Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Matthieu > chapitre 3, versets 13-15
La glose. Après avoir été annoncé au monde par la prédication de son précurseur, Jésus qui depuis longtemps menait une vie cachée voulut enfin, se manifester aux hommes, comme l’indique le texte sacré : « Alors Jésus vînt de la Galilée au Jourdain trouver Jean pour être baptisé. »
S. Rémi. Dans ces paroles l’Évangéliste vous décrit les personnes, les lieux, le temps, et la nature du ministère. Le temps, par ce mot : « alors. » — Raban. C’est-à-dire à l’âge de trente ans, pour nous apprendre que personne ne doit être élevé au sacerdoce ou chargé de la prédication à moins qu’il ne soit d’un âge mûr. C’est à trente ans que Joseph prit le gouvernement de l’Égypte ; c’est à ce même âge que David commença à régner, et qu’Ezéchiel reçut l’esprit prophétique (cf. Gn 41, 6 ; 2 R 5, 4 ; Ez 1, 1). — S. Chrys. (Hom. 10 sur S. Matth.) Comme la loi devait être abrogée après ce baptême, Jésus qui pouvait expier les péchés de tous les hommes reçoit le baptême à cet âge, afin qu’en le voyant ainsi fidèle à l’observation de la loi, personne ne pût l’accuser de l’avoir abrogée parce qu’il n’avait pu l’accomplir.
S. Chrys. (sur S. Math.) « Alors, » c’est-à-dire au moment même que Jean venait de prêcher la pénitence, pour confirmer sa prédication, et recevoir le témoignage qu’il devait lui rendre. De même que le soleil n’attend pas pour se lever que l’étoile du matin ait disparu, mais qu’il se lève alors qu’elle est encore sur l’horizon, et qu’il éclipse sa blanche clarté par l’éclat de ses rayons, ainsi le Christ n’a pas attendu que Jean eût achevé sa carrière, mais il s’est manifesté au monde pendant que son précurseur enseignait encore.
S. Rémi. Les personnes sont désignées par ces paroles : « Jésus vint à Jean, » c’est-à-dire Dieu vint trouver l’homme, le Seigneur son serviteur, le roi son soldat, la lumière celui qui n’était qu’une lampe. Les lieux témoins des événements par ces autres paroles : « De la Galilée au Jourdain. » Le nom de Galilée signifie transmigration. Celui donc qui veut être baptisé doit, pour ainsi parler, émigrer des vertus aux vices, et s’humilier en s’approchant pour recevoir le baptême, car le mot Jourdain veut dire descente. — S. Augustin. L’Écriture rapporte plusieurs prodiges dont ce fleuve avait été souvent le théâtre entre autres celui qu’elle rappelle en ces termes : « Le Jourdain est retourné en arrière. » Autrefois, c’étaient les eaux qui retournèrent en arrière ; maintenant ce sont les péchés ; et de même que le prophète Élie avait séparé les eaux du Jourdain, ainsi, dans ce même fleuve le Christ a opéré la séparation des péchés.
S. Rémi. L’Évangéliste nous fait connaître le ministère de Jean par ces paroles « Pour qu’il fût baptisé par lui. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce n’était pas pour recevoir par la vertu de ce baptême la rémission de ses péchés, mais afin de sanctifier à jamais les eaux pour ceux qui devaient être baptisés dans la suite. — S. Augustin. Si le Sauveur a voulu recevoir le baptême, ce n’est point pour y venir puiser la pureté de l’âme, mais afin de purifier les eaux pour notre propre sanctification. C’est depuis qu’il a été plongé dans l’eau qu’il lui a communiqué la puissance de laver tous les péchés. Et ne soyez pas surpris de voir l’eau, substance corporelle, parvenir jusqu’à l’âme pour la purifier ; elle y parvient certainement et pénètre dans toutes les profondeurs de la conscience. Elle est par elle-même subtile et déliée ; mais, devenue plus subtile encore par la bénédiction du Christ, elle traverse les sources cachées de la vie et pénètre par sa douce rosée jusqu’aux endroits les plus secrets de l’âme. Car le cours des bénédictions du ciel est plus pénétrant que le cours secret des eaux : aussi la bénédiction qui découle du baptême du Sauveur est comme un fleuve spirituel qui comble toutes les profondeurs des abîmes et remplit les veines de toutes les sources.
S. Chrys. (sur S. Matth.) Jésus vient recevoir ce baptême, parce que s’étant revêtu de notre nature, il veut en accomplir toutes les conditions mystérieuses. Car, bien qu’il ne fût pas pécheur, il avait cependant pris une nature de péché, et. quoique n’ayant pas besoin pour lui de ce baptême, la nature humaine demandait qu’il le reçût pour les autres. — S. Augustin. (serm. sur l’Epiph.) Il voulut encore être baptisé pour donner l’exemple de ce qu’il commandait aux autres, et parce que, comme un bon maître, il cherchait moins à prêcher sa doctrine par ses paroles qu’à la rendre vivante dans ses œuvres. — S. Augustin. (Traité 5 sur saint Jean). Il s’abaissa donc jusqu’à recevoir le baptême de Jean, pour apprendre aux serviteurs avec quel empressement ils doivent courir au baptême du Seigneur, quand lui-même ne dédaigne pas de recevoir celui du serviteur. — S. Jérôme. Un autre motif enfin de son baptême, c’était de donner par cet acte un témoignage d’approbation au baptême de Jean.
S. Chrys. (hom. 12 sur S. Matth.) Comme le baptême de Jean était un baptême de pénitence, et qu’il était établi pour la déclaration des péchés, de peur qu’on vînt à supposer que le Christ s’approchait du Jourdain pour cette raison, le précurseur s’écrie en le voyant : « C’est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Comme s’il disait : Que je sois baptisé par vous, cela se conçoit parfaitement, c’est pour me rendre juste et digne du ciel ; mais que moi je vous baptise, quelle peut en être la raison ? Tout bien descend du ciel sur la terre, et ne monte pas de la terre au ciel. — S. Hil. (chap. 2 sur S. Matth.) En un mot, Jean ne peut consentir à le baptiser comme Dieu, et Jésus lui-même lui enseigne qu’il le doit être comme homme : « Jésus lui répondant, lui dit : Laissez-moi faire pour cette heure. » — S. Jérôme. Remarquez la justesse de cette parole : « Laissez-moi faire pour cette heure. » Jésus voulait signifier par là qu’il devait être baptisé dans l’eau par Jean et que lui-même devait baptiser Jean dans l’esprit. Ou bien dans un autre sens : Laissez-moi faire pour cette heure, et puisque j’ai pris la condition et la forme d’un esclave, il est juste que j’en subisse toutes les humiliations ; sachez du reste qu’au jour du jugement vous recevrez mon baptême. Ou bien enfin ces paroles signifient : Il est un autre baptême dont je dois être baptisé (cf. Lc 12) ; vous me baptisez dans l’eau, afin que je vous baptise un jour pour moi dans votre sang. — S. Chrys. (sur S. Matth.) En dehors des livres apocryphes qui le disent expressément, nous avons ici une preuve que plus tard Jésus baptisa Jean-Baptiste. « Laissez-moi faire pour cette heure, » afin que j’accomplisse la justice du baptême, non pas en paroles, mais par des œuvres ; que je le reçoive d’abord avant de le prêcher. C’est le sens des paroles suivantes : « c’est ainsi qu’il faut que nous accomplissions toute justice. » Elles ne signifient pas : Alors que je serai baptisé j’accomplirai toute justice, mais de même que j’ai accompli la justice du baptême par mes œuvres et ensuite par mes prédications, ainsi je le ferai de toute autre justice, d’après cette parole : « Jésus commença à faire, et ensuite il enseigna. » Ou bien encore : Il nous faut accomplir toute justice comme la justice du baptême, c’est-à-dire en me soumettant aux conditions de la nature humaine, car c’est ainsi qu’il satisfait à la condition imposée à tout homme de naître, de croître, etc. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) Lui seul pouvait accomplir toute justice, parce que c’est par lui seul que la loi pouvait être accomplie. — S. Jérôme. Il ne dit pas la justice de la loi ou de la nature, pour que nous comprenions que ce mot les renferme toutes deux. — S. Rémi. Ou bien enfin : C’est ainsi qu’il faut accomplir toute justice, c’est-à-dire donner l’exemple de l’accomplissement de toute justice dans le baptême, sans lequel on ne peut entrer dans le royaume du ciel ; ou bien donner aux superbes cet exemple d’humilité afin qu’ils ne dédaignent pas d’être baptisés par mes membres les plus humbles, en me voyant baptisé par vous qui êtes mon serviteur. — S. Rémi. La véritable humilité est celle qui a pour compagne l’obéissance. Aussi « Jean ne lui résista plus, » c’est-à-dire qu’il consentit enfin à le baptiser.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.