, du haut du Ciel, les anges chargés de son âme parlèrent d’elle en paix :

« Laissons-lui le temps. Laissons-la vivre sa mort selon ses désirs. Tout passe, tout casse, tout lasse. Et Dieu finira par s’imposer à son cœur. 

- Il faudra du temps pour que le fond de son désir profond remonte à la surface ?

- Certes, elle fait partie des personnes dont l’âme est encombrée de foin, de paille, de bois comme rarement. »

Élodie commença donc à vivre une vie selon ses désirs. Elle pouvait s’habiller selon son désir, de robes magnifiques. Elle ne s’en priva pas. Et, dès le lendemain, pour la première fois, elle put assister au premier rang au Petit puis au Grand lever du Roi. Elle y assista encore le lendemain, puis le lendemain encore. Tout ce qu’elle avait attendu toute sa vie, tous ces honneurs et brillants, elle s’en délecta. Elle n’avait eu que cela en tête pendant quinze ans, alors elle se mit à en vivre, chaque jour, sans se lasser. Et c’est ainsi que son temps passa. Elle se mit à glisser dans les époques à travers les couloirs de Versailles. Elle vit les fleurs du roi Louis XIV se faner. Le corps du roi se voûta, puis disparut. Une à une, les splendides mondaines dont elle suivait les conversations superficielles depuis sa mort vieillirent et quittèrent Versailles. A l’arrivée de Louis XV, il y eu un vrai renouveau de vie et d’intérêt. Élodie jugeait les nouvelles modes, assistait aux nouveaux jeux qui meublaient l’ennui de la cour. Elle vit la même mondanité et ne se lassa pas de vivre comme une spectatrice privilégiée, les intrigues d’alcôves, les petits mots et les grands drames des âmes humaines. Et la roue du temps passa encore. Louis XVI arriva, accompagné d’une nouvelle jeunesse, d’une nouvelle comédie humaine. Lorsque la cour quitta Versailles, puis lorsque le château se vida de ses meubles, Élodie commença à ressentir de l’ennui. Mais elle attendit courageusement, se disant qu’elle ne pouvait quitter une place si chèrement payée au cœur de la gloire humaine.

Elle voyait autour d’elle glisser de plus en plus d’âmes qui, comme elle, souhaitaient vivre des fastes de Versailles. Elle ne les fréquentait surtout pas, les trouvant tristes et sans intérêt, dans leur désir névrotique de revivre les fastes d’antan. Et elle sentait en elles cette même rivalité des préséances qui avaient animé sa vie.

Suivant son habitude, Élodie occupait ses journées, se promenant dans les jardins en friche le jour, fréquentant les désertes salles de bal la nuit. Au cours des décennies de silence, insensiblement, son âme se voûta un peu sous l’ennui. Il lui arrivait parfois de se demander si elle ne perdait pas son temps. Puis, courageusement, elle se remettait en représentation et reprenait son rang de courtisane, arpentant les couloirs en grande tenue, attendant le retour de la cour qui devrait nécessairement se produire.

Aux XIXème puis au XXème siècles, de temps en temps, il y eut quelques agitations politiques à Versailles. Elodie y assista mais ne retrouva jamais les lumières du Grand siècle. Les hommes qui faisaient l’histoire étaient sans apparence ni faste. De tristes sires…

 

Vivre avec les ombres de la mort

Lorsque, en 1964, Clémence Ledoux visita Versailles, elle croisa Élodie dans le parc. Toutes deux furent surprises. Élodie la première car il était très rare qu’un vivant ait la faculté de percevoir sa présence. Clémence ensuite parce qu’elle se dit que cette pauvre femme devait errer ainsi depuis plusieurs siècles. Aussitôt, elle se mit à lui parler en pensée : « Que faites-vous ici ? Comment se fait-il que vous ne soyez pas partie dans l’autre monde ? » Elle n’obtint aucune réponse. Bien au contraire, Élodie se mit à s’éloigner d’elle, passant dans un autre coin du parc. Il faut dire qu’elle avait reconnu en elle une âme pieuse, une de ces personnes qui s’efforçaient de temps en temps de l’inviter à quitter la place de rêve qu’elle s’était gardée au cœur de la plus grande cour du monde. Or, elle s’était toujours méfiée de ce discours. Clémence ne pouvait comprendre cette étrange psychologie qui maintient des âmes dans la recherche d’une gloire fanée, alors que la cour du Roi du Ciel brille pour l’éternité. Clémence s’efforça donc de poursuivre Élodie de Montmaurin et elle lui dit : « Madame, nous sommes à la veille d’une autre vie, d’un autre esprit, d’un autre langage, d’un plus grand amour pour Dieu ! » Élodie lui lança un pauvre regard, puis s’éloigna encore. Revenue chez elle, Clémence pria beaucoup pour les âmes d’un tel purgatoire. Dès qu’elle le put, elle demanda une de ces indulgences plénières que distribue de temps en temps l’Église. Et les anges reçurent son appel et ses prières.

Clémence Ledoux mourut un peu plus tard.

 

Délivrance

Arrivée au Ciel, Clémence s’informa auprès des anges à propos d’Élodie :

« Comment se fait-il qu’elle n’ait pas reçu l’effet de l’indulgence plénière ? Je m’attendais à la trouver ici.

- Patience, Clémence. Tu es déjà exaucée. Élodie n’est pas mauvaise. Elle sera sauvée. Il faut juste du temps, le temps pour qu’elle souffre dans sa mondanité pathologique. Le Roi du Ciel l’a maintenue à Versailles, dans le long passage de la mort, afin d’agrandir son désir du vrai amour. C’est qu’Élodie était par trop encombrée de bric-à-brac mondain, pas au point cependant de se mettre avec un orgueil froid en enfer. Sans souffrance, comment pourrait-elle recevoir avec fruit la visite de la cour céleste ?

- Et quand sera-t-elle sauvée de son erreur ?

- Elle le sera dans 40 ans. A cette époque-là, Élodie sera mûrie par le perpétuel ennui. Les gloires qui passent finiront de la miner. Et un jour, un de tes fils prêtres lira son histoire. Dans un premier temps, il la trouvera peu théologique. Puis il se dira : « Après tout, puisque ma mère Clémence avait vu cette âme, pourquoi ne pas prier pour elle. »

Alors ce prêtre s’adressera en pensées à Élodie en secret, au cours du Saint Sacrifice: « Savez-vous, Madame, que la cour du roi éternel vous demande ? Vous pouvez tout à fait vous y rendre avec votre toilette la plus belle. Pour y être introduite, il vous suffit de vous présenter à son chambellan, votre ange gardien. »

- Comment une telle demande pourra-t-elle la sauver ?

- Elle la prononcera car elle en aura soupé de Versailles, à cette époque ! Elle souhaitera toujours les fastes d’antan mais quelqu’un aura la finesse de lui expliquer qu’ils existent au Ciel au point que la gloire de Salomon lui-même en est surpassée (Luc 12, 27).

- Elle ne pourra jamais passer en grande tenue dans le « trou de l’aiguille » (Matthieu 19, 24) qui ouvre le Ciel ?

- Certes, Clémence, elle n’assistera dans un premier temps qu’au petit lever du Roi du Ciel. Elle sera accueillie par le Christ sous les vêtements de son humanité glorieuse, accompagnée de toute la cour céleste. Il l’accueillera telle qu’elle est, en vêtements « Louis XIV ». Et il guérira son âme de sa névrose de vanité en la comblant d’honneur. Car elle sera le centre de cette fête. Elle en sera tellement touchée que, lorsque le Christ lui présentera le mystère de l’humilité, elle y adhérera entièrement.

- Et quand assistera-t-elle au Grand lever du Roi ?

- Elle aura encore du chemin à faire avant de voir le Christ dans sa divinité. Le temps qu’elle se dépouille de ses toilettes Versaillaises, pour arriver nue et sans faste. Mais sois-en sûre, un jour, elle entrera dans la gloire éternelle. Tu pourras alors, en sa compagnie, discuter de la femme malheureuse qu’elle fut, de la femme épousée qu’elle sera."

 

 

20- SUICIDE D’UN ADOLESCENT (Le sort des suicidés).

 

« Ne jugez pas, afin de n'être pas jugés; car, du jugement dont vous jugez on vous jugera, et de la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous. » (Matthieu 7, 1)

 

Le miroir

Il s’agit de Théophile Ducharme, né à Rennes en 1988, bon élève de terminale, intelligent.

Théophile a l’esprit ensorcelé par Marguerite, rencontrée un an auparavant au lycée, à l’âge de 16 ans.

Celle-ci est fille d’un avocat. Elle est belle. Elle sort des bras de Philippe, un condisciple de classe de première, pour se jeter dans ceux de ce Théophile couvert de petites copines, et dont ses camarades disent qu’il est « bronzé, qu’il a les yeux verts, les cheveux châtains, courts et enduits de gel, une forte stature, et déjà une mâchoire d’homme. »

Ils s’adorent. On connaît la suite. Théophile et Marguerite sortent ensemble à partir du 1er avril 2004. Théophile craint de perdre Marguerite et se montre avec elle d’une prévenance émouvante. Puis le couple se montre en ville, fréquente des soirées. Il partent en vacances une semaine pendant la période qui suit les épreuves du bac et reviennent à Rennes. Marguerite ne se sent plus bien avec Théophile. Elle le trouve trop gentil, trop à son service. Extérieurement, elle semble plus distante puis, brutalement, le 6 juillet, elle lui signifie sa rupture. On la voit quelques jours plus tard aux bras d’un autre garçon.

Une semaine après la rupture, Théophile dit à un de ses camarades : « J’ai cette fille dans la peau. » et il ajoute : « J’irai jusqu’au bout de mes forces, après, si je pars, personne n’aura rien à se reprocher. » « Je ne lui en veux pas. Elle est partie, cette fille, qui m’a donné la seule année que j’ai connue de bonne dans ma vie. Elle est partie, me laissant seul, tout seul. »

30 septembre, il se suicide pour ne pas survivre à son grand amour. Jacques son frère qui l’avait accompagné en vacances est témoin des dernières semaines. Il raconte les circonstances exactes de ce suicide d’amour.

« Je savais, disait Jacques, Théophile miné à en finir, mais non dans ces conditions. Il disait : « Je suis comme une horloge qui a perdu son ressort, et rien ne pourra me remonter. » Mais vraiment, je ne pouvais supposer qu’il se tue dans le hall de l’immeuble de Marguerite. J’étais convaincu qu’il courait un danger dans sa chambre et j’avais peur de le retrouver pendu devant le portrait de celle qu’il regrettait. Aussi, lorsqu’on me prévint qu’il était, contre son habitude, sorti ce soir-là pour aller en ville, je ne fus pas très inquiet.

Néanmoins, je m’y rendis. Or, en passant dans la rue Cambronne, j’ai trouvé la police et des voitures de pompiers. Puis un vague pressentiment m’a assailli. Je suis revenu sur mes pas lorsque je vis sortir un brancard. Je me suis précipité et j’ai demandé : « Qui est-ce ? Que s’est-il passé ? » Théophile était sur le brancard, la tête bandée. Deux filets de sang lui coulaient de chaque côté du crâne. Il a eu quelques légers spasmes. Il est mort deux heures plus tard à l’hôpital.

Le projet de Théophile était visiblement arrêté depuis quelque temps. C’était devenu chez lui une idée fixe, en finir avec la vie, et ne pas survivre à son malheur. Il était en quelque sorte gardé à vue par ses amis. On ne sait comment il s’était procuré l’arme avec laquelle il s’était tué.

Il avait laissé deux lettres, l’une à ses parents, l’autre à ses amis, déposées dans un tiroir de son bureau. Il disait à sa mère : « Pardon. Je t’aime. Ne te fais aucun reproche, ni à toi ni à personne. Je suis seul et décidé face à mon choix. »

Dans une longue lettre, il précisait sa dernière volonté : être enterré avec une photo de Marguerite. Quand on le déshabilla, on trouva effectivement sous sa chemise et contre sa peau, une photographie représentant Marguerite toute souriante. Au dos étaient écrits ces mots: « Je t’adore : ta Marguerite. » On ne vit pas Marguerite à l’enterrement et on la comprit : tout cela est trop lourd à porter pour une jeune fille de dix-sept ans…

 

De l’autre côté du miroir

Théophile fut propulsé hors de son corps par le projectile. Il se retrouva par terre, étalé de tout son long. Il pensa : « Je me suis raté. » Il voulut ramasser son pistolet tombé au sol et resta pétrifié : une main crispée le tenait déjà, sa main.

Il mit un temps à réaliser tandis que les portes des appartements s’ouvraient et que des cris d’effroi jaillissaient de toute part.

Il s’attendait au doux sommeil du néant et il se retrouvait complètement vivant. Il voulut parler aux gens mais personne ne le voyait. C’est alors que sa Marguerite arriva. Elle vit son corps et elle comprit. Or, Théophile voyait non seulement son visage, sa main crispée devant sa bouche, mais avec une acuité étonnante, il voyait ses pensées. Plus encore, il pensait ses pensées, comme s’il était elle, de l’intérieur. Il la vit entrer précipitamment dans l’appartement de ses parents et s’y cacher. Et il la suivit sans problème, passant à travers la porte. Déjà, il voulait crier qu’il s’excusait mais aucun son ne sortait. Et il assista à toute sa détresse intérieure. Il ne vit qu’une petite fille aux abois, incapable de réaliser d’abord, puis de porter l’énorme poids qui tombait sur ses épaules. Il la vit tour à tour penser au suicide, puis se dire qu’elle ne pourrait jamais retourner au lycée. Tout se bousculait en elle, pas par amour pour lui, mais dans l’unique idée de cette responsabilité qu’elle était incapable de porter. Elle téléphona à une amie qui ne savait, sous le coup de la nouvelle, quoi lui dire. Puis ses parents arrivèrent en catastrophe.

« C’est mon ancien petit copain. Il s’est tué sur le palier. »

Confronté à une telle détresse, vivant de l’intérieur ces événements, Théophile prit brutalement conscience de la folie de son geste. N’en supportant pas plus, il se sauva. Il s’enfuit et pensa à sa mère pour se retrouver aussitôt auprès d’elle. Et il la vit, petite chose blottie dans la salle d’attente du funérarium, écrasée de détresse. Il lut ses pensée et vit défiler dans sa tête tout le passé, tout l’amour donné pendant dix-sept ans de soins et de quotidien, la grossesse tant attendue, le bébé le plus beau du monde, le petit garçon costaud, toute sa fierté devant le jeune homme sorti de ses efforts, et enfin tout l’anéantissement. Et, dans une foudroyante prise de conscience, il comprit qu’il n’avait absolument pas pensé à sa mère. Il comprit qu’elle était morte aussi et pour toujours sans doute.

Il sortit dans la rue.

« Mais quel con, quel con ! » Et il frappait les murs qui n’offraient aucune résistance. Partout où il allait, il emmenait avec lui la vision de la catastrophe. Alors il alla se cacher, tel un renard poursuivi par la meute, dans une gare désaffectée, un ancien lieu des jeux de son enfance. Il y resta seul trois jours, et le cauchemar avec lui. Puis il se sentit appelé. Il suivit l’appel et se retrouva dans l’église où il assista à son enterrement. Et il vit tous ces gens atterrés. Il vit une sorte d’unanimité dans la tristesse, car nul ne se réjouit de la mort d’un jeune. Globalement, les pensées étaient de l’amitié sincère. Quelques notes dissonantes cependant : les amis de Marguerite étaient là, compatissants certes, mais fermés. L’un d’eux s’adressait à lui, comme s’il avait été dans le cercueil : « T’es vraiment nul. Il est beau ton geste grandiloquent. Et c’est comme ça que tu l’aimes, toi, Marguerite ? Tu lui laisses le paquet et débrouille-toi. Vis ta vie maintenant. »

Il était confus. Il était maintenant parfaitement conscient de sa lâcheté. Il alla voir son frère qui se tenait droit, présent, suivant simplement la liturgie, comme on honore un ami. Ce frère ne s’adressait pas à lui, n’ayant jamais espéré aucune survie après la mort. Il aurait voulu lui dire : « Eh bien tu te trompes. C’est un fait. Tes théories physiques sont insuffisantes… » Il s’assit au fond de l’église auprès d’une dame âgée et en chapeau. Il ne la connaissait pas. Elle priait : « Sainte Vierge, souvenez-vous qu’on n’a jamais entendu dire que celui qui a recours à vous ait été abandonné de vous. Je vous en prie. Occupez-vous de ce jeune. Venez le chercher. » Il en fut très touché. Il ne croyait pas à tout cela mais il vit qu’elle était sincère. Écrasé par la tristesse, il ne voulut pas en supporter davantage et il sortit.

Après l’enterrement, il erra un peu dans la ville. Il glissait comme une ombre, parfaitement seul et sans repos. Il retourna dans sa gare, incapable de sortir et d’aller dans les appartements de ses amis. Trois jours plus tard, il avait tout retourné dans sa tête : cette incroyable et impossible survie, ces dégâts laissés derrière lui, cette solitude. Alors il pleura amèrement. Il répétait : « Qu’est-ce que j’ai fait. Si j’avais su. Si j’avais su. »

 

L’Ange

Et puis, il y eut soudain du nouveau. Une voix parla :

- Tu t’es suicidé par amour, n’est-ce pas ?

Théophile sursauta. Une voix s’était adressée à lui. Il se retourna. Il ne vit personne.

- Qui me parle ?

- C’est par amour que tu t’es suicidé, Théophile ?

La voix était douce et simplement interrogative. Elle prononça « Théophile » avec une sorte de proximité maternelle. Oui, c’était comme la voix de sa mère, lorsqu’il était petit.

- Vous voulez savoir ? dit-il avec colère et sincérité. Non, je me suis tué par bêtise. Je n’ai pensé qu’à moi. Voilà la vérité.

- Es-tu prêt maintenant à venir ? chuchota la voix dans son oreille. Toujours cette impression de calme et de paix, impression que depuis sa rupture sentimentale, il n’avait jamais plus éprouvée. C’était la même impression de tendre innocence que lors de ses moments avec Marguerite.

- Pour aller où ? Je ne sais même pas pourquoi je suis encore vivant.

- Viens et vois. (Jean 1, 39).

Il sentait auprès de lui une présence paisible. Il ne voyait toujours rien mais devinait en elle une sorte de guide chaleureux. Or, au-dessus de lui, il vit soudain s’ouvrir comme une porte d’où sortait une lumière brillante.

- C’est quoi ça ?

- Le passage pour l’autre monde.

Il se sentit attiré, comme un papillon l’est par la lumière.

- Non, je ne suis pas prêt. Je ne veux pas rencontrer cette lumière. Je suis un salaud. Maman ! Marguerite ! Tous mes amis !

- N’aie pas peur, (Jean 6, 20) dit la voix, devenue masculine. Et un bras fort et rassurant, comme celle de son père quand il l’entraînait à se dépasser lors de ses premiers plongeons à la piscine, le prit par les épaules et le fit pénétrer dans le couloir de lumière.

 

Soixante ans plus tard

Soixante ans plus tard, le 6 janvier 2067, Marguerite mourut à son tour. Elle franchit la porte, entra dans la lumière. Elle avait vécu une longue vie et elle avait finalement connu le bonheur. Elle avait fini par se pardonner ce drame, et à partir de l’âge de 25 ans, elle avait accepté de vivre de nouveau, quand son fiancé, celui qui devint son compagnon et le père de ses enfants, lui avait dit, excédé : « La gamine de jadis finira-t-elle tout de même par disparaître ? » A l’heure de sa mort, elle franchit elle aussi la porte. Avec le Christ, elle revit sa vie, ses péchés, ses bonnes actions. Lucifer l’accusa, mais elle voulut l’amour. Or, dans tous ces événements, elle ne rencontra jamais Théophile. Étonnée, elle demanda à son ange gardien : « Où est-il ? »

L’ange lui répondit : « Il t’attend. Il n’a pas voulu entrer dans la Lumière avant de te demander pardon, de visu. Tu verras. Il est devenu un jeune homme bien. » L’ange la prit par la main et la conduisit dans la vallée des purgatoires. Théophile se tenait debout, souriant, et de son âme sortait de la lumière. C’est là qu’ils se demandèrent pardon.

« Je t’ai abandonné. J’étais une enfant. Je ne cherchais que du plaisir sentimental

- Je t’ai écrasée par un amour trop exclusif. J’étais un enfant. Et mon suicide… Ça a été l’acte le plus stupide. Je croyais te prouver mon amour.

- Et tu m’attends depuis 60 ans ?

- Tous nos amours revivent au Ciel, purifiés de toutes leurs bêtises. Et tu verras, tu accueilleras bientôt ton mari, puis tes enfants.

- Qu’as-tu fait après ta mort ?

- J’étais absolument désespéré. Je voulais le néant mais j’étais vivant. Si j’étais entré directement dans la lumière, face à Lucifer, j’aurais fait une bêtise. Je me serais damné. Mais nos amis du Ciel le savaient. Alors ils m’ont d’abord laissé méditer sur terre, comme une âme errante, juste ce qu’il fallait pour que je devienne le misérable que j’étais. Cette souffrance a été la pire qu’on puisse imaginer. Je ne la souhaite à personne. J’étais entre deux mondes, j’avais perdu ton amour et je n’avais pas encore le leur.*

* Psaume 88, 11 : « Pour les morts fais-tu des merveilles, les ombres se lèvent-elles pour te louer? Parle-t-on de ton amour dans la tombe, de ta vérité au lieu de perdition? Connaît-on dans la ténèbre tes merveilles et ta justice au pays de l'oubli...? Et moi, je crie vers toi, Yahvé, le matin, ma prière te prévient. »

 

Puis mon ange est venu me chercher. Et il m’a confronté tout de suite au Messie, Jésus, mon Dieu. Il a passé un temps immense avec moi. Il m’a rassuré. Il m’a présenté des suicidés qui habitaient dans la Vision de Dieu. Tous me montraient leur vie. Il y avait toute sorte de suicides. L’un d’eux m’a frappé par son humour formidable. Il me disait : « Tu te rends compte? J’ai été pardonné ! Et pourtant, tu sais comment je me suis tué ? En duel, oui, en duel contre un officier bretteur de Louis XIII, sous prétexte qu’il m’avait soi-disant légèrement bousculé dans un passage et sans s’excuser. Je voulais juste crâner devant ma bande d’amis. J’avais 17 ans, j’étais un paltoquet vaniteux, une sorte de piaf sans ombre d’intelligence. Il m’a transpercé comme un poulet. Et je suis arrivé là-haut tout nu et sans honneur. Finis mes amis, j’étais seul. Et j’ai été pardonné ! »

Lucifer aussi a mis toutes ses forces. Quand il est apparu, il m’a montré les conséquences de mes actes : la vieillesse sans joie de ma mère, les dix années dont tu as eu besoin pour te remettre et revivre. Et il disait, d’un ton définitif, et avec une grande autorité : « Ta faute est trop grande. Elle ne saurait être pardonnée. » Il s’était fait accompagner d’un certain nombre de ses adeptes, quelques suicidés de l’enfer. L’un d’eux m’a marqué. Il disait : « J’ai livré mon meilleur ami à ses ennemis pour quelques pièces d’argent. Ne crois pas au pardon. Reste digne. Tu es allé trop loin : tu as détruit la fille que tu aimais. Moi, j’ai rendu l’argent et je me suis tué. »

 

Après un moment, Théophile continua son récit :

« J’étais en danger de damnation. J’allais suivre Lucifer, dans un acte libre de désespérance quand j’ai regardé une dernière fois Jésus. Et il m’a dit : « Moi aussi, je suis mort à cause d’un grand amour. » Mais je lui répondais : « Toi, tu ne t’es offert que par un vrai amour, moi je suis mort à cause d’un vrai égoïsme aveugle. Jamais je ne pourrai me pardonner ces vies gâchées, ma mère, Marguerite. »

Alors il m’a dévoilé le futur : ta propre âme façonnée par la vie, nos retrouvailles un jour. Il m’a montré les effets pour l’éternité des souffrances de ma mère, son allégresse lorsque, dans quelques années, à l’heure de sa mort, elle se retrouverait vivante, elle qui est athée, et qu’elle me retrouverait. Il a conclu par ces mots (Luc 5, 31) : « Ce ne sont pas les gens en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs, au repentir. Viens. Tu es fait pour l’amour. »

Alors j’ai accepté son pardon. Mais j’en tenais une couche, tu sais : j’y ai mis une condition : j’ai voulu attendre l’arrivée de ma mère puis ton arrivée avant d’aller au Ciel avec Dieu. Je voulais me punir. Jésus a accepté. Je me suis mis au purgatoire. Et j’ai attendu, seul.

- C’est un beau cadeau de ton amour.

- Non, j’en avais besoin. Il fallait que je médite jusqu’au bout ma misère.

 

Ce jour-là, Théophile et Marguerite sont entrés dans la Vision de l’Être le plus merveilleux, le plus délicat qu’on puisse imaginer : ils y sont pour l’éternité et Dieu a poussé la délicatesse jusqu’à leur rendre leur amour de jeunesse. Ils y sont entrés ensemble, ces deux-là.

Lucifer, en colère, disait : « Ce n’est tout de même pas croyable. C’est théologiquement absurde. Dieu décide que, après la mort, tout homme qui paraîtra en ayant refusé l’amour est damné (dogme !). Alors, quand cela l’arrange, sous prétexte qu’un de ces petits morveux est prêt à me suivre, il les sauve dans le passage de la mort. Il transforme la mort en un passage, voire un séjour ! Il l’étend comme un élastique. Ce Théophile y est resté 9 jours à y réfléchir ! Sans cela, je l’avais ! Il m’aurait suivi ! »

 

Le suicide est comme tous les actes humains. Il peut être motivé par un grand amour, ou plus souvent par la faiblesse, par l’ignorance, parfois par la méchanceté. Et seul le Christ, dans son Apparition, peut manifester la vérité dans cette complexité.

 

 

21- LA VENGEANCE DE LA VIERGE MARIE (La venue de Marie à l’heure de la mort).

 

La prédication du pasteur évangélique Wilkinson*

« Je suis le pasteur Wilkinson, des Églises évangéliques. Ce qui suit est un songe reçu par mon épouse en 1997. J'étais dans mon bureau en train de répondre sur Internet à des sites propageant les doctrines mariales, sans vraiment me rendre compte de l'ampleur du combat. Mon épouse vint me trouver et me raconta le rêve que voici.

Elle voyait une carte de France et sur cette carte une immense grille en fer très lourde. Sous cette grille étaient écrasés des gens qui criaient ou gémissaient. Cette grille écrasant la France était tendue à chaque coin de l'hexagone par des démons hideux qui avaient pour nom: alcoolisme, dépression, suicide, sorcellerie, franc-maçonnerie, etc. Au milieu de la grille un grand démon très laid était assis, écrasant de tout son poids ses victimes. Son nom était "Vierge Marie".

Oui, pour moi, l'innocente "vierge" Marie est certainement la grande prostituée dont parle saint Jean dans l’Apocalypse et dans le chapitre 6 du livre des Proverbes. Il est clair que le culte qu’elle reçoit est le centre de cette Babylone spirituelle reconstituée qu’est le catholicisme, où se mélange la foi chrétienne véritable et de spiritisme (le culte des saints). Il se peut que ce soit également « Marie » qui montera de l'Europe, Europê la princesse aux "gros yeux" enlevée par le Minotaure (Nimrod), et qui unifiera toutes les religions en une seule (le mouvement œcuménique). C'est pour communier à la table de cette fausse Église, de cet esprit de prostitution, qu'"on se réduit à un morceau de pain" (Proverbes 6, 26), qu'on est prêt à avaler la doctrine cannibale de l'eucharistie et des démons qui sont derrière (1 Co 10, 20), même sous une forme diluée, car le mensonge est toujours prêt à se déguiser pour se faire accepter. »

* Ce texte est une prédication originale d’un pasteur des Églises évangéliques.


La vengeance de la Vierge Marie

Le pasteur Wilkinson mourut en 2007. Il rendit son âme à Dieu dans une attitude d’adoration du Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme. Il fut entouré de sa femme et de ses enfants. Toute sa vie, depuis sa conversion, fut adonnée au zèle de Dieu, dans la droiture et la force de sa foi. Et il fut aimé des siens pour sa haute vertu et dignité. Sur sa tombe, il fit écrire l’épitaphe suivante : « Jésus seul a compté à mes yeux. »

 

Aussitôt, le dernier battement de son cœur, il se retrouva face à un Être de lumière, magnifique, lumineux, grandiose, qu’il identifia immédiatement comme étant le Christ. Jamais il n’avait vu de ses yeux telle magnificence et dignité.

(Apocalypse 1, 14) Sa tête, avec ses cheveux blancs, était comme de la laine blanche (une blancheur de la vérité pure), comme de la neige (froide et brillante comme elle), ses yeux étaient comme une flamme ardente (qui voyaient avec précision et à nus chacun des péchés du pasteur), ses pieds étaient pareils à de l'airain précieux que l'on aurait purifié au creuset (et le pasteur était comme écrasé par tant de puissance), sa voix était comme la voix des grandes eaux (le pasteur, subjugué, écrasé, se prosterna aussitôt pour l’adorer). Dans sa main droite il avait sept étoiles (dignité, grandeur, liberté, vertu, honneur, puissance, liberté), et de sa bouche sortait une épée acérée, à double tranchant (vérité et force).

 

Et il lui dit : « Serviteur fidèle ! Tu as défendu mon honneur. Tu as su dire de toute ta force que Dieu est Dieu et que la créature est créature. Entre dans la joie de ton maître. »

Et l’Être de lumière lui montra le paradis, un jardin de délice. Le pasteur Wilkinson voulut prendre la main de l’Être de lumière et plein de reconnaissance, l’embrasser. Mais celui-ci, se retournant, lui dit avec force : « Ne me touche pas ! Ici règne la dignité. Tiens-toi debout ! » Le pasteur, intimidé, obtempéra… Et dans son cœur, secrètement, naquit une angoisse, un feu ...

L’Être de lumière vit ce feu et lui dit : « C’est l’angoisse de la liberté. N’aies pas peur. »

Alors que le pasteur Wilkinson, suivait l’Être de lumière, sur son côté droit, il remarqua une lumière nouvelle*. Il tourna le regard vers un groupe d’arbres et vit, de loin, une figure semblable à une statue de neige, que les rayons du soleil rendaient un peu transparente. Il fut troublé. Il fixa les yeux sur cette figure pour mieux la voir. Elle disparut aussitôt.

* La suite du récit est librement inspirée d’extraits du récit de l’apparition de Fatima.

 

Un peu plus loin, voici qu'un vent assez fort secoua les arbres. Levant les yeux, il vit au dessus des oliviers une forme humaine s'approcher de lui. Plus distinctement, cette fois il put distinguer l’apparence d’un jeune garçon de quinze ans tout au plus, vêtu d'un blanc pur, que le soleil rendait transparent comme s'il était en cristal.

L’Être de lumière qui le précédait semblait contrarié de cette présence et le mit en garde : « Attention, l’ange qui s’approche est un ennemi. Te voilà prévenu. Ne l’oublie pas. »

Soudain le pasteur Wilkinson vit comme un éclair. Il pensa que l'orage ne tarderait pas à venir. Ils étaient arrivés à la moitié d’une pente, environ à la hauteur d'un grand chêne-vert qui se trouvait là, il vit un autre éclair puis apparut tout près de lui, à environ un mètre cinquante de lui, une fille, toute jeune, et vêtue de blanc. Elle répandait la lumière et la grâce autour d'Elle.

Il fut soufflé à cette Apparition. Fasciné, subjugué, il cessa de suivre l’Être de lumière. Elle était lumineuse d’une lumière qui n’avait rien à voir avec l’autre. Elle le regardait avec un sourire qu’on peut qualifier de « malicieux », à défaut d’autre mot. Elle était si radieuse, si pleine de vie. Elle incarnait la confiance aveugle de la virginité.

« Qui est-ce ? demanda le pasteur, bouleversé comme s’il voyait le Ciel.

- C’est l’ennemie ! », répondit l’Être de lumière qui disparut en un souffle.

- L’ennemie ? Mais elle ne peut être l’ennemie. » Le pasteur le savait de tout son être. L’ennemi ne peut être … bon.

Alors la jeune fille lui dit : « Viens, Thomas. Je vais te conduire au Fils de Dieu. »

Pendant qu'elle prononçait ces paroles, Notre-Dame (car il s’agissait bien sûr d’elle, le pasteur le sut plus tard de la bouche même du Seigneur Jésus) ouvrit les mains et, comme par un reflet qui émanait d'elle, une lumière intense se dégagea. Le pasteur dit plus tard que "cette lumière intense pénétra son cœur jusqu'au plus profond de son âme. Elle le fit se voir lui-même en Dieu, qui était la lumière, plus clairement que s’il se voyait dans le meilleur des miroirs".

La Vierge repartit. Les branches du chêne-vert qui s'étaient inclinées lorsque Notre-Dame était apparue, se relevèrent et se tournèrent vers l'Est comme si elles étaient attirées par un fort vent.

 

Aussitôt, le pasteur Wilkinson se retrouva face à un Être de lumière magnifique, lumineux, grandiose, qu’il identifia immédiatement comme étant le vrai Jésus Christ. Jamais il n’avait vu de ses yeux une telle douceur et bonté. Il était impossible de confondre. Personne ne pourra se tromper et Lucifer, lorsqu’il se déguise en ange de lumière, est aussitôt démasqué par l’apparition du plus petit habitant du Royaume de Dieu.

(Apocalypse 1, 14) Sa tête, avec ses cheveux blancs, était comme de la laine blanche (une blancheur de la vérité entourée d’amour), comme de la neige (et aussi chaude et brillante que la nacre), ses yeux étaient comme une flamme ardente (qui voyaient avec précision et miséricorde chacun des péchés du pasteur), ses pieds étaient pareils à de l'airain précieux que l'on aurait purifié au creuset (et le pasteur se sentait comme exalté d’allégresse par tant de puissance), sa voix était comme la voix des grandes eaux (le pasteur, subjugué, pris d’allégresse, se prosterna aussitôt). Dans sa main droite il avait sept étoiles (amour, vérité, humilité, humour, vertu, honneur, liberté), et de sa bouche sortait une épée acérée, à double tranchant (vérité et amour, comme unifiés).

Le pasteur, d’une voix bouleversée, encore ému des évènements qu’il venait de vivre, dit :

« Seigneur, n’ai-je pas été idolâtre en embrassant la main de Lucifer ?

Le Seigneur le regardait avec le même air malicieux que la Vierge, tout à l’heure. Et un grand sourire illuminait son visage :

- Tu as fait là un gros péché. Mais n’en as-tu pas demandé pardon ?

- Seigneur ! Comment me le pardonnerais-je ? Moi qui ai fustigé toute ma vie ceux qui idolâtraient ?

- Pardonne-toi cette offense, comme je te la pardonne.

- Je ne dois pas Seigneur. Je n’ai jamais eu de miséricorde pour les idolâtres. Je dois, par vérité, me traiter avec la même dureté.

- Comme tu te mesures avec dureté ! (Matthieu 7, 2) Te mettras-tu donc au purgatoire ? répondit le Seigneur avec cet humour franc qui irradiait de lui.

- Ah ! Si tu étais venu tout de suite, je n’aurais pas péché ! J’ai failli me perdre. Je suivais Lucifer ! Il se déguise en Messie.

- Tu ne risquais rien, mon ami ! La droiture va à la droiture. Et tu es un homme droit. Lucifer, il ment depuis l’origine. Mais il est démasqué dès que paraît l’Humilité. Sais-tu qui t’a sauvé de lui ?

- Non Seigneur. C’était une jeune fille. Je n’en ai jamais vu d’aussi belle. Je ne l’ai vu qu’une seconde. Mais c’est grâce à elle que j’ai tout compris.

- Elle est la « Vierge Marie », mon trésor, la perle de mon jardin. C’est elle « l’Humilité ».

- Seigneur…, dit le pasteur rougissant, confus, espérant que le Seigneur n’aborderait pas certains points gênants de sa prédication...

- Mon enfant, répondit Jésus (et le pasteur Wilkinson fut frappé de voir à quel point son sourire malicieux ressemblait à celui qu’il avait vu en Marie) c’est moi qui ait voulu que Marie, l’étoile de mon cœur, se venge de toi en mon nom. Elle est l'aurore qui précède et découvre le Soleil de justice. Il fallait que, avant ton entrée dans l’autre monde, elle soit connue et aperçue de toi, afin que Je le sois.

 

La prophétie de saint Louis-Marie Grignon de Montfort

C’est ainsi que, par un étrange retournement du destin, le pasteur Wilkinson fut sauvé dans son derniers temps, à l’heure de sa mort, par l’intervention active de l’humble Vierge Marie.

Ensuite, c’est encore elle qui le visita au purgatoire que, dans sa droiture, le pasteur voulut s’infliger.

 

Ainsi se réalisa une ancienne prophétie datant du début du XVIIIème siècle. Elle nous vient de saint Louis-Marie Grignon de Montfort. Il écrivait (Traité de la vraie dévotion à Marie, 50): « Dieu veut donc révéler et découvrir Marie, le chef-d'oeuvre de ses mains, dans ces derniers temps. Parce qu'elle s'est cachée dans ce monde et s'est mise plus bas que la poussière par sa profonde humilité, ayant obtenu de Dieu, de ses Apôtres et Évangélistes qu'elle ne fût point manifestée. Parce qu'étant le chef-d'oeuvre des mains de Dieu, aussi bien ici-bas par la grâce que dans le ciel par la gloire, il veut en être glorifié et loué sur la terre par les vivants. Comme elle est l'aurore qui précède et découvre le Soleil de justice, qui est Jésus-Christ, elle doit être connue et aperçue, afin que Jésus-Christ le soit. Étant la voie par laquelle Jésus-Christ est venu à nous la première fois, elle le sera encore lorsqu'il viendra la seconde, quoique non pas de la même manière. Étant le moyen sûr et la voie droite et immaculée pour aller à Jésus-Christ et le trouver parfaitement, c'est par elle que les saintes âmes qui doivent éclater en sainteté doivent la trouver. Celui qui trouvera Marie trouvera la vie.

 

Il faut donc que Marie soit plus connue que jamais, à la plus grande connaissance et gloire de la Très Sainte Trinité. Marie doit éclater, plus que jamais, en miséricorde, en force et en grâce dans ces derniers temps: en miséricorde, pour ramener et recevoir amoureusement les pauvres pécheurs et dévoyés qui se convertiront et reviendront à l'Église catholique; en force contre les ennemis de Dieu, les idolâtres, schismatiques, mahométans, juifs et impies endurcis, qui se révolteront terriblement pour séduire et faire tomber, par promesses et menaces, tous ceux qui leur seront contraires et enfin elle doit éclater en grâce, pour animer et soutenir les vaillants soldats et fidèles serviteurs de Jésus-Christ qui combattront pour ses intérêts. Enfin Marie doit être terrible au diable et à ses suppôts comme une armée rangée en bataille, principalement dans ces derniers temps, parce que le diable, sachant bien qu'il a peu de temps, et beaucoup moins que jamais, pour perdre les âmes, il redouble tous les jours ses efforts et ses combats; il suscitera bientôt de cruelles persécutions, et mettra de terribles embûches aux serviteurs fidèles et aux vrais enfants de Marie, qu'il a plus de peine à surmonter que les autres.

 

C'est principalement de ces dernières et cruelles persécutions du diable qui augmenteront tous les jours jusqu'au règne de l'Antéchrist, qu'on doit entendre cette première et célèbre prédiction et malédiction de Dieu, portée dans le paradis terrestre contre le serpent. Il est à propos de l'expliquer ici pour la gloire de la Très Sainte Vierge, le salut de ses enfants et la confusion du diable. Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius; ipsa conteret caput tuum, et tu insidiaberis calcaneo ejus (Gn 3,15): Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, et ta race et la sienne; elle-même t'écrasera la tête, et tu mettras des embûches à son talon.

 

Jamais Dieu n'a fait et formé qu'une inimitié, mais irréconciliable, qui durera et augmentera même jusques à la fin: c'est entre Marie, sa digne Mère, et le diable, entre les enfants et serviteurs de la Sainte Vierge, et les enfants et suppôts de Lucifer; en sorte que la plus terrible des ennemies que Dieu ait faite contre le diable est Marie, sa sainte Mère. Il lui a même donné, dès le paradis terrestre, quoiqu'elle ne fût encore que dans son idée, tant de haine contre ce maudit ennemi de Dieu, tant d'industrie pour découvrir la malice de cet ancien serpent, tant de force pour vaincre, terrasser et écraser cet orgueilleux impie, qu'il l'appréhende plus, non seulement que tous les anges et les hommes, mais, en un sens, que Dieu même. Ce n'est pas que l'ire, la haine et la puissance de Dieu ne soient infiniment plus grandes que celles de la Sainte Vierge, puisque les perfections de Marie sont limitées; mais c'est premièrement parce que Satan, étant orgueilleux, souffre infiniment plus d'être vaincu et puni par une petite et humble servante de Dieu, et son humilité l'humilie plus que le pouvoir divin; secondement parce que Dieu a donné à Marie un si grand pouvoir contre les diables, qu'ils craignent plus, comme ils ont été souvent obligés d'avouer, malgré eux, par la bouche des possédés, un seul de ses soupirs pour quelque âme, que les prières de tous les saints, et une seule de ses menaces contre eux que tous leurs autres tourments.

 

Ce que Lucifer a perdu par orgueil, Marie l'a gagné par humilité; ce qu'Ève a damné et perdu par désobéissance, Marie l'a sauvé par obéissance. Ève, en obéissant au serpent, a perdu tous ses enfants avec elle, et les lui a livrés; Marie, s'étant rendue parfaitement fidèle à Dieu, a sauvé tous ses enfants et serviteurs avec elle, et les a consacrés à sa Majesté. »

 

22- KELLY, JEUNE FILLE ASSASSINÉE (Le sens de la souffrance).

 

Le mercredi 17 septembre 2003. Une jeune fille de 16 ans, Kelly Marchand, est retrouvée par des promeneurs dans un sous-bois. Son corps dénudé flotte à la surface d’un étang. Partie chercher sa petite soeur à l’école, elle a disparu depuis la veille. Rapidement, on découvre qu’elle a été violée puis torturée et assassinée. Le tueur est rapidement identifié. C’est un marginal de 19 ans. Il dit avoir agi sous l’influence de la drogue. Il prétend ne se souvenir de rien. En juin 2005, il est condamné à 20 ans de réclusion criminelle par la cour d’Assises de Charleville-Mézières. Les parents de Kelly sont restés sur terre, dans la douleur.

 

Le jour de l’enterrement de Kelly, ses amis lurent cette lettre :

« Petite soeur, Oublie tes erreurs et tes peurs. Ils n'existent plus. Les faux pas que tu as pu commettre sont tous oubliés. Notre seule envie serait de t'offrir une vie nouvelle, idéale, sans peine et sans mal. Tout a changé le jour où on nous a annoncé cette horrible nouvelle. Si jamais le monde était trop cruel, on était toujours là pour toi...

Tous tes amours devaient être sûrs et tous tes amis sincères. On rêve pour toi d'un domaine où la haine est la seule étrangère. Où que tu sois, nous espérons que pour toi, tout ira bien, que tu ne seras jamais seule, que tu ne manqueras de rien. Nous voudrions pouvoir tout savoir pour nous donner une vision plus claire... Notre seul désir serait de te voir revenir parmi nous. Pour nous, tu ne nous quitteras jamais car tu seras toujours présente dans nos coeurs. »

 

L’heure de ma mort

Kelly, nous ne pouvons t’oublier. Tu étais une fille lumineuse par le physique, discrète et calme par le comportement. Nous avons tous en tête le souvenir de ton regard et de ton sourire qui étaient uniques. Tu étais belle et tu as été détruite, souillée par un barbare, alors que tu étais partie chercher ta petite sœur à l’école.

Réponds à nos questions, à travers la voix de l’Église. Où es-tu ? Pourquoi ta souffrance ?

 

- Lorsque je me suis réveillée, j’étais en dehors de mon corps. Surtout, j’éprouvais une incroyable paix. Je n’avais plus la terreur, ni la douleur, ni les tremblements. J’ai tout de suite compris que je mourais.

On m’avait raconté longuement en classe (j’étais scolarisée en Belgique où il y a un cours de religion), la sortie du corps. Auprès de moi, j’ai senti la présence d’un guide invisible. Il m’a dit : « Visite les tiens. » J’ai pensé à maman et, tout de suite, j’étais auprès d’elle. Ensuite, j’ai fait une caresse à papa, là où il était, à mon frère, à mes amis. Personne ne me voyait. Moi, je les voyais et, en pensant très fort à eux, j'ai suscité une pensée à Myriam, ma petite sœur, pour moi.

- Tu dis : « je les voyais ». Tu avais donc un corps ?

- Oui, c’était mon corps, intact, sans coupure ni souillure, avec mes bras et des jambes et une impression de légèreté totale. Il m’obéissait, se déplaçant à volonté, comme l’éclair. Au-dessous de moi, j’ai aperçu ma dépouille, comme une église profanée. Il faudra beaucoup prier pour le profanateur*. Dites-le à mes amis.

* Matthieu 18, 5 « Mais si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être englouti en pleine mer. Malheur au monde à cause des scandales! Il est fatal, certes, qu'il arrive des scandales, mais malheur à l'homme par qui le scandale arrive! »

 

- Qui était ce « guide » qui t’accompagnait ?

- Mon ange gardien, chargé du salut de mon âme. Ensuite, il m’a demandé si j’étais prête.

Une porte s’est ouverte au dessus de moi. C’était bien un tunnel, un passage vers l’autre monde, comme le racontent des témoins revenus de la mort. J’étais attirée vers lui car il en sortait une lumière faite d’un sentiment de bonheur. Tout ce qu’on m’avait appris me revenait en mémoire. Je savais maintenant que j’allais voir, de mes yeux, le Sauveur. J’étais émue. Qu’allait-il penser de moi ?

- Le Sauveur ?

- Oui, mais avant lui, alors que j’avançais dans le tunnel, j’ai vu une dame. Elle semblait avoir mon âge. Son corps est comme fait de couleurs, qui semblent sortir de son âme. J’étais hors de moi. Je n’avais jamais vu rien de si beau. C’était la Vierge Marie. Elle ne m'a pas quittée un instant, jusqu'à la fin de mon jugement dernier.

Ensuite est apparu le Sauveur, sous la forme d’un Être de lumière… et chaque couleur est comme une qualité de son cœur. J’ai été comme aspirée en lui. J’aurais voulu me fondre dans tout cet océan de tendresse.

- Mais tu ne pouvais pas aller bien. Ce n’est pas possible ? Tu venais de mourir dans les tortures ?

- J’avais tout oublié. Tout est si simple là-haut. Mes souffrances, la vue de Marie et de Jésus les avait guéries, d’un coup.

- Et ensuite ?

- Ensuite, je me suis vue entourée de milliers de gens. J’en ai reconnu certains. Ma famille déjà décédée était là. J’ai reconnu Julie et Melissa et de nombreuses jeunes filles martyres. J’étais le centre de toute l’attention. Il ne régnait que de la joie.

Ensuite, Jésus m’a dit : « Regarde ta vie ». Devant moi se sont mis à défiler, comme un film, tous les événements marquants de mon passé. Je me suis vu naître. J’ai vu le visage jeune de maman penché sur mon berceau, et tous les soins que j’avais reçus d’elle. Quand Jésus me montrait un acte bon venant de moi, il m’en félicitait ; lorsque c’était un gros péché, un acte d’égoïsme, il me le disait, en toute franchise, mais sans jamais me condamner. J’ai vu aussi mes (trop) nombreux petits copains. A la fin de ce film, j’étais bouleversée. Tout était vrai. J’étais désolée pour les fois où je m’étais mal comportée. Je me trouvais indigne de tant d’amour à la vue de ce que j’étais vraiment. C’était une souffrance bien plus douloureuse que ma mort elle-même. Je m’en voulais de tant avoir déçu Dieu. Jésus lui, loin d’être déçu, semblait se réjouir de mes larmes de regret.

Alors est apparu l’Ange de lumière.

- L’ange de lumière ? Tu veux dire un autre ange ou un autre Être de lumière ?

- Non, c’est tout autre chose. Jésus répandait de la douceur, de l’humilité. Cet ange-là répandait une autre lumière avec une grande dignité, de la noblesse. Les chrétiens l’appellent Lucifer.

- Lucifer, mais c’est le diable ?

- Ce n’est pas comme cela qu’il m’est apparu. Il était beau, vraiment séduisant. Il avait une sorte de corps de lumière, mais une lumière faite de plein de couleurs, sans aucune chaleur. Il s’est mis à parler. « Dieu te propose un monde curieux : chacun se fait serviteur des autres, chacun vit « couché », dans le repentir et la petitesse. Je te propose, si tu m’écoutes, de vivre debout, digne, dans une indépendance totale ».

A ce moment, Jésus était comme effacé. Lucifer a repris le film de ma vie. Mais il l’a lu tout autrement. Il me rappelait les avantages, les plaisirs, que j’avais trouvés dans chacun de mes actes égoïstes. Il m’a montré la liberté que j’obtenais quand je n’écoutais pas les conseils de maman.

J’ai vu l’enfer. C’était un jardin magnifique. Il était rempli d’êtres solitaires et libres. C’était terrible. Tous étaient seuls et agressifs. Ils semblaient brûler de mille passions mauvaises. Je m’y sentais mal. Toute ma vie, j’ai cherché l’amour. Je l’ai souvent fait avec maladresse mais ce n’était pas pour faire le mal.

Je n’arrivais pas à me dégager de Lucifer. Ce qu’il disait était vraiment séduisant pour une partie inavouable de moi. En plus, il disait la vérité. J’avais vraiment agi avec beaucoup d’égoïsme durant ma vie.

J’ai crié vers Jésus. Aussitôt, Lucifer a disparu, comme un livre qu’on roule.

Je pleurais beaucoup. J’ai dit à Jésus. « Je sais maintenant que je ne mérite pas d’aller au Ciel avec toi et Marie. Mais il faut que tu m’y emmènes. Ne m’abandonne pas. »

- Tu as eu envie d’aller en enfer ?

- Non, ou plutôt oui. Tout mon égoïsme m’attirait vers la liberté de l’enfer. Mais le reste de moi aspirait à rester avec Jésus. Je n’aurais pas pu choisir l’enfer. Ils sont fous, ces gens-là. Ils préfèrent tout perdre plutôt que de reconnaître qu’ils ne sont pas des dieux. Mais on n’est pas fait pour vivre sans aimer, surtout quand on a vu Jésus ou Marie. On ne peut pas les décevoir ainsi.

- Que s’est-il passé alors ?

- Il y a eu un grand silence, quelque chose de solennel. Puis une voix, comme un tonnerre, a dit :

 

« Kelly, trésor de diamants et d’or,

« parce que tu as reconnu tes péchés,

« parce que tu as su tout de suite que tu ne serais jamais digne,

« parce que tu es petite,

« je vais faire de toi ma reine.

« Veux-tu maintenant partager la gloire de ton Créateur, face à face ?

 

- On t’a dit cela ?

- Oui. Comme cela, mais sans les mots. C’était comme un océan de bonté et d’admiration qui tombait sur moi. C’était la voix de la Trinité. J’étais toute troublée (Luc, 1, 29). Marie ne m’a jamais lâché la main.

- Qu’as-tu répondu ?

- « Oui … »

- C’est tout ?

- Oui.

- Donc tu es une sainte?

- Pas au sens où tu le penses. Mes amis qui m'ont connue sur terre le savent bien. J'avais plein de défauts. Je fréquentais avec imprudence certains lieux et certaines personnes. Mais c'est Dieu qui m'a exaltée. Je ne sais pas pourquoi. Je crois qu'il m'admire pour autre chose...

- Et ensuite ?

- Il s’est produit comme un dévoilement, comme « le voile d’un temple qui se déchire, de haut en bas ». Jésus était là. Je voyais toujours son corps de lumière. Mais j’ai vu soudain sa divinité, face à face. J’ai vu le Père, le Fils et le Saint-Esprit dans un jaillissement d’infini et d’éternité. Je ne peux t’en parler. C’est …… 

 

(Kelly s'est tue. Il y a eu un long silence, environ une demi-heure). (Matthieu 27, 51) «Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, du haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent». Il n’existe pas de texte plus réaliste pour décrire le bouleversement qu’est l’entrée dans la vision béatifique.

 

Maintenant...

- Et maintenant, Kelly, que fais-tu ?

- Je ne vous quitte jamais. La Trinité a fait de moi sa reine, son épouse. Parce que j’ai vu, dans ma mort puis dans le regard du Christ, que je n’étais rien, la Trinité se considère comme plus petite que moi. Parce que je lui obéis, Elle m’obéit. Elle a mis ses anges à ma disposition, pour vous aider à ma demande.

- Certains d’entre nous veulent faire du spiritisme pour avoir des nouvelles de toi. Vas-tu répondre ?

- Ne faites pas de spiritisme. Si les habitants du Ciel se cachent, c’est vraiment pour votre bien. Je ne répondrai jamais au spiritisme. Attention : il en est un autre qui s’y glisse facilement, pour vous éloigner de l’humilité et de l’amour.

- Vas-tu donner des signes à ta famille pour nous prouver que tu es au Ciel ?

- J’en donnerai à certains, mais pas à d’autres. Le but n’est pas que vous soyez heureux ici-bas, mais que vous le soyez avec moi pour l’éternité (Première parole de la Vierge Marie à Bernadette, lors de l'apparition à Lourdes)*.

* La première traduction était : « Je ne vous promets pas le bonheur dans ce monde, mais dans l’autre ». Autre interprétation plus satisfaisante : « Je ne vous promets pas le bonheur de ce monde, mais celui de l’autre… » Cette traduction semble un bon moyen terme, même s’il est plus éloigné de la lettre !

 

- Viendras-tu nous chercher à l’heure de notre mort ?

- Je vous le promets. Je serai là, comme un témoin discret de votre mariage au Ciel.

- Comment faire pour éviter d’aller au purgatoire après la mort ?

Si vous faites dans votre vie ce que vous pouvez pour aimer les autres (Vous vous rappelez ce qu’on nous disait en classe sur les trois amours sacrés : “Vos vieux parents ; votre amour de jeunesse à qui vous avez promis fidélité ; vos enfants dès leur conception") ;

Si en même temps vous vous regardez avec vérité devant Dieu, sans nier la misère de votre péché ;

Si donc vous arrivez à l’heure de la mort dans ces deux états (amour et humilité), vous passerez par le purgatoire mais comme moi, c'est-à-dire très peu de temps. Vous n’aurez pas d’autre purgatoire que le regard de Jésus. Son regard est "le jour du Seigneur", un jour d’amour et c’est plus dur qu’un jour de colère. Je vous tiendrai la main, ce jour-là, comme Marie l’a fait pour moi.

- Et si on n'est pas comme cela?

- Il y a beaucoup de gens qui meurent, qui choisissent l’amour, mais qui n’arrivent pas à renoncer à être fiers. Ils disent : « Dieu ! Non, Non ! Attends… Avant de te voir, je dois devenir digne de toi. Tu vas voir. Je vais changer, me réformer… ». Alors ils se mettent librement au purgatoire. Ils se séparent de leurs amis du Ciel et ils le font vraiment par amour. Ce sont vraiment des personnes sincères et aimantes. Et puis un jour, usés à force de se frotter, de se nettoyer sans rien réussir, ils disent : « Seigneur je ne serai jamais digne. Guéris-moi. » Ils entrent alors dans la vision de Dieu. Mais quel temps perdu…

D’autres vont au purgatoire car ils ont vraiment fait du mal aux autres. Ils veulent réparer. Ça, c’est juste de leur part.

- Comment se fait-il que tu ne sois pas passée par le purgatoire ? Tu avais aussi tes défauts ?

- Mes défauts, ils étaient si grands! Je te montrerai qui j’étais vraiment quand tu viendras me rejoindre. Mais je ne pense pas que mon premier défaut était l'orgueil. Et puis j’ai tellement connu le désespoir dans ma mort. Il m’a été impossible de faire la fière.

- Est-il vrai que nous allons tous ressusciter un jour ?

- Oui, la Trinité l’a promis. Quand vous serez tous venus avec moi au Ciel, Dieu mettra fin à ce monde provisoire. Ce sera fini. Plus personne n’aura à apprendre l’humilité dans ce four de douleur. Alors, il nous rendra nos corps, à tous. Mais il le revêtira de lumière, le rendra immortel. Et ce n’est pas tout. Il créera le monde qui va avec. Vous ne pouvez pas imaginer les cadeaux qu’il prépare en secret, pour chacun de nous, comme si nous étions uniques. Des mondes immenses, des cortèges d’animaux, de la lumière…

- Et les damnés, seront-ils pardonnés un jour ?

Ils ne veulent pas du pardon. Ils sont totalement déterminés dans leur choix. Ils préfèrent mourir de solitude et de malheur plutôt que de renoncer à leur dignité, plutôt que de reconnaître leur soif d’amour.

Alors Dieu respecte leur choix. Eux aussi retrouveront leur corps, immortel. Eux aussi recevront des mondes en cadeau. Mais ils transforment en malheur tout ce qu’ils touchent. Plutôt que de se réjouir à la vue des fleurs, ils se mettent à haïr ce Dieu qui ne peut se montrer face à face qu’aux humbles.

 

Pourquoi la vie ici-bas ?

- Kelly, dis-moi à quoi ça sert. Pourquoi devons-nous passer par la vie ici-bas ?

- Tu es dans l’émotion quand tu écris cela. Ne pleure pas. Je ne souffre plus. Je vais bien.

Ici-bas, c’était une maison provisoire. C’était juste une étape. Elle n’est pas indispensable pour venir au paradis. Beaucoup d’entre nous sont morts alors qu’ils étaient encore dans le ventre de leur mère. Mais, pour les autres, la vie est une chance formidable pour acquérir certaines qualités.

- Qui a décidé cela ?

- La Trinité. C’est elle qui a tout créé. Maintenant, je la vois face à face. Tout est devenu clair et simple. Elle a tout fait par amour.

- Comment peux-tu parler ainsi ? Tu as été assassinée, cruellement, et il n’est pas intervenu pour te sauver ?

- Pour la Trinité, la mort est comme le passage d’une pièce à une autre. Pour vous, c’est l’impression que tout est détruit. Lorsque je me suis réveillée, après mon assassinat, j’étais bien vivante. J’étais entourée par les anges, les gens du Ciel et mes ancêtres. Jésus était là. Avant de mourir, je possédais une médaille de Marie, la médaille miraculeuse. La Vierge Marie est donc venue me chercher en premier. Je les ai vus vraiment, vivants et lumineux. Ils m’ont consolée. Maintenant, ils ne me quittent plus. J’ai compris la raison du silence provisoire de la Trinité

- Tu étais croyante ?

- Un peu mais pas trop. Comme tous ceux de ma classe. Mes parents ne pratiquent pas beaucoup non plus. Moi, je ne sais pas. Ça n’a pas compté dans l’accueil des habitants du Ciel. Ils sont tous venus me consoler.

- Pourquoi le silence de Dieu ?

- Tu me poses la question la plus difficile. Elle te travaille. Mais elle devrait venir en dernier… Il faudrait d’abord que je t’explique qui Il est. Car tout s’explique par lui.

 

Humilité et amour

- Bien. Alors qui est Dieu ?

- Je le vois face à face. Je ne parle pas de mes yeux corporels. C’est une vision profonde, de l’intelligence et du cœur. Je ne sais pas comment te le décrire, c’est si grand… Je suis en paix.

Pourtant, deux de ses qualités dépassent les autres. Il les préfère aux autres. La première, c’est l’humilité.

Il est humble. Il se considère comme moins important que moi.

La deuxième, c’est l’amour. Il m’aime plus que sa vie même.

- C’est impossible. Dieu est tout puissant. Il ne peut être humble.

- La Trinité est humble. C’est étonnant mais c’est un fait. Le Père ne cesse d’exalter le Fils. Le Fils exalte le Saint-Esprit. C’est un perpétuel échange d’admiration mutuelle, éternel. Moi-même, la Trinité ne cesse de m’admirer, comme si j’étais Quelqu’un. Elle agit avec moi comme si elle disait : « Je suis le Tout-Puissant. Tu es plus grande que moi. »

- Exalter ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

- En classe, on nous avait raconté cette histoire de Jésus : « Juste avant sa mort, il prit un linge et se mit à laver les pieds de ses élèves. Pierre refusa en disant : « Tu es le maître et Seigneur. Tu ne me laveras pas les pieds ». Jésus lui avait répondu : "Celui qui est le maître sera celui qui se fait serviteur. Faites comme moi". » Eh bien la Trinité ne cesse de me servir. Elle m’exalte. Elle me dit que je suis belle. Elle parle surtout de mon âme. Et je ne le savais pas.

- La Trinité, c’est quoi ?

- C’est Dieu. C’est sa vie éternelle. Le Père depuis toujours contemple l’infini de sa beauté. Le Fils, c’est ça. Ce n’est rien d’autre que la connaissance du Père. Le Père et le Fils s’aiment. Leur Amour, c’est le Saint-Esprit. Je vois trois infinis, puissance, lumière et amour.

- C’est bien compliqué.

- C’est simplement Dieu.

- La Trinité est-elle une femme ou un homme ?

- Elle a toutes les qualités d’un homme : puissance, éternité. Elle a tout créé en un éclair et je vois l’immensité de sa grandeur. Mais elle a toutes les qualités féminines : humilité et amour. Ce sont ces dernières qui expliquent toute la création.

- Et Jésus, qui est-il dans cette histoire ?

- C’est simplement Dieu le Fils. Il s’est fait homme pour venir vous raconter ce que je viens de te décrire. Tout ce qu’il a vécu et souffert ne fait qu’effleurer la grandeur de ce que je vois. La Trinité est l’Humilité et l’Amour.

 

Pourquoi ta souffrance?

- Maintenant, tu dois pouvoir me répondre. Pourquoi le silence de Dieu ? Pourquoi ne t’a-t-il pas sauvée de ton assassin ?

- Il m’a sauvée de mon assassin. Celui-ci m’a conduite au désespoir. Puis il m'a bafouée et détruite. Mais, lorsque je me suis relevée, à la porte du Ciel, j’ai été consolée, d’un seul coup, par la Venue de Marie, de Jésus.

- Mais tu ne me réponds pas. A quoi cela lui a-t-il servi de te laisser être violée ?

- Pour voir la Trinité face à face, il est impossible de ne pas devenir comme elle, petite et prête à mettre au-dessus de tout les autres. Je te l’ai dit, la Trinité est vraiment l’Humilité et l’Amour. Pour se faire une idée de ce que je vois, je crois que tu ne peux, depuis la terre, faire autre chose que lire dans les évangiles ce à quoi Jésus s’est soumis. Lui qui est Dieu, il a choisi de se livrer pieds et mains liés à ses assassins. Il s’est abaissé au-dessous d’eux, sans les haïr. Il a subi plus d’outrages que moi, car il a tout ressenti avec l’âme.

Eh bien moi, j’ai subi à 16 ans un peu de sa passion. J’étais auparavant comme beaucoup de filles de mon âge. Je rêvais d’être mannequin, puis esthéticienne. D’un coup, par ce malheur, j’ai appris comme j’étais fragile.

Normalement, j’aurais dû l’apprendre goutte à goutte, en vivant ma vie. J’aurais fait des bonnes choses et aussi de gros péchés. Je pense que je serais devenue comme sainte Marie-Madeleine à la recherche de l'amour humain. Puis je me serais retrouvée, vivante, 70 ans plus tard, dans mon corps devenu vieux et ridé. J’aurais eu peu de visites. J’aurais alors appris la même chose.

- Tu veux dire qu’il faut être violée et assassinée pour voir Dieu ? Si c’est ça, c’est proprement scandaleux !

- Non. Il faut simplement devenir humble et amour, comme la Trinité. Il s’avère que, quand on a souffert, on a plus de chance de comprendre à quel point on n’est rien.

Mais l’important n’est pas la souffrance. Il y a ici des gens qui se sont fait souffrir et n’ont développé que de l’orgueil. Alors la souffrance ne leur a servi à rien et ils doivent tout recommencer au purgatoire. 

- Selon toi, quelles sont les qualités nécessaires pour aller vite au Ciel ?

- C’est simple. Je vais toutes te les résumer en trois. Deux sont vraiment importantes, la troisième n’est qu’une conséquence des deux autres.

Sois humble. Ne te prend pas pour quelqu’un de parfait. Je le vois ici, à part Marie et Jésus, tous mes frères et sœurs ont, ici ou là, péché par égoïsme au cours de leur vie terrestre. Personne n’est entièrement propre et tous le reconnaissent. Toi aussi, n’est-ce pas, tu as déjà été égoïste ? Alors, si tu reconnais vraiment que « tu es un pauvre pécheur », si tu arrives à te comporter sans avoir trop d’illusions sur toi, c’est déjà de l’humilité. Tu te contentes de le reconnaître en le confessant de temps en temps à la Trinité, ou à quelqu’un du Ciel que tu aimes bien. Tu peux aussi utiliser les prêtres et leurs sacrements. C’est un moyen très concret. Dieu fera le reste. Quand tu viendras me rejoindre, tu auras fait le plus gros du travail. Si tu dois encore te purifier, ce sera court.

Aime : Aimer, ce n’est pas éprouver des sentiments, c’est agir. Avec Dieu, c’est simple. Il suffit que, de temps en temps, tu lui dises que tu penses à lui, que tu attends qu’il vienne te chercher. Agis comme tu le fais avec tes amis. A toi de voir la fréquence où tu lui parles, où tu lui écris. Avec le prochain, c’est plus compliqué. Il y a des personnes sacrées : ses parents, surtout quand ils seront vieux. Ne les abandonne pas. L’amour de ta jeunesse (le garçon ou la fille à qui tu as fait des promesses), ne le trahis pas. Tes enfants : garde-les comme un don de Dieu, dès leur conception, et donne-leur une bonne éducation.

Les vertus : Sois droit et honnête. Les vertus morales sont une conséquence de l’amour. Bien des gens vertueux sont devenus fiers en les regardant trop. Ils ont gâché leur éternité. Mais, quand on aime, on ne peut voler, trahir, convoiter l’amour d’autrui. Les dix commandements sont importants. 

- Tu parles « d’écrire à Dieu ». C’est original ?

- Je voulais dire qu’il s’agit d’être ami de Dieu. La prière, ça fonctionne comme une amitié. Il y a certaines personnes qui aiment vraiment leur meilleur ami en lui écrivant une fois par mois. D’autres préfèrent une amitié passionnelle, avec des baisers tout le temps. Ça dépend de la sensibilité de chacun. C’est pareil avec Dieu : il demande une amitié, chacun à sa façon.

- Tu parles de la prière mais pas de la messe. Pourquoi ?

- Comprendre l'eucharistie, c’est une grâce. Je n’en ai pas du tout profité pendant ma vie terrestre. C’est dommage car elle est la plus grande réalisation de Jésus, en vue de la prière bien sûr. Il a réussi à se rendre physiquement présent, tout en se cachant, puisque pour le moment, la règle est que le Ciel se cache. Il se fait réellement pain. Il se mange comme dans un baiser. Après cela, chacun devrait passer des heures à lui parler, à lui raconter ses joies et ses soucis.

- Tu dis : « tout en se cachant ». Pourquoi ne pas se montrer, ce serait plus simple ?

- La Trinité se cache provisoirement. Elle se montre de manière lumineuse, à travers l’apparition de Jésus, de Marie, des saints et des anges, à l’heure de la mort. Puis, dès qu’on est devenu tout petit, la Trinité se montre face à face et sans voile. Le fait qu’elle se cache le temps de la vie terrestre est très profitable : cela fait grandir le désir, de manière incroyable, même chez ceux qui ne croient pas en son existence. C’est comme si on était privé d’eau. On a soif… de Dieu, sans le savoir. Or, là-haut, il se donne en fonction de cette soif...

- A bientôt alors, Kelly ?

A tout de suite. Le temps d’une courte vie. J’arrive avec Jésus et tous les saints du Ciel. Tenez bon. Ça passe très vite. Mais c’est indispensable.

Que personne ne se suicide pour me rejoindre. On ne gagne aucun temps. Pour ceux qui font cette bêtise, tout doit être appris dans les purgatoires de l’au-delà.

 

 

23- LE PROFESSEUR VANTHOUSE, SAVANT ET ATHÉE (La permission de l’athéisme).

 

(Luc 7, 41) "Un créancier avait deux débiteurs; l'un devait 500 deniers, l'autre 50. Comme ils n'avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce à tous deux. Lequel des deux l'en aimera le plus?" Simon répondit: "Celui-là, je pense, auquel il a fait grâce de plus." Il lui dit: "Tu as bien jugé."

 

Le professeur Honoré Vanthouse, célèbre psychiatre, intervint en 1988 sur la chaîne de télévision française TF1 comme expert. Sur le plateau était invitée Jeanne Frétel, l’une des miraculées de Lourdes. Elle était accompagnée du Père Rogue op, qui avait été l’acteur bien involontaire du miracle de sa guérison obtenu en 1950 et depuis authentifié par l’Église.

Le Père Rogue raconta donc que Jeanne arriva à Lourdes inconsciente. Elle pesait vingt-trois kg. Ses parents l’avait mise dans le train des malades en désespoir de cause : « Mourir pour mourir, qu’elle meure à Lourdes ». Les chirurgiens, après avoir constaté la reprise du cancer de l’intestin qui la minait depuis trois ans, depuis l’anniversaire de ses dix-huit ans, avaient procédé à l’ablation de sa plus grande partie. Les radiographies ne laissaient plus d’espoir : métastases, cancer généralisé. On la mit donc devant la grotte pour la messe des malades. Le père Rogue prit une file de brancards pour distribuer la communion. Or, à peine avait-il déposé un tout petit bout d’hostie sur les lèvres de Jeanne qu’elle se réveilla.

Et Jeanne continua le récit : « Je me suis réveillée. J’étais devant la grotte de Lourdes. J’ai senti que deux mains fortes me redressaient. Il n’y avait pourtant personne. J’éprouvais une impression de faim terrible. La demoiselle qui tenait la cantine me donna un bol de café au lait, puis un deuxième. On me conduisit au bureau médical : mon intestin avait repoussé. Les trois anus artificiels s’étaient refermés, comme l’éclair. En deux mois, j’avais doublé mon poids. »

L’émission continua par un dialogue critique sur les miracles. Le professeur Honoré Vanthouse commenta ainsi, d’un ton docte :

« Je respecte la sincérité de Jeanne. Je ne mets absolument pas en doute sa parole. Mais je voudrais parler d’un mot qui a un sens absolument médical et qu’il ne faut pas confondre avec son acception vulgaire. C’est le mot « hystérie ». Le professeur Charcot raconte des histoires tout à fait semblables. Il fit conduire un jour une femme paralysée depuis vingt ans devant ses étudiants. Et, avec un ton d’autorité, il lui dit devant cet amphithéâtre : « Je te l’ordonne. Lève-toi et marche (Matthieu 9, 6). » Devant leurs yeux, elle se leva et fit quelques pas. C’est cela l’hystérie. »

Le père Rogue prit alors la parole :

« Cher professeur, je respecte la science et ses progrès. Cependant, dans le cas de Jeanne, il y a une grande différence avec les cas de Charcot. Il y a eu miracle « quoad substantiam », quant à la substance. Rien n’est fait sans rien. Or, où était passé cet intestin ? Les radiographies sont là. Qu’est-ce qui a fait réapparaître cet organe qui n’existait plus, instantanément, comme l’éclair ? »

Le professeur Honoré Vanthouse lui répondit avec un petit sourire ironique :

« Je demande à voir ».

Après l’émission, le professeur rentra chez lui, assez heureux d’avoir confondu une fois de plus l’irrationalité. Il n’alla pas voir les radiographies. Inutile : au mieux ce cas serait forcé et exagéré, au pire, les radiographies seraient des faux.

Depuis longtemps, il s’était fait ses convictions sur cette question de Dieu. Tout cela n’était que superstitions puériles. Il était et resterait athée pour plusieurs raisons absolument rationnelles : la cosmologie, l’évolution des espèces et surtout l’absurdité de la vie, des souffrances, des injustices. Ce monde était visiblement le fruit du hasard.

En 2003, devenu professeur honoraire, il reçut les honneurs de la République et fut fait officier de la Légion d’honneur. Puis il s’enfonça tranquillement dans la vieillesse. Il n’avait pas peur de la mort, l’ayant intégrée comme un sommeil un peu plus long que les autres. Ensuite, se sachant atteint d’un cancer, il ne voulut pas prolonger une vie bien remplie. Il prépara lui-même son cocktail médicamenteux et s’endormit tranquillement, entouré de ses enfants.

 

Ce qui est amusant, c’est que, juste après sa mort, il se réveilla… vivant. Autour de lui et très tranquilles comme il l’avait souhaité, se tenaient encore ses enfants. Sa fille lui tenait la main. Il commença par se dire qu’il avait dû se tromper dans ses doses… pensée furtive qu’il chassa aussitôt puisqu’il voyait son corps, mais de l’extérieur.

Qu’éprouve un athée définitif quand il meurt et se retrouve vivant et invisible ? Qu’éprouve un pourfendeur de l’irrationalité quand il se retrouve fantôme ? Simplement de la surprise. Et il se dit que, franchement, il y a finalement des mystères dans ce monde matériel.

 

Mais le professeur Vanthouse n’était pas au bout de ses surprises, à tel point que le Ciel, plein d’humour, voulut apporter petit à petit ses révélations. Il le laissa donc dans un premier temps observer son nouvel état. Il assista d’abord à ses funérailles, sans recevoir aucune visite venant des êtres d’en haut. Mais il avait suffisamment à penser, à commencer par cette capacité de lire dans les pensées d’autrui, capacité « impossible et mythique » (citation de lui), dont il avait combattu, entre autre, l’existence, dans son cercle rationaliste. Comme de juste, la cérémonie fut civile, accompagnée du discours vraiment touchant du maire de Paris. Il y parla de sa carrière consacrée à la Science, à la vérité, à la lutte contre les superstitions. Le professeur Honoré Vanthouse se sentit un peu gêné aux entournures, face aux premières preuves éclatantes des limites de son combat.

Mais il n’était pas au bout de ses surprises. Car c’est ce moment que choisit l’Ange pour lui apparaître. Le plus étonnant est qu’il se montra… sous la forme absolument baroque d’un jeune homme lumineux doté de deux ailes magnifiques, couvertes de plumes… Son corps resplendissait de blancheur, comme la lame d’un glaive reflétant le soleil. Ses traits étaient fins, ni masculins, ni féminins. C’est l’humour du Ciel. Chacun sait en effet que les anges n’ont pas de corps mais qu’ils apparaissent sous la forme qu’ils choisissent. Rien de tel sans doute dans ce cas pour préparer le Professeur à d’autres révélations qui, loin d’être rationalistes, allaient le plonger dans un monde où Dieu est un enfant, où la reine du Ciel est une Vierge mère.

« Honoré », dit l’ange… Il le regarda. Il souriait.

Honoré Vanthouse était peut-être athée, mais il était loin d’être idiot. Il avait bien vu. Et ce n’était pas une hallucination. Ça avait percé son âme jusqu’au tréfonds.

 

Il est inutile de rapporter ici une fois de plus les évènements qui suivirent : le passage vers le Ciel, l’apparition du Christ, des saints et des anges, de Lucifer, le choix entre l’amour et l’égoïsme. Ce qui est sûr c’est que, au moment où fut prononcé son jugement dernier, le professeur Honoré Vanthouse était redevenu le petit enfant qu’il était 80 ans plus tôt, une sorte de cancre plein de bonne volonté et de désir d’aimer.

 

Il convient juste de rapporter ici une partie du dialogue qu’il eut avec son ange :

- Mais pourquoi, avait-il demandé, pourquoi ne pas m’être apparu sur terre ? J’aurais cru immédiatement…

- Mais, tu as eu une apparition. Tu ne te rappelles pas Jeanne Frétel ?

- Ce n’est pas pareil. Il y avait tant de gens qui voyaient des OVNIS… alors les miraculés de Lourdes…

- Dis-moi, Honoré, si tu avais vu de tes yeux apparaître un ange avec des ailes de plumes, n’aurais-tu pas enseigné, du haut de ta science psychiatrique, une hallucination ?

- … Oui. C’est sûr.

- Dieu a choisi de te laisser dans ton athéisme afin de te sauver.

- L’athéisme sauve donc ?

- Pas l’athéisme tout seul : mais l’athéisme quand il produit, au terme de la vie, de l’humilité et de l’amour. Dieu t’a laissé, durant toute ta vie, mettre les trésors de ton intelligence pour construire de grandes théories où l’ADN des êtres vivants s’écrivait tout seul, où les vers de terre, sur quelques millions d’années, se mettaient à voir la lumière avec leurs deux yeux, où l’amour et la liberté étaient faits de molécules. Et, en même temps, tu qualifiais l’histoire du Roi du Ciel né d’une Vierge de conte de fées. Tu sais que tu étais très amusant à regarder depuis l’autre monde ?

- C’est vrai, je me suis planté. Mais pourquoi ?

- Ton humilité… Dis-moi, Honoré, réponds à ma question (Luc 7, 41): "Un créancier avait deux débiteurs; l'un devait 500 deniers, l'autre 50. Comme ils n'avaient pas de quoi rembourser, il fit grâce à tous deux. Lequel des deux l'en aimera le plus?"

Honoré répondit: "Celui-là, je pense, auquel il a fait grâce de plus."

L’ange lui dit: « Tu as bien jugé. Toi, toute ta vie, tu fus un grand savant, riche en dons venant de Dieu. Et tu t’en es servi pour combattre la foi des petits. Mais, de fait, tu t’appuyais sur des arguments qu’un enfant lui-même ne croit pas naturellement. Lorsque, au jour de ta mort, tu as été accueilli malgré ce que tu étais, qu’as-tu fait ?

- J’ai reconnu mes torts.

- Et qu’a fait Dieu ?

- Il m’a pardonné.

- Ainsi, la vue de ton immense erreur et le pardon de Dieu se sont unis pour créer un grand amour qui t’ouvrira un jour à la Vision face à face de Dieu.

 

C’est ainsi que le professeur Honoré Vanthouse fut sauvé et qu’après un temps de purgatoire, il entra au Ciel avec le titre, revendiqué par lui pour l’éternité, de « sage que Dieu rendit fou », selon cette parole de saint Paul (1 Corinthiens 1, 19) : « Car il est écrit: Je détruirai la sagesse des sages, et l'intelligence des intelligents je la rejetterai. »

 

 

24- LAURA, ANGE GARDIEN (L’apostolat des saints du Ciel).

« Je sens que je vais entrer dans le repos... Mais je sens surtout que ma mission va commencer, ma mission de faire aimer le bon Dieu comme je l'aime, de donner ma petite voie aux âmes. Si le bon Dieu exauce mes désirs, mon Ciel se passera sur la terre jusqu'à la fin du monde. Oui, je veux passer mon Ciel à faire du bien sur la terre. » (Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, 17 juillet 1897).

 

Cécile

Je suis Cécile. Je suis professeur de psychologie. Je passe ma vie à recevoir des gens qui souffrent, et à les ouvrir à la vie. J’ai toujours eu cet instinct de l’autre. Je me souviens, déjà, toute petite : j'avais 6 ans. Une copine, Anabela, est venue me dire qu'elle devrait quitter l'école à cause 'du mauvais comportement de sa maman'. J'ai dit : 'non, tu ne seras pas renvoyée à cause de ce que fait ta maman, je vais parler à la Directrice'. Et j'y suis allée avec toute ma raison, en disant à la Directrice que si Anabela était mise à la porte, je sortirais tout de suite après de l’école, que je ferais que toute l'école soit au courant de l'injustice. J'ai joué toutes mes armes. Ma mère a été appelée à l'école pour calmer la situation et, finalement, Anabela est restée et moi aussi. Au lycée, j'étais la confidente de toutes les détresses. Je donnais tout mon argent de poche que je recevais à la maison, pour payer des livres, un sandwich au café du coin, etc. A la fin du lycée, je penchais pour faire de la biologie. Puis j’ai raisonné ainsi : ‘non, j'aime mieux les personnes que les animaux, alors je choisis la psychologie.’

 

France

Je suis France. Je t’écris, Cécile, de l’autre monde, une lettre que je te dirai moi-même quand tu arriveras. En attendant, je suis d’accord avec les anges. Je dois la garder et te laisser dans tes doutes.

Je t’ai rencontrée, alors que tu donnais des cours de psychologie aux accoucheuses qui faisaient leur recyclage. J’étais une de tes élèves. Tu étais formidable, active, simple. Je t’ai tout de suite appréciée. Tu habitais près de chez moi et je pouvais te demander des livres de psychologie. Au début de la maladie de ton père, nous nous sommes rencontrés en sortant de la pharmacie. Je t’ai demandé ce qui se passait. Tu m’as parlé de son cancer et de sa solitude. Alors, je t’ai proposé de devenir son infirmière. Nous nous sommes alors rapprochées car nous avions un but commun. J’ai été heureuse de pouvoir être utile. J’entrais dans ta famille, une vraie famille et ma vie avait de nouveau un but.

 

Les anges gardiens

Nous sommes les anges gardiens, ange de Cécile et ange de France. Nous sommes les gardiens de leur âme et c’est nous qui sommes chargés de les rendre saintes, de préparer leur cœur à la rencontre avec leur époux éternel.  C’est nous qui avons présenté ces deux amies.

 

Cécile

Je suis habituée à connaître les personnes. Et j’ai vu dans France en quelque sorte une sœur jumelle. En fait, ce qu’elle ne savait pas, me croyant forte et déterminée, c’est que toute mon activité sociale et académique me permettait de me fuir. Je crois que cela vient d’un traumatisme de mes 5 ans, celui d’une terrible injustice subie par la vie. Ma nurse, ma Laura, celle qui m’élevait depuis toujours, m’avait été arrachée d’un coup par la mort. Mais comme elle n’était qu’une servante, on l’avait aussitôt remplacée, sans que moi, la petite Cécile, je puisse assister à son enterrement. Mais cette nurse, personne ne le savait, c’était en fait plus que ma mère ! Tout le bien que je faisais aux autres, je le faisais pour fuir l’angoisse de ce jour et cela ne me consolait pas pour autant, et je me disais : 'Si je n'arrive pas à être heureuse, au moins j'arrive à rendre les autres un peu moins malheureux'.

Alors je pouvais comprendre France, du moins je le croyais. Elle avait déjà l'air bien vieilli, quand je l’ai rencontrée. Elle avait déjà ses cheveux blancs, depuis ses 30 ans. C’est qu’elle fuyait aussi une grande détresse. Son père la battait plus que ses soeurs, parce qu'elle était l'aînée et se révoltait le plus. Elle s’était dévouée toute son enfance. Elle me racontait tout, et aussi ce grand drame que jeune fille, elle avait subi : elle avait aimé un médecin. Elle avait engagé son cœur avec lui avant de s’apercevoir qu'il était marié, et amoureux de sa femme...

 

Les anges gardiens

C’est nous qui nous tenons derrière le rideau de la vie de ces enfants, et qui disposons les vies afin qu’elles forment le cœur.

 

Cécile

Elle s'est occupée de mon père. Et elle le faisait bien. Oui, super bien ! Tous les jours elle était là, des heures et des heures de suite, perchée sur son grand lit (elle était de petite taille), elle l'écoutait - lui, il parlait toujours sans arrêt et elle était une silencieuse - tout le temps qu'il fallait pour lui proposer la piqûre dont il avait besoin. Alors, il répondait que 'à sa petite France', il laisserait tout faire. Elle restait chez nous pour les repas. Elle partait alors chez elle au début, puis chez moi, et très tôt le matin, avant d'aller à l'hôpital à huit heures, elle passait pour lui dire bonjour. Elle ramenait de l'hôpital, des petites aiguilles et tout ce qu'il fallait pour que les traitements puissent être les plus confortables. A la fin, mon père était dans une agitation affreuse, il fallait trois personnes au bord du lit pour qu'il ne tombe pas, apparemment il était dans le coma... Elle était d'une douceur immense, pas un milligramme d'impatience, d'agressivité, je crois que 'le doux sourire de sa petite France' a été une grande consolation pour lui. Elle était devenue comme de la famille...

 

France

Et moi, j’étais si heureuse. Et pour Cécile, j’étais quelqu’un. Je ne faisais pas d'effort pour aider son cher papa. Je venais de l’hôpital comme on rentre dans sa famille. Quand le papa est mort, mes angoisses me sont revenues : allais-je retomber dans ma solitude ? Mais non, Cécile m’avait adoptée. Je pouvais la suivre partout. Et elle était simple et sans mondanité. J’étais bien avec elle. Pendant la maladie de son père, elle est partie deux semaines en Belgique, chez des amis, pour se reposer un peu, son père étant dans une phase d'accalmie. Je lui ai demandé de rester chez elle et elle m’a répondu 'oui, bien, sûr, tu as la clef'. Et je lui téléphonais tous les jours, le matin et le soir, comme à ma sœur ! C'était plus qu'un amoureux de 15 ans ! Je n’ai plus depuis lors quitté sa maison.

 

Cécile

Quand mon père est mort, je lui ai dit de venir habiter avec moi. Elle sortait pour travailler et pour aller dans l'une ou l'autre de ses maisons pour aspirer, nettoyer, cuisiner pour toute la grande troupe familiale... et elle revenait chez moi fatiguée, lasse, déprimée en disant : 'ici c'est mon abri'. Elle mangeait très peu, elle était bien maigre, fumait deux paquets de cigarettes par jour. Devant mon vice du 'petit whisky', elle disait 'non', j'aime trop pour ne pas attraper un vice de plus. Je voyais bien qu'elle avait envie mais là je n'ai jamais insisté de peur de lui compliquer la vie...

 

Les anges

C’est nous qui avons brouillé leurs mots, afin qu’elles ne se comprennent pas. Nous avions été mandatés par Dieu pour les sanctifier dans une victoire grandiose. Nous savions que nous y arrivions car ces deux enfants n’avaient que de la bonne volonté. Et il nous fallait les rendre pauvres, plus pauvres qu’une graine qui tombe en terre, afin qu’elles ressuscitent.

 

France

Je lui disais de temps en temps que j’aimerais bien avoir un petit appartement à moi toute seule, mais que ce n'était plus possible, car mes économies étaient parties pour mes neveux. Mais c’était juste comme cela, histoire de parler. Parce que moi, ce dont je rêvais, c’est de vivre avec Cécile comme avec ma sœur. Mais elle, active et efficace encore une fois, a cru que c’était un vrai désir. Elle a alors eu une idée géniale, qui me paralysa. Elle m’a  proposé de me prêter l'argent sans intérêts et moi, je la paierais petit à petit, selon mes possibilités. Je lui ai dit que j’étais d'accord à condition que l'appartement reste à son nom. Je lui ai dit que je ne voulais pas que, si quelque chose m’arrivait,  l'appartement puisse être l'héritage de ma famille. Mais je ne pouvais pas lui dire que je n’en voulais pas. Je ne voulais pas m’imposer. Elle était si gentille.

Alors, on a cherché, on a acheté, un de mes beaux-frères, architecte, a tout remodelé, elle a meublé l'appartement. Mes soeurs étaient vraiment contentes pour mon indépendance.

 

Cécile

Moi j’étais contente. Je pouvais enfin rendre à France un peu de ce dévouement qu’elle avait eu pour mon père. J’y retrouvais tout le contentement de ma jeunesse et je faisais un pied de nez au destin, pour une fois, avec cet argent qui ne devrait servir qu’à faire le bien. Un jour, la maison a été prête. C’était le début de l’été. Sa famille était partie en vacances et ses parents lui téléphonèrent pour qu’elle aille passer quelques jours avec eux. Mais elle n’y est pas allée.

 

France

Elle me faisait peur cette maison. Cette maudite maison qui allait me rendre à ma solitude, à mon inutilité. Et puis Cécile m’a dit : « Pourquoi n’irais-tu pas dans ton appartement ? Il est préparé pour t'accueillir. ». Elle semblait contente, persuadée que le moment était venu de réaliser mon petit rêve. Si elle avait su mon vrai rêve ! Là, j’ai un peu craqué et je lui ai répondu, agressive : « Tu ne veux plus de moi, c'est ça? Tu en as marre. » Surprise, elle m’a répondu que non, évidemment : « Maintenant, on a deux appartements à notre disposition ! C’est tout. » Et moi, le soir, je me suis dit que décidément j’étais nulle. Que je n’aurais jamais dû parler ainsi à ma Cécile. Alors j’ai décidé d’y aller, dans mon appartement. J’ai commencé à préparer mes affaires. J’étais en colère contre moi et mon incapacité à expliquer à Cécile, contre Cécile qui ne comprenait pas, et contre cette maison si nulle qui allait nous séparer.

 

Cécile 

France est sortie de ma maison avec un visage fermé. J’ai bien compris sa tristesse et je me suis dit que cela passerait vite, que j’allais lui prouver que rien n’était changé en l’invitant vite. Je lui ai parlé au téléphone. Elle m’a dit qu’elle devait accompagner une de ses soeurs qui était enceinte à l'hôpital pour un examen. Deux jours sont passés sans nouvelles. J’ai téléphoné. Cela sonnait occupé. Finalement, j’ai couru à son appartement avec la clef et le pressentiment... et c'était vrai.

Elle était dans sa chambre, assise sur les pieds et avec le corps tombé sur le lit. Sa tête reposait sur son bras gauche allongé sur le lit, on voyait bien son visage blême de profil. Le bras gauche avait un garrot et des signes d'une piqûre. Sa main droite reposait aussi sur le lit et une seringue était entre sa main droite et son bras gauche. Un emballage d'ampoules de penthotal était sur le lit aussi,  un peu plus loin. Elle devait s’être injecté deux doses intraveineuses. Son expression était calme, comme si elle dormait, les yeux fermés. J'ai essayé de la faire bouger, elle était totalement rigide. Ceci se passait vers deux heures de l'après-midi. Je suppose qu'elle s'était suicidée la veille, plus ou moins vingt-quatre heures avant que je la trouve. J’ai cherché quelque chose d'écrit : rien !

 

France

J’étais là quand Cécile est arrivée. J’étais assise à côté de mon corps. Je n’avais pas osé bouger depuis mon geste, ni affronter la grande Lumière que j’avais vue un instant. Et je l’ai vue, Cécile. Je lisais dans ses pensées. Et c’était horrible comme elle souffrait. Extérieurement, elle semblait active et efficace comme d’habitude. Elle a appelé son frère qui est venu tout de suite. Puis la Police est arrivée. Et intérieurement, c’était comme une masse de douleur et d’impuissance.  Une pensée naissait en elle, une sorte de cauchemar obsédant. Elle se disait : « Elle s’est suicidée dans l'appartement dont je lui avais fait cadeau, avec une injection intraveineuse de penthotal dont je lui avais donné l'idée. »

Il faut dire que je parlais souvent de suicide, de lassitude de la vie, de mes amours déçus, d'un revolver que j’avais avec moi pendant des années et qui appartenait à mon père. Et c'est vrai, je m’en souvenais maintenant, qu’elle m’avais dit un jour, pour se moquer gentiment de mes idées : 'Tiens! c'est bien plus simple, rapide et sûr. Tu t'injectes du penthotal et c'est fait, en deux minutes, sans douleur et tout à fait garanti!' Je le savais bien, tout autant qu’elle, puisque j’étais dans le secteur médical.  Mais Cécile pensait : « Mais c'est moi qui lui ai donné l'idée et surtout la caution, l'autorisation... »

Alors j’ai voulu lui parler et lui dire : « Tu te rappelles, Cécile, cette présence que tu as sentie ? C’est moi. Je te dis pardon. Je te dis que je regrette, que je n’avais pas pensé à toi, à ce que tu penserais. Que je ne te connaissais pas, moi qui te croyais forte et active. » Mais elle n’a pas entendu bien sûr.

Cécile est retournée chez elle, morte de fatigue. Elle a avalé deux bons whiskys et une pilule pour dormir. Moi, j’ai veillé sur elle toute la nuit. Et j’ai vu s’approcher d’elle une sorte d’ange noir, un esprit triste envoyé par Dieu qui s’est installé dans sa maison. Je ne comprenais rien. Où étaient les anges du Seigneur ? Marie, les saints et toute cette lumière dont on m’avait parlé ?

 

Les anges gardiens

Nous sommes restés tout le temps là, cachés. Nous avons laissé s’approcher l’ange du mal. Il fallait que ces deux amies touchent le fond de la misère afin de revivre, pour l’éternité.

 

Cécile

Deux jours après, c'est l'enterrement. J'y vais, mon frère m'accompagne. La chapelle mortuaire est pleine de fleurs blanches à n'en plus pouvoir. Je reste en retrait, mais d'un coup quelqu'un me fait signe que les parents de France m'appellent. Je m'approche, je les salue, nous sommes presque contre le cercueil, tellement la chapelle est petite et bourrée de gens et de fleurs. La messe commence, présidée par l'aumônier de l'hôpital où elle travaillait, et d'un coup les larmes me tombent à flots pour la première fois. Tellement c'était fort que je dois me retirer un peu, de nouveau. L'aumônier dit de belles paroles au sujet de France, son bon caractère, sa générosité, ses bonnes qualités professionnelles. Il ne souffle pas un mot sur 'suicide'.

Ensuite, je ne sais plus si c'est quinze jours ou trois semaines après, je me suis réveillée une nuit, sans avoir eu de cauchemar, mais j’ai commencé à entrer dans un cauchemar éveillé. C'était un désir en moi d'aller tout de suite là où elle était, de forcer la porte. Je résistais. Je me disais, m’appuyant sur le catéchisme de mon enfance, que la porte de l’autre monde ne se force pas... Il faut attendre qu'elle s'ouvre. Ce furent des mois d'une longue tentation de suicide. J'avais même peur de bouger, de sortir dans la rue, de conduire ma voiture, tellement j'avais peur du plus simple de mes actes. J'avais peur de dormir, de m'engouffrer dans des cauchemars pires que ceux que je vivais en état de veille. J'ai passé ces mois chez mon frère, car surtout la nuit, j'avais peur comme un petit enfant dans le noir.

 

France

J’ai toujours été à côté de Cécile quand elle luttait contre l’esprit du mal qui habitait sa maison. J’ai beaucoup prié. Je n’ai cessé d’appeler la Vierge Marie de tout mon cœur en disant que je méritais l’enfer, que je n’avais pensé qu’à moi, que je n’avais jamais imaginé pouvoir faire souffrir ainsi. Je lui disais de venir délivrer Cécile. Mais rien. Ça a duré des mois. Cécile s’est sauvée dans l’action. Elle a repris ses cours, ses consultations, comme une pierre. Et, en la suivant de l’intérieur, j’ai compris sa vraie âme. C’était vraiment ma sœur jumelle. Je l’ai vue passer une demi-heure de suite, chaque jour, dans un fauteuil avant d’être capable de recevoir un patient. Elle était totalement écrasée et faisait de l'autosuggestion... « Tu le reçois. Tu es forte. Tu tiens bon. Ce sera pour cette seule après-midi, ce sera fini le soir et tu pourras aller dormir, enfin. » Moi, j’étais anéantie et j’ai supplié Dieu de me permettre d’aller dans le néant. Je dois l’avouer.

Et puis un jour où j’avais beaucoup pleuré, j’ai enfin reçu enfin une visite. Moi, j’étais une pauvre âme errante dans la maison de Cécile quand soudain quelqu’un est venu vers moi. Cela s’est passé une nuit. Cécile dormait dans son lit. Est apparue « une maman » (c’est comme cela que je l’ai sentie), toute habillée de noir, comme les femmes de jadis. Un manteau la couvrait totalement, cachant jusqu’à son visage. Elle s’est approchée de moi, puis de Cécile, elle a retiré son manteau noir et tout de suite, la pièce s’est illuminée d’une grande lumière. Elle avait un sourire... Et tout de suite je me suis sentie pacifiée. L’esprit du mal, celui qui tenait cette maison depuis des mois, je l’ai vu de mes yeux s’enfuir comme un tourbillon et disparaître. Cette maman, c’était la Laura de Cécile, je l’ai tout de suite deviné. Elle m’en avait un peu parlé, de cette nounou qui l’avait élevée jusqu’à ses cinq ans.

J’ai tout de suite été vers Laura. Et elle m’a dit : « Alors France ? Es-tu prête à venir avec moi au Ciel ? » Je lui ai dit : « Je ne peux pas. Je ne peux abandonner Cécile. Elle est attaquée par un démon. Elle va se tuer. 

- Mais non, elle ne va pas se tuer. Le démon que tu as vu était un serviteur de Dieu envoyé pour achever de la former à la douceur. Elle a encore beaucoup de choses à faire sur terre. Laisse-la tranquille. Tu reviendras la voir plus tard. Regarde. Elle n’est pas seule. »

Et elle a fait un geste et j’ai vu deux anges de lumière, et son vieux papa, et sa maman et des tas de gens que je ne connaissais pas.

Puis Laura s’est approchée de Cécile, lui a fait une bénédiction de petite fille, une croix sur son front. J’ai dit encore une fois : « Mais je ne peux la laisser comme cela. Je dois veiller sur elle ! 

- Tu reviendras bientôt. Mais tu as encore beaucoup de choses à apprendre avant de devenir l’ange gardien d’un enfant de la terre. En particulier, tu n’as pas encore bien compris le pourquoi de toute cette souffrance…»

Alors j’ai obéi et nous sommes partis vers l’autre monde.

 

Cécile

Un matin, je ne sais plus quand, l’étau s’est desserré pour moi. Je ne sais pas comment c’est venu. Ce n’est pas lié à cette 'obéissance à Jésus' que je voulais m’imposer ‘en ne forçant pas la porte du Ciel’. Je crois avoir reçu une lumière, comme si une main effaçait la nuit de mon esprit. Ce n’est pas venu lentement, mais d'un coup. Elle était là, l'idée toute claire que mon suicide irait compliquer encore plus quelque chose qui était déjà fort dramatique. C'est comme si j'avais compris que je ne devais pas faire à moi-même, à mon frère qui était là, ce que France avait fait. Je me suis regardée, comme si j'étais l'autre... et, tout simplement, un 'ne fais pas à toi-même ce que tu regrettes d'avoir fait aux autres', s'est imposé. Aussi, l'idée d'un 'purgatoire' sur cette terre, le plus purifiant de tous, m'est venue, sans le mot 'purgatoire' là-dedans, mais au fond c'était clair. Alors, j’ai arrêté mes idées noires et c'est tout.

Ensuite, les grâces ont suivi. Un jour, au début de l'Avent, une lumière autre s'est un peu levée, peut-être. Le matin, en sortant d'une messe calme et courte, je crois avoir reçu une grâce. Car l'impossible c'est de voir clair dans tout ça. On est absolument piégé dans le filet de la culpabilité, on ne s'en sort pas avec les seules bonnes paroles, on est absolument aveuglé et seul un miracle nous redonne la vue.

Je bois toujours du whisky. Mais je suis devenue tranquille. Comme si plus rien n’avait d’importance si ce n’est Jésus, ma Laura qui me protège, France qui viendra un jour me chercher et en attendant, tous mes malades…

 

Laura et ses anges

« Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul. Mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »

 

 

25- LES TROIS RENIEMENTS DU FRÈRE ZÉPHIRIN (Lucifer à l’heure de la mort).

 

« Puisqu'on dit que toutes les âmes sont tentées par le démon au moment de la mort, il faudra que j'y passe. Mais pourtant non, je suis trop petite. Avec les tout-petits, il ne peut pas... »

Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, histoire d’une âme, 18 août 1896

 

Le père Zéphirin est Africain.

 

Et sa ferveur est incroyable. Il est l’icône même du zèle pour Dieu.

 

Dès sa majorité, il devient séminariste à Dakar. Il se fait remarquer par le sérieux et la responsabilité de son attitude. A force de travail, il devient licencié en philosophie, puis en théologie. Il parfait ses études à Rome, est ordonné prêtre et est nommé aussitôt professeur au séminaire.

Très vite, parce qu’il avait été frappé depuis toujours par le manque de ferveur des séminaristes, il essaye de leur insuffler une règle de vie plus stricte. Il y arrive certes, pour ce qui est de la prière et de l’étude. Mais ses professeurs lui font remarquer qu’il ne faut tout de même pas leur imposer une vie monastique. Mal dans son rôle, toujours en décalage entre ses désirs pour eux et ses possibilités, le père Zéphirin finit par comprendre que sa vocation pourrait être monastique.

Il quitte donc le sacerdoce ministériel et entre dans un monastère bénédictin. Il n’y restera qu’un an : la vie ne lui paraît pas assez pauvre et les frères, installés dans le rythme des sept offices liturgiques, du travail, lui semblent se contenter de beaucoup de médiocrité. Aussi, après un essai chez les trappistes, il entre à la Grande Chartreuse, en France. Il y restera sept années, y trouvant pour la première fois une réponse à ses aspirations vers Dieu, seul servi. Il s’agit d’une forme de vie d’ermite, et les contacts avec les frères sont réduits au strict minimum, le dimanche. Il célèbre sa messe en solitaire et c’est à cette époque-là qu’il entreprend de pratiquer ses grandes ascèses. Il a pris conscience du rôle essentiel de la souffrance offerte et il envoie des mots enflammés à ses frères :

 

« Et que nous demande Jésus? Il nous demande entre autre chose, de souffrir avec lui, de souffrir un tout petit peu pour lui, de prendre un tout petit peu de ses incommensurables souffrances sur nous. D'être à notre mesure, d'autres Christ subissant les outrages des pécheurs et de leurs péchés.

Et ainsi, nous lui donnons véritablement à boire et à manger, c'est-à-dire que nous lui donnons des âmes pécheresses.

Voilà le vrai sens premier et unique, de la souffrance, la grande souffrance. Voilà pourquoi, dans la Foi, avoir peur de la souffrance, ou refuser la souffrance ("mon Dieu, que ce calice s'éloigne de moi"), est compréhensible, mais doit être combattu les yeux droits dans les yeux et affronté avec courage, persévérance, confiance et patience: c'est ce que NSJC nous a indiqué, enseigné sur la Croix, du Jeudi Saint, à l'arrestation, au dimanche de Pâques, résurrection. »

Il se met à dormir assis sur une chaise. En semaine, il ne se nourrit plus que de pain, qu’il cuit lui-même. Les jeunes frères sont fascinés par sa ferveur et viennent parfois le voir.

Pourtant, le père Abbé, un vieux sage habitué des âmes, commence à lui dire, doucement : « Mon frère, vous devriez vous méfier du culte excessif de la souffrance. La seule vraie souffrance qui purifie et qui est rédemptrice parce qu'unie à celle de Jésus-Christ porte le fruit de l'humilité. »

Mais le Père Zéphirin est trop homme de conviction pour écouter. Il entre donc, petit à petit, en conflit ouvert avec son père Abbé. Un jour, lors d’un échange particulièrement tendu, le père Abbé lui dit :

« Bon père Zéphirin, autant vous le dire clairement. Je crois que tout le monde le comprend ici et écoutez-le : vous êtes en train de revivre avec nous, et je suis formel, cette scène de l'évangile : « Simon-Pierre lui dit: "Seigneur, où vas-tu?" Jésus lui répondit: "Où je vais, tu ne peux pas me suivre maintenant ; mais tu me suivras plus tard." Pierre lui dit: "Pourquoi ne puis-je pas te suivre à présent? Je donnerai ma vie pour toi." Jésus répond : "Tu donneras ta vie pour moi? En vérité, en vérité, je te le dis, le coq ne chantera pas que tu ne m'aies renié trois fois. Que votre coeur ne se trouble pas! vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi." » (Jean 13, 36).

Vous me semblez être exactement dans le même état d'esprit que Pierre à ce moment : ce zèle-là, tout le monde le voit en vous. Et face à cela, nous vous disons : vous faites une confusion sur ce qu'est la sainteté telle que l'entend Jésus. La sainteté EST l'HUMILITÉ ET LA CHARITÉ. La croix, on s'en fiche, sauf si elle produit de l'humilité et de l'amour. Mais au moins, avec vous, Jésus va pouvoir éduquer. Car il y a de l'amour à tailler ! »

Scandalisé, le père Zéphirin lui répondit :

« Vous m’annoncez donc que je vais un jour renier Jésus ? C’est quoi cette espèce de christianisme que vous prêchez ? Vous êtes simplement dans la tiédeur et vous fuyez la croix que pourtant, par vocation, vous avez embrassée. »

- Mais mon père, ne le prenez pas mal. C'est dans son triple reniement, c’est dans cette croix là, qu’est né SAINT Pierre, le saint Pierre devenu faible et pauvre de coeur. Vous comprenez, c’est cette croix-là, celle qu’il n’a pas voulue, qui l’a formé… »

Le père Zéphirin ne l’écoutait plus. Il claqua la porte de la chartreuse et trouva refuge à Montmorin, dans les Alpes, dans la communauté d’ermites du père Emmanuel de Floris, un ancien cellérier de l’Abbaye d’En-Calcat. Il le rencontra d’abord de manière suspicieuse. Ce père était « bonhomme », très simple, et sa petite bedaine n’indiquait rien de bon sur la qualité de sa ferveur. Zéphirin lui expliqua son conflit avec son ancien supérieur et le père Emmanuel lui répondit :

« Bah ! Venez donc. Ici, c’est la cour des miracles et tous sont les bienvenus. Je vous présenterai un jour sœur Elvira. Elle a été renvoyée de son monastère bénédictin à cause de son caractère soupe au lait. Elle a lancé un bol de café au lait à la tête de sa mère abbesse… Et pourtant c’est une sainte. Dieu a le temps avec nous, vous savez. »

Et effectivement, le père Zéphirin fut laissé parfaitement tranquille. Il fut installé dans un chalet de montagne, sans eau ni électricité et il commença à vivre selon sa règle. Le père Emmanuel ne lui fit aucune leçon :

« C’est le domaine de Dieu. Personne ne pourra le détourner de l’excès de sa voie si ce n’est le bon Dieu. »

Un jour, un groupe de jeunes frères d’une abbaye voisine fut reçu pour un stage de deux mois en ermitage. L’un d’eux se montra particulièrement attiré par ce grand saint qu’il voyait de loin, en perpétuelle prière et ascèse. Il demanda la permission de le rencontrer au père Emmanuel qui lui dit :

« Va ! Essaye ! Je te préviens. Il est assez … sauvage. »

Le jeune frère s’approcha, tremblant et ému, frappa à la porte et fut bel et bien renvoyé, sans autre forme de procès :

« Je ne reçois personne ! ».

Surpris et attristé, il revint trouver le père Emmanuel qui le rassura :

« C’est mieux ainsi. Tu sais, lui, il livre son corps au feu et se durcit de plus en plus. Même son amour semble se dessécher à force d’héroïsme. C’est un grand saint dans son genre. Moi, j’ai un autre genre de zèle pour le Seigneur. Sais-tu pourquoi je suis devenu ermite ? C’était pour fuir la bêtise de mon père Abbé ! Oui, oui. Ne te fais pas d’illusion sur moi. Mais Dieu est venu pour les pécheurs, alors j’en suis un devant lui. Cette leçon vaut bien un fromage ? »

Et le père Emmanuel le réconforta d’un bon goûter. Le jeune frère retint cette leçon toute sa vie. Il travailla à développer davantage son amour et sa simplicité que sa perfection visible.

 

Salut du père Zéphirin

Le père Emmanuel mourut de manière étonnante. Un an avant, il avait annoncé à ses moines la date de sa mort, pour le jour de la saint Joseph. Eux se moquaient gentiment de sa prophétie, et lui organisèrent un grand repas à la date indiquée, pour la grande joie du père. Et pourtant, le soir même, il mourut. Puis il y eut des parfums, des odeurs de sainteté autour de la tombe de ce vieil homme simple qui disait souvent :

« Je crois que j’ai tout de même trahi les dons de Dieu. »

Certains, parmi ceux qui le prenaient pour un rigolo tant il confessait publiquement ses faiblesses, commencèrent à se demander s’il n’avait pas, de fait, été un saint.

Lorsque le père Zéphirin sentit venir la mort, 10 ans plus tard, il pensa encore une fois au père Abbé de la Grande Chartreuse et se dit, heureux :

« Je n’ai jamais renié mon doux, tendre et suave Jésus. »

Et de fait, sa mort fut paisible, un grand exemple pour ses frères ermites.

 

Le Menteur

Au moment où son cœur s’arrêta, Zéphirin fut accueilli par un Ange de lumière, magnifique de blancheur. Il tomba en extase devant sa beauté, sa perfection et sa dignité. Il vit dans son regard une immense rectitude morale. Et il dit, prosterné à terre :

« Seigneur, je te suivrai partout. Ma vie t’appartient, tu le sais depuis toujours. »

L’ange le releva et lui dit :

« Je le sais bien, bon serviteur. Tu t’es montré indéfectiblement fidèle. Entre dans le monde que je t’ai préparé (Matthieu 25, 21) »

Et il vit une montagne grandiose et, à son sommet, le plus bel ermitage dont il aurait pu rêver. Le Père Zéphirin eut alors un doute.

« Et la vision béatifique ? Aurai-je la vision de Dieu ? Je ne suis devenu ermite que pour voir Dieu un jour. »

Alors le Christ parut devant le Père Zéphirin et Lucifer - car c’était le nom de l’ange de lumière- se retira. Confus, le père Zéphirin reconnut aussitôt Jésus. On ne pouvait se tromper. Il voyait son âme encore marquée des stigmates de sa passion, une âme d’homme essoufflé et usé, en ruine, et pleine de sincère compassion. Le père se prosterna à terre en balbutiant : « Euh ! Je me suis trompé. Je me suis prosterné devant Lucifer. Ce n’était qu’une erreur de jugement. »

Jésus lui dit :

« Ne t’en inquiète pas. Je le connais et sa ruse la plus grande est de se déguiser en ange de lumière. Il te faudra encore l’affronter avant de venir avec moi. Es-tu prêt ? »

- Oui répondit Zéphirin. Cette fois je suis prêt. »

Puis Jésus partit.

 

Le Séducteur

Alors Lucifer revint, sans cacher cette fois son identité et l’emmena avec lui sur une haute montagne. Il lui montra la vie qu’il lui proposait :

« Tu continueras ta vie libre. Tu te lèveras selon la règle que tu t’imposeras, sans dépendre d’un supérieur. Tu seras respecté dans ton désir de silence. Tu vivras le sérieux de ton amour pour Dieu, sans faiblesse. Regarde-moi : j’aime Dieu. Je veux le voir moi aussi. Et je sais qu’un jour il m’ouvrira ainsi qu’à toi la vision de son Essence infinie. Car il sait que tout notre combat est pour son amour et sa dignité. »

Or le père Zéphirin se sentit comme parfaitement en phase avec Lucifer. Des fibres entières de sa vie s’orientaient vers sa proposition. N’y tenant plus, il était obligé de reconnaître le vrai zèle de cet ange pour Dieu. Il dit donc :

« D’accord. Tu peux compter sur moi. Et c’est par amour pour Dieu que je te suis. Je le reconnais. Tu es un ange calomnié. »

Le Christ Jésus apparut fort heureusement de nouveau, rattrapa le Père par la manche au moment où il allait se plonger en enfer et aussitôt, Zéphirin se réveilla. Lucifer avait de nouveau disparu. Alors Zéphirin se prosterna de nouveau devant Jésus et dit :

« Je me suis fait piéger. C’est que je ne suis pas habitué à l’affronter.

- N’aie pas peur, répondit Jésus. Je ne t’en veux pas. Il est très séduisant et il trouve toujours des fibres de notre être qui lui correspondent. Mais en fait il n’aime que sa perfection. Il ne supporte pas la petitesse. Méfie-toi juste de toi-même car tu as des complicités avec cela dans ta manière de m’aimer. Mais il te faut encore l’affronter. Cette fois, tu tiendras ? »

- Oui, Seigneur. Je suis prêt cette fois …"

 

L’Accusateur

Et le Christ s’effaça encore. Lucifer revint, mais cette fois, dans une attitude de précision et de rigueur intellectuelle totale. Il emmena Zéphirin dans un voyage intérieur, et il lui projeta le film de sa vie. Il lui montra, étape après étape, scène après scène, les clefs de son comportement durant sa vie. Il revit sa vie à travers les yeux de ses frères. Et le motif de ses décisions, de ses changements était partout le même : un goût pour sa perfection et un amour immodéré de son propre jugement. Il vit les vraies pensées du Père Emmanuel sur lui, pensées d’impuissance devant la non modération de son comportement. Il le vit prier afin qu’une épreuve intérieure vienne briser la noix de son cœur. Et Lucifer commentait :

« Toutes tes ascèses, toutes tes souffrances n’ont servi à rien, du moins pour le monde de Dieu. Lui ne croit qu’aux âmes petites et repentantes. Ce sont ces souffrances-là qu’il aime. Tu verras, toute ton héroïcité, tous tes sacrifices, il n’en voudra pas. Si tu le suis, tu devras tout recommencer. Mais toi qui n’as été qu’un égoïste toute ta vie, tu ne vas tout de même pas changer maintenant et renoncer à tout ce que tu as construit… »

Le père Zéphirin était paralysé. Il fut saisi d’un grand désespoir, comme si tout s’écroulait autour de lui. Les accusations de Lucifer portaient. Et lui ne voyait aucun moyen de les contrer. A chaque fois qu’il protestait et disait – de plus en plus mollement- : « Mais non ! Mon intention était l’amour de Dieu », Lucifer lui dévoilait une intention plus profonde, qu’il s’était cachée à lui-même : sa propre perfection. Alors, dégoûté de lui-même, le père Zéphirin décida que c’était trop. Trop vrai, surtout. Il décida cette fois dans le désespoir de suivre Lucifer sans se retourner et de se plonger loin de Dieu en enfer. Et ce fut la troisième fois, ce jour-là, que Zéphirin donna sa vie à Lucifer…

Il en était là dans ses réflexions quand il vit s’approcher … un coq. Que pouvait bien faire un coq ici, le jour de sa mort. Effondré sur lui-même face à la découverte de l’échec total de sa vie, pourtant nourri des Ecritures, Zéphirin ne fit pas le rapprochement… Et pourtant, comme Pierre 2000 ans plus tôt, il pleura amèrement (Zéphirin, pas le coq).

Une main le toucha. C’était Jésus. Zéphirin le remercia et le repoussa doucement.

« Seigneur, par trois fois je t’ai renié. Le père Abbé de la Grande Chartreuse me l’avait prédit. Et moi, je voulais le faire mentir en t’étant fidèle. Je n’ai plus rien à t’offrir. Quarante ans de vie monastique et d’efforts pour aboutir à cela. Laisse-moi. Je ne suis pas digne d’être ton Serviteur. »

Jésus parla et lui dit :

« Zéphirin, dis-moi avant de te plonger en enfer, est-ce que tu m’aimes plus que tout ? »

Il lui répondit:

« Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. »

Jésus lui dit:

« Alors viens avec moi. »

Il lui dit à nouveau, une deuxième fois:

« Zéphirin, m'aimes-tu ?

- Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime. »

Jésus lui dit:

« Alors viens avec moi. »

Il lui dit pour la troisième fois:

« Zéphirin, m'aimes-tu? »

Zéphirin fut peiné de ce qu'il lui eût dit pour la troisième fois: « M'aimes-tu ?» et il lui dit: « Seigneur, tu sais tout, tu sais bien que je t'aime. »

Jésus lui dit:

« Alors viens avec moi. »

Zéphirin dit :

« Seigneur, si je dois affronter de nouveau Lucifer, tu sais que je le suivrai. Il me dira : « Si tu me suis, tu dois positiver. Tu dois aimer ce que tu as toujours aimé : la recherche de ta perfection, l’offrande de tes souffrances était tout de même quelque chose de légitime. » Et je l’écouterai… 

- Bien sûr que tu l’écouteras. As-tu compris maintenant que, sans moi, tu ne peux rien faire ? Mais c’est aujourd’hui que tu es né. Moi, je connais ton cœur. Je sais bien que ton intention était pure, même dans tes désobéissances et dans ton obstination. Et regarde. Parce que aujourd’hui tu es devenu humble et obéissant, je bénis tous les sacrifices que tu m’as offerts. Je les reçois et je les envoie sur terre. »

Et le frère Zéphirin vit une pluie de grâces tomber sur la terre. Un boulanger de Cahors se convertit ce jour-là sans savoir d’où lui venait cette grâce. Une dame de Marseille rata son suicide et vécut une expérience de rencontre avec le Christ. Un jeune couple stérile conçut un enfant promis au paradis. Ce n’est qu’au jugement général qu’il leur sera révélé l’origine de leur chance, quand paraîtra la trame de la communion des saints.

Quant au Père Zéphirin, il entra très vite au Ciel. Son triple reniement, proclament les coqs dans le monde entier, ici-bas et dans l’au-delà, l’avait tellement déçu que, sans retour en arrière, il comprit son indignité. Comme le dit l’Écriture (Deutéronome 28, 65) : « Yahvé lui donna un coeur tremblant, des yeux éteints, un souffle court. »

 

 

 

26- LE FEU DE L’ENFER (Ne pas jouer avec le péché).

 

(Marc 9, 43) … dans la géhenne, dans le feu qui ne s'éteint pas.

 

Je suis Athaël. Je vois Dieu face à face à face. J’ai été l’ange gardien de 57 personnes durant leur pèlerinage terrestre vers le salut. Et, parmi elles, mon ami et protégé Jacobus Narcicius a choisi l’enfer. Cela s’est passé au Moyen-âge. Tout le monde en France avait foi en une vie après la mort, et la réalité de Jésus-Christ n’était même plus une question pour la grande majorité du peuple. Nous étions en plein XIIIème siècle et l’Église semblait avoir atteint son âge d’or. Partout des prêtres prêchaient l’amour de Dieu. Jacobus, mon jeune homme, fréquentant l’église depuis son enfance, tint en lui-même le rai­sonnement suivant :

« Je suis baptisé. Jésus-Christ est mort pour moi. Il est prêt à me par­donner tous mes péchés, autant de fois qu’il le faut; il suffit que je lui en demande pardon. Il me promet en échange le paradis éternel !"

Alors heureux de connaître cette bonne nouvelle, il l’interpréta ainsi :

"Je vais vivre pour moi-même. Je vais profiter au maximum des biens de cette terre et, juste avant ma mort, je me convertirai. Une bonne confession, des indulgences et j’irai au paradis. Dieu me pardonnera certainement puisqu’il est bon. »

Au début, mon jeune homme n’était pas déterminé dans l’égoïsme. Il était simplement tiède et l’amour de Dieu ne lui donnait pas un grand zèle pour changer sa vie. Il se maria. Il eut des enfants. Il prit aussi une maîtresse, sans doute parce que la vie l’avait doté d’une forte nature. Mais tout cela coûtait cher. Il pratiqua donc quelques affaires malhonnêtes pour se procurer l’argent qui lui était nécessaire. Les années passant, il acquit intelligence et habileté dans le maniement de la richesse. Moi, je voyais bien son âme se durcir. Il lui arrivait encore de prier surtout quand lui venaient des pensées sur l’enfer. Il faut dire que les pensées de l’enfer, c’est moi qui les lui suggérais. Et je lui envoyais des angoisses aussi, dès qu’il était seul (c’est pour cela qu’il n’aimait pas être seul).

Les années passèrent et mon homme vieillit. Il fut pris un jour d’un malaise. Une douleur l’avait saisi dans la poitrine et l’empêchait de respirer normalement. Pendant toute son agonie, je ne cessais de lui envoyer des cauchemars afin de l’effrayer. Je lui montrais l’enfer des prêtres, une chose horrible faite de boue gluante et de mains griffues qui l’attirait. Les sermons parlaient beaucoup à cette époque de l’enfer avec des expressions effrayantes, des diables grimaçants, des marmites brûlantes, une souffrance physique intense et tout cela pour l’éternité. C’était assez efficace pour empêcher certains d’abuser de leur liberté. Mon but n’était pas de torturer mon Jacobus mais je savais son âme en danger. Il était le riche de l’évangile et il allait devoir passer, comme un chameau, dans le trou d’une aiguille (Marc 10, 25). Alors c’était ma manière d’attendrir son cuir, de le disposer à un peu moins d’arrogance. Car, finalement, le malheur de Jacobus, c’était qu’il avait une bonne vie, un caractère solide et pragmatique, une capacité à fuir mes coups …

Durant son agonie, il se retournait violemment sur son lit. Ses proches avaient dû l’attacher. C’était moi qui le secouais. Comprenant qu’il allait mourir, il finit par faire appeler un prêtre. Terrorisé par les songes que je lui envoyais, il confessa tous ses péchés. Il lui raconta ses maîtresses, ses fautes, et toutes les mauvaises actions qu'il se rappelait. Il omit cependant le plus grand de ses péchés, sans doute parce qu’il n’en était pas conscient et que les siens, tenus en soumission, ne le lui avaient jamais fait remarquer : toute sa vie, il n’avait agi que pour lui, égoïstement.

 

Choix de l’enfer

Après plusieurs semaines de souffrances, mon ami Jacobus mourut. Et moi, je l’accompagnais. Avec le conseil céleste, nous décidâmes de le laisser pendant vingt années dans la solitude de la mort. Il s’agissait de continuer à attendrir son cœur dur. Moi, j’avais mission d’aiguillonner en lui les angoisses en me servant de la solitude, incontournable cette fois. Mais il n’avait plus rien du jeune homme de jadis, poète et sensible. Il finit par s’installer dans la mort, dans son statut nouveau de fantôme, appréciant finalement le fait de ne plus être soumis aux contingences matérielles. Il prenait philosophiquement les angoisses, presque en riant et se disait à lui-même : « Pourquoi m’angoisser. Je ne peux plus mourir de faim ! »

Les vingt années écoulées, je lui apparus enfin et lui annonçai la venue de Jésus. Il fut heureux de ma venue, comme de celle d’un vieil ami dont, finalement, il sentait la présence depuis longtemps. Puis Jésus lui apparut dans sa gloire. Il fut intellectuellement intéressé par cette prédication de l’Évangile et il s’aperçut qu’il ne l’avait pas bien compris sur terre. Le paradis ne consistait pas en un simple lieu de bonheur où chacun peut jouir de la vie selon ses goûts. Lorsque Lucifer fut devant lui, il découvrit avec objectivité la réalité de l’enfer. Il constata que ce n’était pas un lieu où ils peuvent pour l’éternité torturer les hommes. Tout cela n’était qu’un langage symbolique signifiant des choses bien plus profondes. Au paradis, la joie et le plaisir sont réels mais trouvent leur source dans le don de soi. En enfer règnent la souffrance et la solitude mais tout cela est la conséquence d’une divine liberté.

Alors mon ami Jacobus parla et dit :

« Cela change tout. Je comprends aujourd’hui, par l’enseignement de Lucifer, ce qu’est vraiment son projet. »

Il pesa le pour et le contre et, après avoir tout considéré, opta pour la voie qui correspondait le mieux aux choix de sa vie passée : égoïste il était, égoïste il resterait. Il tourna alors résolument le dos à Jésus, ne pouvant supporter plus longtemps son regard.

 

Le monde de Jacobus Narcicius

Et j’ai suivi mon ami Jacobus, lorsqu’il s’enfonçait dans son monde, suivant le chérubin Lucifer. Il reçut de lui, selon sa promesse, de vrais trésors en cadeau : une galaxie toute entière, extrêmement lumineuse et remplie d’or et de diamants éternels. Je me faisais discret et invisible pour l’observer. Et je voyais ses états d’âme. Sa volonté était sûre d’elle-même et déterminée. Mais quand il s’est retrouvé seul dans son royaume, j’ai vu que les angoisses l’avaient repris. Et cette fois, parce qu’il avait rencontré Jésus, il savait l’origine de son mal-être. Alors s’est mis à lever le poing vers le Ciel pour maudire Dieu. Et il criait :

« Je sais que tu m’entends. Tu as tendu un vrai piège à l’homme ! Tu prétends laisser entière la liberté de choix. Mais tu as fait notre être pour l’amour. Alors, si l’on refuse l’amour, on se retrouve avec ce feu de l’âme. Tu parles d’une liberté ! Si tu étais juste, tu aurais créé l’âme humaine neutre face à l’amour. Moi, je n’en veux pas de ton espèce d’humilité larmoyante. Alors dégage de mon monde ! »

J’ai vu que Dieu envoyait une sorte de grâce qui adoucissait l’impression de vide de son âme. Car Dieu fait briller son soleil sur tous les hommes. Mais ce pansement avait le même effet que de l’opium pour un cancer. Il masquait et ne guérissait pas. Il est évident que la guérison n’aurait pu venir que de la claire vision de Dieu, chose impossible. On n’épouse pas Dieu sans l’aimer…

Ensuite, Jacobus s’est mis à s’occuper pour fuir la pensée perpétuelle de cette solitude, que pourtant, il voulait. Il utilisait la puissance de son corps pour transformer le lieu de son habitation à son image. Les fleurs et la nature qui l’entourait l’agaçaient beaucoup. Il détestait cette beauté car elle était inutile. Et elle envahissait tout. Alors il s’est mis à désherber. Et il se retira dans une vallée rocheuse et stérile. J’ai vu les animaux se mettre à respecter son désir de solitude. Des vols immenses d’oiseaux et de vivants émigrèrent vers d’autres galaxies.

Je me suis fait petit. J’ai le pouvoir de me rendre invisible. Je suis un pur esprit. Et j’ai vu la réaction de mon Jacobus lorsque qu’un vol d’enfants, des petits enfants du paradis, tous morts en bas âge, tous portés dans la main de Dieu comme des poussins, passèrent. Eux se poursuivaient en jouant à travers l’univers immense, dépassant de loin, de par la puissance de Dieu qui jouait avec eux, la vitesse possible à leur nature corporelle. Ils ressemblaient à des étincelles (Sagesse 3, 7) et laissaient derrière eux des traces de lumière. Ils passèrent non loin de la galaxie de mon Jacobus, pour en visiter les merveilles. Ils étaient parfaitement innocents et se réjouissaient sans arrière-pensée de tout ce qu’ils voyaient.

Et lui en fut fort énervé. Jamais je n’ai vu une si grande colère quand ils passèrent dans « son » ciel. Il écumait et grinçait des dents. Il les enviait tout en les méprisant. Il leur cria :

« C’est mon monde. Allez-vous en. »

Et eux disparurent à l’horizon, tout à fait en paix et respectant la solitude de cet étrange ermite, créature insolite et aimée de Dieu, ayant entièrement sa place dans l’univers si divers du Créateur enfantin qui jouait avec eux.

Mais cette expérience horrible marqua tellement Jacobus qu’il ne se sentit plus en sécurité dans sa vallée ombreuse. Je le vis changer de villégiature et chercher, tel un gros bourdon, une demeure plus tranquille. Il ne voulait plus avoir vue sur aucun coin de ciel. Il finit par repérer une grosse étoile située exactement au centre de sa galaxie personnelle et s’installa dans son cœur. Il faut savoir que le corps des hommes est totalement différent et incorruptible. Et c’est ainsi que mon Jacobus Narcicius devint le prince incontesté de son monde, son siège royal étant le centre noir et brûlant de sa galaxie tournoyante. C’est ce que l’Apocalypse appelle l’étang de feu (Apocalypse 19, 20). C’est une sorte de trou noir où les damnés se sentent mieux car isolés. Il ne sortit plus de son séjour, trop effrayé de rencontrer un de ces élus du ciel dont l’humilité accompagnée de la royauté le brûlait.

 

Personne ne le dérangea plus. Je vis les animaux revenir s’installer. L’herbe reprit sa place dans la vallée ombreuse qu’il avait désertée. Des enfants envahirent librement son ciel, et ils ne le dérangèrent plus puisqu’il ne les voyait plus.

 

Pour toujours

Vous devez vous demander si j’étais triste d’un tel échec de ma mission. Ce n’est pas comme cela que nous voyons les choses depuis la Gloire. Tout avait été fait pour orienter mon Jacobus vers la vraie joie. Les souffrances et les joies pour découvrir ses limites, un prolongement de vingt années d’errance et surtout la tendresse de Jésus à l’heure de sa mort pour l’enthousiasmer vers le salut. Mais il y a bien un moment où il fallait qu’il choisisse en homme libre. Et vous comprenez, pour qu’il se soit damné, il a bien fallu qu’il le veuille vraiment. Alors, en fin de compte chacun au ciel respecte son choix et se réjouit même de sa liberté finale.

On sait que la porte de Dieu est toujours ouverte. Mais son choix est si libre, si lucide ! Il a tout vu, tout pesé si bien que, dans mille milliards d’années, sa détermination à refuser l’amour et le pardon sera intacte.

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27- LE SALUT D’UN MUSULMAN (Les religions qui disposent à la Venue du Messie).

 

(Jean 10, 16) « J'ai encore d'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos; celles-là aussi, il faut que je les mène; elles écouteront ma voix; et il y aura un seul troupeau, un seul pasteur; c'est pour cela que le Père m'aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre. »

 

Hamza s’est toujours intéressé à la religion. Toute sa vie, il s’est efforcé de pratiquer les cinq prières d’adoration, et de le faire avec discrétion et ferveur.

Il a essayé de connaître sa religion et, à force de méditer le Coran appris par cœur lors de son enfance, il s’est forgé une synthèse à laquelle il se réfère :

Il sait qu’il faut se soumettre à Dieu dans l’obéissance. Dieu est unique et puissant et il aime ceux qui le servent humblement.

Mais il sait aussi que Dieu est miséricordieux. Alors les fautes de sa vie, il lui en demande pardon en priant.

Hamza vit en Europe. Il y a rencontré quelques chrétiens. Au début, il les croyait polythéistes puis, devant leurs protestations unanimes, il s’est aperçu qu’ils étaient juste des exagérateurs :

« Ils aiment tant le Messie Issa, Fils de Marie, qu’ils l’ont fait Dieu. Et ils aiment tant Dieu qu’ils se sont imaginé que l’Éternel s’était fait homme pour devenir leur ami. « Leur ami » ! Comme si un si grand Dieu pouvait être ami, avec réciprocité et dialogue, de créatures comme l’homme. »

Plus il connaît le christianisme et plus il comprend que cette religion, quoique belle et de bonne volonté, est imaginaire.

Il a eu un jour une conversation avec un catholique qui lui demandait si, selon l’islam, les chrétiens seraient sauvés alors que, pour les musulmans, ils ne croient pas en la vérité. Et il a répondu, d’après une parole du Prophète :

« Ils le seront s’il acceptent, au dernier moment, de se convertir. Devant le lit du mourant, le Messie Jésus leur apparaît et il vient leur enseigner l’islam, la soumission à Dieu. Il dit aux chrétiens qu’il n’est pas Dieu, mais seulement un homme saint. Il leur dit qu’il n’est pas mort sur la croix. Et eux peuvent adhérer à son message, en cette vie, et devenir musulmans. »

Le chrétien avait répondu :

« Et si le Christ dit qu’il est Dieu, que ferez-vous ? »

Hamza n’avait pas répondu, surpris par la question qui lui paraissait incongrue, tant la foi est certaine.

 

Hamza mourut d’un accident de circulation. Renversé sur un passage pour piétons, il fut transporté à l’hôpital. L’imam eut le temps de le visiter et il récita avec lui la Profession de foi : « Je crois en Dieu l’unique et je crois que Mohamed est son prophète. » Il était prêt pour la vie éternelle.

 

Le salut d’Hamza

Son cœur s’arrêta.

Aussitôt, à côté de lui, apparurent quatre hommes. Intuitivement, Hamza reconnut aussitôt Abraham, le prophète Élie, Job le pauvre et Mohamed. Abraham est le père de tous les musulmans, celui qui, comme eux, a cru en Dieu ; Élie est le modèle de ceux qui combattent pour leur foi, lui qui avait résisté héroïquement à la reine Jézabel. Job est le serviteur souffrant qui, dans son malheur, n’a jamais rejeté Dieu ; et Mohamed est le sceau des prophètes, celui qui a transmis sans erreur la Parole de Dieu. Il émanait d’eux une grande joie et une grande complicité. Hamza se redressa sur son lit, frappé de cet honneur qu’on lui faisait. Comment lui, petit musulman d’en bas, pouvait-il recevoir un tel accueil ?

C’est Abraham le premier qui prit la parole :

« Hamza, toute ta vie tu t’es efforcé d’être mon fils. Et tu l’es vraiment. »

Et Abraham lui montra son âme, sa vie d’errance et de foi.

Puis Élie continua :

« Tu as essayé de défendre l’honneur de Dieu par ta parole, quand tu as pu. Tu es mon disciple. »

Et Job, le serviteur souffrant, lui dit :

« Tu as eu ta part de malheur et tu t’es soumis à Dieu sans protester. Tu as été mon imitateur. »

Enfin, Mohamed, le plus grand des prophètes, se leva :

« Tu as été un grand pécheur. Mais tu as toujours espéré la miséricorde de Dieu. Tu l’obtiendras. »

Alors Hamza se prosterna à leurs pieds, mais ils lui dirent (Apocalypse 19, 10):

« Non, attention, nous sommes des serviteurs comme toi. C'est Dieu que tu dois adorer. »

Tant de douceur dans l’accueil le ravissait.

 

Évangile de Jésus

Alors le Prophète lui dit :

« Je dois t’annoncer une grande nouvelle, une nouvelle si grande qu’elle concerne Allah, l’Éternel. Es-tu prêt à te soumettre à sa parole, quoi qu’il te demande ? »

Hamza répondit :

« Seigneur, depuis le début de ma vie je n’ai que ce désir et tu m’as formé à cela : me soumettre à Dieu. 

- Alors regarde car je vais te montrer quelque chose d’inouï. »

Il l’emmena. Ils franchirent la porte qui conduit dans le passage de la mort et ils arrivèrent sur une haute montagne

(Le passage suivant reprend le récit de la transfiguration de Jésus, Matthieu 17, 1). Et voici qu’apparut devant lui un Être lumineux : son visage resplendissait comme le soleil, et ses vêtements étaient blancs comme la lumière. Hamza reconnut aussitôt Issa, le Messie de Dieu, le fils de Marie. Comme l’éclair va de l’Orient à l’Occident, Hamza vit qu’il était Dieu fait homme. Il vit sa vie, puis sa mort et sa résurrection. Il en était bouleversé. Comme il regardait encore, voici qu'une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu'une voix disait de la nuée:

« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur, écoute-le. »

Alors Hamza sut qu’Allah avait parlé et il se prosterna pour adorer le Messie. Il crut en sa divinité, avec enthousiasme.

Mais Jésus, s'approchant, le toucha et lui dit:

« Relève-toi, Hamza, et n'aie pas peur. »

Et lui, levant les yeux, ne vit plus personne que lui, Jésus, seul.

Jésus lui parla longuement, comme à un ami, sans le traiter en serviteur. Hamza n’en revenait pas d’une telle amitié. Et il posa toutes les questions qu’il voulut. Il lui demanda d’abord s’il était vrai que lui, Hamza, pourrait vivre dans l’éternité non comme serviteur mais comme ami.

- C’est vrai. Et chacun obtient l’intensité d’amitié qu’il désire de Dieu. Certains veulent être comme des enfants blottis dans le cœur de Dieu ; ils le deviennent. D’autres veulent être amis de l’époux ; ils l’obtiennent. D’autres enfin osent demander l’égalité et l’intimité de l’épouse unique. Rien de ce que demandent les humbles n’est impossible à Dieu.

 

Islam

- Et pourquoi dans ce cas, puisque Dieu voulait cela, suis-je resté simplement serviteur à travers l’islam toute ma vie ?

Jésus lui répondit:

- Lorsque je suis venu sur terre, je disais à mes disciples (Luc 14, 8) : « Lorsque quelqu'un t'invite à un repas de noces, ne va pas t'étendre sur le premier divan, de peur qu'un plus digne que toi n'ait été invité par ton hôte, et que celui qui vous a invités, toi et lui, ne vienne te dire: Cède-lui la place. Et alors tu devrais, plein de confusion, aller occuper la dernière place. » Il en est ainsi de l’islam. Dieu y forme ses membres à prendre la dernière place, celle des serviteurs. Lorsque à l’entrée de la salle des Noces, ces serviteurs se voient invités par l’époux lui-même à s’avancer, à la place des amis, quelle est à ton avis leur réaction ?

- Reconnaissance, enthousiasme ?

- Et amour. En vérité, je te le dis, beaucoup à cette heure-là tomberont amoureux de Dieu et deviendront plus que ses amis : et qu’y a-t-il de plus proche que l’épouse unique ?

- Mais pourquoi cet Évangile n’est-il pas prêché dès cette terre à tous les hommes ? Pourquoi nous avoir maintenus dans la voie des serviteurs ?

- Parce que, s’il n’y avait dès cette terre qu’un seul troupeau et un seul pasteur, les brebis en seraient si fières qu’elles tomberaient dans l’orgueil. Il faut donc que tout soit révélé dans le passage de la mort, lorsque l’homme est seul et fragile.

Hamza comprit ce jour-là que ce qui comptait, c’est qu’un jour, au moment que Dieu veut, tous les hommes accueillent la bonne Nouvelle de l’Évangile de Dieu pour l’éternité.

 

Puis il se prépara à affronter la prédication de Lucifer, et son évangile de la liberté solitaire. Il n’eut pas à combattre. Dieu combattit pour lui car Hamza n’était pas un orgueilleux.

 

28- « MÊME ADOLF HITLER… »

 

Sa lente agonie

Vers la fin de sa vie, tout fut tenté par son Ange gardien pour briser son orgueil. Mais il avait adoré toute sa vie une idole puissante, à qui il avait tout sacrifié.

Deux jours avant sa mort, il montra une fois de plus et dramatiquement que rien ne le détournerait de sa voie. On lui parla d’un jeune de 15 ans, des Hitlerjugens, qui avait réussi tout seul à détruire des chars soviétiques. Il sortit une dernière fois de son bunker, dans Berlin en ruine, et il le décora de la croix de fer. Son ange lui cria à l’esprit, se cachant dans ses pensées : « Dis-lui de fuir, de sauver sa vie ! » Mais Hitler n’écouta pas et l’envoya de nouveau au combat, c’est-à-dire à la mort. Il n’eût pas pitié de cette jeunesse et il éprouva le besoin de se justifier un peu plus tard, retourné dans son refuge et encore brûlé par cette mauvaise action : « L’Allemagne s’est montrée lâche. Elle s’est montrée indigne de moi. Elle ne doit pas survivre. » Cette phrase dit tout des idoles qu’il adorait.

 

Depuis près de deux ans, son Ange gardien lui avait mis dans l’esprit l’idée du suicide. Un seul geste et il pouvait sauver des millions de vie. Pour cet homme, se suicider aurait donc été un acte de bonté envers le prochain. Mais il résista, fidèle à la mission de destruction totale qu’il s’était donnée : « Une seule chose me survivra peut-être, mais je l’aurai accomplie jusqu’au bout : je délivrerais le monde de la race Juive. »

Sentant son temps compté, il agit avec plus de vigueur encore pour tuer, faisant de la « solution finale contre les Juifs » l’obsession de son pouvoir. « Comme l'aigle qui prend son essor, il se montra dur envers les Juifs, et transforma son pays en une nation au visage dur, sans égard pour sa vieillesse et sans pitié pour sa jeunesse » (Deutéronome 28, 49). Il assignait une priorité aux trains de Juifs dirigés vers les camps de la mort. Ils passaient avant même certains trains de troupes vers le front. Cette obsession lui venait de la certitude du complot Juif contre le monde. Il avait fondé cette pensée folle de l’observation de quelques notabilités Juives, élaborant une théorie du complot qu’il faisait remonter à l’humanisme tourné vers Dieu d’Abraham, appliquant sa logique jusqu’aux petits enfants qui ne distinguaient pas leur droite de leur gauche. Il n’en démordit jamais et toutes ses actions trouvent leur justification dans cette obsession.

 

Dans tous ces grands péchés, Hitler devint l’un des plus puissants Antichrist qu’ait connu le monde. Et pourtant, pour se damner, ce grand pécheur dut affronter les dernières tentatives venant du Christ Jésus pour le sauver.

 

30 avril 1945

Il prépara calmement son suicide, repoussant jusqu’à la dernière seconde l’échéance. Il se renseigna sur les poisons et se fit accompagner dans la mort, tel les antiques rois germaniques, d’une épouse si dévouée qu’elle en était devenue insignifiante. Il cassa dans sa bouche l’ampoule de cyanure et se tira simultanément une balle dans la tempe. Ce geste le propulsa violement hors de son corps. A côté de lui se trouvait le spectre de sa femme, étonnée et amusée par cette nouvelle expérience originale. Jusque dans la mort, il constata qu’Eva se faisait de tout une sorte de fête, sans jamais en tirer les conséquences logiques. Pour sa part, il comprit une fois de plus ce qu’il avait toujours soupçonné : Il existait donc bien une Providence, puisqu’il y avait survie, et c’est elle qui l’avait accompagné.

 

Il resta un long moment sur l’Allemagne, hantant à l’heure de sa mort une réalité qu’il n’avait pu qu’apercevoir auparavant. Il vit ses SS appliquer scrupuleusement ses directives concernant son corps, qu’ils aspergèrent d’essence hors du bunker. Il pensa soudain au jeune qu’il avait décoré quelques jours plus tôt pour son héroïsme et, mystérieusement, il se retrouva aussitôt auprès d’un cadavre qu’il identifia sans peine. Eva Braun ne supporta pas plus longtemps de le suivre. Ce spectacle l’affligeait et, avisant une sorte de tunnel de lumière blanche qu’elle remarqua au dessus d’elle, elle sembla disparaître dans une autre dimension.

 

Le long passage de la mort

Pour sauver Hitler, les Anges de Dieu prirent leur temps. Pour essayer de le détacher de son orgueil, ils lui firent voir de ses propres yeux, la vanité de ce qu’il avait construit, espérant de lui une réflexion, puis un repentir. Il poursuivit donc seul sa quête à travers l’Allemagne, voyageant librement dans ce corps invisible que la dissolution de la biologie ne détruit pas. Il vit les ruines, les monceaux de cadavres dans le sol. Il hanta l’Europe tout entière, la Pologne, et la Russie. Étant entre deux mondes, il y vit aussi partout ce qui est invisible aux vivants, à savoir des armées de spectres livides, des âmes errantes comme lui qui fuyaient à sa vue.

Et il assista à son échec : il voyageait encore sur la terre lorsque, en 1948, il vit le peuple Juif se relever et fonder son État. Il le jugea faible et amoindri et il se réjouit quand d’autres peuples reprirent le flambeau de sa haine. Il observa que cette haine planait au dessus des peuples sous la forme d’un démon. Mais il constata la mystérieuse et permanente victoire du peuple Juif, qui semblait protégé d’une Main invisible qui affaiblissait à chaque fois ses ennemis, augmentant d’autant leur colère.

25 ans après son suicide, il dut encore assister au retournement complet de la génération suivante qui fit des valeurs exactement inverses aux siennes sa sagesse, rendant impur le sang germanique par une immigration sans limites. L’Europe entière semblait sentir sa présence malfaisante et se détournait avec horreur de tout ce qu’il avait adoré.

C’était la défaite totale d’un homme, d’un projet, de quoi faire réfléchir et rendre lucide sur la vanité de toute sa vie. Mais lui, loin de se repentir, maudissait l’Europe en disant : « Vous reviendrez à moi. Moins de trois générations et vous regarderez de nouveau mon œuvre ! »

Les Anges de Dieu, toujours invisibles, observaient son âme dans le shéol de son errance. Ils ne virent aucun progrès, comme si la longue méditation solitaire de plus de quarante années d’un désert aride ne lui apprenait rien.

 

L’Adversaire

En septembre 2001, l’Adversaire, l’Ange révolté, fut enfin autorisé à lui apparaître. Il ne vint pas seul mais se fit accompagner de plusieurs de ses anciens compagnons. Hitler vit une grande lumière et Lucifer se tint devant lui : « Tu ne m’a pas déçu. Tu n’as pas pleurniché sur ton sort. Tu es resté fidèle à ta liberté de pensée. Si tu me restes fidèle jusqu’au bout, tu seras pour l’éternité le Führer d’un immense Royaume que je te donnerai, où tu installeras les valeurs que tu adores : dignité, noblesse, virilité. Personne ne pourra te détruire et ton royaume sera éternel. Mais, auparavant, tu devras affronter une dernière épreuve, un dernier ennemi. Méfie toi du Juif Jésus. Il est redoutable. »

A la vue du noble Lucifer, Hitler ressentit une émotion puissante, un sentiment de force qui lui rappela les anciennes sensations de Nuremberg,

L’Adversaire s’effaça alors, rayonnant sa confiance et son admiration pour son serviteur.

 

Le Messie Juif

Adolf Hitler attendit donc que paraisse le redoutable ennemi qu’on lui avait annoncé. Il avait toujours détesté les valeurs du Messie des chrétiens, et il pensait jadis liquider cette religion après sa victoire militaire.

Mais le Messie le prit en traître. Il ne vint pas lui-même. Il délégua en avant de lui deux femmes, les deux seules qui, objectivement et malgré le peu d’intelligence qu’il voyait briller en elles, l’avaient aimé et s’étaient dévouées pour lui. Sa mère et son épouse Eva se tenaient devant lui, toutes intimidées. Elles ne disaient rien mais leur apparence parlait pour elles. Il émanait d’Eva une attitude de parfait regret. Pour la première fois, elle semblait intelligente et profonde, comme si un chagrin immense avait mis du plomb dans sa superficialité. Elle semblait crier de tout son être enveloppé d’une douce clarté : « On m’a pardonné mon inconséquence. On ne m’a pas condamné pour toujours pour mon silence, moi qui pouvais parler. »

Quant à sa mère, il avait regretté jadis qu’elle ne fut vivante pour assister à ses triomphes. Or, elle ne semblait avoir aucune admiration de son œuvre. Elle semblait attendre une autre victoire, celle d’un repentir.

Hitler fut touché en certaines parties de son être mais aussi agacé profondément de ces deux présences et de ce qu’elles exigeaient de lui. C’était une expérience pénible.

 

Le choix d’Hitler

En effet, les deux femmes de sa vie s’écartèrent bientôt et indiquèrent derrière elles une immense colline de lumière sur laquelle, en un seul regard panoramique, il vit un peuple immense qui semblait s’être réuni pour lui. Ils étaient tous beaux comme des anges, rayonnant de cette même bonté repentante qu’il avait vu chez Eva. Il reconnut sans peine des dizaines de millions de Russes, des millions de Juifs, de Polonais, d’Allemands, des centaines de milliers de tziganes... Et comme dans une sorte d’accélération du temps, il lui semblait que chacune de ces âmes lui montrait sa vie, son histoire brisée, son enfance arrachée, son corps brûlé. Mais tout cela se faisait sans haine et la foule silencieuse semblait crier, unanime : « Si tu acceptes de demander pardon, nous te pardonnerons. Tu seras notre frère, notre ami. Tu seras l’un parmi nous tous, à jamais. Et on ne se souviendra plus des larmes du passé. »

C’était une vision si nouvelle, si incongrue, qu’Hitler en fut comme déstabilisé. S’il s’était attendu à cela ! Le fond de son âme fut sincèrement touché par tant de sollicitude. Mais son intelligence analysait, froidement, tout ce que cela impliquait.

 

Parmi ce peuple de rois qui semblait suspendu à un choix venant de lui, il remarqua une jeune fille, étonnement plus lumineuse que les autres, et qui ne devait pas être morte à plus de 25 ans. C’était une Juive, une religieuse contemplative qui était devenue disciple du Christ durant sa vie terrestre. Et il assista en pensée à son voyage vers Auschwitz, dans un wagon à bestiaux, où elle avait passé son temps à prier pour l’âme du Führer de l’Allemagne. Elle avait prolongé sa prière pour son bourreau jusqu’au dernier moment où elle respirait le gaz mortel. Avant d’entrer dans l’autre monde, elle l’avait visité de son âme dans son refuge de Berchtesgaden. Il vit que cette jeune femme était devenue une des plus grandes Guides du monde de Dieu. Et cette grandeur était fondée sur son amour de ses ennemis, sur sa capacité à s’abaisser durant sa vie.

 

Les pensées se faisaient précises dans l’esprit d’Hitler. Il comprit avec une redoutable précision que, s’il écoutait cette sirène, n’étant pas lui-même humble, il ne serait pas le premier, le Guide, le Führer du Royaume des Cieux.

Parmi les six blasphèmes contre l’Esprit Saint (Refus de croire malgré l’évidence ; Présomption ; Envie des grâces fraternelle ; Désespérance ; Obstination ; Impénitence finale), la plus grande épreuve d’Adolf Hitler fut l’envie. Comment se résoudre à se faire pour l’éternité, le serviteur et l’ami de milliards d’êtres dont les valeurs méprisables n’avaient rien à voir avec la grandeur de tout ce qu’il avait aimé ? Comment accepter que ces âmes humbles possèdent maintenant une telle gloire, plus grande que celle qui défilait en musique, dans les claquements des drapeaux marqués de la croix gammée et les musiques ? Comment se résoudre à être pour l’éternité le plus petit, puisque toutes se considéraient comme tel ?

 

Après la mort

C’est ainsi que, en 2001, le spectre d’Hitler éloigna son errance de la terre et passa dans l’autre monde. Sa présence cessa peu à peu d’être l’unique obsession des pensées de l’Europe. Mais cette année là, le monde entra dans une nouvelle étape de son histoire douloureuse.

Au même moment, son long passage dans la mort étant fini, deux portent s’ouvrirent pour Adolf Hitler : celle du repentir et de la seule Royauté éternelle, à savoir l’union au vrai Dieu d’amour mort pour les hommes sur une croix ; celle d’une Royauté solitaire et sans fin, dans un monde de gloire humaine où on n’adore que soi-même.

Nul sur cette terre ne connaît quel fut le choix final d’Adolf Hitler.

 

Marthe Robin, qui fut proche de Dieu dès cette terre disait de lui : « Priez pour lui… au cas où… »

« Même Adolf Hitler, le Christ est mort pour lui. »

 

 

29- PARADIS (La Vision de Dieu).

 

Jeanne est morte à 93 ans. 20 ans plus tard, alors que j’étais moi-même devenu un grand vieillard, elle m’est apparue en rêve. Je l’ai reconnue bien qu’elle soit sous la forme d’une très jeune fille, pleine de la lumière de Dieu. Et je lui ai demandé si elle était venue pour m’emmener. Elle m’a dit :

« Non, Jeanbon (c’est ainsi qu’elle m’appelait souvent jadis). Je suis venue pour que tu mettes par écrit tout ce que je t’ai raconté jadis. »

Mais j’ai répondu :

- Vous m’appelez encore Jeanbon ! Je vois que votre entrée dans la gloire de Dieu ne vous a pas fait perdre votre côté provocateur.

- Dieu m’a épousée telle que j’étais ! Il n’avait pas le choix de toute façon. C’était dans le contrat de mariage.

- Vous êtes bien allée au purgatoire, rien qu’à cause de ce genre de plaisanteries ? Et puis, il y a eu ces whiskys…

- J’y suis allée, comme tout le monde, quand j’ai vu Jésus. On ne peut pas tenir debout devant tant de générosité (Romains 14, 11) : « Tout genou fléchira devant lui. » Mais rien de plus. Il m’a emmenée telle que j’étais. Donc, Jeanbon, je suis venue pour que tu mettes par écrit tout ce que je t’ai raconté jadis.

- Je ne peux mettre par écrit ces histoires, Jeanne. Dans chaque récit que vous m’avez rapporté, il manquait la plus importante partie. Les gens qui entraient au Ciel, on ne sait jamais ce qu’ils y font. C’est gênant tout de même.

- Mon pauvre Jeanbon. Tu me demandes de te raconter ce qu’est la Vision de Dieu ? Tu me demandes quelque chose d’impossible. Je ne peux pas te raconter autre chose que l’écume du Ciel. Mais le Ciel lui-même, il faut le voir pour en parler. Le Ciel, c’est Dieu… Là, moi qui te parle, je le vois face à face. Il ne me quitte jamais. Précise bien cela, Jeanbon, quand tu écriras ton livre. Tu ne peux parler que de l’écume de la mer. De la Mer elle-même, c’est impossible.

- Mais alors, racontez-moi au moins votre entrée dans la vision de Dieu…

- Impossible. N’essaye même pas…

- Mais tout de même, vous parlez bien de l’humanité de Jésus, telle qu’il apparaît dans sa gloire à l’heure de la mort. Alors pourquoi pas de sa divinité, quand elle se dévoile après la mort ?

- A chaque seconde, c’est l’infinité d’un univers qu’il dévoile de lui. Il devance mes désirs. Je n’en ai plus, tant il les comble en merveilles. Est-ce qu’une goutte d’eau peut te faire comprendre l’océan ?

- A ce point-là ?

- Plus encore. Donne aux jeunes gens l’analogie suivante : qu’ils prennent leurs rêves les plus profonds sur le prince ou la princesse charmante et toutes ses qualités de force et de douceur, de beauté. Qu’ils s’imaginent dans ses bras. Qu’ils multiplient par l’infini en toutes les richesses imaginées. Eh bien ils n’ont encore rien compris ! »

Je n’ai donc pas insisté. Et je me suis dit que le regard de Jeanne en disait plus sur son secret que toute autre chose.

 

Mariage

« Bon, j’ai quelques questions à vous poser. Tout d’abord, êtes-vous mariée ?

- Oui !

- Et pourtant Jésus dit (Matthieu 22, 30) (je pris un air de théologien triomphant en citant ce texte, reprenant mes jeux de jadis quand j’essayais de prendre Jeanne en défaut): « A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme des anges dans le ciel. »

- Là, Jeanbon, Jésus parle du mariage de la terre, quand on n’aime qu’un homme, comme on peut, et sans connaître tout de lui. Mais là où je suis, ça n’a plus rien à voir. Le plus petit dans le Royaume de Dieu, on l’aime comme s’il était seul au monde, infiniment plus que sur terre notre mari.

- Donc, si je comprends bien, on est marié avec tout le monde ?

- Chaque habitant du Ciel est aimé comme s’il était seul au monde. Et c’est possible parce que Dieu nous donne la même capacité d’aimer que lui. Mais le mot « mariage », es-tu sûr que ceux qui liront ton livre le comprendront ? Tu devrais mettre « amour, union totale ». Bref, trouve…

Je n’ai pas trouvé de mot meilleur aussi je mets la remarque ci-dessus de Jeanne. A chacun de trouver le mot…

- Jeanne, encore une question sur ce sujet : est-ce qu’au Ciel il y a des actes sexuels ?

- Pas du tout. Mais alors pas du tout. Il y a bien plus grand et mieux. La seule chose en commun, c’est que sur terre, Dieu voulait que l’union des corps avec son mari signifie le don des âmes par l’amour pour la vie. Et c’était source de bébés. Ici, le don des âmes est total. Alors, quand on se rencontre, on se connaît, âme contre âme, pensée contre pensée, amour contre amour, sentiments contre sentiments. Et, après la résurrection de la chair, corps contre corps. Mais cela non plus, je ne peux te le décrire. C’est comme si tu étais une chenille et que j’essaye de te représenter un papillon. Et tout cet amour sera source de vie (pas de bébé) mais d’aide pour tous ceux dans l’univers qui, étant encore dans le chemin qui mène à Dieu, en ont besoin.

- J’insiste, Jeanne. Les gens d’ici veulent savoir : après la résurrection de la chair, y aura-t-il une sexualité ?

- Alors non ! Réponds non. Ça n’a rien à voir et pourtant c’est une union physique. Les corps glorieux ne sont pas arrêtés par la matière. Ici-bas, on se dit qu’on s’aime et on se donne la main puis le corps. Là-haut, on voit directement dans l’esprit de l’autre l’amour, sans obstacle et une main peut occuper le même lieu que la main de son prochain…

- Oui, je vois. C’est vraiment un autre monde.

- Ça n’a rien à voir.

 

Résurrection

- Bon, changeons de sujet. Jeanne, je ne comprends pas : Vous avez un corps que je vois. Vous me dites vous-même que vous entendez, que vous voyez des paysages. C’est donc que vous êtes déjà ressuscitée. Donc il n’y a pas de résurrection à la fin du monde, mais elle se passe à l’heure de la mort…

- Pas du tout. Je suis une morte. Et je compte bien connaître la résurrection de ma chair à la fin du monde. Tu vois bien que je n’ai pas de corps de chair. Essaye de me toucher. C’est impalpable, comme un corps de fantôme. Et je ne peux pas saisir un objet de ton monde. Jésus, quand il est ressuscité, avait un vrai corps. Il le prouve (Luc 24, 41) : « Tandis qu'ils disaient cela, lui se tint au milieu d'eux et leur dit: "Paix à vous!" Saisis de frayeur et de crainte, ils pensaient voir un esprit. Mais il leur dit: "Pourquoi tout ce trouble, et pourquoi des doutes montent-ils en votre coeur? Voyez mes mains et mes pieds; c'est bien moi! Palpez-moi et rendez-vous compte qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai." Ayant dit cela, il leur montra ses mains et ses pieds. Et comme, dans leur joie, ils ne croyaient pas encore et demeuraient saisis d'étonnement, il leur dit: "Avez-vous ici quelque chose à manger?" Ils lui présentèrent un morceau de poisson grillé. Il le prit et le mangea devant eux. » Tu vois la différence entre un esprit et un ressuscité ?

- Oui. C’est clair. Mais votre corps de chair ne doit pas vous manquer. Il était lourd et pénible ?

- Certes, je m’en passe à cause de ses inconvénients et je me contente, en attendant, de ce corps psychique. Mais, la résurrection, ce ne sera pas pour nous rendre les inconvénients du corps de chair. Ce sera notre vrai corps mais entièrement en notre pouvoir !

- Qu’est-ce que cela vous apportera en plus ?

- D’être complète, Jeanbon. Mais je t’assure que cela viendra bien en son temps. Quand on voit Dieu, on a tout.

 

Lumineux

- Regarde, par exemple, quel âge me donnes-tu ? Est-ce que je fais mes 93 ans ?

- Euh… non. C’est tout autre chose. Vous paraissez… jeune, comme de l’intérieur, et pourtant je vous reconnais. C’est bien vous.

- En fait, comme notre corps est lumineux, c’est-à-dire qu’il ne cache plus notre intériorité, on a « l’âge » de son âme, de son humilité, de son envie d’amour. Il y a des jeunes qui ont choisi l’enfer. On dirait des gnomes tordus par l’âge. Ils se replient sur leurs colères. Au paradis, c’est l’inverse.

- Et c’est vrai que je vois tous vos traits de caractère, et vos gros péchés du passé.

- Oui, mais je vois aussi les tiens. Et finalement, tu as vu, ils se ressemblent. Ici, tout le monde est comme cela à nu et personne n’est humilié puisque finalement, on est tous pécheurs et celle qui n’a jamais péché est encore plus humble que nous tous.

- Alors la Vierge Marie doit ressembler à un nourrisson ?

- Jeanboneau ! ne te fais pas plus bête que tu l’es : « On a l’âge de son âme. » C’est une façon de parler. Marie paraît lumineuse et simple plus que tous les autres. C’est ça que je voulais dire.

 

Agile

- Vous dites que votre corps sera entièrement soumis à votre volonté. Entièrement ?

- Oui, avec la puissance de Dieu, nous pourrons même dépasser ses possibilités naturelles et nous déplacer dans l’univers à la vitesse de la pensée. Mais ce n’est pas tout. Nous pouvons visiter l’infiniment petit en prenant sa taille, ou voir l’immensité de l’univers d’un seul regard.

- C’est fantastique cela ! Ça va plaire aux garçons. Avoir un corps qui peut se transformer en avion et glisser en l’air, ou en fusée pour visiter l’univers.

- Oui ! Tout est donné à ceux qui aiment Dieu et même plus. La vitesse de la pensée, ça ce n’est pas naturel à un corps même glorieux. C’est un don de Dieu.

- Et les damnés, ceux qui ne veulent pas aimer Dieu, est-ce qu’ils reçoivent les mêmes dons ?

- Oui, Jeanbon. Et tous ici nous respectons leur choix. Ils sont libres. Alors Dieu les ressuscite aussi et leur donne le même corps parfait que nous. Mais ils n’ont que sa puissance naturelle. Dieu ne les prend jamais sur son aile pour les porter à l’autre bout de l’univers.

 

Subtile

- Encore une question, juste comme cela. (Je pris un air gêné… ma question était un peu loufoque). Ne vous choquez pas… Et si vous avez un accident de fusée. Je veux dire si vous entrez en collision avec, par exemple, une planète, ça doit faire mal.

- Pas de danger : on passe à travers les corps. Tu te souviens quand Jésus entre dans une pièce dont toutes les portes sont fermées. C’est cela. Il n’y a plus possibilité de se blesser…

 

Immortalité

- Mais alors qu’est-ce qui pourra vous tuer ?

- Rien, Jeanbon. La vie éternelle, c’est une vie sans fin. Là, tu fais un peu l’ignorant ?

- Je pose les questions les plus idiotes. Et c’est important. C’est comme un travail de journaliste. Je ne le fais pas pour moi mais pour les habitants de la terre… Et je voudrais donc pousser plus loin et entrer en science : la matière est naturellement corruptible. Donc, un jour ou l’autre, il faudra bien s’user et mourir.

- Il existe un état de la matière qui est incorruptible. Évidemment, c’est la puissance de Dieu qui la crée ainsi et lui communique de l’intérieur une énergie qui la rend indestructible. Si Dieu retirait sa puissance, aussitôt, comme une plante sans sève, ce monde flétrirait.

 

Monde nouveau

- Et le monde nouveau où vous vivez, est-il fait de cette matière ?

- Oui. Mais après la fin du monde, à la résurrection, ce monde sera … Dieu nous prépare des surprises inouïes.

Jeanne fit un grand sourire émerveillé et disparut. Quant à moi, je partis pour mettre par écrit ce qu’elle m’avait montré.

 

30- APOSTOLAT ÉTERNEL

 

« Je passerai mon Ciel à faire du bien sur la terre. »

(Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Docteur de l’Eglise)

 

La couturière de Foix

Lorsque je vivais sur la terre, je m’appelais Blandine. J’étais couturière en Ariège. J’ai eu un fils. Je suis morte à 81 ans, au tout début du XXIème siècle après une semaine passée à l’hôpital. Ma seule préoccupation, je l’avoue, était alors ma maison et mes deux chiens que je laissais sans surveillance.

Mais j’ai bien dû mourir et laisser ce que je ne quittais jamais. Ça a été dur. On est vieux et seul, et pourtant on s’attache à tout. Puis, d’un coup, on doit tout laisser.

J’ai ma tombe quelque part entre Foix et Pamiers, dans le caveau de la famille. C’est tout. Cela parait un triste destin.

Comme on se trompe. Quand on est sur la terre, on ne comprend rien…

Je n’imaginais pas tous les trésors d’amour, que Jésus allait réveiller en moi. Je ne me croyais plus capable, à mon âge, de retrouver les audaces de la jeune fille. J’étais devenue comme une plante desséchée par l’âge et la tiédeur d’une vie de tout le monde et, tout d’un coup, en m’apparaissant, Jésus a fait jaillir en moi une énergie qui a rendu mon être lumineux. Il m’a rendu jeune et belle comme jamais. De toute ma vie terrestre, je ne l’ai donc vraiment servi qu’à la onzième heure, et comme dans la parabole (Matthieu 20, 6), j’ai reçu le même salaire que ceux qui l’avaient aimé toute leur vie. Je l’ai choisi, à l’heure de ma mort, et après un temps de purification, il m’a emmenée dans la vision de Dieu.

Il a trouvé, avec beaucoup de miséricorde, quelques petites choses où j’avais été fidèle durant ma vie. J’ai essayé de bien élever mon fils. Et il m’a dit (Matthieu 25, 21) : « C'est bien, servante bonne et fidèle ! En peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t'établirai; entre dans la joie de ton seigneur. »

 

Mon premier apostolat

Juste après mon entrée dans la vision de Dieu, c’est un ange gardien qui est venu m’avertir. Il s’est montré à moi dans son étonnante lumière et m’a dit, comme à Marie (Luc 1, 28) : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. Car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu conduiras un enfant et tu l’enfanteras pour la Vie éternelle. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. » Il voulait me confier la garde de l’un de mes deux arrière-petits-fils. Il se mettait à mon service pour que je décide avec lui de la manière de le conduire au Ciel, en fonction de son caractère. J’ai demandé à l’ange s’il ne me confiait pas une charge bien trop précieuse. Je pensais qu’il était bien plus capable que moi de prendre les décisions qui convenaient. C’est si précieux une âme. Il m’a répondu : « Tu es passée par la grande épreuve. Tu as connu la misère de la chair. Tu as péché et tu sais maintenant ce qu’est la miséricorde. Tu as épousé la Trinité, dans l’humilité et l’amour. Pour toutes ces raisons, tu feras bien mieux que nous, les anges, qui avons épousé Dieu dans sa lumière, sans jamais pécher. Du coup notre apostolat sur les hommes est parfois sévère et rapide. Ton apostolat sera plus doux que le nôtre, car maternel. Il sera plus efficace pour son salut. Et nous t’obéirons en tout. »

J’ai donc pris en main le chemin de salut de mon arrière-petits-fils le 1er décembre 2005, jour de l’anniversaire de ses sept ans et de celui de ma mort. Ces petites coïncidences de dates sont amusantes. J’en ai remarqué dans toutes les familles et elles indiquent ces liens d’apostolat que les anges aiment créer avec les ancêtres jusque dans l’éternité.

Mon arrière-petit-fils avait un caractère bouillonnant et entier. Il ne priait pas beaucoup mais avait compris beaucoup de choses sur le sens de la vie. Il a été facile à garder durant toute sa vie terrestre, dans la joie et la douleur. Il est devenu ce que j’espérais : humble donc grand au Ciel. Et c’est vrai que j’ai pu lui apprendre l’humilité et l’amour en utilisant des corrections très douces en comparaison de celles d’autres époques !

 

Reine

« La limite que Dieu mettra à sa création, c’est la limite de son amour et de sa lumière. » C’est bien moi qui dit cela ! Moi, l’ancienne couturière de Foix ! C’est facile d’être théologienne quand on voit Dieu face à face.

Mais cette phrase dit du concret. Elle raconte ce qui se passe, après la fin de ce monde… Lorsque je gardais mon arrière-petit-fils, je visitais sans cesse, par plaisir, les galaxies gigantesques de l’univers visible. Et je constatais que, pour le moment, elles étaient vides de toute présence civilisée (*Ceci est une remarque de la Bse Anne-Catherine Emmerich). Pourtant, partout, je remarquais l’activité des Anges chargés de la vie, l’ordre des Vertus. Ce sont de magnifiques ingénieurs qui ensemencent l’univers. Dans divers coins de cette immensité, ils faisaient évoluer des formes de vie végétales, animales, psychiques. Quelle imagination dans leur travail ! Visiblement, ils préparaient quelque chose pour Dieu. Et ce qu’ils préparaient étaient foisonnant !

Puis, mon arrière-petit-fils est venu me rejoindre en Dieu. Ensuite, j’ai assisté à la fin du monde. A l’heure décidée par le Père, le Christ est venu mettre fin à la Terre. Les générations humaines et animales se sont arrêtées et la vieille planète, délaissée, a terminé son errance en se fondant dans le soleil.

Après la fin du monde, nous avons tous (les bons comme les mauvais) retrouvé notre corps de chair. Nous qui étions avec Dieu, nous avons vécu dans l’enthousiasme de nous rencontrer, de nous embrasser. Chacun des habitants du Ciel était à lui seul un séjour de la Trinité, un immense univers à contempler.

Je ne quittais jamais la vision de Dieu et je n’avais plus d’autre désir que lui, et les surprises que chaque jour il me préparait.

 

Et puis, un jour, Dieu, mon époux, m’a parlé. « Ma reine, m’a-t-il dit, j’aimerais te confier une mission. » Et il m’a porté en un instant par sa Puissance jusqu’à une planète inconnue et immense, située dans l’univers de l’ancienne Terre, celui où toutes les choses s’usent, selon ses lois propres. Elle était entièrement couverte de mer. Là, il m’a montré un animal gracieux, qui nageait dans la mer au milieu de tout un monde fait d’animaux et de plantes inconnus. Et mon époux, Dieu, m’a dit : « Mes anges m’ont préparé ce nouveau monde. Quel beau cadeau de leur part ! Je vais bénir leur œuvre en créant un nouvel être fait de corps et d’esprit. Cet être spirituel ne sera pas un humain mais autre chose. J’infuserai une âme spirituelle pour faire une personne à partir de ce joli dauphin. Regarde comme sa sensibilité sera grande. J’aimerais te confier la garde spirituelle du premier couple et des enfants qu’ils auront, jusqu’à ce que, parmi eux, tu m’aies préparé une reine et un roi selon mon cœur, de leur espèce, pour t’aider. Je te fais entièrement confiance. »

J’ai demandé à mon Amour, Dieu : « Pourquoi me choisis-tu, Seigneur, pour une si grande mission ? N’y aurait-il pas une personne plus adaptée, plus sainte ? »

Il m’a alors montré une scène de mon enfance. J’avais cinq ans. Je faisais une prière, à genoux à côté de mon lit et je demandais tout fort à Dieu si, au paradis, on pourrait être amis avec des animaux. Mon père, qui se tenait assis à côté de moi, m’avait dit : « On ne peut pas être ami avec des animaux. Ils n’ont pas d’esprit. Mais Dieu a des secrets et des pouvoirs. Et tout ce que nous demandons, il nous le donnera. Il l’a promis. Il est bien capable de créer, rien que pour toi, une espèce nouvelle dotée d’esprit. Tu devrais donc le lui demander. Tu seras sûrement exaucée un jour, à sa façon … »

Et je l’avais demandé. Dieu s’en était souvenu !

 

C’est ainsi que je suis devenue la reine d’un tout nouveau peuple de Dieu, un peuple immense qu’il conduisit à la Vision béatifique.