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Lc  19  1-10

S. Ambr. Zachée était monté sur un sycomore, l’aveugle était assis le long du chemin ; le Seigneur attend l’un pour le guérir, il honore l’autre en daignant descendre dans sa maison : « Jésus étant entré dans Jéricho, traversait la ville, » etc. C’est par un dessein particulier de Dieu que nous voyons paraître ici un chef de publicains ; car qui pourra désespérer de son salut, puisque cet homme, dont les richesses venaient en grande partie de la fraude, a cependant trouvé grâce devant Dieu ? Il était fort riche, pour vous apprendre que tous les riches ne sont pas nécessairement des avares. — S. Cyrille. Mais Zachée, de son côté, n’a point mis le moindre retard, et s’est ainsi montré digne de la miséricorde de Dieu, qui rend la vue aux aveugles, et appelle ceux qui sont éloignés.

Tite de Bostra. La semence du salut avait germé dans son âme, puisqu’il désirait voir Jésus : « Et il cherchait à voir Jésus pour le connaître. » Il ne l’avait jamais vu, car s’il l’eût vu une seule fois, il aurait renoncé depuis longtemps aux injustices de sa vie ; en effet, lorsqu’on a vu Jésus, il est impossible de persévérer dans l’iniquité. Or, deux choses s’opposaient à ce que Zachée pût voir Jésus : il en était empêché par la foule, moins des hommes que de ses péchés et de ses crimes, et il était d’ailleurs petit de taille : « Et il ne le pouvait à cause de la foule, parce qu’il était fort petit, » ajoute l’Évangéliste. — S. Ambr. D’où vient qu’il n’est fait mention dans l’évangile de la taille d’aucun autre que de celle de Zachée ? La raison n’en serait-elle pas qu’il était petit par suite de sa malice, ou qu’il était petit par son peu de foi ? car il n’était pas encore bien zélé, lorsqu’il monta sur cet arbre, il n’avait pas encore vu le Christ. — Tite de Bostra. Mais il eut une bonne inspiration, car il courut en avant et monta sur un sycomore, et il vit ainsi passer Jésus qu’il désirait tant de connaître : « Courant donc en avant, dit l’Évangéliste, il monta sur un sycomore pour le voir, parce qu’il devait passer par là. » Il désirait seulement voir Jésus, mais celui qui nous accorde toujours plus que nous ne demandons, lui donne au delà de ses espérances : « Arrivé à cet endroit, Jésus le vit. » Il vit son âme pleine du désir ardent de mener une vie sainte, et il l’inclina doucement vers la piété. — S. Ambr. Sans être invité, il s’invite lui-même à descendre chez lui : « Et l’ayant vu, il lui dit : Zachée, descendez vite, » etc. Il savait que l’hospitalité qu’il demandait serait largement récompensée, et bien qu’il n’eût pas encore entendu Zachée lui adresser d’invitation, il voyait les sentiments de son cœur.

Bède. Voici que le chameau a déposé la lourde protubérance qu’il portait sur son dos, et il passe par le trou d’une aiguille, c’est-à-dire, un riche, un publicain, sacrifie l’amour des richesses, renonce à tous ses profits frauduleux, et reçoit la bénédiction que lui apporte la visite du Sauveur : « Et il se hâta de descendre, et il le reçut avec joie. » — S. Ambr. Que les riches apprennent donc que le crime n’est pas dans les richesses, mais dans le mauvais usage qu’on en fait ; car si les richesses sont un moyen de perdition pour les méchants, elles sont dans la main des bons un puissant auxiliaire de leur vertu.

S. Chrys. (Ch. des Pèr. gr.) Considérez l’excessive bonté du Sauveur : innocent, il se mêle aux coupables ; source de toute justice, il entre en relation avec l’avarice qui est la cause de toute perversité ; en entrant dans la maison d’un publicain, sa sainteté n’est point obscurcie par les sombres vapeurs de l’avarice, qu’il dissipe au contraire par l’éclat de sa justice. Cependant les envieux, et ceux qui ne cherchaient qu’à le calomnier, s’efforcent d’incriminer sa conduite : « Voyant cela, tous murmuraient en disant : « Il est descendu chez un pécheur. » Mais Jésus, accusé d’être le convive et l’ami des publicains, dédaigne ces calomnies pour accomplir son oeuvre ; car le médecin ne peut guérir les malades qu’à la condition de supporter ce que leurs plaies ont de rebutant. C’est ce qui arriva, le publicain changea de vie et devint meilleur : « Mais Zachée, se tenant devant Jésus, lui dit : Voici, Seigneur, que je donne la moitié de mes biens aux pauvres, » etc. Entendez cette admirable résolution, Jésus n’a point encore parlé, et il obéit déjà. De même que le soleil, dont les rayons pénètrent dans une maison, l’éclaire non point par des paroles, mais par son action, ainsi le Sauveur dissipe les ténèbres de l’iniquité par les seuls rayons de sa justice, car il est la lumière qui luit dans les ténèbres. Tout ce qui est uni est fort, tout ce qui est divisé est faible, c’est pourquoi Zachée fait le partage de ses biens. Il faut avoir soin de remarquer que les richesses de Zachée n’étaient pas toutes le fruit de l’injustice, mais qu’elles provenaient aussi de son patrimoine. Comment aurait-il pu sans cela rendre le quadruple de ce qu’il avait acquis injustement ? Il savait que la loi prescrit de rendre le quadruple de tout bien mal acquis (Ex 22), afin que si l’on ne craint pas de violer la loi, on soit au moins arrêté par l’obligation onéreuse qu’elle impose. Mais Zachée n’attend pas la condamnation de la loi, il se fait lui-même son propre juge.

Théophile. Si nous voulons pénétrer plus avant, nous trouverons qu’il ne restait plus rien à Zachée de ses biens. Après avoir donné la moitié de ses biens aux pauvres, il emploie le reste à rendre le quadruple à tous ceux qu’il avait pu léser. Et non seulement il le promet, mais il le fait aussitôt, car il ne dit pas : Je donnerai la moitié de mes biens, et je rendrai quatre fois autant à ceux à qui j’ai fait tort, mais voici que je donne, et que je restitue. Aussi Jésus-Christ lui annonce-t-il qu’il a reçu le salut : « Jésus lui dit : Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison. » La maison ici signifie celui qui l’habite, et le Sauveur veut dire que Zachée a obtenu la grâce du salut. Il ajoute, en effet : « Parce que celui-ci est aussi enfant d’Abraham. » Or, il n’aurait pu dire d’un édifice matériel et inanimé qu’il était enfant d’Abraham. — Bède. Zachée est appelé enfant d’Abraham, non parce qu’il est né de sa race, mais parce qu’il a été l’imitateur de sa foi, et qu’il a renoncé à ses biens pour les distribuer aux pauvres, de même qu’Abraham avait quitté son pays et la maison de son père. Notre-Seigneur dit : « Il est aussi enfant d’Abraham, » pour nous apprendre que ce ne sont pas seulement ceux qui ont vécu dans la sainteté, mais ceux qui renoncent à leur vie injuste qui sont enfants de la promesse.

Théophile. Jésus ne dit pas que Zachée était fils d’Abraham, mais qu’il l’est maintenant ; car tant qu’il était chef des publicains, il n’avait aucun trait de ressemblance avec le juste Abraham, et ne pouvait être son fils. Cependant comme quelques-uns murmuraient de ce que le Sauveur était descendu dans la maison d’un pécheur, il calme leur indignation en ajoutant : « Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » — S. Chrys. Pourquoi me faire un crime de chercher à ramener les pécheurs ? Je suis si loin de les haïr, qu’ils sont la cause de ma venue sur la terre ; je suis venu comme médecin et non comme juge, aussi je ne dédaigne pas de devenir le convive des malades, et je supporte la mauvaise odeur de leurs plaies, afin de pouvoir y appliquer des remèdes plus efficaces. Mais on me demandera comment saint Paul défend aux chrétiens de manger avec un de leurs frères qui serait ou fornicateur, ou avare (1 Co 5, 11), tandis que nous voyons Jésus-Christ s’asseoir à la table des publicains. Je réponds que les publicains n’étaient pas encore élevés à la dignité de frères ; et d’ailleurs saint Paul défend tout commerce avec ceux de nos frères qui persévèrent dans le mal. Or, tels n’étaient point les publicains avec qui le Sauveur ne dédaignait pas de manger.

Bède. Dans le sens figuré, Zachée, qui veut dire justifié, représente le peuple des Gentils qui a embrassé la foi. Il était comme amoindri et rapetissé par les préoccupations de la terre, mais Dieu l’a grandi et sanctifié. Il a désiré voir Jésus qui entre dans Jéricho, lorsqu’il a cherché à participer à la foi que le Sauveur était venu apporter au monde. — S. Cyrille. La foule représente cette multitude ignorante et tumultueuse qui n’a pu élever ses regards jusqu’au sommet de la sagesse ; aussi longtemps que Zachée demeure dans la foule, il ne peut voir Jésus-Christ, mais aussitôt qu’il s’élève au-dessus de cette multitude ignorante, il mérite de recevoir dans sa maison celui qu’il désirait simplement de voir. — Bède. Ou bien encore la foule (c’est-à-dire les habitudes criminelles), qui défendait à l’aveugle de demander à Jésus par ses cris qu’il lui rendit la vue, est aussi l’obstacle qui empêche Zachée de voir le Sauveur. Or, de même que l’aveugle a triomphé de la foule en redoublant ses cris suppliants, ainsi Zachée qui était petit, s’est élevé au-dessus des obstacles de la foule, en abandonnant toutes les choses de la terre, et en montant sur l’arbre de la croix. En effet, le sycomore, dont les feuilles sont semblables à celles du mûrier, mais qui s’élève à une plus grande hauteur (ce qui lui a fait donner par les latins le nom de celsa, élevé), porte aussi le nom de figuier sauvage. Or, la croix du Seigneur est comme le figuier qui nourrit les fidèles, tandis que les incrédules s’en moquent comme d’une folie. Zachée qui était petit, monte sur cet arbre pour grandir sa taille ; ainsi le chrétien qui est humble et qui a la conscience de sa propre misère s’écrie : A Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n’est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. (Ga 6.) — S. Ambr. L’Évangéliste ajoute avec dessein : « Parce que le Seigneur devait passer par là, » soit où était le sycomore, soit où Zachée se trouvait lui-même. Le Sauveur voulait observer l’ordre mystérieux d’après lequel la grâce de la foi devait se répandre, et son dessein était d’annoncer l’Évangile aux Juifs avant de le porter aux Gentils. Il voit donc Zachée sur l’arbre, car déjà la sublimité de sa foi l’élevait au milieu des fruits des bonnes oeuvres à la hauteur d’un arbre fécond, Zachée est monté sur l’arbre, parce qu’en effet, il s’élève au-dessus de la loi.

Bède. Le Seigneur, en traversant la ville, arrive à l’endroit où Zachée était monté sur le sycomore. C’est ainsi qu’après avoir envoyé des prédicateurs dans la personne desquels il allait prêcher lui-même l’Évangile, Jésus arriva au milieu du peuple des Gentils, qui déjà s’était relevé de son état d’abaissement par la foi à sa passion ; le Sauveur jette sur lui un regard en le choisissant par sa grâce. Notre-Seigneur était aussi entré quelquefois dans la maison d’un des chefs des pharisiens, mais tandis qu’il y opérait des oeuvres dignes d’un Dieu, ils trouvaient le moyen de calomnier sa conduite. Aussi ne pouvant plus souffrir leur audace criminelle, il les abandonne en leur disant : « Votre maison sera laissée déserte. » (Mt 23.) Aujourd’hui, au contraire, il faut qu’il descende dans la maison de Zachée qui était petit, c’est-à-dire qu’il se repose dans le coeur des Gentils devenus humbles, en faisant briller à leurs yeux la grâce de la nouvelle loi. Zachée reçoit l’ordre de descendre de ce sycomore, et de préparer à Jésus une demeure dans sa maison ; c’est ce que l’Apôtre nous recommande par ces paroles : « Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte ; » (2 Co 5, 16) ; et par ces autres : « Encore qu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair ; il vit néanmoins maintenant par la vertu de Dieu. » (2 Co 13, 4.) Il est manifeste que les Juifs ont toujours été opposés au salut des Gentils ; mais cette grâce du salut qui remplissait autrefois les demeures des Juifs, brille aujourd’hui aux yeux des Gentils, parce qu’ils sont devenus eux-mêmes enfants d’Abraham, en imitant la foi qu’il avait en Dieu.

Théophile. Il est facile de tirer de ce récit des inductions morales. Ainsi celui qui a sur les autres la triste prééminence du vice, est très petit au point de vue spirituel, et il ne peut voir Jésus à cause de la foule, car embarrassé qu’il est par ses passions et par les préoccupations du monde, il ne voit point Jésus marcher, c’est-à-dire agir en nous, et il ne reconnaît aucune de ses opérations. Il monte sur un sycomore (c’est-à-dire qu’il s’élève au-dessus des fausses douceurs de la volupté figurées par cet arbre), il le domine, et de cette hauteur, il voit Jésus-Christ et en est vu. — S. Grég. (Moral., 27, vers la fin.) Ou encore, comme le sycomore est aussi appelé figuier sauvage (ficus fatua), Zachée, qui est petit, monte sur un sycomore, et voit ainsi le Seigneur, parce que ceux qui embrassent ce qui est une folie aux yeux du monde, contemplent dans tout son éclat la sagesse de Dieu. En effet, quelle folie plus grande pour le monde, que de ne pas chercher à recouvrer ce qu’on a perdu, d’abandonner ses biens à ceux qui les ravissent, et de ne pas rendre injure pour injure ? Or, c’est justement cette sage folie qui nous obtient de voir la sagesse de Dieu, sinon pleinement telle qu’elle est, du moins par la lumière de la contemplation.

Théophile. Or, le Seigneur lui dit : « Hâtez-vous de descendre, » c’est-à-dire : Vous êtes monté par la pénitence en un lieu élevé, descendez maintenant par un sentiment d’humilité, de peur que l’orgueil ne soit la cause de votre ruine, car je ne puis descendre que dans la maison de celui qui est humble. Il y a en nous deux sortes de biens, les biens du corps, et ceux de l’âme ; le juste se dépouille donc de tous ses biens corporels, mais il conserve les biens spirituels. De plus, s’il a fait tort à quelqu’un, il lui en rend quatre fois autant ; c’est-à-dire que celui qui, sous la conduite de la pénitence, marche dans un sentier tout opposé à la voie de ses anciennes iniquités, répare ainsi par ses nombreuses vertus tous ses péchés passés, il mérite ainsi la grâce du salut, et le nom d’enfant d’Abraham, parce qu’il s’est séparé de sa propre famille, c’est-à-dire de ses anciennes iniquités.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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