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La mère qui avait avorté et qui fut adoptée

« Elle avait dit : « Dieu m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée. » Une femme oublie-t-elle son petit enfant, est-elle sans pitié pour le fils de ses entrailles ? Même si les femmes oubliaient, moi je ne t’oublierai pas. Vois, je t’ai gravée dans les paumes de mes mains, tes remparts sont devant moi sans cesse. » (Isaïe 49, 14)

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Avortement

Suzanne Dagnelet n’avait pas subi un viol. Elle n’était pas une adolescente de 16 ans. Elle n’avait pas été victime d’inceste. Elle était mariée et mère de deux petits, un garçon et une fille. Et elle avait décidé que c’était suffisant. Elle avait de bonnes raisons : « Elever un enfant coûte cher, en temps principalement. Les activités d’éveil doivent être nombreuses. Et une vie moderne ne saurait être l’esclavage de jadis. »

Elle était tombée enceinte par accident. Elle avait alors pris la décision qu’il fallait, d’un commun accord avec son mari. L’avortement avait été précoce, uniquement par méthode médicamenteuse. Elle n’en avait subi qu’un léger trouble et la vie avait continué.

Elle avait bien élevé ses enfants. Chaque hiver, ils étaient allés au ski, ils avaient reçu des cours de danse pour la fille, du judo et du piano pour le garçon.

Vision

Le temps ayant passé, la fille de Suzanne Dagnelet avait atteint l’âge de 25 ans. Elle s’était mise en ménage. Adepte de moto, elle partait souvent avec ses amis pour faire de grands périples dans toute l’Europe. Elle roulait toujours prudemment, très consciente de l’absence de carrosserie de son engin. A l’entrée d’un virage, vers Chalon-sur-Saône, elle vit un camion prendre son virage trop large et se déporter sur sa voie. Elle sut qu’elle ne l’éviterait pas. A partir de ce moment, les secondes semblèrent se figer. Le camion s’approcha comme dans le ralenti d’un film, lentement. Ce n’était qu’une impression. Le choc fut extrêmement violent. Elle se réveilla en l’air, flottant au dessus de son accident, et elle vit son corps, dans son blouson de cuir, tournoyer avant de retomber lourdement dans un fossé. Elle vit ensuite ses amis arrêter leurs motos et se précipiter vers l’endroit où elle était tombée. Elle entendit toutes leurs paroles, nota tous leurs gestes, tandis qu’une grande tranquillité l’avait envahie. Ensuite, elle quitta ce monde en franchissant une porte de lumière. Là, elle fut ravie jusqu’au paradis, jusqu’au troisième ciel, et elle y entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de redire. Etait-ce dans son corps ? Elle ne le sut pas ; était-ce hors de son corps ? Elle ne put le préciser lors de son retour à la vie terrestre (2 Corinthiens 12, 4) ; « Dieu le sait », disait-elle. C’est qu’elle voyait et elle entendait, comme lorsqu’on est dans un corps, et pourtant son corps était resté sur terre, brisé et en état de mort clinique. Dans ce Ciel, elle vit un Être magnifique, lumineux et plein d’amour. Il envahit tous les méandres de son âme, de sa compréhension et de sa vérité. Puis lui apparut une fillette d’environ cinq ans. Elle était vêtue d’une jolie robe bleue, et ses cheveux bruns étaient coiffés avec de nombreuses petites barrettes multicolores.

« Je suis ta sœur, lui dit-elle.

— Ma sœur ? Mais je n’ai jamais eu de sœur…

— Demande à nos parents quand tu reviendras. Ils t’expliqueront. »

Puis elle se réveilla. Elle habitait de nouveau dans son corps, dans les douleurs physiques et couverte de tubes, à l’hôpital. Plus tard, quand sa santé s’améliora, elle demanda à ses amis si elle était bien tombée dans le fossé, où elle était restée, couchée en chien de fusil. Ils confrontèrent tous les détails de leur description des suites de l’accident, tout étonnés de la confirmation expérimentale de ces Expériences de Mort Imminente dont on parlait de plus en plus.

Angoisse

Ce n’est que huit jours après le terrible accident que les parents angoissés purent enfin parler à leur fille. Il ne leur fut laissé que peu de temps mais elle leur raconta aussitôt sa vision de cette petite fille si intrigante rencontrée lors de son voyage. « Elle m’a dit que son nom était Sophie », leur précisa-t-elle. Les parents ne savaient quoi répondre. Suzanne restait bouche bée devant ce récit. Finalement, son père prit la parole et confirma, en mentant : « Après votre naissance, ta mère a fait une fausse-couche. Nous ne t’en avions jamais parlé, ni à toi ni à ton frère. » A ce récit, leur fille s’illumina et elle leur dit : « Il y a une vie après la mort. J’ai tout vu et tout est aujourd’hui confirmé. » A partir de ce jour, leur fille devint croyante. Elle n’eut plus peur de la mort, sachant tout l’amour qui l’attendait là-haut. Elle devint plus joyeuse, plus heureuse de vivre. Elle épousa son ami et Suzanne devint bientôt grand-mère.

Quant à Suzanne justement, sa fille ne vit pas que ce jour-là, par sa joie, elle avait semé la graine d’un arbre étrange dans sa vie. Personne ne s’étonna de son silence, de son manque de curiosité. Elle n’aborda pas davantage le sujet de sa fausse couche, ni de « Sophie », pas même avec son mari. Personne n’y vit rien à redire, tant on sait le genre d’épreuve que représente un tel accident dans le cœur d’une femme.

En réalité, à partir de ce jour, Suzanne entra dans l’angoisse, tel était le nom de cet arbre. Et le cœur des femmes peut contenir beaucoup de secrets.

Le reste de la vie de Suzanne passa rapidement. Dans les semaines qui précédèrent sa mort, elle fut hospitalisée. Les infirmières racontèrent à ses petits-enfants qui venaient la voir qu’elle criait la nuit dans son sommeil, que c’était pénible pour les autres malades, et qu’on avait dû l’isoler. Suzanne vivait à une époque et dans un pays où il n’y avait plus de prêtres. Elle dut donc affronter seule son passage, lorsque « le fil d’argent de la vie se casse, que la coupe d’or de son corps se brise, que la jarre se rompt à la fontaine, que la poulie cède au puits. » (Ecclésiaste 12, 6).

Rédemption

 

Suzanne s’était depuis longtemps préparée à ce moment. Depuis le récit de sa fille, elle avait perdu tout goût pour la vie. Elle avait donc joué un rôle, celui d’une grand-mère épanouie, alors que son cœur s’était arrêté de battre au-dedans d’elle. Elle avait mûri longuement ce qu’elle ferait. Elle avait décidé que jamais, jamais, elle n’affronterait sa fille, cette petite Sophie (qui avait pu lui donner ce prénom ?) dont elle avait tué la vie, dans son immaturité de jeunesse. Elle avait décidé de disparaître après sa mort, et de mourir quand même. Elle était bien décidée à fuir dans un tombeau inconnu de tous et de s’y enfermer, oubliée de tous. Il ne pouvait être question de pardon pour elle.

Et c’est ce qu’elle fit. Aussitôt sortie de son corps, elle utilisa les pouvoirs de son nouvel état. Elle s’imagina au centre de la terre et aussitôt, elle s’y retrouva. Elle se roula en boule dans ce cœur de métal en fusion et ne bougea plus. Ensuite elle appela la mort et dit : « Mieux vaut pour moi mourir que vivre. » (Jonas 4, 8).

Or, sa prière fut agréée devant la Gloire de Dieu, et c’est l’Archange Raphaël qui la porta devant Lui. Cet Ange voulait enlever les taches de ses yeux, pour qu’elle voie de ses yeux la lumière de Dieu ; et il voulait la donner en épouse à Dieu, et la dégager de cette angoisse mensongère, le pire des démons (Tobie 3, 16), celle qui fait croire qu’il existe un péché que Dieu ne veut pas pardonner. Le Conseil du Ciel se réunit et on trouva légitime d’envoyer sa fille Sophie pour la guérir.

Or, tandis qu’elle était dans l’enfer qu’elle s’était choisie pour se punir, une main la toucha.

« Suzanne, tu dors ?

— Je ne veux voir personne. Laissez-moi.

Et Suzanne se recroquevilla un peu plus.

— Tu dormiras comme cela pour toujours ?

— Oui, pour toujours. S’il vous plaît. Allez-vous en.

— D’accord, Je m’en vais mais pas avant que tu ne m’aies regardée.

— Si c’est tout ce qu’on me demande, je le ferai. Mais après, on me laissera toute seule ?

— C’est tout ce qu’on vous demandera, promis !

Alors Suzanne consentit à ouvrir les yeux et à regarder. Ce qu’elle vit devant elle ressemblait à un ange, comme une vision de jaspe et de cornaline. C’était une jeune fille qui la regardait, entièrement vêtue de lumière et pourtant nue comme un écrin d’âme. C’était une vision unique, plus forte que ce qu’on voit, où la grâce d’un corps, la douceur d’un sourire révèle une âme cristalline.

— Je suis venue pour t’adopter. Si tu le veux. Nous pourrons revivre ensemble tout ce qu’on n’a pas vécu.

— Qui es-tu ?

— Je suis Sophie.

— Mais je ne suis pas ta mère. Je n’ai même pas enterré ton petit corps lorsqu’il est sorti. Ce n’est même pas moi qui t’ai donné ton prénom.

Suzanne ne résista pas au torrent de larmes qui l’envahit. Et, quand sa fille l’entraîna hors de son antre, elle ne protesta même pas :

— Je voulais rester ici à jamais.

— Tu n’y es restée que 10 minutes. C’est le temps qu’il a fallu pour que je te trouve. Il était impossible que tu ailles en enfer. Pourtant tu avais bien mûri ton plan. Tu aurais dû mieux te renseigner : lorsqu’on se repent de ses fautes et qu’on regrette de n’avoir pas aimé, on ne va pas en enfer. C’est juste l’inverse.

— Mais je t’ai tuée, toi, ma fille.

— Et Dieu m’a ressuscitée.

— Mais je t’ai privée de ta vie terrestre ?

— Je n’ai pas pu aimer jusque dans le désespoir, comme toi. Mais Dieu sait tout. Je contemple l’âme de tous ceux qui viennent de la grande épreuve (Apocalypse 7, 14). Il y a pour moi autant de joie à contempler la grande lumière des étoiles qu’à en être une.

— Et ta mère ? Tu as bien une mère ici ?

— J’ai maintenant mille mères : « Car quiconque fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là m’est un frère et une soeur et une mère (Matthieu 12, 50). » Et, parmi toutes ces mères, une a demandé pour moi le baptême et m’a élevée ; il me manquait juste toi, qui refusais encore d’être ma mère. Alors aujourd’hui, je t’ai adoptée pour toujours.

Alors, la tenant toujours par la main, Sophie entraîna sa mère vers Jésus et la lui présenta.

 

 

Conte d’Arnaud Dumouch
Illustré par Maximilie Sente

 

Alors, se redressant, Jésus lui dit : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a condamnée ? » Elle dit : « Personne, Seigneur. » Alors Jésus dit : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, désormais tu ne pècheras plus jamais. » (Jean 8, 10)

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