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Lc  16  27-31

S. Grég. (hom. 40 sur les Evang.) Lorsque le riche, tourmenté au milieu des flammes, a perdu toute espérance pour lui-même, sa pensée se reporte vers les proches qu’il a laissés sur la terre : « Et il dit : Je vous prie donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. » — S. Augustin. (quest. évang.) Il demande qu’on envoie Lazare, parce qu’il comprend qu’il est indigne de rendre témoignage à la vérité, et comme il n’a pu obtenir le moindre rafraîchissement à ses souffrances, il espère beaucoup moins sortir des enfers pour aller faire connaître la vérité. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Voyez la perversité de cet homme, jusqu’au milieu de ses châtiments il ne peut reconnaître la vérité ; si Abraham est vraiment ton père, comment dis-tu : « Envoyez-le dans la maison de mon père ? » Tu n’as donc pas oublié ton père, tu ne l’as pas oublié, quoiqu’il ait été la cause de ta perte.

S. Grég. (hom. 40.) Le supplice des réprouvés leur inspire quelquefois une charité stérile, et fait qu’ils sont portés alors d’un amour tout particulier pour leurs parents, eux qui, dans l’affection qu’ils avaient pour leurs péchés ne s’aimaient pas eux-mêmes, c’est ce qui lui fait dire : « Car j’ai cinq frères, afin qu’il leur atteste qu’ils ne viennent pas aussi eux-mêmes dans ce lieu de tourments. »

S. Ambr. Ce mauvais riche s’y prend trop tard pour commencer à instruire les autres, alors qu’il n’y a plus de temps ni pour apprendre, ni pour enseigner. — S. Grég. (hom. 40.) Remarquons ici quel surcroît de souffrances pour ce riche, que les flammes tourmentent si cruellement. Dieu lui laisse pour son supplice la connaissance et la mémoire. Il reconnaît Lazare, qu’il ne daignait pas regarder pendant sa vie, il se souvient de ses frères qu’il a laissés sur la terre, car pour ajouter aux peines que souffrent les pécheurs, Dieu permet qu’ils voient la gloire de ceux qui ont été l’objet de leur mépris et qu’ils souffrent du châtiment de ceux qu’ils ont aimés d’une amitié stérile. A la demande que fait le riche que Lazare soit envoyé, Abraham répond : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent. »

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare.) C’est-à-dire, votre sollicitude pour le salut de vos frères, n’est pas plus grande que celle de Dieu, qui les a créés et leur a donné des docteurs pour les instruire et les exciter au bien. Moïse et les prophètes, ce sont les écrits de Moïse et les oracles prophétiques. — S. Ambr. Paroles par lesquelles Dieu montre jusqu’à la dernière évidence, que l’Ancien Testament est le ferme appui de notre foi, réprimant ainsi l’incrédulité des Juifs, et repoussant toutes les interprétations perverses des hérétiques.

S. Grég. (hom. 40.) Mais ce mauvais riche qui, pendant toute sa vie avait méprisé la parole de Dieu, croyait que ses parents n’en feraient pas plus de cas : « Et il dit : Non, père Abraham, mais si quelqu’un des morts va vers eux, ils feront pénitence. » — S. Chrys. (comme préc.) Comme il n’avait que du mépris pour les Écritures, et qu’il les regardait comme des fables, il jugeait ses frères d’après ses propres sentiments. — S. Grég. de Nysse. (Liv. de l’âme et de la résur.) Ces paroles contiennent encore une autre leçon, c’est que l’âme de Lazare est dégagée de toute sollicitude pour les choses présentes, et n’a pas un regard pour ce qu’elle a quitté. Le riche, au contraire, même après la mort, est encore attaché à la vie charnelle comme avec de la glu, car celui dont l’âme se plonge dans les affections de la chair, reste esclave de ses passions, même lorsque son âme est séparée de son corps. — S. Grég. (hom. 40.) Abraham fait au mauvais riche cette réponse pleine de vérité : « S’ils n’écoutent point Moïse et les prophètes, quelqu’un des morts ressusciterait, qu’ils ne croiraient point ; » parce qu’en effet, ceux qui méprisent les paroles de la loi, pratiqueront d’autant plus difficilement les préceptes du Rédempteur, qui est ressuscité des morts, qu’ils sont beaucoup plus sublimes.

S. Chrys. (disc. 4 sur Lazare.) Les Juifs sont une preuve que celui qui n’est point docile aux enseignements de l’Écriture, n’écouterait pas davantage un mort ressuscité à la vie, eux qui ont voulu tuer Lazare après sa résurrection et persécuté les Apôtres, bien qu’ils aient vu plusieurs morts ressuscités à l’heure du crucifiement (cf. Mt 27, 52). Mais pour vous convaincre encore davantage que l’autorité des Écritures et des prophètes est d’un plus grand poids que le témoignage d’un mort ressuscité, remarquez qu’un mort quel qu’il soit est un serviteur, tandis que tout ce qu’enseignent les Écritures, c’est Dieu, même qui l’enseigne. Ainsi donc qu’un mort ressuscite, qu’un ange descende du ciel, les Écritures sont beaucoup plus dignes de foi, car c’est le Seigneur des anges, le maître des vivants et des morts qui en est l’auteur. D’ailleurs, si Dieu avait jugé que la résurrection des morts pourrait être utile aux vivants, il n’eût pas omis ce moyen, de salut, lui qui se propose en tout notre utilité. Mais supposons de fréquentes résurrections de morts, on n’y ferait bientôt plus attention. ; le démon se servirait de ce moyen pour introduire des doctrines perverses en cherchant à imiter ce miracle par ses suppôts. Il ne pourrait sans doute ressusciter réellement les morts, mais il ferait illusion aux yeux des spectateurs par certains artifices, ou en exciterait quelques-uns à simuler une mort véritable.

S. Augustin. (Du soin qu’on doit avoir pour les morts, ch. XIV.) On me dira : Si les morts n’ont aucun souci des vivants, comment ce riche a-t-il pu prier Abraham d’envoyer Lazare vers ses cinq frères ? Mais cette prière du riche suppose-t-elle nécessairement qu’il connût alors ce que faisaient ces frères ou ce qu’ils pouvaient souffrir ? Il portait donc intérêt aux vivants, mais sans savoir aucunement ce qu’ils faisaient ; de même que notre sollicitude s’étend aux morts, bien que nous ignorions complètement leur état actuel. On demande encore : Comment Abraham connaissait-il Moïse et les prophètes, c’est-à-dire leurs livres ? comment avait-il pu savoir que le riche avait vécu dans les délices et Lazare dans les souffrances ? Nous répondons qu’il put le savoir, non pendant leur vie, mais après leur mort, lorsque Lazare le lui eut appris, explication qui ne détruit pas la vérité de ces paroles du prophète : « Abraham ne nous a pas connus. » (Is 63.) Les âmes des morts peuvent encore savoir quelque chose par le moyen des anges qui président aux choses d’ici-bas, L’esprit de Dieu peut enfin leur révéler, soit dans le passé, soit dans l’avenir, ce qu’il leur importe de connaître.

S. Augustin. (Quest. évang., 2, 38.) Dans le sens allégorique, on peut voir dans ce riche la figure des Juifs orgueilleux, « qui ne connaissaient point la justice de Dieu, et s’efforçaient d’établir leur propre justice. » (Rm 10.) La pourpre et le lin sont le symbole du royaume : « Le royaume de Dieu vous sera enlevé, » (Mt 21.) Ces festins splendides, c’est l’ostentation de la loi dans laquelle ils se glorifiaient par orgueil et pour se faire valoir plutôt que de la faire servir à leur salut. Ce mendiant, du nom de Lazare, qui signifie celui qui est assisté, représente la pauvreté des Gentils ou des publicains, qui obtiennent d’autant plus facilement du secours, qu’ils présument moins de leurs propres ressources. — S. Grég. (hom. 40.) Lazare, couvert d’ulcères, est la figure du peuple des Gentils, qui se convertit à Dieu et ne rougit pas de confesser ses péchés ; sa peau est couverte de blessures, car qu’est-ce que la confession des péchés, qu’une rupture de nos blessures intérieures ? Lazare, tout couvert d’ulcères, « désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, et personne ne lui en donnait, » parce que ce peuple orgueilleux ne daignait admettre aucun Gentil à la connaissance de la loi, et qu’il laissait tomber les paroles de cette science comme les miettes de sa table. — S. Augustin. (quest. évang.) Les chiens qui venaient lécher les ulcères du pauvre, figurent ces hommes profondément corrompus, dévoués au mal, qui ne cessent de louer à bouche ouverte les oeuvres d’iniquité qui sont l’objet des gémissements et des regrets publics de ceux qui les ont commises. — S. Grég. (hom. 40.) Quelquefois dans les saintes Écritures, les chiens représentent les prédicateurs, selon ces paroles du Psalmiste : « La langue de tes chiens s’abreuvera du sang de tes ennemis. » (Ps 67 ; cf. Is 56, 10.) En effet, la langue des chiens guérit les blessures qu’elle lèche, ainsi les saints docteurs, par les instructions qui suivent la confession de nos péchés, touchent pour ainsi dire avec leur langue les blessures de notre âme. Le riche a été enseveli dans les enfers, Lazare, au contraire, a été porté par les anges dans le sein d’Abraham, c’est-à-dire, dans ce séjour mystérieux de repos, dont la vérité a dit : « Beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et auront place avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. » C’est de loin que le riche lève les yeux pour voir Lazare, parce que c’est du fond de l’abîme où ils souffrent les peines dues à leurs péchés, que les infidèles aperçoivent au-dessus d’eux, jouissant d’un repos ineffable, les fidèles dont après le jugement dernier, ils ne pourront plus contempler le bonheur. C’est de loin qu’ils les aperçoivent, parce qu’ils ne peuvent y atteindre par leurs mérites. C’est surtout dans sa langue que le riche endure de plus vives souffrances, parce que ce peuple infidèle avait toujours à la bouche les paroles de la loi qu’il dédaignait de mettre en pratique. Il sera donc plus cruellement tourmenté dans sa langue qui manifestait à tous qu’il savait parfaitement ce qu’il refusait de pratiquer. Abraham l’appelle son fils, bien qu’il ne le délivre pas de ses tourments, parce que les ancêtres de ce peuple infidèle n’ont aucune compassion pour arracher au supplice ceux qu’ils reconnaissent bien comme étant leurs enfants, mais qui ont en si grand nombre abandonné les exemples de leur foi.

S. Augustin. (Quest. évanq., 2, 39.) Les cinq frères que le riche dit avoir dans la maison de son père, figurent les Juifs qui sont au nombre de cinq, parce qu’ils étaient soumis à la loi qui a été donnée par Moïse (cf. Jn 1, 17 ; 7, 19), et renfermée dans les cinq livres qu’il a écrits. — S. Chrys. (hom. sur le mauv. riche.) Ou bien ce riche avait cinq frères, c’est-à-dire, les cinq sens dont il était l’esclave ; aussi ne pouvait-il aimer Lazare, parce que ses frères n’aiment pas la pauvreté. Ce sont ces frères qui t’ont précipité dans ces tourments, ils ne peuvent être sauvés s’ils ne meurent, autrement il est nécessaire que les frères habitent avec leur frère. Mais pourquoi demande-tu que j’envoie Lazare ? Ils ont Moïse et les prophètes. Moïse a été lui-même pauvre comme Lazare, lui qui a estimé que la pauvreté de Jésus-Christ était un plus grand trésor que toutes les richesses de l’Egypte (He 12), Jérémie, jeté dans un lac, y fut nourri du pain de la tribulation. (Jr 38.) Tous ces prophètes sont là pour enseigner tes frères, mais ils ne peuvent être sauvés qu’autant que quelqu’un ressuscite des morts, car ces frères, avant la résurrection de Jésus-Christ, me conduisaient à la mort ; il est mort, mais ces frères sont ressuscités, et maintenant mes yeux voient Jésus-Christ, mes oreilles l’entendent, mes mains peuvent le toucher. Ce que nous venons de dire est la condamnation des marcionites et des manichéens, qui ne veulent point admettre l’Ancien Testament. Voyez ce que dit Abraham : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, » etc., paroles qui signifient : Vous faites bien d’attendre celui qui doit ressusciter des morts, mais c’est Jésus-Christ lui-même qui vous parle par la bouche des prophètes, et si vous les écoutez, c’est lui-même que vous écoutez. — S. Grég. (hom. 40.) Mais comme le peuple juif a refusé d’entendre dans le sens spirituel les paroles de Moïse, il n’a pu parvenir à celui que Moïse avait prédit et annoncé.

S. Ambr. On peut encore donner à cette histoire cet autre sens : Lazare est pauvre dans ce monde, mais il est riche aux yeux de Dieu. En effet, toute pauvreté n’est pas sainte, comme toute possession des richesses n’est pas nécessairement criminelle, c’est la vie molle et sensuelle qui déshonore les richesses, comme c’est la sainteté qui rend la pauvreté honorable. Ou bien encore, Lazare, c’est tout homme apostolique qui est pauvre par la parole et riche par la foi, qui s’attache à la vraie foi et ne recherche pas les vains ornements de la parole. Je comparerai cet homme à celui qui, souvent frappé de verges par les Juifs, offrait pour ainsi dire, à lécher aux chiens les ulcères de son corps (2 Co 11, 24 ; cf. Dt 25, 2.3). Heureux ces chiens qui ont léché les gouttes de sang pli découlait de ces plaies et qui remplit ainsi la bouche et le coeur de ceux qui doivent garder la maison, veiller sur le troupeau et le défendre contre les loups. Et comme le pain est la figure de la parole, et que la foi vient de la parole, les miettes de pain représentent certaines vérités de la foi, c’est-à-dire les mystères des Écritures. Les Ariens, qui recherchent avec tant d’empressement l’appui de la puissance royale pour attaquer la vérité de l’Église, ne vous paraissent-ils pas comme revêtus de pourpre et de fin lin ? Comme ils prêchent l’erreur et le mensonge en place de la vérité, ils multiplient leurs pompeux discours. C’est ainsi que la riche hérésie a composé je ne sais combien d’évangiles, tandis que la foi pauvre s’en est tenu au seul Évangile qu’elle a reçu de Dieu. La riche philosophie s’est fait plusieurs dieux, et l’Église pauvre n’a reconnu et adoré qu’un seul Dieu. Ces richesses ne vous semblent-elles pas être une véritable indigence, et cette indigence une véritable richesse ?

S. Augustin. (Quest. évang.) Ce récit peut encore recevoir une autre interprétation. Lazare serait la figure du Seigneur, étendu à la porte du riche, parce que les humiliations de son incarnation l’ont abaissé jusqu’aux oreilles superbes des Juifs. Il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche, c’est-à-dire, qu’il demandait aux Juifs les plus petites oeuvres de justice qui ne fussent pas enlevées par leur orgueil à sa table, c’est-à-dire à sa puissance, et qu’ils pussent au moins pratiquer, sinon sous l’influence d’une vie constamment vertueuse, au moins de temps en temps et par hasard, comme les miettes qui tombent de la table. Les ulcères, ce sont les blessures du Seigneur, les chiens qui venaient les lécher, ce sont les Gentils, que les Juifs regardaient comme immondes, et qui, cependant par tout l’univers, goûtent avec une pieuse suavité les plaies du Seigneur dans le sacrement de son corps et de son sang. Le sein d’Abraham, c’est le secret du Père, où Jésus-Christ est monté après sa résurrection ; il y a été porté par les anges, parce que ce sont les anges qui ont annoncé à ses disciples (Mt 28, 7 ; Mc 16, 7 ; Lc 24, 9), qu’il était remonté dans le sein du Père. L’interprétation que nous avons donnée plus haut peut s’appliquer au reste du récit, car le sein de Dieu peut très-bien s’entendre du lieu où (même avant la résurrection) les âmes des justes vivent dans la société de Dieu.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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