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Mt  5  33-37

La glose. Le Seigneur avait défendu précédemment toute injustice contre le prochain, la colère aussi bien que l’homicide, le désir en même temps que l’adultère, et le renvoi de l’épouse avec un acte de répudiation. Il défend maintenant toute injustice contre Dieu, en interdisant non-seulement le parjure comme un mal, mais encore le serment comme pouvant être occasion de péché : « Vous avez appris qu’il a été dit aux anciens : « Vous ne ferez pas de parjure. » On lit en effet dans le Lévitique (Lv 19, 12) : « Vous ne commettrez pas de parjure en mon nom, afin que les hommes ne fussent pas exposés à regarder les créatures comme des dieux. Dieu avait ordonné de faire tous les serments en son nom, et défendu de jurer par les créatures. C’est le sens de ces paroles : « Vous vous acquitterez envers le Seigneur des serments que vous avez faits ; » c’est-à-dire, s’il vous arrive de faire un serment, vous le ferez au nom du Créateur, et non pas au nom des créatures. C’est ce qui est écrit au Deutéronome (Dt 6, 13) : « Vous craindrez le Seigneur votre Dieu, et vous ne jurerez qu’en son nom. »

S. Jérôme. La loi leur fit cette concession comme à un peuple encore dans l’enfance ; elle leur permit de jurer au nom de Dieu, par la même raison qu’ils devaient lui offrir des victimes pour éviter de les immoler aux idoles. Elle ne regardait pas ces serments comme une chose bonne par elle-même, mais elle aimait mieux qu’on les fit au nom de Dieu qu’au nom des idoles. — S. Chrys. (sur S. Matth.) L’habitude de faire des serments fait infailliblement tomber dans le parjure, de même que l’habitude de trop parler expose nécessairement à dire des choses déplacées.

S. Augustin. (contre Fauste, 19, 22.) Comme le parjure est un péché grave, et qu’on y est beaucoup moins exposé en ne jurant pas du tout, qu’en ayant l’habitude d’affirmer la vérité sous serment, le Seigneur a mieux aimé que nous restions dans la vérité sans recourir au serment, que de nous exposer au parjure en jurant même selon la vérité. Aussi ajoute-t-il : « Pour moi je vous dis : Ne jurez pas du tout. » — S. Augustin. (serm. sur la mont.) En cela il confirme la justice des Pharisiens qui condamnaient le parjure, car on ne se parjure pas quand on ne fait aucun serment. Mais comme jurer c’est prendre Dieu à témoin, il nous faut expliquer comment l’Apôtre n’a point enfreint ce précepte, lui que nous voyons souvent recourir à cette espèce de serment, par exemple : « Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous écris ; » et encore : « Dieu m’en est témoin, lui que je sers en esprit. » Dira-t-on que le serment qui est défendu consiste à jurer directement par un être quelconque et que l’Apôtre ne jure ici en aucune façon, puisqu’il ne dit point : « Par Dieu, » mais simplement : « Dieu m’est témoin ? » Ce serait là une explication ridicule. D’ailleurs, on doit se rappeler que saint Paul a fait des serments même de cette sorte lorsqu’il a dit : « Je meurs tous les jours par votre gloire, mes frères. » (1 Co 15.) Et on ne peut interpréter ces paroles en ce sens : Votre gloire me fait tous les jours mourir, car les textes grecs prouvent à l’évidence que c’est là une véritable formule de serment. S. Augustin. (contre le Mens.) Il y a dans les paroles de l’Écriture bien des choses que nous ne pouvons comprendre ; la vie des saints nous apprend alors comment nous devons entendre ces passages dont on pourrait facilement détourner le sens, si leurs exemples ne nous en donnaient la véritable signification. Ainsi l’Apôtre, en employant le serment dans ses Epîtres, nous apprend comment nous devons expliquer ces paroles : « Pour moi, je vous dis de ne pas jurer du tout, » dans la crainte qu’en employant le serment on n’y recoure avec trop de facilité, que cette facilité n’entraîne l’habitude, et que l’habitude ne fasse tomber dans le parjure. Aussi ne fait-il usage du serment qu’en écrivant, alors qu’une réflexion plus attentive met en garde contre la précipitation de la langue. Et cependant le Seigneur nous dit de ne point jurer du tout, et il n’a pas fait d’exception en faveur de ceux qui écrivent. Mais comme on ne peut sans crime accuser saint Paul de la violation d’un précepte divin, surtout dans des lettres écrites pour l’édification des peuples, il faut entendre cette expression « pas du tout » dans ce sens : « Autant qu’il vous sera possible. » Vous ne devez ni affecter ni désirer avec un certain plaisir de recourir au serment, comme s’il s’agissait d’une bonne action. — S. Augustin. (contre Fauste, 19, 23.) L’Apôtre fait usage du serment dans des épîtres où l’attention est plus scrupuleuse ; il ne faut donc pas croire que l’on pèche en jurant pour la vérité, mais comprendre qu’en nous abstenant du serment nous préservons plus sûrement notre fragilité du parjure.

S. Jérôme. Remarquez enfin que le Sauveur n’a pas défendu de faire des serments au nom de Dieu, mais de jurer par le ciel, par la terre, par Jérusalem et par votre tête. On sait que les Juifs ont toujours eu cette détestable habitude de jurer par les éléments. Or, celui qui jure aime celui au nom duquel il fait serment, et les Juifs qui juraient par les anges, par la ville de Jérusalem, par le temple et par les éléments, rendaient à ces créatures l’honneur qui n’est dû qu’à Dieu, alors que dans la loi il est ordonné de ne jurer que par le nom du Seigneur notre Dieu. — S. Augustin. (serm. sur la mont., 31, 31 ou 17.) Notre-Seigneur ajoute peut-être ces mots : « Ni par le ciel, » etc., parce que les Juifs ne regardaient pas comme obligatoires les serments qu’ils faisaient par les choses inanimées ; il leur dit donc : lorsque vous jurez par le ciel et par la terre, n’allez pas croire que vous n’êtes pas redevables à Dieu de vos serments, car vous avez évidemment juré par celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied. Ces expressions ne signifient pas évidemment que Dieu repose ses membres dans le ciel et sur la terre, comme lorsque nous nous asseyons nous-mêmes ; le trône de Dieu signifie le jugement de Dieu. Le ciel est sans contredit la plus grande partie de l’univers créé ; on dit donc que Dieu est assis dans les cieux comme s’il y manifestait sa présence par une plus grande magnificence, et qu’il foule la terre aux pieds parce qu’il l’a placée au dernier rang, comme la partie la moins brillante de la création. Dans le sens spirituel, le ciel signifie les âmes saintes, et la terre les pécheurs, parce que l’homme spirituel juge toutes choses (1 Co 2, 15) et que Dieu a dit au pécheur : « Tu es terre et tu retourneras en terre. » D’ailleurs, celui qui veut demeurer dans la loi est nécessairement soumis à la loi, et c’est avec raison qu’il est appelé : « L’escabeau de ses pieds. » Notre-Seigneur ajoute : « Ni par Jérusalem, parce qu’elle est la ville du grand Roi, » expression plus convenable que s’il avait dit : « La ville qui est à moi, » bien qu’il le dise en termes équivalents. Or, comme il est en même temps le Seigneur, c’est donc à lui qu’on est redevable des serments que l’on fait par Jérusalem. Il ajoute enfin : « Vous ne jurerez pas non plus par votre tête. » Que peut-on imaginer qui nous appartienne davantage que notre tête ? Mais comment serait-elle à nous, puisque nous n’avons pas le pouvoir d’en rendre un seul cheveu blanc ou noir ? C’est la raison que donne le Sauveur : « Parce que vous n’en pouvez faire un seul cheveu blanc ou noir. » Celui donc qui veut jurer par sa tête est redevable à Dieu de son serment et ainsi des autres serments de même nature.

S. Chrys. (hom. 17.) Remarquez que si le Sauveur relève ainsi les éléments du monde créé, ce n’est pas en vertu de leur excellence naturelle, mais à cause des liens qui les rattachent à Dieu, pour ne point donner lieu à l’idolâtrie. — Raban. Après avoir prohibé le serment, il nous enseigne comment nous devons nous exprimer : « Que votre discours soit : Cela est, cela est, cela n’est pas, cela n’est pas ; » c’est-à-dire, il suffit de dire d’une chose qui est, cela est ; et cela n’est pas, d’une chose qui n’est pas. Peut-être l’affirmation et la négation sont-elles répétées ici deux fois pour nous apprendre à prouver par nos oeuvres la vérité de ce que notre bouche affirme, et à ne point confirmer par nos actes ce que nos paroles auraient nié. — S. Hil. (Can. 4.) Ou bien encore, il n’est nul besoin de serment pour ceux qui vivent dans la simplicité de la foi, car avec eux, ce qui est est toujours vrai et ce qui ne l’est pas ne l’est pas, et ainsi tout en eux, parole et action est dans la vérité.

S. Jérôme. La vérité évangélique n’admet donc pas de serment, puisque toute parole d’un chrétien équivaut à un serment. — S. Augustin. (serm. sur la mont.) Aussi celui qui comprend que la vérité seule ne suffit pas pour légitimer l’usage du serment, s’il n’est d’ailleurs nécessaire, doit s’imposer un frein pour n’y recourir que dans le cas de nécessité, lorsqu’il voit par exemple des hommes peu disposés à croire des choses qui leur sont utiles, si on ne les affirme sous le serment. Ce qui est bien, ce qui est désirable est exprimé par ces mots : « Contentez-vous de dire : Cela est, cela est, ou cela n’est pas, cela n’est pas, ce qui est de plus vient du mal ; » c’est-à-dire que la nécessité où vous êtes de jurer vient de la faiblesse de ceux que vous voulez persuader, faiblesse qui est un mal. Aussi le Sauveur ne dit pas : « Ce qui est au delà est mal, » car vous ne faites point mal en faisant usage du serment pour persuader à un autre ce qu’il lui importe de savoir, mais « cela vient du mal, » c’est-à-dire de la mauvaise disposition de cet homme dont la faiblesse vous force de recourir au serment. » — S. Chrys. (hom. 12). Ou bien cela vient du mal, c’est-à-dire de l’infirmité de ceux à qui la loi permet de jurer. En s’exprimant de la sorte, Notre-Seigneur ne dit pas que la loi ancienne est l’oeuvre du démon, mais il nous fait passer de l’état ancien si imparfait à une nouveauté bien plus parfaite.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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