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Lc  20  9-18

Eusèbe. Les princes des Juifs s’étant trouvés réunis dans le temple, Jésus leur prédit sous le voile de cette parabole les excès auxquels ils allaient se porter contre lui, et la destruction de leur nation qui devait en être le châtiment : « Alors il commença à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, » etc. — S. Augustin. (acc. des Evang., 2, 70.) Saint Matthieu, pour abréger, passe sous silence cette circonstance rapportée par saint Luc : que le Sauveur raconta cette parabole, non seulement aux principaux d’entre les Juifs qui l’avaient interrogé sur sa puissance, mais encore à tout le peuple. — S. Ambr. La plupart des interprètes diffèrent sur la signification de la vigne dont parle ici Notre-Seigneur, mais il faut s’en tenir à l’explication d’Isaïe, qui dit clairement que la vigne du Dieu des armées, c’est la maison d’Israël. (Is 5.) Quel autre que Dieu a planté cette vigne ? — Bède. Cet homme qui a planté cette vigne est le même qui, dans une autre parabole, loue des ouvriers pour travailler à sa vigne. — Eusèbe. Mais dans la parabole d’Isaïe c’est à la vigne que le Seigneur adresse ses reproches ; ici au contraire, ce n’est pas à la vigne, mais aux vignerons : « Il la loua à des vignerons, c’est-à-dire, aux anciens du peuple, aux princes des prêtres et aux grands de la nation. — Théophile. Ou bien encore : tout homme est à la fois la vigne et je vigneron, car chacun de nous se cultive lui-même. Or, après avoir ainsi confié sa vigne aux vignerons, il s’en alla, c’est-à-dire qu’il les laissa faire à leur gré : « Puis il s’en alla pour longtemps en voyage. » — S. Ambr. Ce n’est pas que le Seigneur se transporte d’un lieu dans un autre, lui qui est toujours présent partout, mais parce qu’il fait sentir plus particulièrement sa présence à ceux qui l’aiment, et son absence à ceux qui l’oublient. Il fut longtemps absent, pour que la demande de ce qui lui était dû ne parût point prématurée ; car plus la générosité à fait preuve d’indulgence, plus la résistance est inexcusable.

S. Cyrille. Ou encore : Dieu fut absent de sa vigne pendant une longue suite d’années, parce qu’en effet depuis qu’il apparut au milieu du feu sur le mont Sinaï (Ex 19), il ne manifesta plus sa présence d’une manière sensible. Cependant il ne cessa d’envoyer sans interruption à son peuple des prophètes et des justes pour lui rappeler ses devoirs : « Le temps de la vendange étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons, afin qu’ils lui donnassent du fruit de la vigne. » — Théophile. Il dit : « Du fruit de la vigne, » parce qu’il ne réclamait pas la totalité, mais seulement une partie des fruits ; car qu’est-ce que Dieu peut gagner de nous, si ce n’est la connaissance que nous avons de lui et qui encore tourne à notre avantage ? — Bède. C’est à dessein qu’il parle du fruit et non du revenu de la vigne, car elle ne produisit jamais aucun revenu. Or, le premier serviteur que Dieu envoya, fut Moïse, qui pendant quarante ans (Ps 94, 19) demanda aux vignerons quelque fruit de la loi qu’il leur avait donnée ; mais au contraire : « Il fut affligé à cause d’eux, car ils aigrirent son esprit » (Ps 105, 32) : « Mais eux l’ayant battu, dit Notre-Seigneur, le renvoyèrent les mains vides. »

S. Ambr. Il leur envoya encore plusieurs autres serviteurs que les Juifs renvoyèrent avec toute sorte d’outrages, et sans en avoir tiré aucun profit : « Il envoya encore un autre serviteur, » etc. — Bède. Cet autre serviteur, c’est David qui fut envoyé de Dieu après la promulgation de toutes les observances de la loi, pour exciter par les chants harmonieux des psaumes ; les ouvriers de la vigne à la pratique des bonnes oeuvres. Mais au lieu de l’écouter, ils dirent : « Quelle part avons-nous avec David, et qu’attendons-nous du fils d’Isaïe ? » (2 R 20, 1 ; 3 R 12, 16) : « Et ayant aussi battu et chargé d’outrages ce second serviteur, ils le renvoyèrent les mains vides. » Cependant le maître ne s’en tint pas là : « Il en envoya un troisième, » c’est-à-dire le choeur des prophètes, qui ne cessèrent de faire entendre au peuple leurs enseignements et leurs réclamations. Mais quel est celui des prophètes que ce peuple n’ait persécuté ? « Ils le blessèrent, et le jetèrent dehors. » Notre-Seigneur, dans ces trois serviteurs différents, a voulu comprendre les docteurs de la loi mosaïque ; interprétation qu’il autorise lui-même lorsqu’il dit dans un autre endroit : « il est nécessaire que tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes s’accomplisse. » (Lc 24, 44.)

Théophile. Après que les prophètes eurent souffert tous ces outrages, Dieu résolut d’envoyer son Fils. Alors le maître de la vigne dit : « Que ferai-je ? » — Bède. Si le Seigneur s’exprime ici en termes dubitatifs, ce n’est point par ignorance de ce qu’il doit faire, (car qu’est-ce que Dieu peut ignorer ?) mais il emploie cette forme dubitative pour laisser à l’homme le libre usage de sa volonté. — S. Cyrille. (Ch. des Pèr. gr.) Le maître de la vigne parait délibérer en lui-même sur ce qu’il doit faire, non pas qu’il manque de serviteurs, mais parce qu’après avoir tenté tous les moyens de sauver les hommes, sans qu’ils en aient jamais profité, il a eu recours à un moyen qui surpasse tous les autres : « J’enverrai mon fils bien aimé, peut-être qu’en le voyant ils le respecteront. » — Théophile. S’il parle de la sorte, ce n’est pas qu’il ignorât qu’ils le traiteraient plus cruellement encore qu’ils n’avaient traité les prophètes, mais parce que le fils avait plus de droits à leurs respects que les serviteurs, et qu’ils mettraient le comble à leurs crimes en refusant de lui obéir et en le mettant à mort. S’il emploie encore ici la forme dubitative, c’est donc pour qu’on ne pût dire que la prescience divine avait été la cause de leur désobéissance.

S. Ambr. Les Juifs perfides voulant se défaire du Fils unique que Dieu leur envoyait, et qu’ils refusaient de reconnaître pour héritier, le chassèrent en le reniant, et le mirent à mort en l’attachant à une croix : « Les vignerons l’ayant vu, dirent en eux-mêmes : Voici l’héritier, tuons-le, afin que l’héritage soit pour nous. » Jésus-Christ est tout à la fois l’héritier et le testateur ; l’héritier, parce qu’il a survécu à sa propre mort, et que nos progrès dans le bien sont comme les biens héréditaires qu’il reçoit en vertu des testaments qu’il a faits en notre faveur. — Bède. Notre-Seigneur prouve ici de la manière la plus évidente que ce n’est point par ignorance, mais par envie que les princes des Juifs ont crucifié le Fils de Dieu. Car ils comprirent que c’était à lui que s’appliquaient ces paroles du Roi-prophète : « Je vous donnerai les nations pour héritage, » (Ps 2.) « Et l’ayant jeté hors de la vigne, ils le tuèrent. » En effet, « Jésus, afin de sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors la porte de la ville. » (He 13.) — Théophile. Comme nous avons expliqué plus haut la vigne du peuple juif plutôt que de la ville de Jérusalem, peut-être serait-il plus naturel de dire ici que le peuple a mis à mort le Fils hors de la vigne, dans ce sens que le Fils de Dieu n’a point souffert par ses mains, parce qu’en effet, il ne le fit pas mourir de ses propres mains, mais le livra à Pilate et aux mains des Gentils. Il en est qui par la vigne entendent la sainte Écriture, ce fut pour avoir, refusé d’y croire qu’ils mirent le Seigneur à mort, et c’est pour cela qu’il est dit qu’ils le firent mourir hors de la vigne, c’est-à-dire hors de l’Écriture. — Bède. Ou bien encore : il a été jeté hors de la vigne avant d’être mis à mort, parce qu’il a été repoussé du coeur des infidèles avant d’être attaché à la croix.

S. Chrys. C’est par un dessein de miséricorde et non par oubli ou indifférence que Dieu a envoyé Jésus-Christ après les prophètes. En effet, Dieu ne précipite pas l’exécution de ses oeuvres, mais son amour use à notre égard d’une grande condescendance ; n’est-il pas vrai que si les Juifs ont maltraité le fils qui venait après les serviteurs, à plus forte raison ne l’auraient-ils pas écouté tout d’abord ? Comment auraient-ils pu entendre des enseignements plus élevés, eux qui ne voulaient même pas entendre les plus simples ?

S. Ambr. Le Sauveur leur adresse ensuite une question pour qu’ils prononcent eux-mêmes leur condamnation : « Que leur fera donc le maître de la vigne ? » — S. Basile. (sur le chap. 6 d’Isaïe.) Il leur parle de la sorte comme à des criminels qui n’ont rien à opposer à la justice de leur condamnation. Or, c’est le propre de la miséricorde divine de ne jamais punir sans avertir, sans prédire les châtiments dont les coupables sont menacés pour exciter en eux un repentir salutaire : « Il viendra et exterminera ces vignerons et donnera sa vigne à d’autres. » — S. Ambr. Il annonce que le maître de la vigne viendra, parce que le Fils a la même majesté et la même puissance que le Père, ou parce que dans les derniers temps il fera sentir plus sensiblement sa présence pour répondre aux désirs des hommes.

S. Cyrille. Les principaux d’entre les Juifs ont donc été rejetés comme rebelles à la volonté du Seigneur, et pour avoir laissé stérile la vigne qui leur avait été confiée. La culture de cette vigne a été donnée aux prêtres du Nouveau-Testament. Or, dès qu’ils comprirent l’application de cette parabole, ils voulurent s’y soustraire : « Ce qu’ayant entendu, ils lui dirent : A Dieu rie plaise. » Et cependant ils n’en devinrent pas meilleurs, par suite de leur opiniâtreté et de leur résistance à la foi en Jésus-Christ.

Théophile. Le récit de saint Matthieu paraît tant soi peu différent, puisqu’à cette question du Seigneur : « Que fera donc aux vignerons le maître de la vigne ? » les Juifs répondent : « Il fera périr misérablement ces misérables. » (Mt 21.) Cependant il n’y a ici aucune contradiction, et les deux récits sont également vrais. En effet, les Juifs ont d’abord rendu cette sentence ; puis, quand ils comprirent le but de cette parabole, ils se récrièrent et dirent : « A Dieu ne plaise, » comme saint Luc le raconte ici. — S. Augustin. (De l’accord des Evang., 4, 70.) Ou bien encore, dans la multitude qui entourait le Sauveur, il en était qui lui avaient demandé astucieusement par quelle puissance il faisait ces choses ; il en était aussi qui, sans aucun artifice et de bonne foi, l’avaient acclamé en disant : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur. » Et ce sont ces derniers qui ont pu dire : « Il fera périr misérablement ces misérables, et donnera sa vigne à d’autres. » On peut aussi attribuer cette parole au Seigneur, soit qu’il l’ait dite véritablement, soit à cause de l’union de ses membres avec leur chef. D’autres aussi ont pu répondre à ceux qui prononçaient cette sentence : « A Dieu ne plaise, » parce qu’ils comprenaient que cette parabole était dirigée contre eux.

« Mais Jésus les regardant, dit : Qu’est-ce donc que cette parole de l’Écriture : « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient, est devenue le sommet de l’angle ? » — Bède. C’est-à-dire, comment s’accomplira cette prophétie, si ce n’est lorsque le Christ que vous avez rejeté et mis à mort, sera prêché aux Gentils, qui croiront en lui, et que, comme une pierre angulaire, il se bâtira un seul temple avec les deux peuples. — Eusèbe. Le Christ est comparé ici à une pierre à cause de son corps d’une nature terrestre ; cette pierre a été détachée de la montagne sans la main d’aucun homme, selon la vision de Daniel (Dn 2, 34), parce qu’il est né d’une vierge : cette pierre n’est ni d’argent ni d’or, parce qu’il n’a point paru comme un roi resplendissant de gloire, mais comme un homme humble et méprisé ; aussi ceux qui bâtissaient l’ont rejeté. — Théophile. Les princes du peuple l’ont rejeté, lorsqu’ils ont dit « Cet homme ne vient pas de Dieu. » (Jn 7, 16.) Et cependant cette pierre était si utile et d’un si grand choix, qu’elle est devenue le sommet de l’angle. — S. Cyrille. L’angle, dans le langage de la sainte Écriture, représente l’union des deux peuples Juif et Gentil dans une même foi (Ep 2; 1 P 2), car de ces deux peuples le Sauveur n’a formé lui-même qu’un seul homme nouveau, et les réunissant tous deux en un seul corps, les a réconciliés à Dieu. Il est donc une pierre de salut pour l’angle qu’il a construit, mais il devient une cause de ruine pour les Juifs qui s’opposent à cette union spirituelle des deux peuples.

Théophile. Notre-Seigneur distingue ici deux condamnations ou deux ruines des Juifs : la ruine de leurs âmes, lorsque Jésus-Christ leur a été un objet de scandale, et il y fait allusion par ces paroles : « Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ; » la ruine de leur nation et sa dispersion dans tout l’univers, qui eurent pour cause cette pierre qu’ils avaient rejetée, comme l’indique le Sauveur : « Et celui sur qui elle tombera elle l’écrasera » (ou le réduira en poussière). En effet, les Juifs ont été dispersés loin de la Judée, dans tout l’univers, comme la paille qui est emportée par le vent. Et remarquez l’ordre des événements, d’abord le crime énorme qu’ils ont commis contre Jésus-Christ, et puis à la suite la juste vengeance de Dieu. — Bède. Ou encore, celui qui pèche, mais qui néanmoins continue de croire en Jésus-Christ, tombe sur la pierre et s’y brise, mais la pénitence lui ouvre encore une voie de salut ; celui au contraire sur qui tombera cette pierre (parce qu’il l’a rejetée), elle l’écrasera comme un vase dont il ne restera pas même un fragment pour aller puiser un peu d’eau. Ou bien encore, ceux qui tombent sur lui sont ceux qui le méprisent et qui ne périssent pas encore entièrement, mais qui sont brisés, en sorte qu’ils ne peuvent plus marcher droit. Mais pour ceux sur lesquels il tombe, il descendra du ciel pour leur infliger le juste châtiment de leurs crimes, et ils seront écrasés comme la poussière que, le vent disperse de dessus la face de la terre. (Ps 1.)

S. Ambr. Cette vigne est encore notre image, Dieu le Père est le laboureur, Jésus-Christ est la vigne, nous sommes les branches. (Jn 15.) C’est à juste titre que le peuple chrétien est appelé la vigne du Christ, ou parce qu’il porte sur le front le signe de la Croix, soit parce que son fruit n’est cueilli que dans la dernière saison de l’année, soit parce que dans l’Église, les pauvres et les riches, les serviteurs et les maîtres sont placés indistinctement comme les ceps de la vigne. De même que la vigne se marie aux arbres autour desquels elle s’enlace, ainsi le corps est étroitement uni à l’âme. Le vigneron diligent prend soin de cultiver et de tailler cette vigne, pour retrancher la trop grande abondance de feuilles et cette stérile ostentation de paroles qui paralyse la force naturelle de la vigne et empêche son fruit de parvenir à sa maturité. Enfin la vendange de cette vigne se fait par tout l’univers, puisqu’elle est répandue jusqu’aux extrémités du monde. — Bède. (sur S. Marc.) Ou encore, dans le sens moral, Dieu donne à chaque fidèle la vigne à cultiver, lorsqu’il lui confie le soin de faire fructifier le baptême qu’il a reçu. Il lui envoie cm premier, un second, un troisième serviteur, lorsqu’il lui fait lire la loi, les psaumes et les prophètes. Le serviteur qu’il envoie est couvert d’outrages et déchiré de coups, lorsqu’on méprise ou qu’on blasphème la parole qu’on entend ; et on met à mort l’héritier (autant qu’on peut le faire), lorsqu’on foule aux pieds le Fils de Dieu par ses péchés. (He 6.) Le mauvais vigneron ayant reçu le châtiment qu’il mérite, la vigne est confiée à un autre, lorsque l’humble fidèle s’enrichit du don de la grâce que le superbe a méprisé.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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