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Mt  1  3-5

La glose. L’Évangéliste laissant de côte les autres enfants de Jacob, poursuit la descendance de Juda en ces termes « Juda engendra Phares et Zara. » — S. Augustin. (Cité de Dieu, liv. 15, ch. 45.) Juda n’était pas l’aîné. Ces deux enfants jumeaux n’étaient pas non plus ses premiers-nés, car il en avait eu trois autres avant eux. L’écrivain sacré les place dans la série des générations, pour arriver par eux jusqu’à David, et de là au but qu’il se propose.

S. Jérôme. Il est à remarquer que dans la généalogie du Sauveur l’Évangéliste ne nomme aucune des saintes femmes de l’ancienne loi, mais uniquement celles dont l’Écriture blâme la conduite. En voulant naître ainsi de femmes pécheresses, celui qui était venu pour les pécheurs veut nous apprendre qu’il venait effacer les péchés de tous les hommes, c’est pour cette raison que nous trouvons dans les versets suivants Ruth la Moabite. — S. Ambr. (sur S. Luc, ch. 3.) S. Luc les a omises pour montrer dans toute sa pureté la généalogie sacerdotale du Sauveur. Et toutefois, le dessein de saint Matthieu n’a rien qui blesse la raison ou la justice. Il se proposait en effet d’exposer la génération selon la chair de celui qui venait se charger de nos péchés, se soumettre à tous les outrages, s’assujettir à toutes les souffrances, et il n’a pas cru qu’il fût indigne de cette bonté, de faire connaître qu’il n’avait pas voulu se soustraire à l’humiliation d’une origine qui n’était pas exempte de tache. L’Église en voyant le Seigneur compter des pécheurs parmi ses ancêtres apprenait aussi à ne point rougir de se voir elle-même composée de pécheurs. Enfin le Sauveur faisait ainsi remonter jusqu’à ses ancêtres le bienfait de sa rédemption, nous apprenait qu’une tache dans la naissance n’était pas un obstacle à la vertu, et anéantissait l’arrogance de ceux qui se vantent de la noblesse de leur origine.

S. Chrys. (hom. 3 sur S. Matth.) Le dessein de l’Évangéliste est de nous montrer que tous ont été coupables de péché. C’est Thamar accusant Juda de fornication ; c’est David devenant le père de Salomon par suite d’un adultère. Or, si la loi était violée par les personnes les plus marquantes du peuple de Dieu, elle l’était de même par tous les autres ; ainsi tous avaient péché, et la venue du Christ était indispensablement nécessaire.

S. Ambr. (sur S. Luc.) Remarquez que ce n’est pas sans raison que saint Matthieu nomme ces deux frères, bien qu’il ne fût nécessaire que de faire mention de Pharès. La vie de chacun d’eux renferme un mystère, et ces deux frères jumeaux représentent la double vie des peuples, l’une selon la loi, l’autre selon la foi. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Zara représente le peuple juif qui apparut le premier à la lumière de la foi, sortant pour ainsi dire du sein ténébreux du monde, c’est pour cela qu’il fut marqué par le ruban d’écarlate de la circoncision, l’opinion générale étant que le peuple circoncis devait être plus tard le peuple de Dieu. Mais la loi fut placée devant lui comme une haie ou comme une muraille, et devint pour ce peuple un empêchement. Lorsque le Christ fut venu, la muraille de la loi qui séparait les Juifs des Gentils fut renversée selon ces paroles de l’Apôtre : « Détruisant la muraille de séparation (Ep 2, 14). » Et il arriva que le peuple des Gentils signifié par Pharês, entra le premier dans le chemin de la foi, après que la loi eut été renversée par les commandements du Christ, tandis que le peuple juif ne vint qu’à sa suite (cf. Gn 28, 27-30).

« Pharès engendra Esrom. » — La glose. Juda engendra Pharès et Zara avant d’aller en Égypte, et ses deux enfants vinrent s’y fixer plus tard avec lui. Ce fut en Égypte que Pharès engendra Esrom ; Esrom, Aram ; Aram, Aminadab ; Aminadab, Nahasson ; et c’est alors que Moïse fit sortir le peuple d’Egypte. Nahasson fut sous Moïse, chef de la tribu de Juda dans le désert, où il engendra Salmon. Ce dernier fut un des chefs de la tribu de Juda, et entra avec Josué dans la terre promise. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Nous croyons que ce n’est pas sans un dessein providentiel que l’Évangéliste rappelle ici les noms de ces ancêtres du Sauveur.

« Nahasson engendra Salmon. » — S. Chrys. (sur S. Matth.) Salmon prit une femme du nom de Raab. On croit communément que cette Raab fut la courtisane de Jéricho qui reçut chez elle les espions du peuple d’Israël, les cacha et leur sauva la vie. Or, Salmon qui était un des principaux des enfants d’Israël, de la tribu de Juda, et fils du chef de cette tribu, voyant la fidélité de Raab, mérita de la prendre pour épouse, comme si elle eut été de grande naissance. Peut-être aussi la signification du nom de Salmon fut pour lui comme une Invitation de la providence à recevoir Raab comme un vase d’élection. Car Salmon signifie reçois ce vase (cf. Tit 9).

« Salmon engendra Booz de Raab. » — La glose. Ce fut dans la terre promise que Salmon eut Booz de Raab, et Booz, Obed de Ruth. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Je crois inutile d’expliquer comment Booz prit pour épouse une femme moabite, parce que chacun connaît cette histoire de la sainte Écriture. Je ferai remarquer seulement que Ruth épousa Booz en récompense de sa foi qui lui fit abandonner les idoles de son pays pour adorer le Dieu vivant ; et que c’est aussi à cause de sa foi que Booz fut jugé digne d’épouser cette femme, et de contracter cette sainte union qui devait le rendre père d’une race royale. — S. Ambr. (sur S. Luc.) Pourquoi Ruth qui était étrangère a-t-elle épousé un israélite, et comment l’Évangéliste croit-il devoir parler d’un mariage, que défendait tout l’ensemble de la loi ? Il vous paraîtra sans doute déshonorant pour la mémoire du Sauveur de compter parmi ses ancêtres une femme illégitime, si vous ne vous rappelez cette maxime de l’apôtre saint Paul : « Que la loi n’est pas établie pour les justes, mais pour les méchants. » Comment en effet, cette femme étrangère et moabite aurait-elle fait partie du peuple de Dieu, alors que la loi défendait ces unions avec les filles de Moab et leur admission dans l’assemblée des enfants d’Israël (cf. Ex 23, 52 ; 34, 15.16 ; Nb 25, 1 ; Dt 7, 7 ; 23, 1.3), si elle n’avait été élevée au-dessus de la loi par la sainteté et la pureté de ses mœurs. Elle se plaça au-dessus des prescriptions de la loi, et mérita d’être comptée parmi les ancêtres du Seigneur, honneur qu’elle dut non pas aux liens du sang, mais à la parenté spirituelle qui l’unissait au Christ. Or elle est pour nous un grand exemple, car elle est la figure de nous tous qui avons été choisis parmi les Gentils pour entrer dans l’Église du Seigneur. — S. Jérôme. (lettre à Paulin.) Ruth la moabite accomplit cet oracle d’Isaïe : Envoyez, Seigneur, l’agneau dominateur de la terre, du rocher du désert à la montagne de la fille de Sion.

« Obed engendra Jessé. » — La glose. Jessé père de David porte deux noms, il est plus souvent appelé du nom d’Isaï, mais comme le Prophète lui donne le nom de Jessé, et non celui d’Isaï (Is 11) « Un rejeton sortira de la tige de Jessé, » l’Évangéliste choisit le nom de Jessé pour montrer l’accomplissement de cette prophétie en Jésus et en Marie.

« Jessé engendra David qui fut roi. » — S. Rémi. Pourquoi donc l’Auteur sacré ne donne-t-il qu’à David le titre de roi ? C’est pour nous rappeler qu’il a été le premier roi sorti de la tribu de Juda. Or, le Christ est un nouveau Pharès, c’est-à-dire séparateur, car il séparera les boucs des brebis. Il est aussi l’Orient comme Zara, selon ces paroles : « Voici un homme, et l’Orient est son nom. » Comme Esrom il est une flèche selon ces autres paroles : « Il m’a placé comme une flèche de choix. » — Raban. Ou bien il est encore comme le vestibule d’une maison, à cause de l’abondance de la grâce qui est en lui, et de l’étendue de sa charité. Il est Aram, c’est-à-dire l’élu selon ces paroles : « Voici mon enfant que j’ai choisi, » ou bien il signifie encore élevé, d’après ces autres paroles : « Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations. » Il est Aminadab, c’est-à-dire volontaire, lui qui dît à Dieu par la bouche du Roi-prophète : « Je vous sacrifierai de tout cœur. » il est Nahasson, ou l’augure, lui qui connaît le passé, le présent et l’avenir ; ou bien le serpent, d’après ces paroles : « Moïse a élevé un serpent dans le désert. » Il est encore Salmon, c’est-à-dire sensible, lui qui a dit : « J’ai senti une vertu s’échapper de moi. » — La glose. Il a épousé Raab, c’est-à-dire l’Église composée de toutes les nations, car Raab veut dire faim ou étendue, ou mouvement impétueux, et en effet, l’Église des nations a faim et soif de la justice, et elle a converti les philosophes et les rois par l’élan impétueux de sa doctrine. Ruth signifie aussi celle qui voit ou qui se hâte, image de l’Église qui voit Dieu d’un cœur pur et se hâte vers le but de sa sublime vocation (cf. Ph 3, 14). — S. Rémi. Il est Booz, celui qui est fort, car il a dit : « Lorsque je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » il est Obed, celui qui est serviteur, comme il le dit de lui-même : « Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » Il est Jessé, ou l’encens, lui qui a dit « Je suis venu apporter le feu sur la terre. » Il est David, dont la main est forte ; car il est dit de lui : « Le Seigneur est fort et puissant. » Il est aussi le désirable, lui dont le Prophète a écrit : « Le désiré des nations viendra ; il est d’une rare beauté selon ces paroles du Roi-prophète : « Il surpasse en beauté les plus beaux des enfants des hommes. »

La glose. (ou S. Anselme.) Considérons maintenant les vertus que le souvenir de ces ancêtres de Jésus-Christ doit nous inspirer. La foi, l’espérance et la charité sont comme le fondement de toutes les autres vertus. Celles qui viennent ensuite n’en sont que la continuation et le couronnement. Or, Juda signifie confession. Il y a deux sortes de confession, celle de la foi, et celle des péchés. Si donc après avoir reçu le don des trois vertus dont nous avons parlé, on vient à offenser Dieu, la confession de la foi ne suffit pas, il faut y ajouter la confession des péchés. Après Juda viennent Pharês et Zara, Pharès signifie division, Zara, Orient, Thamar, amertume. En effet, la confession produit la division en nous séparant des vices, et elle fait en même temps lever les vertus du sein de l’amertume de la pénitence. Après Phares vient Esrom qui veut dire flèche, car celui qui s’est détaché des inclinations vicieuses du siècle, doit devenir une flèche qui perce les vices dans les cœurs des hommes, et y fasse pénétrer l’amour de Dieu. Vient ensuite Aram qui veut dire l’élu ou le sublime, car lorsqu’on s’est éloigné du monde, et qu’on s’est rendu utile aux autres, on est regardé nécessairement comme l’élu de Dieu, et ou acquiert aux yeux des hommes la réputation d’une haute vertu. Nahasson veut dire augure, mais augure du ciel et non de la terre. Joseph se glorifiait de ce titre en faisant dire à ses frères : (Gn 44, 5) « Vous avez enlevé la coupe de mon maître, dont il se sert pour les divinations. » Cette coupe, c’est l’Écriture sainte qui contient le précieux breuvage de la sagesse. Le Sage se sert de cette coupe pour augurer, parce qu’il y voit les choses futures ou célestes. Vient ensuite Salmon, c’est-à-dire sensible, car lorsqu’on s’est livré à l’étude de la divine Écriture, on acquiert cette sensibilité qui fait discerner le bien du mal, ce qui est doux de ce qui est amer. Après Salmon vient Booz, le fort, car celui qui. est versé dans les saintes Écritures y puise une force invincible contre toute sorte d’épreuves. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Ce fort, c’est le fils de Raab, c’est-à-dire de l’Église ; Raab, en effet, signifie étendue qui s’est dilatée, parce que l’Église a été réunie et formée de toutes les nations de la terre. — La glose. (ou S. Anselme.) Vient ensuite Obed ou celui qui sert, car on n’est propre au joug de la servitude qu’autant qu’on est fort. Cet état de servitude vient de Ruth, qui signifie celle qui se hôte, car le serviteur doit être actif et ennemi de la paresse. — S. Chrys. (sur S. Matth.) Disons maintenant que ceux qui cherchent la richesse plutôt que la vertu, la beauté plutôt que la foi, qui désirent trouver dans leurs épouses ce que l’on cherche ordinairement dans les femmes de mauvaise vie, auront des enfants sans soumission pour leurs ordres et pour ceux de Dieu, juste châtiment de leur propre impiété. Obed a engendré Jessé ou le rafraîchissement, car celui qui est soumis à Dieu et à ses parents par une grâce particulière de Dieu, aura des enfants qui seront comme le rafraîchissement de sa vie. — La glose. (ou S. Anselme.) Ou bien encore Jessé signifie encens, car si nous servons Dieu par un motif de crainte et d’amour, notre piété aura sa source dans notre cœur et deviendra comme un foyer spirituel sur lequel elle pourra offrir à Dieu un encens de la plus suave odeur. Or, lorsqu’un homme est devenu un digne serviteur de Dieu et un sacrifice d’agréable odeur, il faut également qu’il soit fort et robuste, et qu’il combatte courageusement les ennemis, et rende tributaires les Iduméens, c’est-à-dire qu’il doit soumettre à Dieu les hommes charnels par ses paroles aussi bien que par ses exemples.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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