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Mc  10  17-27

Bède. Ce jeune homme avait entendu le Seigneur déclarer que ceux-là seuls seront dignes d’entrer dans le royaume des cieux, qui travaillent à ressembler aux petits enfants, il demande donc qu’on lui explique, non plus en paraboles, mais en termes précis quelles sont les œuvres méritoires de la vie éternelle. " Comme il sortait pour se mettre en chemin, une personne accourut, et se jetant à genoux devant lui, dit : Bon maître, que dois-je faire, je vous prie, pour acquérir la vie éternelle ? " — Théophile. J’admire ce jeune homme, qui, tandis que tous les autres ne viennent trouver le Seigneur que pour la guérison de leurs maladies, ne lui demande que la possession de la vie éternelle, malgré la pernicieuse passion de l’avarice qui, tout à l’heure, le jettera dans la tristesse.

S. Chrys. (hom. 63.) Ce jeune homme interroge le Sauveur comme s’il n’était qu’un homme ordinaire et un des docteurs des Juifs ; aussi Jésus-Christ ne lui répond que comme un homme. " Jésus lui répondit : Pourquoi m’appelez-vous bon, il n’y a que Dieu seul qui soit bon. " En parlant de la sorte, il ne prétend pas que les hommes ne puissent être bons, mais que leur bonté est nulle en comparaison de celle de Dieu. — Bède. Ce Dieu qui seul est bon, ce n’est pas seulement le Père, mais le Fils qui a dit de lui-même : " Je suis le bon Pasteur, " (Jn 10), et le Saint-Esprit, dont le Fils a dit : " Le Père enverra du haut des cieux le bon Esprit à ceux qui le demanderont. " (Lc 11) La Trinité une fit indivisible, le Père, le Fils, le Saint-Esprit, sont un seul et unique Dieu bon. Notre-Seigneur ne nie donc point qu’il soit bon, mais il indique qu’il est Dieu ; il ne nie pas qu’il soit bon maître, mais il affirme que sans Dieu, nul ne peut être bon maître. — Théophyl. Notre-Seigneur, par ces paroles, voulait élever les pensées de ce jeune homme jusqu’à le reconnaître pour Dieu. Elles renferment encore une autre leçon, c’est, lorsque vous devez conférer avec une personne, de vous garder de toute flatterie, et de tenir les yeux fixés sur Dieu, racine et source de toute bonté, et de lui rendre l’honneur qui lui est dû.

Bède. La fidélité aux prescriptions de la loi donnait droit, non-seulement aux biens de la terre comme récompense, mais à la vie éternelle. Aussi, à ce jeune homme qui lui demande les conditions de la vie éternelle ; Jésus répond : " Vous connaissez les commandements : Vous ne commettrez point d’adultère, vous ne tuerez point, " etc. Voilà cette innocence de l’enfant que nous devons imiter si nous voulons entrer dans le royaume de Dieu. " Ce jeune homme lui répondit : Maître, j’ai observé toutes ces choses dès ma jeunesse. " Ne supposons pas, comme quelques-uns, que ce jeune homme ait voulu tenter le Seigneur, ou qu’il ait exagéré le mérite de sa vie. Non, quelques il a dit simplement ce qu’elle avait été, comme le prouve ce qui suit : " Jésus le regardant l’aima, " etc. Or, s’il eût été coupable de mensonge ou de dissimulation, comment Jésus, le scrutateur des cœurs, aurait-il pu l’aimer ? — Origène. L’affection que Jésus témoigna à ce jeune homme par le baiser qu’il lui donna atteste la vérité de ce qu’il venait de dire de sa fidélité à garder tous les commandements. Jésus pénétrant dans son âme en vertu de sa science divine, vit que ce témoignage ne pouvait sortir que d’une bonne conscience.

S. Chrys. Il n’est pas sans intérêt d’examiner comment Jésus a pu aimer un homme qui ne devait pas le suivre. Or, voici ce que l’on petit dire : quant à la première partie de sa vie où il avait observé toute la loi dès sa jeunesse, il était digne de l’amour du Sauveur ; dans la seconde, il n’a point, il est vrai, embrassé la voie de la perfection, mais il n’a point mérité non plus de voir diminuer l’affection que Jésus lui avait témoignée. Il n’a point dépassé les limites de la faiblesse humaine en refusant de suivre Jésus-Christ, mais il ne s’est rendu coupable d’aucun crime, il a été fidèle observateur de la loi selon la mesure ordinaire, et c’est cette fidélité qui l’a rendu digne de l’amour de Jésus-Christ. — Bède. En effet, le Seigneur aime ceux qui accomplissent fidèlement les commandements de la loi, qui ne sont cependant que le moindre degré de la perfection, mais il ne laisse pas de montrer l’insuffisance de la loi pour ceux qui aspirent à la perfection, car il n’est pas venu détruire la loi, mais l’accomplir. " Et Jésus lui dit : Il vous manque encore une chose : Allez, vendez toute ce que vous avez, donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel, puis venez et suivez moi. " Car tout homme qui veut être parfait, doit vendre ce qu’il possède, non pas en partie, comme Ananie et Sapphire, mais en totalité. — Théophile. Et lorsqu’il aura fait cette vente, il doit en distribuer le produit aux pauvres, et non pas aux histrions et aux débauchés.

S. Chrys. (hom. 63 sur S. Matth.) Ce n’est pas sans dessein que Notre-Seigneur promet à ce jeune homme, non la vie éternelle, mais un trésor : " Et vous aurez un trésor dans le ciel. " Il vient de lui parler du renoncement aux richesses et à tout ce qu’il possède, il lui apprend que les récompenses promises à ceux qui auront pratiqué ce renoncement, seront aussi élevées au-dessus des biens qu’ils auront quittés, que le ciel l’est au-dessus de la terre. — Théophile. Mais comme parmi les pauvres, il en est qui sont dominés par l’orgueil, par l’intempérance, ou par quelque autre inclination vicieuse, Notre-Seigneur ajoute : " Puis venez et suivez-moi. " — Bède. Suivre Notre-Seigneur, c’est l’imiter et marcher sur ses traces.

" Mais ce jeune homme, affligé de ces paroles, s’en alla tout triste. " — S. Chrys. L’Evangéliste nous fait connaître la cause de sa tristesse : " Car il avait de grands biens. " En effet, les dispositions de notre cœur sont différentes suivant que nous avons beaucoup ou peu de biens ; ajouter sans cesse de nouvelles richesses à celles qu’on possède déjà, c’est développer dans son cœur l’ardeur de la convoitise.

" Alors Jésus jetant ses regards autour de lui, dit à ses disciples : Qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume des cieux ! " — Théophyl. Il ne dit pas que les richesses soient mauvaises en elles-mêmes, mais ceux-là seuls sont mauvais qui ne les possèdent que pour les conserver. Cardans les desseins de Dieu, les richesses ne nous sont point données pour les garder et les conserver, mais pour les utiliser dans nos besoins et les faire servir à notre usage. — S. Chrys. Or, Notre-Seigneur tient ce langage à ses disciples, qui étaient pauvres et dénués de tout, pour leur apprendre à ne pas rougir de leur pauvreté, et comme pour s’excuser à leurs yeux de l’indigence où il les laisse. " Et les disciples étaient tout étonnés de ce discours. " Il est évident que pauvres qu’ils étaient, ils n’étaient affectés que ce qui intéressait le salut des autres.

Bède. Cependant, il y a une grande différence entre la possession et l’amour des richesses ; aussi Salomon ne dit pas : " Celui qui possède, " mais " celui qui aime les richesses, n’en retirera aucun fruit. " (Qo 5, 9.) C’est pour la même raison que Jésus explique à ses disciples étonnés la sens de la maxime qu’il vient d’émettre : " Et Jésus ajouta : Mes petits enfants, qu’il est difficile à ceux qui mettent leur confiance dans les richesses d’entrer dans le royaume de Dieu ! " Remarquez qu’il ne dit pas : Qu’il est impossible ! mais " qu’il est difficile ! " Car ce qui est impossible ne peut se faire en aucune façon, tandis que par de grands efforts, on peut triompher de toute difficulté. — S. Chrys. Ou peut dire aussi que cette difficulté est ici une véritable impossibilité ; une impossibilité qui n’est pas ordinaire et dont il fait ressortir la grandeur par la comparaison suivante : " Il est plus aisé qu’un chameau passe par le chas d’une aiguille, qu’il ne l’est à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. " — Théophile. Par chameau, il faut entendre, ou l’animal qui porte ce nom, ou ce gros câble dont on fait usage pour les grands navires. — Bède. Comment donc voyons-nous, soit dans l’Evangile, Matthieu, Zachée, Joseph d’Arimathie ; soit dans l’Ancien Testament, un si grand nombre de riches qui ont entré dans le royaume de Dieu ? C’est que l’inspiration divine leur avait appris à compter pour rien leurs richesses, ou même à les abandonner entièrement. Dans un sens plus élevé, il est plus facile à Jésus-Christ de souffrir pour ses amis, qu’aux amateurs du siècle de se convertir à Jésus-Christ. C’est lui que nous devons voir sous l’emblème de ce chameau, parce qu’il a voulu porter sur lui le fardeau de nos péchés. L’aiguille signifie les traits perçants, c’est-à-dire, les douleurs aiguës de sa passion. Le trou de cette aiguille, ce sont les angoisses de sa passion dont il s’est servi pour remettre à neuf les vêtements usés de notre vieille nature : " Ils furent remplis d’un étonnement beaucoup plus grand, et ils se disaient l’un à l’autre : Qui peut donc être sauvé ? " Comme le nombre des pauvres qui peuvent être sauvés est incomparablement plus grand que celui des riches qui se perdent, il est évident que dans la pensée des Apôtres, il faut mettre au nombre des riches, tous ceux qui aiment les richesses, bien qu’ils ne puissent les acquérir. " Mais Jésus les regardant leur dit : Cela est impossible aux hommes, mais non pas à Dieu. " Ce qui ne veut pas dire que les avares et les orgueilleux puissent entrer dans le royaume des deux avec leur avarice et leur orgueil ; mais Dieu peut les convertir de la cupidité et de l’orgueil, à la charité et à l’humilité chrétienne.

S. Chrys. (hom. 63.) C’est là vraiment, suivant le Sauveur, l’œuvre de Dieu, c’est-à-dire que celui que Dieu appelle à cette vocation, a besoin d’un secours extraordinaire de la grâce. D’où nous pouvons conclure combien grande sera la récompense des riches qui auront consenti à suivre la divine sagesse de Jésus-Christ.

Théophile. On peut encore donner un autre sens à ces paroles : " Cela est impossible aux hommes, mais non pas à Dieu. " C’est-à-dire que ce qui nous est impossible lorsque nos pensées sont toutes terrestres, nous devient possible lorsque nous écoutons Dieu. " Car toutes choses sont possibles à Dieu. " Toutes choses, c’est-à-dire tous les êtres, car le péché n’est pas un être, il n’a ni nature ni substance. Ou bien encore, le péché est le résultat non de la force, mais de la faiblesse, et il est impossible à Dieu aussi bien que la faiblisse. Mais Dieu peut-il donc faire que ce qui a été fait ne l’ait pas été ? Je réponds que Dieu est la vérité ; or, il est contraire à la vérité de faire que ce qui a été n’ait pas existé. Or, comment la vérité pourrait-elle agir contre la vérité ? Il faudrait, comme le disent quelques-uns, qu’elle commençât par détruire sa propre nature. Mais Dieu peut-il cesser d’être Dieu ? C’est une absurdité de le penser.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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