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Mt  8  28-34

S. Chrys. (hom. 29.) Les hommes ne voyaient dans Jésus-Christ que la nature humaine ; les démons vinrent proclamer sa divinité, afin que ceux qui n’avaient point écouté la voix de la mer en fureur et soudain redevenue calme, entendissent la voix des démons ; c’est l’objet des versets suivants : « Jésus étant passé à l’autre bord, dans le pays des Géraséniens, » etc. — Raban. Gérasa est une ville de l’Arabie, située au delà du Jourdain auprès du mont Galaad ; elle était habitée par la tribu de Manassès et n’était pas éloignée du lac de Tibériade, dans lequel les pourceaux furent précipités.

S. Augustin. (de l’accord des Evang., liv, 2, ch. 24.) Saint Matthieu parle ici de deux possédés, saint Marc et saint Luc ne parlent que d’un seul ; cette différence s’explique en disant qu’il y en avait un des deux plus connu et plus renommé, qui affligeait davantage cette contrée et dont les habitants désiraient plus ardemment la guérison, guérison qui eut aussi plus de retentissement. — S. Chrys. (hom. 29.) Ou bien saint Luc et saint Marc ont choisi le plus furieux pour sujet de leur récit, et ils nous retracent plus en détail ses souffrances. Saint Luc, en effet, dit qu’après avoir brisé ses liens, il était emporté dans le désert, et saint Marc qu’il se meurtrissait lui-même avec des cailloux. Cependant ils ne disent pas qu’il était seul, pour ne pas se mettre en contradiction avec saint Matthieu. Nous voyons ensuite qu’ils sortaient des tombeaux, ce qu’ils faisaient pour accréditer cette erreur pernicieuse que les âmes de ceux qui sont morts deviennent des démons. C’est par suite de cette erreur qu’un grand nombre d’aruspices égorgent des enfants pour associer leur âme à leurs criminelles opérations. C’est pour cela qu’on entend les possédés s’écrier : « Je suis l’âme d’un tel ! » Ce n’est pas l’âme de celui qui est mort qui s’exprime de la sorte, mais le démon qui emprunte sa voix pour tromper ceux qui l’entendent ; car si l’âme d’un mort pouvait entrer dans un corps étranger, à plus forte raison pourrait-elle rentrer dans celui qu’elle animait précédemment. Mais il est contraire à la raison de croire qu’une âme qui souffre des peines injustes prête son concours à celui qui les lui fait souffrir, ou qu’un homme puisse changer un être incorporel en une autre substance, c’est-à-dire une âme en la substance du démon ; car même pour les corps cela est impossible à l’homme, et il ne pourrait par exemple changer le corps d’un homme en celui d’un âne. D’ailleurs serait-il raisonnable de penser qu’une âme séparée de son corps soit comme errante sur la terre ? Les âmes des justes sont dans la maison de Dieu (Sg 3) ; de même aussi les âmes innocentes des enfants. Quant aux âmes des pécheurs, il est certain, d’après l’histoire de Lazare et du mauvais riche, qu’elles sont aussitôt enlevées de ce monde. (Lc 16.) Or comme personne n’osait amener ces possédés à Jésus-Christ, il va lui-même les trouver. L’Évangéliste nous donne une idée de leur fureur en ajoutant : « Ils étaient si furieux que personne n’osait passer, » etc. Mais ces furieux qui empêchaient les autres de passer trouvèrent à leur tour quelqu’un qui leur défendit d’aller plus loin ; ils se sentaient flagellés d’une manière invisible, et la présence seule du Christ leur causait des tourments intolérables, comme nous le voyons par ce qui suit : « Et ils se mirent à pousser des cris, en disant, « etc.

S. Jérôme. Mais ce n’est pas là cette confession volontaire que Dieu se plaît à récompenser aussitôt, c’est la force de la nécessité qui malgré eux leur extorque cet aveu. Ainsi lorsque des esclaves ont pris la fuite, et que bien longtemps après ils se trouvent en présence de leur maître, ils ne demandent qu’une chose, c’est d’échapper au châtiment qu’ils méritent ; ainsi les démons se trouvant tout à coup devant le Seigneur qu’ils voient descendre sur la terre, croyaient qu’il était venu pour les juger. Quelques auteurs trouvent absurde de dire que les démons connaissaient le Fils de Dieu, tandis que le prince des démons ne le connaissait pas, parce que leur malice est moins grande et qu’ils ne sont que ses satellites. Est-ce que, en effet, toute la science des disciples ne doit pas être rapportée au Maître ?

S. Augustin. (Cité de Dieu, ch. 21.) Dieu ne se fit connaître à eux qu’autant qu’il le voulut, et il ne le voulut qu’autant qu’il le fallait. Il ne se manifesta donc pas à leurs regards comme la vie éternelle et comme cette lumière qui éclaire les âmes pieuses, mais seulement par quelques effets temporels de sa puissance et par quelques-uns de ces signes secrets de sa puissance, qui sont sensibles pour les esprits angéliques, même pour ceux qui sont mauvais, plutôt que pour la faiblesse de notre nature. — S. Jérôme. Cependant il faut admettre que les démons et le diable lui-même ont soupçonné qu’il était le Fils de Dieu, plus qu’ils ne l’ont connu véritablement. — S. Augustin. (quest. sur l’Anc. et le Nouir. Test.) Ce cri que poussent les démons : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous, Jésus, Fils de Dieu, » est plutôt l’expression d’un soupçon, que d’une connaissance certaine, car s’ils l’avaient connu, jamais ils n’auraient permis que le Dieu de gloire fût crucifié. — S. Rémi. Toutes les fois qu’ils étaient tourmentés par les effets de sa puissance, ils croyaient que c’était le Fils de Dieu ; mais lorsqu’ils le voyaient soumis à la faim, à la soif et à d’autres nécessités semblables, le doute rentrait dans leur esprit, et ils le regardaient comme un simple mortel. Remarquons aussi que les Juifs incrédules, qui osaient dire que c’était par Belzébul que le Sauveur chassait les démons, et les Ariens, qui prétendaient que c’était une simple créature, sont condamnés tout à la fois et par le jugement de Dieu et par la confession des démons qui proclament que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. C’est avec raison qu’ils disent : « Qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? » etc. C’est-à-dire il n’y a rien de commun entre notre malice et votre grâce, car, d’après l’Apôtre (2 Co 6), il n’y a point d’union possible entre la lumière et les ténèbres. — S. Chrys. (hom. 20.) Ce qui prouve que cet aveu n’était pas dicté par la flatterie, c’est qu’une douloureuse expérience les force de s’écrier : « Vous êtes venu nous tourmenter avant le temps. — S. Augustin. (Cité de Dieu, ch. 23.) Peut-être regardaient-ils comme soudain ce qu’ils pensaient ne devoir leur arriver que beaucoup plus tard ; peut-être considéraient-ils comme leur perte ce qui allait arriver, d’être dévoilés et couverts de mépris, et cela avant le jour où ils entendraient l’arrêt de leur damnation éternelle. — S. Jérôme. La présence du Sauveur est elle-même un tourment pour les démons. — S. Chrys. (hom. 29.) Ils ne pouvaient pas dire qu’ils n’avaient commis aucune faute, car Jésus-Christ les avait surpris en flagrant délit, en se faisant un jeu de tourmenter une créature de Dieu. Aussi craignaient-ils qu’en raison de cette multitude de crimes dont ils étaient coupables, il n’attendît pas, pour les punir, la sentence suprême du dernier jugement.

S. Augustin. (de l’accord des Evang, liv. 2, ch. 24.) Que les paroles des démons aient été rapportées différemment par les Évangélistes, il n’y a point à s’en inquiéter, car on peut ramener toutes ces variantes à une seule pensée, ou bien supposer même que toutes ces paroles ont été dites. On ne doit pas non plus s’étonner que dans saint Matthieu les démons parlent au pluriel, tandis que les autres Évangélistes les font parler au singulier, car ces derniers rapportent que le démon interrogé quel était son nom, répondit qu’il s’appelait légion, parce qu’en effet ils étaient plusieurs démons.

« Or il y avait non loin d’eux un nombreux troupeau de pourceaux qui paissaient. » — S. Grég. (Moral. liv, 2, ch. 6.) Le démon sait fort bien qu’il ne peut rien faire par sa propre puissance, puisque ce n’est point de lui même qu’il tient son existence comme esprit. — S. Rémi. Ils ne demandèrent pas à entrer dans d’autres hommes, parce que celui qui les tourmentait paraissait revêtu de la nature humaine. Ils ne demandèrent pas non plus à entrer dans un troupeau de moutons, car ces animaux étaient purs d’après la loi et pouvaient être offerts dans le temple de Dieu. Parmi les animaux immondes, ils choisirent de préférence les pourceaux, parce qu’il n’y a point d’animal plus immonde. Le mot de pourceau en latin est même synonyme de couvert d’ordures, car cet animal se plaît au milieu des immondices. Comme eux aussi les démons se plaisent dans les souillures du péché. Ils ne demandèrent pas à être envoyés dans les régions de l’air, à cause de l’extrême désir qu’ils ont de nuire aux hommes.

Et il leur dit : « Allez. » — S. Chrys. (hom. 29.) Ce n’est point à leur persuasion que Notre-Seigneur agit de la sorte, mais pour plusieurs raisons dignes de sa sagesse : d’abord il voulait montrer combien sont malfaisants et pernicieux les démons qui cherchaient à perdre ces hommes ; en second lieu il voulait nous apprendre que sans sa permission ils n’osent rien entreprendre, même contre des pourceaux ; troisièmement il faisait voir par là qu’ils auraient fait endurer à ces hommes un traitement plus cruel qu’aux pourceaux, si la divine providence n’était venue à leur secours dans leur malheur, car les démons ont bien plus de haine contre les hommes que contre les animaux. Nous avons encore ici une preuve évidente que chacun de nous est l’objet des soins de la divine Providence ; elle ne suit pas à l’égard de tous les mêmes voies, elle n’emploie pas les mêmes moyens, et c’est en cela qu’éclate surtout sa sagesse, car la Providence se révèle en procurant à chacun de nous ce qui lui est le plus utile. En outre, nous voyons aussi que non-seulement elle a soin de tous en général, mais de chacun de nous en particulier, et nous en serons convaincus en considérant ce qui serait arrivé à ces possédés qui depuis longtemps auraient été étouffés si la divine Providence n’avait veillé sur eux. Jésus leur permit encore d’envahir ce troupeau de pourceaux, pour rendre sa puissance plus sensible aux habitants de cette contrée. En effet, dans les endroits où il n’était pas encore connu, il faisait des miracles plus éclatants pour attirer les hommes à la connaissance de sa divinité. — S. Jérôme. Ce n’est donc pas pour accéder à leur demande, qu’il leur dit : « Allez, » mais afin que la mort de ces pourceaux devint une occasion de salut pour les hommes. L’Évangéliste ajoute : « Et étant sortis (c’est-à-dire des possédés), ils entrèrent dans ces pourceaux, et aussitôt tout le troupeau courut avec impétuosité se précipiter dans la mer, et ils moururent dans les eaux. » Que le manichéen rougisse ici de son opinion ! Si les âmes des hommes et celles des bêtes ont une même substance et une même origine, comment deux mille porcs ont-ils été sacrifiés pour sauver un ou peut-être deux hommes ?

S. Chrys. (hom. 29.) Les démons firent périr ces pourceaux, parce qu’ils n’ont point d’autre occupation que de jeter les hommes dans la tristesse et de se réjouir de leurs pertes. La grandeur du dommage augmentait la renommée de ce prodige. Bien des personnes allaient le rendre public, ceux qui avaient été guéris, ceux à qui les pourceaux appartenaient, et leurs gardiens ; c’est ce que nous lisons dans la suite du récit : « Ceux qui les gardaient s’enfuirent, et étant venus à la ville, ils racontèrent tout ceci, et ce qui était arrivé aux possédés des mauvais esprits, et aussitôt toute la ville sortit au devant de Jésus. » Mais alors qu’ils auraient dû l’adorer et admirer sa puissance, ils le renvoient loin d’eux. « Et l’ayant vu, ils le priaient de se retirer des confins de leur pays. » Remarquez la douceur de Jésus-Christ après le miracle de sa puissance. Ces hommes qu’il vient de combler de ses bienfaits le chassent loin d’eux ; il ne résiste pas et il abandonne ceux qui se jugent indignes de ses divines leçons, leur laissant pour docteurs ceux qu’il vient de délivrer de la possession des démons, et les gardiens des pourceaux. — S. Jérôme. Ou bien on peut dire que ce n’est point par un sentiment d’orgueil, mais d’humilité, qu’ils prient Jésus de s’éloigner de leur contrée. Ils se jugent indignes de la présence de Dieu, à l’exemple de Pierre, qui disait : « Seigneur, retirez-vous de moi, car je suis un homme pécheur. »

Raban. Le mot Gerasa signifie celui qui repousse son habitant, ou bien l’étranger qui approche, c’est-à-dire la gentilité qui repousse loin d’elle le démon, et qui d’abord éloignée du Christ s’approche de lui lorsqu’après sa résurrection il la visite par ses Apôtres. — S. Ambr. (Liv. 6 sur saint Luc, ch. 18.) Ces deux possédés du démon sont aussi la figure des païens, car Noé ayant eu trois enfants, Sem, Cham et Japhet, et la famille de Sem ayant seule formé le peuple de Dieu, ses deux frères sont comme la souche de la multitude des nations païennes. — S. Hil. (can. 8 sur S. Matthieu.) Voilà pourquoi les démons retenaient ces deux possédés hors de la ville, hors de la synagogue, de la loi et des prophètes ; en effet, les origines de ces deux nations étaient comme situées au milieu des demeures des défunts et des cadavres des morts, rendant le chemin de la vie présente dangereux à tous ceux qui le traversent. — Raban. Ce n’est pas sans raison que l’Évangéliste nous fait remarquer que ces deux possédés habitaient dans les tombeaux. Que sont en effet, les corps de ceux qui sont infidèles à leur Dieu, si ce n’est des tombeaux où est renfermée non pas la parole de Dieu, mais l’âme que les péchés ont mise à mort ? L’auteur sacré ajoute que personne ne pouvait passer par le chemin, parce qu’avant l’avènement du Sauveur la gentilité était en marche et dans le chemin. Ou bien encore, ces deux hommes représentent les Juifs et les païens qui n’habitaient plus dans leur maison, c’est-à-dire qui ne trouvaient plus de repos dans leur conscience, mais qui demeuraient dans des tombeaux, c’est-à-dire dans des oeuvres mortes, et personne ne pouvait plus passer par le chemin de la foi, que les attaques des Juifs rendaient impraticable.

S. Hil. (can. 8.) Ceux qui viennent au devant de Jésus figurent le concours de ceux qui se portent volontairement au devant du salut. Quant aux démons, voyant qu’ils ne peuvent plus demeurer au milieu des Gentils, ils demandent avec instance qu’on leur laisse habiter le cœur des hérétiques, et à peine s’en sont-ils emparés, que par 1’instinct qui leur est naturel, ils les précipitent dans la mer, c’est-à-dire dans les passions du monde, pour les y faire périr avec les restes de l’incrédulité. — Bède. Ou bien, les pourceaux sont ceux qui mettent leur jouissance dans la fange du vice, car le démon n’a de pouvoir sur personne à moins qu’il ne vive de la vie des pourceaux ou s’il a quelque pouvoir, ce n’est point celui de perdre, mais d’éprouver. Ces pourceaux qui ont été précipités dans le lac sont une figure de ceux qui après que les Gentils ont été délivrés de la tyrannie des démons, ont refusé de croire en Jésus-Christ et pratiquent dans des lieux retirés leurs rites sacrilèges, aveuglés qu’ils sont et comme submergés dans les abîmes de leur curiosité. Ces gardiens des pourceaux qui s’enfuient tout en annonçant ce prodige figurent ces princes des impies qui, tout en ne voulant point se soumettre à la loi chrétienne, ne cessent cependant de célébrer avec admiration la puissance de Jésus-Christ. Ceux qui frappés d’une grande crainte, prient le Sauveur de s’éloigner, représentent la multitude retenue par la fausse douceur de ses anciennes habitudes, qui ne veut point rendre honneur à la loi chrétienne, en disant qu’il lui est impossible de l’accomplir.

S. Hil. Ou bien encore, cette ville est une figure du peuple juif ; elle entend parler des oeuvres du Christ, et va au devant de son Seigneur, mais c’est pour lui défendre d’entrer sur les confins de son territoire et dans ses murs, car les partisans de la loi n’ont point voulu recevoir la prédication de l’Évangile.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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