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Lc  16  8-13

S. Augustin. (quest. Evang., 2, 34.) Le maître ne laisse pas de louer cet économe, tout en le privant de son emploi, parce qu’il avait su se prémunir contre l’avenir : « Et le maître de l’économe infidèle le loua d’avoir agi prudemment. » Nous ne devons cependant pas tout imiter dans cet exemple, car il nous est défendu de faire tort à personne, aussi bien que de faire l’aumône avec le bien que nous avons dérobé. — Origène. (ou Géom. Ch. des Pèr. gr.) Mais comme les païens mettent la prudence au nombre des vertus, et la définissent la science du bien et du mal et de ce qui est indifférent, ou la connaissance de ce qu’il faut faire et de ce qu’il faut éviter, examinons si ce mot n’a qu’une signification ou s’il est susceptible de plusieurs sens. Nous lisons dans l’Écriture que Dieu a préparé (Pv 3, 19) les cieux par sa prudence. Il est donc certain que la prudence est bonne, puisque c’est par elle que Dieu a créé les cieux. Nous voyons encore dans la Genèse que le serpent était le plus prudent (Gn 3, 1) de tous les animaux ; la prudence ici n’est pas la vertu de prudence, mais un esprit de ruse qui est porté au mal. C’est dans ce dernier sens que le maître loue son économe d’avoir agi prudemment, c’est-à-dire avec ruse et finesse. Peut-être encore cette expression, « il le loua, » n’exprime pas un véritable éloge, mais a été dite dans un sens très étendu ; ainsi on dit d’un homme qu’il se distingue dans des choses indifférentes et de peu d’importance, et qu’il excite une espèce d’admiration par son talent de discussion et la vivacité qui mettent en relief la force de son esprit. — S. Augustin. (quest. Evang.) Ces paraboles sont tirées d’objets. qu’on peut appeler contraires ; si en effet cet économe, tout en se rendant coupable de fraude, a mérité les éloges de son maître, combien plus ceux qui font les mêmes bonnes oeuvres en se conformant aux préceptes de Dieu seront-ils assurés de lui plaire ?

Origène. (comme précéd.) Remarquez encore que Notre-Seigneur dit que les enfants de ce siècle sont non pas plus sages, mais plus prudents que les enfants de lumière ; et encore n’est-ce pas absolument parlant, mais dans leurs relations entre eux : « Car les enfants du siècle sont plus prudents envers leurs parents que les enfants de lumière, » etc. Notre-Seigneur distingue ici entre les enfants de lumière et les enfants de ce siècle, comme il distingue ailleurs entre les enfants du royaume et les enfants de perdition, car on est fils de celui dont on fait les oeuvres. — Théophile. Les enfants de ce siècle sont donc dans la pensée du Sauveur ceux qui sont tout entiers aux avantages de la terre ; et les enfants de lumière ceux qui recherchent les richesses spirituelles par un motif d’amour de Dieu. Or, il arrive que dans l’administration des choses humaines, nous prenons des dispositions prudentes à l’égard de nos biens, et nous avons un soin extrême de nous ménager un lieu de refuge et de repos dans le cas ou notre administration nous serait ôtée ; tandis que dans l’administration des choses divines nous ne savons pas prévoir ce qui pourra nous être utile pour l’avenir.

S. Grég. (Moral., XVIII, 14.) Si donc les hommes ne veulent pas se trouver les mains vides après leur mort, qu’ils placent avant leur dernier jour, leurs richesses dans les mains des pauvres : « Et moi je vous dis : Faites vous des amis avec les richesses d’iniquité, » etc.

S. Augustin. (Serm. 23, sur les par. du Seig.) Le mot hébreu mammona, signifie en latin richesses ; Notre-Seigneur veut donc dire : « Faites vous des amis avec les richesses d’iniquité. » Il en est qui par une fausse interprétation de ces paroles dérobent le bien d’autrui, pour en distribuer une partie aux pauvres, et qui s’imaginent accomplir le précepte qui leur est imposé. C’est une erreur qu’il faut redresser. Faites l’aumône avec le juste fruit de votre travail (Pv 3, 9), car vous ne pourrez tromper ni corrompre Jésus-Christ votre juge. Si vous offriez à un juge une partie de la dépouille d’un indigent, pour le disposer à juger en votre faveur, et qu’il se laissât en effet corrompre, la force de la justice est si grande que vous n’auriez aucune sympathie pour ce juge. Ne vous figurez pas un Dieu de la sorte, il est la source même de la justice : ne faites donc pas l’aumône avec des gains injustes et avec le fruit de l’usure, dirai-je aux fidèles à qui nous distribuons le corps de Jésus-Christ, mais si vous avez de l’argent acquis par cette voie, vous le possédez injustement. Cessez de commettre le mal ; Zachée dit au Sauveur : « Je donne la moitié de mes biens aux pauvres. » (Lc 19.) C’est avec ce pieux empressement qu’agit celui qui désire se faire des amis avec les richesses d’iniquité ; et dans la crainte de s’être rendu coupable d’ailleurs, il ajoute : « Et si j’ai fait tort à quelqu’un en quelque chose, je lui rends le quadruple. » Voici une autre explication : Toutes les richesses de ce monde, quelle que soit leur source sont appelées des richesses d’iniquité. Si vous cherchez les véritables richesses, il en est d’autres que Job possédait en abondance dans son entier dénuement, alors que son coeur était rempli de Dieu. Les richesses du monde au contraire sont appelées richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont point véritables, car elles sont remplies de pauvreté, et sujettes à mille vicissitudes : si elles étaient de véritables richesses, elles vous donneraient de la sécurité. — S. Augustin. (quest. Evang.) Ou bien encore on les appelle richesses d’iniquité, parce qu’elles ne sont qu’entre les mains des méchants qui placent en elles leur confiance et toute l’espérance de leur félicité. Au contraire lorsque les justes sont maîtres de ces richesses, ils ont entre les mains le même argent, mais leurs richesses à eux sont toute célestes et toutes spirituelles. — S. Ambr. Ou bien enfin il appelle ces richesses, des richesses d’iniquité, parce que l’avarice par les séductions variées qu’elles nous offrent, tente notre coeur, en cherchant à le réduire en esclavage.

S. Basile. Ou bien si vous héritez d’un patrimoine, peut-être est-il le fruit de l’injustice, car quel est celui qui parmi ses ancêtres, n’en trouvera nécessairement quelqu’un qui aura pris injustement le bien d’autrui ? Mais admettons que votre père n’a rien acquis par des voies injustes, d’où vient cet or que vous avez ? Si vous me répondez : Il vient de moi, vous ne connaissez pas Dieu, et n’avez aucune notion de votre Créateur ; si vous dites qu’il vient de Dieu, pour quelle raison l’avez vous reçu ? Est-ce que la terre et tout ce qu’elle contient n’appartient pas au Seigneur ? (Ps 23.) Si donc nos biens appartiennent à un commun maître, ils appartiennent aussi à vos semblables.

Théophile. On appelle donc richesses d’iniquité toutes celles que le Seigneur nous a données pour soulager les besoins de nos frères et de nos semblables, et cependant nous les réservons pour nous. Nous devions dès le principe distribuer tous nos biens aux pauvres ; mais après avoir été des économes infidèles qui avons retenu injustement ce qui était destiné aux besoins d’autrui, cessons de persévérer dans ces sentiments de cruauté, et donnons largement aux pauvres, afin qu’ils nous reçoivent un jour dans la céleste demeure : « Afin, poursuit Notre-Seigneur, que lorsque vous viendrez à défaillir, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. » — S. Grég. (Moral., XXI, 44.) Si donc nous devons à leur affection reconnaissante d’entrer dans les tabernacles éternels, nous devons en leur donnant être pénétrés de cette pensée que c’est moins une aumône que nous faisons aux pauvres, que des présents que nous offrons à des protecteurs (cf. Lc 3, 37). — S. Augustin. (Serm. 35, sur les par. du Seig.) Quels sont ceux, en effet, qui entreront dans les tabernacles éternels, si ce n’est les saints de Dieu, et quels sont ceux qu’ils recevront eux-mêmes dans ces tabernacles ? Ceux qui ont soulagé leur indigence, et leur ont donné avec joie ce qui leur était nécessaire. Ce sont là les humbles serviteurs du Christ qui ont tout quitté pour le suivre, et qui ont distribué tous leurs biens aux pauvres, pour servir Dieu avec un coeur dégagé de toutes les chaînes du siècle ; et s’élever vers le ciel comme sur des ailes, libres de tous les fardeaux accablants du monde.

S. Augustin. (Quest. évang., 2, 33.) Il n’est pas permis de regarder comme les débiteurs de Dieu ceux par qui nous voulons être reçus dans les tabernacles éternels ; car ce passage désigne clairement les justes et les saints qui introduiront dans le ciel ceux qui ont soulagé leur indigence, en partageant avec eux les biens de la terre. — S. Ambr. Ou bien encore : « Faites-vous des amis avec les richesses d’iniquité, » afin que les aumônes que vous distribuerez aux pauvres, vous obtiennent les bonnes grâces des anges et des autres saints. — S. Chrys. Remarquez qu’il ne dit pas : « Afin qu’ils vous reçoivent dans leurs demeures, » car rigoureusement parlant, ce ne sont pas eux qui vous reçoivent. Aussi le Sauveur après avoir dit : « Faites-vous des amis, » ajoute : « avec les richesses d’iniquité, » pour montrer que l’amitié des saints ne sera pour nous un véritable appui, qu’autant que nous serons accompagnés de nos bonnes oeuvres, et que nous nous serons dépouillés, suivant la justice, de toutes les richesses acquises injustement. L’aumône est donc le premier et le plus savant des arts ; car elle ne nous bâtit pas des maisons de terre, mais nous procure la vie éternelle. Tous les autres arts ont besoin de leur mutuel appui ; mais pour l’exercice de la miséricorde, la volonté seule est nécessaire.

S. Cyrille. C’est ainsi que Notre-Seigneur Jésus-Christ enseigne à ceux qui ont de grandes richesses en partage, à rechercher par dessus tout l’amitié des pauvres, et à se préparer des trésors dans le ciel. Mais il connaissait l’apathie du coeur humain qui, une fois dominé par la passion d’acquérir, n’exerce plus aucune oeuvre de charité envers les pauvres. il n’a plus à espérer par conséquent aucun fruit des dons spirituels, suivant la déclaration expresse du Sauveur : « Celui qui est fidèle dans les petites choses, est fidèle aussi dans les grandes, et celui qui est infidèle dans les petites choses, est infidèle aussi dans les grandes. » Notre-Seigneur nous ouvre ici les yeux du coeur, et nous donne le vrai sens de ces paroles en ajoutant : « Si vous n’avez pas été fidèles dans les richesses trompeuses, qui vous confiera les biens véritables ? » Les petites choses sont donc les richesses d’iniquité, c’est-à-dire les biens de la terre quine sont rien pour ceux qui ont le goût des choses du ciel. Or, je pense qu’on est fidèle dans les petites choses, lorsque l’on consacre ces richesses si peu importantes au soulagement de l’infortune. Si donc nous sommes infidèles dans ces petites choses, comment pourrons-nous obtenir le don véritable et fécond des grâces de Dieu, qui imprime à nos âmes le sceau de la ressemblance divine ? Et la suite fait voir que tel est le sens des paroles du Sauveur : « Et si vous n’avez pas été fidèles dans un bien étranger, qui vous donnera votre bien propre ? » — S. Ambr. Les richesses nous sont comme étrangères, parce qu’elles sont en dehors de notre nature, elles ne naissent pas avec nous, elles ne meurent pas avec nous ; Jésus-Christ, au contraire, est véritablement à nous, parce qu’il est la vie des hommes, et en venant parmi eux, il est venu dans son propre bien. (Jn 1, 4.11.)

Théophile. Notre-Seigneur nous a donc enseigné jusqu’ici avec quelle fidélité nous devons administrer nos richesses ; mais comme nous ne pouvons en faire un usage conforme à la volonté de Dieu, sans que notre coeur soit complètement dégagé de l’affection aux richesses, il ajoute : « Personne ne peut servir deux maîtres. » — S. Ambr. Ce n’est pas, sans doute, qu’il existe deux maîtres, il n’y en a qu’un seul qui est Dieu. Il en est qui se rendent les esclaves des richesses, mais les richesses n’ont par elles-mêmes aucun droit, aucune autorité sur les hommes, ce sont eux qui se soumettent volontairement à ce honteux esclavage. Il n’y a qu’un seul Maître, parce qu’il n’y a qu’un seul Dieu, par conséquent le Père et le Fils ont une seule et même puissance. Le Sauveur donne la raison de ce qu’il vient de dire : Car ou il haïra l’un, et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. » — S. Augustin. (Quest. évang., 2, 36.) Ne croyons pas que ces paroles aient été dites au hasard et sans dessein. Sans doute, il n’est pas un homme qui, à cette question : Aimez-vous le démon, ne réponde que loin de l’aimer, il l’a en horreur ; tandis que presque tous se font gloire de proclamer qu’ils aiment Dieu. Voici donc le sens de ces paroles : Il haïra l’un (c’est-à-dire le démon), et aimera l’autre (c’est-à-dire Dieu) ; ou il s’attachera à l’un (c’est-à-dire au démon, en recherchant ses faveurs temporelles) ; et méprisera l’autre (c’est-à-dire Dieu), comme font tant, de chrétiens qui mettent leurs passions au-dessus de ses menaces, et qui se flattent d’obtenir de sa bonté l’impunité de leurs crimes.

S. Cyrille. La conclusion de tout ce discours est dans ces paroles : « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent. » Renonçons donc aux richesses et mettons tous nos soins et tout notre zèle à servir Dieu seul. — Bède. (tiré de S. Jérôme.) Que l’avare entende ces paroles ; « On ne peut servir à la fois les richesses et Jésus-Christ. Et cependant remarquez que le Sauveur n’a pas dit : Celui qui possède des richesses, mais : « Celui qui est l’esclave des richesses ; » car celui qui est sous l’esclavage des richesses, les garde comme un esclave ; celui, au contraire, qui s’est affranchi de cette servitude, les distribue comme un maître. Or, celui qui est esclave des richesses, l’est aussi de celui qui a mérité, par sa perversité, d’être mis comme à la tête des. richesses de la terre, et qui est appelé pour cela le prince de ce siècle. (Jn 12 ; 2 Co 4.)

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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