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Mc  9  13-28

Théophile. Après avoir manifesté sa gloire à trois de ses disciples, Jésus-Christ vient retrouver les autres qui n’étaient point montés avec lui sur le Thabor ; " lorsqu’il fut retourné auprès de ses autres disciples, il les vit environnés d’une foule nombreuse. " Les pharisiens s’étaient empressés de profiter de la courte absence du Sauveur, pour aborder les disciples et essayer de les attirer à eux. — S. Jérôme. Il n’y a point de repos pour l’homme sous le soleil (Qo 8, 23) ; les âmes basses sont victimes de leur jalousie (Jb 5, 2) ; les hautes montagnes sont frappées par la foudre ; l’assemblée des fidèles se compose, et de ceux qui, comme te peuple, recueillent avec foi l’enseignement, et de ceux qui, comme les scribes, sont pleins d’une orgueilleuse envie.

" Et le peuple, à la vue de Jésus, fut saisi d’étonnement, " etc. — Bède. Remarquons, que dans toutes les circonstances, les sentiments du peuple sont bien différents de ceux des scribes. Chez ces derniers, nous ne voyons aucun témoignage de piété, de foi, d’humilité, de respect, à l’égard du Sauveur ; le peuple, au contraire, à l’approche de Jésus, s’émeut, s’ébranle, et court au-devant de lui pour lui offrir ses hommages ; " Et étant accourus, ils le saluaient. " — Théophile. Tel était le désir du peuple pour voir Jésus, qu’à son approche seule il s’empressait de lui offrir ses hommages. Suivant quelques interprètes, le visage de Jésus avait conservé de sa transfiguration un tel éclat, que la foule était attirée comme invinciblement à venir le saluer. — S. Jérôme. La présence de Jésus jeta le peuple dans l’admiration et le saisissement, mais les disciples ne partagèrent pas cette impression, parce que l’amour bannit la frayeur (1 Jn 4). L’esclave est dominé par la crainte ; l’étonnement, la stupeur, sont naturels à l’insensé. " Et Jésus-Christ demanda : Quel est le sujet de vos discussions ? " Il veut par cette question, les faire parler pour les sauver, il nous engager à lui exposer dans un langage plein de confiance, le trouble qui agile notre âme. — S. Chrys. L’objet de leurs discussions était sans doute l’impuissance où ils s’étaient trouvés, eux, les disciples du Sauveur, de guérir le démoniaque qui se trouvait au milieu d’eux ; c’est ce que donnent à entendre les paroles qui suivent : " Un homme élevant la voix, du milieu de la foule, dit : Maître, j’ai apporté mon fils, " etc. — S. Chrys. (hom. 50 sur S. Matth.) Cet homme n’avait qu’une foi bien faible, comme le prouve cette parole du Sauveur : " O race incrédule ! " Et cette autre qu’il adresse à cet homme lui-même : " Si vous pouvez croire. " Cependant, quoique ce fût son manque de foi qui eût rendu impossible l’expulsion du démon, il ne craint pas d’en rejeter la faute sur les disciples. " J’ai prié vos disciples de le chasser, et ils ne l’ont pu. " Voyez la conduite insensée de cet homme au milieu de la foule, il adresse sa prière à Jésus, et il accuse en même temps ses disciples. Aussi le Seigneur lui impute-t-il à lui-même, en présence de tout le peuple, cette impossibilité dont il le rend responsable aussi bien que tous les Juifs qui étaient présents ; car un grand nombre d’entre eux s’étaient sans doute scandalisés, et avaient jugé sévèrement les disciples. " Jésus leur répondit : O race incrédule, jusqu’à quand serai-je avec vous ? jusque à quand vous souffrirai-je ? " paroles qui attestent et le désir qu’il avait de mourir, et l’ennui qu’il éprouvait de vivre au milieu d’eux.

Bède. Jésus est si loin de s’irriter contre cet homme, dont il blâme seulement le peu de foi, qu’il ajoute aussitôt : " Amenez-le moi. " — S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) Notre-Seigneur permet ce qui arrive dans l’intérêt de ce pauvre père, afin qu’à la vue des tortures que le démon fait souffrir à son enfant, il fut déterminé à croire par le miracle qui allait le délivrer. — Théophyl. Il permet que cet enfant soit ainsi tourmenté, pour nous faire connaître toute la fureur du démon, qui l’aurait fait mourir, si le Seigneur ne fût venu à son secours. " Et il demanda au père : Combien y a-t-il de temps ? " etc. — Bède. Que Julien soit ici confondu, lui qui ose soutenir que nous sommes nés sans aucune souillure, et que notre naissance a été aussi innocente que celle d’Adam. Pourquoi, en effet, enfant, a-t-il été, dès ses plus tendres années, l’objet de si cruels traitements de la part du démon, s’il n’était point souillé de la tache originelle, puisqu’il est certain qu’il n’était coupable d’aucun péché qui lui fût propre ? — La glose. Cet homme manifeste bien dans les termes mêmes de sa demande la faiblesse de sa foi : " Si vous avez quelque puissance. " Les disciples de Jésus n’ayant pu guérir son fils, il doute de la puissance du Maître lui-même, il ajoute : " Ayez pitié de moi, " pour exprimer l’état misérable de l’enfant qui souffre, et du père qui partage sa souffrance.

" Jésus lui dit : Si vous pouvez croire, " etc. — S. Jérôme. Cette expression, " si vous pouvez, " prouve l’existence du libre arbitre. Or, quelles sont toutes ces choses possibles à celui qui croit ? celles qui sont demandées avec larmes au nom de Jésus, c’est-à-dire, qui ont pour objet notre salut. — Bède. Jésus fait à cet homme une réponse parfaitement en rapport avec sa demande : " Si vous avez quelque puissance, aidez-nous. " Oui, répond le Sauveur, " si vous-même vous pouvez croire. " Le lépreux qui criait avec persévérance : " Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir, " avait une foi bien plus vive, aussi est-elle magnifiquement récompensée par cette réponse : " Oui, je le veux, soyez guéri. " (Mt 8 ; Mc 1) — S. Chrys. (hom. 58 sur S. Matth.) La réponse de Jésus-Christ signifie : Ma puissance est si grande, si étendue, que non-seulement je puis guérir votre fils par moi-même, mais donnez à d’autres cette même puissance ; croyez comme il faut, et vous-même vous pourrez le guérir, lui, et un grand nombre d’autres. C’est ainsi qu’il amenait à la foi celui qui, tout à l’heure, tenait un langage inspiré par l’infidélité. " Aussitôt le père élevant la voix, s’écrie avec larmes : Je crois, aidez mon incrédulité. " — Victor d’Antioche. Si ce mot : " Je crois ! " atteste une foi réelle, pourquoi ajoute-t-il : " Aidez mon incrédulité ? " c’est qu’il y a deux espèces de foi, la première qui n’est qu’une foi préparatoire, l’autre qui est parfaite. Cet homme qui commençait seulement à croire, suppliait le Sauveur de développer la foi dans son âme. — Bède. La perfection n’est pas l’œuvre d’un instant ; celui qui veut y parvenir, doit, dans une conduite régulière, commencer par les petites choses, pour parvenir ensuite aux grandes ; la vertu, en effet, a des degrés différents, son commencement, son progrès, sa perfection. Comme donc la foi se développe, sous l’inspiration secrète de la grâce, par les degrés successifs de ses mérites, il arriva ici que, dans un seul et même temps, celui qui ne croyait pas encore parfaitement était à la fois incrédule et croyant. — S. Jérôme. Cet exemple nous apprend encore que notre foi est toujours faible, tant qu’elle ne s’appuie pas sur le secours et l’aide de Dieu. Mais lorsqu’elle est accompagnée de larmes, elle obtient toujours l’accomplissement de ses désirs. " Et Jésus voyant le peuple accourir en foule, s’empresser autour de lui, menaça l’esprit impur, et lui dit : Esprit sourd et muet, " etc. — Théophile. Jésus se contente de menacer l’esprit immonde en présence de la multitude qui accourt, parce qu’il ne voulait pas opérer le miracle sous ses yeux, pour nous apprendre à fuir l’ostentation. — S. Chrys. A ces menaces, à ce ton de maître : " Je te le commande, " on reconnaît la puissance divine. Jésus ne se contente pas de dire : " Sors de cet homme ; " il ajoute : " Et garde-toi bien de rentrer en lui, " car le démon était toujours près de reprendre possession de ce jeune homme, parce que la foi du père était encore trop faible ; mais la défense expresse de Dieu était pour lui un obstacle insurmontable. " Alors cet esprit ayant jeté un grand cri, et l’ayant agité par de violentes convulsions, sortit, " etc. En présence de la véritable vie, le démon fut impuissant à donner la mort.

Bède. Celui que l’ennemi du genre humain avait comme frappé de mort, le Sauveur le guérit et le sauve en le touchant de sa main miséricordieuse. " Jésus l’ayant pris par la main, le releva. " Par cet acte de puissance, il prouve qu’il est véritablement Dieu ; et en le touchant à la manière des hommes, il démontre la réalité de sa nature humaine. L’insensé Manès prétend que Jésus ne s’est pas revêtu d’un corps véritable ; mais le Sauveur, en rendant par son toucher, la santé, la pureté, la lumière à tant de malades, a condamné son hérésie avant même qu’elle eut paru.

" Et lorsque Jésus fut entré dans la maison, ses disciples, lui demandèrent : " Pourquoi n’avons-nous pu le chasser ? " — S. Chrys. Comme ils avaient reçu le pouvoir de chasser les esprits immondes, ils craignaient d’avoir perdu cette grâce qui leur avait été donnée. " Jésus leur répondit : Cette espèce de démons, " etc. — Théophyl. C’est-à-dire, les démons lunatiques, ou simplement toute espèce de démons. Il faut que celui qui désire être guéri, jeûne, ainsi que celui qui doit le guérir ; la prière n’est parfaite, que lorsqu’elle est accompagnée du jeune ; lorsque celui qui prie, ne se laisse point appesantit par la nourriture, mais pratique la vertu de sobriété.

Bède. Dans le sens mystique, nous apprenons ici que c’est sur les lieux élevés que le Seigneur découvre à ses disciples les mystères de son royaume, et dans les régions inférieures qu’il reproche an peuple son incrédulité, et qu’il chasse les esprits malins des corps qu’ils tour il fortifie, instruit, et châtie même les âmes encore charnelles et inintelligentes, et donne avec plus de liberté aux parfaits les enseignements de la vie éternelle. — Théophile. Ce démon est sourd et muet : sourd, parce qu’il ne veut pas entendre la parole de Dieu ; muet, parce qu’il ne veut pas donner aux autres l’enseignement dont ils ont besoin. — S. Jérôme. Le pécheur écume de folie, grince des dents par colère, et la paresse le dessèche. L’esprit mauvais déchire celui qu’il voit s’approcher du salut, et il bouleverse par des terreurs et des maux de tout genre, ceux qu’il veut engloutir dans son sein, comme il fit dans la personne de Job. — Bède. Souvent, en effet, lorsque, après avoir péché, nous voulons revenir à Dieu, cet antique ennemi de notre salut nous tend des pièges nouveaux et plus dangereux, afin de nous inspirer de l’aversion pour la vertu, ou de se venger de l’affront d’avoir été chassé. — S. Grég. (Mor., 10, 17.) Celui qui est délivré de la puissance de l’esprit impur, paraît comme mort ; c’est-à-dire, que le chrétien qui a pu assujettir tous les désirs de la terre, voit s’éteindre en lui la vie des habitudes charnelles. Aux yeux du monde il paraît mort, et un grand nombre le tiennent réellement pour Mort, car dans l’ignorance où ils sont de la vie spirituelle, ils regardent comme tout à fait éteinte la vie qui ne court plus à la recherche des biens sensuels. — S. Jérôme. Ce possédé, tourmenté dès son enfance, est le peuple gentil, chez qui on voit se développer, dès son origine, ce culte criminel des idoles, et qui, dans sa folie, alla jusqu’à immoler ses enfants aux démons. Le père dit que l’esprit malin précipita son enfant dans l’eau et dans le feu, et il exprime ainsi les deux principaux objets de l’idolâtrie des gentils, le feu et l’eau. — Bède. Ou bien, ce démoniaque est l’image de l’âme, qui, souillée dès son origine de la tache du péché, n’en peut être purifiée que par la foi en Jésus-Christ et par sa grâce toute-puissante. Le feu représente le bouillonnement de la colère, et l’eau les voluptés charnelles dont le propre est de miner les forces de l’âme par les plaisirs du corps. Ce n’est pas à l’enfant qui souffre, mais au démon qui le tourmente, que Jésus adresse ses menaces ; il veut nous apprendre que celui qui désire corriger un pécheur doit aimer et consoler l’homme, et réserver pour le péché seul qu’il doit détruire ses réprimandes, sa haine, ses invectives.

S. Jérôme. Le Seigneur attribue ici au démon les effets qu’il produit dans l’homme, en lui disant : " Esprit sourd et muet, " car jamais il n’entendra ni ne dira ce qu’entend et dit le pécheur pénitent. Le démon une fois sorti d’un homme, n’y rentre plus, si cet homme a soin de tenir son cœur fermé avec les clefs de l’humilité et de la charité, et s’il est garanti et protégé par la porte qui le met à l’abri de tout danger. L’homme qui est guéri paraît comme mort, car c’est aux âmes guéries du péché qu’il est dit : " Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ (Col 3). — Théophile. Dès que Jésus nous tient la main, c’est-à-dire, dès que la parole évangélique nous donne la force d’agir, nous sommes délivrés du démon. Car, vous le voyez, Dieu commence par nous aider, puis il demande notre coopération à sa grâce. " Jésus le releva, " dit l’Evangile, voilà la grâce divine ; et " le malade se tint debout ; " voilà la coopération de l’homme.

Bède. En enseignant à ses Apôtres le secret de chasser les démons les plus pernicieux, le Seigneur nous présente à tous une règle de vie : il nous apprend que nous triompherons des plus grandes épreuves, qu’elles aient pour auteurs les démons ou les hommes, par le jeûne et par la prière, et que le feu de la colère de Dieu tout prêt à châtier nos crimes, cédera lui-même à l’efficacité de ce remède tout-puissant. Par le jeûne, il faut entendre eu général l’abstinence, non-seulement d’aliments, mais de toute jouissance sensuelle, et même l’exemption de toute passion coupable. De même aussi la prière, prise dans sa généralité, ne consiste pas seulement dans les paroles dont nous faisons usage pour implorer la bonté divine, mais encore dans tous les actes inspirés par la foi et la piété, pour rendre hommage à notre Créateur, au sens de saint Paul, quand il dit (1 Th 5) : " Priez sans cesse. " — S. Jérôme. La folie, qui a pour objet les jouissances de la chair, est guérie par le jeûne ; de même aussi la paresse est chassée par la prière. A chaque plaie il faut appliquer le remède convenable : ce n’est point par un remède appliqué sur le pied que l’on guérit l’œil malade. Ainsi donc, employez le jeûne contre les passions du corps, et la prière contre les maladies de l’âme.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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