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Mt  11  2-6

La glose. L’Évangéliste vient d’exposer comment Notre-Seigneur, par ses miracles et par sa doctrine, avait instruit ses disciples aussi bien que le peuple ; il nous apprend maintenant comment ces enseignements parvinrent jusqu’aux disciples de Jean, qui paraissaient avoir quelque jalousie contre le Christ. « Or Jean ayant appris dans la prison, » etc.

S. Grég. (homél. 6 sur les Evang.) Il nous faut rechercher pourquoi Jean-Baptiste, prophète et plus que prophète, qui avait fait connaître le Sauveur, lorsqu’il vint se faire baptiser, en lui rendant ce témoignage : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde, » envoie de la prison où il est enfermé ses disciples pour demander : « Êtes-vous celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? » Il semble ignorer celui qu’il a lui-même manifesté au peuple, et ne pas connaître le Sauveur qu’il a proclamé si hautement dans ses prédictions, lors de son baptême, et quand il le voyait venir à lui.

S. Ambr. (liv. 5, sur S. Luc.) Il en est qui expliquent cette difficulté en disant que Jean était un grand prophète qui connut le Christ, et annonça la rémission future des péchés ; mais qu’en prédisant sa venue comme un saint prophète, il n’avait pas cru qu’il devait être soumis à la mort. Ce n’est donc pas sa foi qui doute, mais sa piété ; et saint Pierre lui-même partagea ce doute lorsqu’il dit au Sauveur : « Épargnez-vous, Seigneur, cela ne vous arrivera pas. » (Mt 16, 11) — S. Chrys. (hom. 37.) Mais cette explication n’est pas fondée, car Jean ne pouvait pas ignorer même cette circonstance, puisque c’est la première chose à laquelle il a rendu témoignage par ces paroles : « Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde. » En lui donnant le nom d’Agneau, il dévoile le mystère de la croix, puisque ce n’est que par la croix qu’il a effacé les péchés du monde. Comment d’ailleurs serait-il plus qu’un prophète s’il ignorait ce que les prophètes eux-mêmes ont connu et annoncé ? En effet Isaïe n’a-t-il pas dit (Is 53) : « Il a été conduit à la mort comme une brebis ? »

S. Grég. (hom. 6 sur les Evang.) On peut donner à cette question une solution différente en réfléchissant sur le temps où ce fait s’est passé. Sur les bords du Jourdain, Jean-Baptiste a déclaré que Jésus était le rédempteur du monde ; mais dans sa prison il envoie demander s’il doit venir. Ce n’est pas qu’il doute que Jésus soit le Rédempteur promis, mais il demande si celui qui est venu sur la terre en se faisant annoncer par lui, suivra le même ordre pour descendre dans les enfers. — S. Jérôme. C’est pour cela qu’il ne dit pas : « Est-ce vous qui êtes venu ? » mais : « Est-ce vous qui viendrez ? » Et tel est le sens de ces paroles : Faites-moi savoir, à moi qui dois descendre aux enfers, si je dois aussi vous y annoncer, ou si vous devez confier ce ministère à un autre. — S. Chrys. (hom. 37.) Mais comment cette opinion même peut-elle être soutenue ? Car pourquoi Jean n’a-t-il pas dit : « Est-ce vous qui devez venir dans les enfers ? » mais dit-il simplement : « Qui devez venir ? » D’ailleurs n’est-il pas ridicule qu’il ait demandé s’il devait en allant dans les enfers l’annoncer dans ce lieu ? La vie présente seule est le temps de la grâce, et après la mort il ne reste que le jugement et la peine ; quel besoin donc d’envoyer un précurseur en ce lieu ? Mais encore, si les infidèles pouvaient être sauvés par la foi après leur mort, aucun d’eux ne périrait ; car tous alors se repentiront et adoreront le Fils de Dieu, puisqu’alors tout genou fléchira devant lui, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers.

La glose. Remarquons que saint Jérôme et saint Grégoire n’ont pas dit que Jean-Baptiste devait annoncer la venue du Christ dans les enfers pour convertir à la foi un certain nombre de ceux qui ne croient pas en lui, mais pour consoler par l’espérance de son avènement prochain les justes qui s’y trouvaient en attendant la venue du Christ.

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Il est cependant certain que l’erreur ne s’est point mêlée à cette connaissance parfaite qu’avait saint Jean, lui qui avait annoncé comme précurseur la venue du Messie, qui comme prophète le reconnut au milieu de la foule, et comme confesseur, rendit hommage au Sauveur qui venait à lui. On ne peut admettre que la grâce de l’Esprit saint lui ait fait défaut dans la prison, alors que plus tard l’apôtre devait répandre la lumière de sa puissance sur ceux qui partageaient ses fers.

S. Jérôme. Ce n’est point par ignorance qu’il interroge, mais de la même manière que le Sauveur demandait en quel endroit le corps de Lazare avait été déposé, afin de préparer ainsi à la foi ceux qui lui indiquaient le lieu de sa sépulture, et de les rendre témoins de la résurrection d’un mort. C’est ainsi que Jean-Baptiste, sur le point d’être mis à mort par Hérode, envoie ses disciples à Jésus-Christ, pour qu’ils aient occasion de voir ses miracles et ses prodiges, et qu’ils puissent croire en lui, et s’instruire eux-mêmes en l’interrogeant au nom de leur maître. Que les disciples de Jean aient nourri quelque sentiment d’envie contre le Christ, la question qu’ils lui ont faite précédemment le démontre suffisamment. « Pourquoi les Pharisiens et nous jeûnons-nous souvent, tandis que vos disciples ne jeûnent pas ? » (Mt 9.) — S. Chrys. (hom. 37.) Tant que Jean-Baptiste était avec eux, il leur parlait sans cesse du Christ, c’est-à-dire qu’il leur recommandait de croire en lui ; mais sentant sa mort prochaine, il redouble de zèle, car il craint de laisser dans ses disciples un levain de dangereuse erreur, et il redoute qu’ils ne demeurent éloignés de Jésus-Christ, à l’école duquel il a voulu les renvoyer tous dès le commencement. S’il leur avait dit : Allez à lui, parce qu’il est bien au-dessus de moi, il ne les aurait pas persuadés ; ils auraient cru qu’il parlait ainsi par un profond sentiment d’humilité, et ils lui seraient restés plus attachés qu’auparavant. Que fait-il donc ? Il attend que ses disciples viennent lui rapporter eux-mêmes que le Christ fait des miracles ; et parmi eux tous il n’en envoie que deux qu’il regardait peut-être comme plus faciles à être convaincus. Il les envoie afin que sa demande ne prête à aucun soupçon et qu’ils apprennent par les faits eux-mêmes la distance qui les sépare de Jésus-Christ.

S. Hil. (can. 11 sur S. Matth.) Jean-Baptiste n’agit donc pas ici pour éclairer son ignorance, mais pour dissiper celle de ses disciples ; il les envoie considérer les oeuvres de Jésus afin de leur apprendre qu’il n’en a point annoncé un autre que lui, que ses prodiges donnent une nouvelle autorité à ses paroles, et qu’ils n’attendent pas un autre Christ que celui qui avait pour lui le témoignage des oeuvres. — S. Chrys. (hom. 37.) Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui connaissait la pensée de Jean, ne dit pas « C’est moi ; » car cette réponse aurait indisposé ceux qui l’entendaient ; ils auraient pu penser, quand ils ne l’auraient pas dit, ce que les Juifs lui objectèrent plus tard : « Vous vous rendez donc témoignage à vous-même ? » Il veut donc les instruire à l’école de ses miracles, pour donner ainsi à sa doctrine une autorité plus éclatante et plus irrécusable ; car le témoignage des oeuvres est plus digne de foi que le témoignage des paroles. Il guérit donc sous leurs yeux des aveugles, des boiteux, et beaucoup d’autres malades, non pour l’enseignement de Jean-Baptiste, qui n’en avait pas besoin, mais pour l’instruction de ses disciples qui étaient dans le doute. « Et Jésus leur répondit : Allez, rapportez à Jean ce que vous avez entendu, et ce que vous avez vu. Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés. » — S. Jérôme. Ce dernier trait n’est pas inférieur à ceux qui précèdent ; les pauvres évangélisés sont ou les pauvres d’esprit, ou ceux qui sont pauvres des biens de la terre ; ainsi la prédication ne met aucune différence entre la noblesse et l’obscurité de la condition, entre les riches et les pauvres ; et c’est là une preuve de la rigoureuse justice du maître, et de la vérité de ce divin précepteur : tous ceux qui peuvent être sauvés sont égaux à ses yeux.

S. Chrys. (hom. 37.) Ce qu’il ajoute : « Et heureux est celui qui ne prendra pas de moi un sujet de scandale, » tombe sur les envoyés qui étaient scandalisés à son sujet ; Notre-Seigneur ne dévoile pas leurs doutes intérieurs, il les abandonne au jugement de leur conscience, et leur adresse ce reproche indirect. — S. Hil. (can. 2 sur S. Matth.) En disant : Bienheureux celui qui ne prendra point de lui un sujet de scandale, il montre l’écueil contre lequel Jean a voulu les prémunir, car il n’a envoyé ses disciples vers le Christ que dans la crainte qu’ils ne fussent scandalisés à son sujet. — S. Grég.. (hom. 6 sur les Evang.) Jésus-Christ a été pour les infidèles un grand sujet de scandale lorsqu’après tant de miracles, ils le virent expirer sur la croix ; c’est ce que saint Paul exprime lorsqu’il dit : « Nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs. » (1 Co 1) Que signifient donc ces paroles : Heureux est celui qui n’aura pas été scandalisé à mon sujet, si elles ne sont une déclaration manifeste de l’ignominie et des humiliations de sa mort ? N’est-ce pas comme s’il disait clairement à Jean-Baptiste : Je fais des choses admirables, mais je ne rougis pas d’en souffrir d’ignominieuses, et puisque ma mort doit suivre la vôtre, il faut que les hommes se gardent de la mépriser, après avoir admiré les prodiges que j’ai opérés ?

S. Hil. Le sens mystique nous offre encore une intelligence plus large de ce fait de la vie de Jean-Baptiste. C’est que comme prophète, et par la nature même de sa mission prophétique, il annonce que la loi est pour ainsi dire ensevelie dans sa personne. La loi, en effet, avait annoncé Jésus-Christ, prêché la rémission des péchés, promis le royaume des cieux, et Jean avait accompli toute cette oeuvre de la loi. Au moment donc où cesse la loi qui, retenue captive par les péchés du peuple, était comme chargée de chaînes, renfermée dans un cachot, et ne pouvait par conséquent reconnaître le Christ, elle envoie considérer le spectacle que présente l’Évangile, afin que l’incrédulité soit forcée de reconnaître la vérité de la doctrine dans la vérité des faits. — S. Ambr. On peut voir aussi dans ces deux disciples les cieux peuples, les Juifs fidèles et les Gentils.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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