Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Matthieu > chapitre 6, verset 34
La glose. Le Sauveur vient de défendre la sollicitude pour le présent, il nous défend maintenant pour l’avenir, les vaines inquiétudes qui viennent du vice de notre cœur. « Ne soyez pas inquiets pour le lendemain, nous dit-il. » — S. Jérôme. Demain, dans la sainte Écriture, signifie l’avenir, comme dans ces paroles de Jacob : « Demain mon équité me rendra témoignage, » et la pythonisse, parlant a Saül dans la personne de Samuel qu’elle avait évoqué, lui dit : « Demain tu seras avec moi. » En nous défendant la préoccupation de l’avenir, Dieu nous permet de nous occuper du présent. Cette pensée nous suffit, laissons à Dieu le soin d’un avenir plein d’incertitude ; c’est ce que signifient ces paroles : « Le jour de demain sera inquiet pour lui-même, » c’est-à-dire apportera avec lui sa part de sollicitude. « A chaque jour suffit son mal, » Le mot mal n’exprime pas ici une idée contraire à celle de vertu, mais la peine, l’affliction, les infortunes de la vie présente. — S. Chrys. (hom. 23). Rien ne cause, en effet, autant de douleur à l’âme que les inquiétudes et les soucis. « Le lendemain sera inquiet pour lui-même. » Notre-Seigneur veut se rendre plus intelligible, il personnifie donc le temps et adopte un langage reçu pour se faire comprendre d’un peuple sans instruction. Pour les impressionner davantage, ce sont les jours eux-mêmes qu’il met en place des soins superflus. Est-ce que chaque jour n’a pas son fardeau suffisant, c’est-à-dire les préoccupations qui lui sont propres ? Pourquoi donc le surcharger des sollicitudes du lendemain ?
S. Chrys. (sur S. Matth.) Ou bien l’expression aujourd’hui signifie le nécessaire de la vie présente, et le mot demain, le superflu. « N’ayez donc aucune sollicitude pour le lendemain, » c’est-à-dire ne cherchez pas à vous procurer au delà de ce qui est nécessaire à votre nourriture de chaque jour ; ce qui est superflu, c’est-à-dire le lendemain, aura souci de lui-même. C’est là le sens de ces paroles : « Le lendemain aura soin de lui-même, » paroles qui veulent dire : « Lorsque vous aurez amassé le superflu, il prendra soin de lui-même, » c’est-à-dire : « Sans que vous en jouissiez, il trouvera des maîtres qui en prendront soin. Pourquoi donc vous tourmenter de ce qui duit devenir la propriété des autres ? A chaque jour suffit son mal ; vous avez assez de vos travaux, de vos préoccupations pour le nécessaire, ne vous inquiétez pas du superflu. »
S. Augustin. (serm. sur la mont., 2, 25.) Ou bien encore le mot demain ne s’emploie que dans le temps, là où le passé fait place à l’avenir. Quand donc nous faisons le bien, pensons non pas au temps, mais à l’éternité. « Le lendemain aura soin de lui-même, » en d’autres termes : Lorsqu’il le faudra, que la nécessité s’en fera sentir, prenez la nourriture et autres choses semblables. « A chaque jour suffit son mal, » c’est-à-dire il suffit que vous preniez ce que demande le besoin. Il appelle ce besoin malice, parce qu’il est pour nous une peine, et qu’il fait partie de la mortalité que nous avons méritée par le péché. N’allez pas rendre plus accablante cette peine des nécessités de la vie ; vous la subissez, mais n’en faîtes pas le motif pour lequel vous servez Dieu. Il faut nous garder ici, lorsque nous voyons un serviteur de Dieu qui cherche à se procurer le nécessaire pour lui, ou pour ceux dont le soin lui est confié, de l’accuser de désobéissance au commandement du Seigneur. Est-ce que le Sauveur lui-même, qui était servi par les anges, ne s’est pas soumis, pour notre exemple, à la nécessité d’avoir une bourse ? Et ne lisons-nous pas dans les Actes des Apôtres que pour échapper au danger d’une famine imminente, on fit les provisions nécessaires pour l’avenir ? Ce que le Seigneur condamne, ce n’est donc pas qu’on cherche à se donner le nécessaire par les voies ordinaires, mais qu’on ne s’attache à Dieu que pour se le procurer.
S. Hil. Tout cet enseignement peut aussi se réduire à cette doctrine céleste : Dieu nous défend de nous inquiéter de l’avenir. Et en effet la malice de notre vie, les péchés qui marquent chacun de nos jours n’offrent-ils pas à notre méditation et à tous nos efforts une ample matière d’expiation ? Délivrés alors de tout souci, l’avenir est inquiet pour lui-même, alors que la providence de Dieu nous prépare le fruit des clartés éternelles.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.