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Mt  6  13

Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.

S. Chrys. (sur S. Matth.) Notre-Seigneur vient de donner aux hommes de sublimes préceptes, il leur a commandé d’appeler Dieu leur Père, de demander l’avènement de son règne ; aussi croit-il devoir ajouter une leçon d’humilité, en disant : « Et ne nous laissez pas succomber à la tentation. » — S. Augustin. (serm. sur la mont., 2, 14.) Quelques exemplaires portent : « Et ne nous faites pas entrer dans la tentation, » ce qui me paraît présenter le même sens, ces deux variantes étant la traduction littérale du grec. Plusieurs traduisent de cette manière : « Ne souffrez pas que nous entrions en tentation, » et expliquent ainsi dans quel sens nous disons : « Ne nous induisez pas, » car ce n’est pas Dieu qui par lui-même fait entrer en tentation, mais il permet qu’on y entre, en abandonnant l’homme à ses propres forces. — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Cette vérité nous apprend que notre ennemi ne peut rien contre nous, à moins que Dieu ne le permette, et c’est ce qui doit nous faire placer en Dieu toute notre crainte comme toute notre affection. »

S. Augustin. (serm. sur la mont., 2, 14.) Être induit en tentation, et être tenté sont deux choses différentes : Aucun homme s’il n’a été tenté ne peut passer pour éprouvé à ses propres yeux on aux yeux des autres (cf. Ps 25). Dieu au contraire connaît à fond tous les hommes avant toute espèce de tentation. Nous ne prions donc pas Dieu de nous faire échapper à la tentation, mais de ne pas nous induire en tentation, de même qu’un homme qui devrait être éprouvé par le feu, demanderait non de ne point en être atteint, mais de n’en être pas consumé. En effet nous sommes induits en tentation lorsque la tentation est si forte, que nous ne pouvons y résister. — S. Augustin. (Lettre 121 à Proba., ch. 72.) Lors donc que nous disons : « Ne nous induisez pas en tentation, » nous devons demander à Dieu de ne pas permettre que délaissés de sa grâce, nous succombions à la tentation, séduits par l’illusion ou vaincus par la souffrance. — S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Dieu nous rappelle ainsi notre faiblesse, notre infirmité et nous prémunit contre les prétentions arrogantes de l’orgueil ; et sa bonté exauce volontiers une prière qui est précédée d’un aveu humble et modeste qui reconnaît que tout vient de lui.

S. Augustin. (du don de la persév., ch. 5, 6, 7.) Lorsque les Saints font cette prière : « Ne nous laissez pas succomber à la tentation, » que demandent-ils si ce n’est la persévérance dans la sainteté ? En effet il n’est aucun saint qui ayant reçu ce don de Dieu (la demande qu’il en fait à Dieu est une preuve que ce don vient de lui), ne persévère jusqu’a la fin dans la sainteté, car on ne cesse de persévérer dans la pratique de la vie chrétienne, qu’après avoir été induit d’abord en tentation. C’est pour prévenir ce malheur que nous demandons de ne pas entrer en tentation, et si nous l’évitons, c’est Dieu qui l’a permis, car tout ce qui se fait, c’est Dieu qui le fait, ou qui le permet. Dieu est donc assez puissant pour détourner la volonté du mal vers le bien, relever celui qui est tombé, et le conduire dans la voie qui lui est agréable, car ce n’est pas en vain que nous lui disons : « Ne nous laissez pas entrer en tentation. » Si on n’est pas exposé aux effets de la tentation par une volonté abandonnée au mal, on n’en sera jamais victime, « car chacun est tenté par sa propre concupiscence. » (Jc 1, 14.) Dieu nous fait donc un devoir de lui demander la grâce de ne point succomber à la tentation, bien qu’il pût nous l’accorder sans nos prières, parce qu’il a voulu nous faire reconnaître ainsi l’auteur des bienfaits dont nous sommes comblés. Que l’Église donc médite attentivement ses prières de tous les jours, elle demande la foi pour les infidèles, c’est donc Dieu qui les convertit à la foi ; elle prie pour la persévérance des fidèles, c’est donc de Dieu que vient la persévérance finale.

Mais délivrez-nous du mal. Ainsi soit-il.

S. Augustin. (serm. sur la mont. 2, 11 ou 16.) Nous sommes obligés de prier non-seulement pour éloigner de nous le mal dont nous avons été jusqu’ici préservés, mais encore pour être délivrés du mal dans lequel nous sommes tombés. Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Mais délivrez-nous du mal. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Peut-être que dans ce nom de mal il veut désigner le démon, tant à cause de sa malice extrême, malice qui vient de sa volonté et non de sa nature, que parce qu’il nous a déclaré une guerre implacable, c’est pour cela qu’il nous fait dire : « Délivrez-nous du mal. »

S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Après tout ce qui précède la prière se termine par une demande qui renferme toutes les autres dans sa concise brièveté. En effet que pourrons-nous encore demander après avoir imploré la protection de Dieu contre le mal qui nous menace ? Après avoir obtenu cette protection nous sommes en sûreté contre toutes les entreprises du monde et du démon. Que peut-on craindre en effet du monde, quand on a Dieu pour défenseur contre le monde ? — S. Augustin. (Lettre 121 à Proba., ch. 11.) Le sens de cette dernière demande de l’Oraison dominicale est tellement étendu, que tout chrétien, dans quelque tribulation qu’il se trouve peut en faire l’interprète de sa douleur, l’auxiliaire de ses gémissements et de ses larmes, commencer et finir par elle sa prière. C’est pour cela que le mot amen, ainsi soit-il, vient après comme l’expression du désir de celui qui prie. — S. Jérôme. Cet amen qui termine l’Oraison dominicale en est comme le sceau ; Aquila traduit cette expression par fidèlement, ce que nous pouvons rendre par : « En vérité. »

S. Cypr. (de l’Or. Dom.) Qu’y a-t-il d’étonnant que la prière que Dieu lui-même nous a enseignée soit si excellente, alors que par un effet de sa divine sagesse, il a voulu qu’elle renfermât tout ce que nous pouvons demander, dans quelques phrases aussi riches que concises. C’est ce qu’Isaïe avait prédit en ces termes : « Le Seigneur a fait un discours abrégé sur la terre. » (Is 10, 22.) Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu pour tous les hommes pour réunir en un seul corps les savants et les ignorants, il a donné aux personnes de tout sexe et de tout âge les préceptes qui doivent les conduire au ciel ; il en a donc fait un abrégé remarquable pour ne pas fatiguer la mémoire de ceux qui voudraient apprendre cette morale céleste et il leur offre les moyens de s’instruire rapidement de ce qui est nécessaire à la simplicité de la foi.

S. Augustin. Quelles que soient les autres formules dont nous faisons usage avant ou après notre prière, comme expression ou comme aliment de notre piété, nous ne pouvons rien dire que ce que contient l’Oraison Dominicale, si notre prière est conforme à la règle que nous avons reçue. En disant à Dieu : « Faites éclater votre gloire parmi les nations, comme vous l’avez fait éclater parmi nous, » (Qo 36) que disons-nous autre chose que : « Votre nom soit sanctifié ? » Cette prière : « Dirigez mes pas selon votre parole, » (Ps 118) ne ressemble-elles pas à celle-ci : « Que votre volonté soit faite ? » Celui qui dit à Dieu : « Montrez-nous votre face et nous serons sauvés, » (Ps 79) fait à Dieu cette demande : « Que votre règne arrive. » Vous dites à Dieu : « Ne me donnez ni la pauvreté ni la richesse, » (Pv 30) c’est lui dire équivalemment : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain de chaque jour. » Cette prière : « Souvenez-vous Seigneur de David et de toute sa douceur, (Ps 121) et cette autre : « Si j’ai rendu le mal à ceux qui m’en ont fait, » (Ps 7) ne rentrent-elles pas dans celle-ci : « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous doivent ? » Dire à Dieu : « Éloignez de mon cœur les désirs de l’impureté, » (Qo 23) n’est-ce pas lui dire : « Ne nous induisez pas en tentation ? » Enfin ces paroles : « Délivrez-moi de mes ennemis, » (Ps 58) ne reviennent-elles pas à celles-ci : « Délivrez-nous du mal ? » Et si vous examinez en détail toutes les prières dictées par l’Esprit saint, vous n’y trouverez rien qui ne soit contenu dans l’Oraison dominicale. Toute prière en effet qui ne se rapporte pas à cette prière évangélique, est une prière inspirée par la chair, et que j’ose appeler coupable, puisque le Seigneur a enseigné à ceux qui sont régénérés à ne prier qu’en esprit. Celui-là donc qui dans la prière dit à Dieu : « Seigneur, multipliez mes richesses, augmentez mes honneurs, et qui le dit dans un sentiment de pure convoitise, sans se proposer le bien spirituel que les hommes pourraient en retirer, ne trouvera certainement rien dans l’Oraison dominicale qui puisse appuyer sa demande. Qu’il rougisse donc au moins de demander ce qu’il ne rougit pas de désirer ; ou si la passion l’emporte sur la honte qu’il éprouve, la meilleure prière qu’il puisse faire c’est d’être affranchi de ce mal de la cupidité par celui à qui nous disons : « Délivrez-nous du mal. »

S. Augustin. (serm. sur la mont., 1, 18.) Le nombre de demandes dont se compose l’Oraison dominale paraît aussi se rapporter aux sept béatitudes. En effet si c’est la crainte de Dieu, qui rend heureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient, demandons que le nom de Dieu soit sanctifié parmi les hommes, à l’aide de cette crainte chaste qui demeure dans les siècles des siècles. Si c’est la piété qui fait le bonheur de ceux qui sont doux, demandons que son règne nous arrive pour nous communiquer cette douceur qui ne connaît point la résistance. Si c’est la science qui donne à ceux qui pleurent le secret du bonheur, prions que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel, car lorsque le corps qui est figuré par la terre sera soumis à l’esprit qui représente le ciel, nous ne serons plus dans les larmes. Si c’est la force qui rend heureux ceux qui ont faim, demandons que Dieu nous donne aujourd’hui notre pain de chaque jour, afin que nous puissions parvenir là où nous serons pleinement rassasiés. Si c’est le conseil qui fait le bonheur de ceux qui sont miséricordieux parce que Dieu leur fera miséricorde, remettons leurs dettes à ceux qui nous doivent, afin que Dieu nous remette ce que nous lui devons. Si c’est l’intelligence qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, demandons à Dieu de ne pas entrer en tentation, pour ne pas tomber dans la duplicité du cœur, en poursuivant les biens terrestres et périssables, qui sont pour nous la source de toutes les tentations. Si c’est enfin la sagesse qui rend heureux les pacifiques parce qu’ils seront appelés les enfants de Dieu, prions pour qu’il nous délivre du mal, car cette délivrance nous établira dans la sainte liberté des enfants de Dieu.

S. Chrys. (hom. 20.) Notre-Seigneur avait pu nous attrister par ces paroles : « Délivrez-nous du mal » qui nous rappelaient le souvenir de notre ennemi, il relève donc notre courage par Ces autres paroles que l’on trouve dans quelques exemplaires grecs : « Parce qu’à vous seul appartiennent l’empire, la puissance et la gloire. » En effet si l’empire lui appartient, nous n’avons rien à craindre d’aucune créature puisque celui qui combat contre nous est son sujet. Et comme sa puissance et sa gloire sont infinies, non-seulement il peut nous arracher au mal, mais encore nous combler de gloire. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Cette conclusion peut aussi se rapporter à ce qui précède. Ces paroles : « A vous appartient l’empire, » se rapportent à celles-ci : « Que votre règne arrive, » et préviennent cette objection : Dieu ne règne donc pas sur la terre. Celles qui suivent : « Et la puissance, » se rattachent à cette demande : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel, » et répondent à ceux qui prétendraient que Dieu ne fait pas ce qu’il veut. Enfin cette dernière parole : « Et la gloire, » se rapporte aux demandes suivantes qui sont une manifestation de la gloire de Dieu.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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