Accueil > Bibliothèque > La Chaîne d’or > Évangile selon saint Matthieu > chapitre 13, versets 18-23
La glose. Notre-Seigneur avait déclaré plus haut qu’il n’a pas été donné aux Juifs, mais seulement aux Apôtres, de connaître le royaume de Dieu. Comme conséquence de ces paroles, il leur dit : « Pour vous, écoutez donc la parabole de celui qui sème, » vous à qui sont communiqués les mystères du ciel.
S. Augustin. (sur la Genèse, 8, 4.) Ce que l’Évangéliste raconte, c’est-à-dire que le Seigneur a parlé de la sorte, a véritablement eu lieu ; mais le récit du Seigneur n’a été qu’une parabole, et dans ce genre de récit on n’exige pas que toutes les circonstances qui le composent aient leur application littérale. — La glose. Notre-Seigneur explique ensuite cette parabole : « Celui qui écoute la parole du royaume et ne la comprend pas, » phrase qu’il faut entendre ainsi : « Tout homme qui entend la parole, » c’est-à-dire ma prédication, laquelle donne les moyens de mériter le royaume des cieux, et qui ne comprend pas. Or, d’où vient ce défaut d’intelligence ? Le voici : « L’esprit malin, c’est-à-dire le démon, vient, et il enlève ce qui avait été semé dans son cœur. Or, tout homme à qui ce malheur arrive, c’est celui qui a été semé le long du chemin. Remarquez aussi que le mot semer s’entend de différentes manières : on dit d’une semence qu’elle a été semée, et aussi d’un champ qu’il a été semé, et nous voyons ici cette double signification. Dans cette phrase : « Il enlève ce qui a été semé, » c’est de la semence qu’il est question ; dans cette autre : « Celui qui a été semé le long du chemin, » ce n’est pas de la semence, mais du lieu où elle été répandue, c’est-à-dire de l’homme, qui est le champ ensemencé par la parole de Dieu.
S. Rémi. Dans ces paroles, Notre-Seigneur nous explique ce que c’est que la semence, c’est-à-dire la parole du royaume ou de la doctrine évangélique. Il en est qui reçoivent la parole de Dieu sans aucune affection ; aussi les démons enlèvent aussitôt la semence de la parole divine répandue dans leur cœur, comme une semence tombée sur un chemin battu. « Celui qui est semé sur la pierre écoute la parole, mais il n’a pas de racines. » En effet, la semence ou la parole de Dieu qui tombe sur la pierre, c’est-à-dire sur un cœur dur et indompté, ne peut fructifier ; sa dureté est trop grande, son désir du ciel trop faible, et cette excessive dureté ne lui permet pas d’avoir de racines. — S. Jérôme. Faites attention à cette parole : « Il est aussitôt scandalisé. » Il y a donc une différence entre celui que l’excès des tribulations et de la douleur force pour ainsi dire de renier Jésus-Christ, et celui que le premier vent de la persécution scandalise et fait tomber. — « Celui qui est semé au milieu des épines, » etc. Ce qui a été dit autrefois à Adam dans un sens littéral : « Tu mangeras ton pain au milieu des ronces et des épines (Gn 2) » s’entend ici dans le sens allégorique de tout homme qui se livre aux voluptés du siècle et aux soins de ce monde et qui par là mange le pain céleste et l’aliment de la vérité au milieu des épines. — Raban. C’est avec raison que Notre-Seigneur appelle ces plaisirs des épines, parce qu’ils déchirent l’âme avec les pointes aiguës de leurs pensées, étouffent dans leur germe les fruits spirituels des vertus et ne leur permettent pas de se développer. — S. Jérôme. Cette expression : « La séduction des richesses étouffe la parole » est aussi élégante que vraie, car les richesses sont séduisantes, et elles ne tiennent pas ce qu’elles ont promis. Rien de plus fragile que leur possession ; elles portent tantôt d’un côté, tantôt de l’autre leur faveur inconstante, ou bien elles abandonnent celui qui les possédait, ou bien elles viennent enrichir ceux qui en étaient dépourvus : aussi le Seigneur affirme-t-il qu’il est difficile aux riches d’entrer dans le royaume des cieux (Mc 10, 23 ; Lc 15, 34), parce que les richesses étouffent la parole de Dieu et amollissent la vigueur des vertus. — S. Rémi. Ces trois natures de terre différentes représentent tous ceux qui peuvent entendre la parole de Dieu, mais qui ne peuvent lui faire produire des fruits de salut, à l’exception des Gentils, qui n’ont pas même mérité de l’entendre. « Enfin celui qui reçoit la semence dans la bonne terre. » La bonne terre, c’est la conscience pure des élus, l’âme des saints qui reçoit la parole de Dieu avec joie, avec désir, avec amour, qui la conserve courageusement dans la prospérité comme dans l’adversité, et lui fait produire des fruits. « Et il porte du fruit, et rend cent, ou soixante, ou trente pour un. »
S. Jérôme. Remarquez que comme il y a trois sortes de mauvaises terres, le chemin, la pierre et le champ couvert d’épines, il y a de même trois espèces différentes de bonnes terres : celle qui rend cent pour un, celle qui rend soixante, celle qui rend trente. Et ce qui fait cette différence, ce n’est pas la nature de la terre, qui est la même d’un côté comme de l’autre, mais la volonté. Or, dans les incrédules comme dans ceux qui croient, c’est le cœur qui reçoit la semence ; c’est pour cela que Notre-Seigneur a dit de la première espèce de terre : « L’esprit malin vient et enlève ce qui a été semé dans son cœur, » et des deux autres : « C’est celui qui reçoit la parole. » Lorsqu’il en vient à la bonne terre, il dit également : « C’est celui qui reçoit la parole. » Nous devons donc d’abord entendre, puis comprendre, et, après avoir compris, produire les fruits des enseignements que nous avons reçus, et rendre ou cent, ou soixante, on trente pour un. — S. Augustin. (Cité de Dieu, 2, ch. dern.) Il en est qui entendent ce passage dans ce sens que les saints, suivant la diversité de leurs mérites, pourront délivrer, les uns trente âmes, les autres soixante, d’autres enfin cent, au jour du jugement, et non dans les temps qui suivront. Or, un sage, voyant que les hommes abusaient pour faire le mal de cette opinion et se promettaient l’impunité au jour du jugement, parce que tous pourraient être sauvés par cette voie, leur répondit qu’il était bien plus prudent de vivre de manière à se trouver parmi ceux dont l’intercession devait délivrer les autres. En effet, ils pourraient être si peu nombreux que, lorsque chacun d’eux aurait délivré le nombre qui lui est assigné, il en restât un plus grand nombre qui ne pourraient être sauvés par leur intercession, et parmi ces derniers se trouveraient tous ceux qui, par une témérité sans fondement, avaient mis toute leur confiance dans les mérites des autres.
S. Rémi. Celui qui prêche la foi en la sainte Trinité rend trente pour un ; soixante pour un, celui qui recommande la perfection dans les bonnes oeuvres, car c’est en six jours que l’oeuvre de la création fut achevée (Gn 2) ; et cent pour un, celui qui promet la vie éternelle, car le nombre cent passe de la gauche à la droite. Or, par la gauche, il faut entendre la vie présente, et par la droite la vie future. Dans un autre sens, la parole de Dieu rend trente pour un lorsqu’elle fait germer les bonnes pensées ; soixante, lorsqu’elle produit les bonnes paroles ; cent, lorsqu’elle fait arriver jusqu’aux fruits des bonnes oeuvres.
S. Augustin. (Quest. évang., 1, 10.) Ou bien le nombre cent, c’est le fruit que produisent les martyrs ou par la sainteté de leur vie ou par le mépris qu’ils font de la mort ; le nombre soixante, c’est le fruit que rendent les vierges qui, goûtant les douceurs du repos intérieur, n’ont plus à soutenir les combats de la chair ; en effet, on donne la retraite après l’âge de soixante ans aux soldats ou aux fonctionnaires publics ; le nombre trente est celui des époux, car c’est l’âge de ceux qui sont appelés à combattre, et ils ont en effet les plus rudes assauts à soutenir pour ne pas être vaincus par leurs passions. Ou bien il faut lutter contre l’amour des biens temporels pour lui disputer la victoire ; ou bien il faut le tenir dompté et soumis pour réprimer avec facilité ses moindres mouvements, lorsqu’il veut se soulever ; ou enfin, il faut l’éteindre entièrement de manière à ce qu’il ne puisse plus exciter la moindre émotion dans notre âme. Voilà pourquoi nous voyons les uns affronter la mort avec courage pour la défense de la vérité, les autres sans s’émouvoir, d’autres enfin avec joie. Ces trois degrés de vertu correspondent aux fruits que peuvent donner les trois espèces de terre : l’une trente, l’autre soixante, l’autre cent pour un, et il faut au moment de la mort faire partie d’une de ces trois espèces de terre si l’on veut sortir de cette vie dans les conditions qui assurent la récompense.
S. Jérôme. — Ou bien encore la terre qui rend cent pour un, signifie les vierges ; celle qui rend soixante, les veuves ; celle qui rend trente ceux qui mènent une vie chaste dans l’état du mariage. Ou bien enfin le nombre trente est une figure du mariage, parce que ce nombre, qui s’exprime par le rapprochement des doigts qui s’unissent par un doux embrassement, représente l’union de l’homme et de la femme. Le nombre soixante représente les veuves qui vivent dans les larmes et dans la tribulation (aussi le nombre soixante s’exprime en abaissant le doigt inférieur), car leur récompense est d’autant plus grande qu’il leur est plus difficile de résister aux séductions de la volupté dont elles ont déjà fait l’épreuve. Enfin, le nombre cent, pour lequel la main droite remplace la main gauche et qui s’exprime par le cercle que forment les mêmes doigts de cette main, représente la couronne de la virginité.
Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.