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Jn  8  44-47

S. Chrys. (hom. 54 sur S. Jean.) Notre-Seigneur a prouvé aux Juifs qu’ils n’avaient aucun droit à se dire la race d’Abraham, et comme ils élevaient plus haut encore leurs prétentions, en proclamant qu’ils avaient Dieu pour père, ils les confond de nouveau en leur disant : « Vous avez le démon pour père. » — S. Augustin. (Traité 42) Il faut nous garder ici de l’erreur des Manichéens, qui prétendent qu’il existe un certain principe du mal, une nation de ténèbres avec ses chefs, d’où le démon a tiré son origine, c’est de là aussi que notre chair puiserait la raison de son existence, et c’est pour confirmer cette opinion que le Sauveur dit aux Juifs : « Vous avez le démon pour père, » c’est-à-dire qu’ils seraient mauvais par nature, parce qu’ils tiraient leur origine de la nation des ténèbres, en hostilité avec Dieu.

Origène. (Traité 22) Ils sont tombés dans la même erreur que celui qui prétendrait que l’œil d’un homme qui voit, diffère quant à sa nature de l’œil de l’aveugle où de celui qui détourne les yeux de la lumière. Non la nature de l’œil est la même dans ces deux hommes, mais il y a une cause particulière qui empêche l’un de ces deux hommes de voir. Ainsi la nature de l’âme reste la même soit qu’elle se rende à la raison, soit qu’elle y résiste.

S. Augustin. (Traité 42.) Les Juifs étaient donc les enfants du démon, non par naissance, mais par imitation : « Et vous voulez accomplir les désirs de votre Père. » Ce qui vous fait ses enfants, ce n’est pas que vous soyez nés de lui, c’est que vous nourrissez les mêmes désirs. Car vous cherchez à me faire mourir, moi un homme qui vous ai dit la vérité ; et le démon a aussi porté envie au premier homme et l’a mis à mort : « Et il était homicide dès le commencement. » Il a été homicide à l’égard du premier homme qu’il a pu mettre à mort, puisqu’il n’aurait pu le mettre à mort avant qu’il commençât d’exister. Ce n’est point avec le glaive que le démon s’est présenté pour attaquer l’homme, il lui a suffi de semer dans son âme une mauvaise parole pour lui donner la mort. Ne vous regardez donc pas comme innocent d’homicide, lorsque vous persuadez le mal à votre frère. Mais pour vous, vous voulez exercer votre fureur sur mon corps, parce que vous ne pouvez rien sur mou âme.

Origène. Remarquez que le démon a mérité ce nom d’homicide dès le commencement, non pour avoir commis un seul homicide, mais pour avoir mis à mort tout le genre humain (en tant que tous les hommes sont morts dans Adam). — S. Chrys. (hom. 54.) Jésus ne leur dit pas : Vous faites les œuvres, mais : « Vous voulez accomplir les désirs de votre père, » pour exprimer la violente passion du meurtre qui les domine, à l’exemple du démon ; et comme ils lui reprochaient continuellement de ne point venir de Dieu, il leur insinue indirectement que celle pensée vient aussi du démon : « Et il n’est point demeuré dans la vérité. » — S. Augustin. (Cité de Dieu, 11, 13.) Il en est qui prétendent que dès le commencement de son existence, le démon n’est point demeuré dans la vérité, et qu’il n’a jamais eu part à la béatitude des saints anges ; car, disent-ils, il a refusé de se soumettre à son Créateur, et il est devenu aussitôt un esprit faux et trompeur, parce qu’au lieu de conserver par une humble soumission ce qu’il était véritablement, il a mieux aimé affecter par un excès d’orgueil, une élévation qui ne lui appartenait pas. Ce sentiment n’a rien de commun avec l’erreur des Manichéens qui enseignent que le démon tient sa nature mauvaise d’un principe essentiellement mauvais et opposé à Dieu. Séduits par la vanité de leurs pensées, ils ne font point attention que Notre-Seigneur n’a pas dit : Il fut étranger à la vérité, mais : « Il n’est pas demeuré dans la vérité, » ce qui indique qu’il est tombé des hauteurs de la vérité, (chap. 15) Ils entendent encore ces paroles de saint Jean : «Le démon pèche dès le commencement, » (1 Jn 3) dans ce sens qu’il n’a jamais été sans péché. Mais comment expliquer alors les témoignages contraires des prophètes ? celui d’Isaïe qui, voulant figurer le démon dans la personne du roi de Babylone, lui dit : « Comment est tombe du ciel Lucifer, ce bel astre qui se levait dès le matin ? » (Is 14) et celui d’Ezéchiel : « Vous avez été dans les délices du paradis de Dieu. » (Ez 28) Si l’on ne peut donner de ces deux passages une interprétation plus fondée, il faut les entendre dans ce sens que le démon a été dans la vérité, mais qu’il n’y a pas demeuré. Quant à ces paroles de saint Jean : « Le démon pèche dès le commencement, » il faut les entendre non point du moment qu’il a été créé, mais de celui où il a commencé à pécher. Car c’est en lui que le péché a commencé, et il a été lui-même le commencement du péché.

Origène. (Traité 20.) Il n’y a qu’une manière uniforme de demeurer dans la vérité, tandis qu’on en sort par des voies nombreuses et variées ; les uns dont les genoux sont chancelants, s’efforcent de demeurer dans la vérité, et ne peuvent y réussir ; d’autres, sans être aussi faibles, éprouvent la même hésitation au milieu des dangers, selon cette parole du Roi-prophète : « Pour moi, mes pieds ont été ébranlés ; » (Ps 71) d’autres enfin tombent et se détachent complètement delà vérité. Or, le Sauveur nous donne la raison pour laquelle le démon n’est pas resté fidèle à la vérité, « c’est que la vérité n’est point en lui, » c’est-à-dire qu’il s’est laissé entraîner par la vanité de ses pensées, et qu’il a été son propre séducteur, en cela d’autant plus méchant, que les hommes sont trompés par lui, tandis qu’il est lui-même l’auteur de sa déception. Mais dans quel sens est-il dit que la vérité n’est pas en lui ? Faut-il admettre qu’il n’a jamais possédé la véritable doctrine, et que toutes ses pensées ne sont que mensonge ? Ou bien ces paroles signifient-elles qu’il n’a jamais été participant de Jésus-Christ qui a dit de lui-même : « Je suis la vérité ? » Il est impossible, ce me semble, qu’une nature raisonnable ait des idées fausses sur toutes choses, et n’aperçoive pas, ne fût-ce qu’une petite partie de la vérité, et le démon comprend au moins cette vérité qu’il est lui une nature raisonnable. L’essence de sa nature n’est donc pas contraire à la vérité, elle n’est pas un composé d’erreur et d’impuissance ; car alors il ne pourrait jamais connaître la vérité. — S. Augustin. (Cité de Dieu, 11, 18.) Ou bien encore, Notre-Seigneur en disant : « La vérité n’est point en lui, » répond à la question qu’on pourrait lui faire, et donne la raison pour laquelle le démon n’est point demeuré dans la vérité, c’est que la vérité n’était point en lui, et elle eût été en lui, s’il y fût demeuré.

« Lorsqu’il dit le mensonge, il dit ce qu’il trouve en lui-même, parce qu’il est menteur et le père du mensonge. » — S. Augustin. Ces paroles ont donné lieu à quelques-uns de penser que le démon avait un père, et de rechercher quel était son père, c’est l’erreur des Manichéens. Le Sauveur dit que le démon est le père du mensonge. En effet, tout homme qui ment n’est pas le père de son mensonge ; ainsi vous avez entendu un mensonge et vous le répétez ; vous avez menti, il est vrai, mais vous n’êtes pas le père de ce mensonge. Le démon, au contraire, n’a point reçu d’ailleurs le mensonge avec lequel il a tué le premier homme, comme un serpent avec son venin ; il est donc le père du mensonge, comme Dieu est le père de la vérité. — Théophile. Il a été tout à la fois l’accusateur de Dieu près des hommes, en disant à Eve que c’était par envie qu’il leur avait défendu de manger du fruit de l’arbre ; et l’accusateur des hommes près de Dieu, lorsqu’il dit à Dieu, par exemple : Est-ce donc en vain que Job honore Dieu ?

Origène. (Traité 20.) Remarquez que ce nom de menteur est donné aussi bien au démon, qui est le père du mensonge, qu’à l’homme, selon ces paroles du Psalmiste : « Tout homme est menteur ; » (Ps 115) car celui qui n’est pas coupable de mensonge n’est pas seulement un homme, et ou peut lui appliquer, ainsi qu’à ceux qui lui ressemblent, ces paroles : « Je l’ai dit, vous êtes des dieux. » (Ps 81, 6.) Lors donc qu’un homme profère un mensonge, il parle de son propre fonds. L’Esprit saint, au contraire, parle d’après le Verbe de la vérité et de la sagesse, d’après ces paroles du Sauveur : « Il recevra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera. » (Jn 15, 14.) — S. Augustin. (Quest. sur le Nouv. et l’Anc. Test., quest. 90.) Ou bien encore le diable n’est pas ici un nom spécial, mais un nom commun, que vous pouvez donner à tout homme en qui vous trouvez les œuvres du diable, car c’est un nom qui convient aux actions plutôt qu’à la nature. Notre-Seigneur veut indiquer que les Juifs ont pour père Caïn, parce qu’ils veulent se rendre ses imitateurs en le mettant à mort. C’est Caïn, en effet, qui a donné le premier exemple de fratricide, et le Sauveur dit qu’il puise le mensonge dans son propre fonds, pour nous apprendre qu’on ne peut pécher que par sa propre volonté. Comme Caïn a été lui-même l’imitateur du diable, on lui donne pour père le diable, dont il a imité les œuvres.

Alcuin. Dieu est la vérité, et le Fils de Dieu, qui est la vérité ne peut dire lui-même que la vérité ; mais les Juifs (qui étaient les enfants du démon) avaient la vérité en horreur, comme le Sauveur le leur reproche : « Et moi, si je vous dis la vérité, vous ne me croyez point. » — Origène. ( Traité 20. ) Mais comment peut-il faire ce reproche aux Juifs qui ont cru en lui ? Il faut remarquer ici qu’on peut croire sous un rapport, et ne pas croire sous un autre, comme ceux par exemple qui croient en Celui qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, et qui ne croient pas qu’il soit né de la Vierge Marie ; ils croient et tout à la fois ne croient pas à la même personne. C’est ainsi que les Juifs à qui s’adressait Notre-Seigneur croyaient en lui à la vue des miracles qu’il opérait, et ne croyaient pas aux vérités sublimes qu’il leur enseignait.

S. Chrys. (hom. 54) C’est donc parce que vous êtes les ennemis de la vérité, que sans avoir aucune accusation à formuler contre moi, vous voulez me mettre à mort. C’est pour cela qu’il ajoute : « Quel est celui d’entre vous qui me reprendra de péché ? » — Théophile. C’est-à-dire, si vous êtes les enfants de Dieu, vous devez nécessairement haïr ceux qui l’offensent, si donc vous ne pouvez me convaincre de péché, moi, l’objet de votre haine, il est évident que c’est par haine de la vérité que vous me haïssez, parce que je me dis le Fils de Dieu. — Origène. (Traité 20.) Ces paroles de Jésus-Christ sont l’expression d’une confiance extraordinaire, et aucun autre homme ne peut porter un semblable défi, si ce n’est Notre-Seigneur, qui n’a jamais connu le péché. (1 P 2, 22.) — S. Grég. (hom. 18 sur les Evang.) Considérez ici la douceur de Notre-Seigneur, il ne dédaigne point de prouver qu’il n’est point pécheur, lui qui par sa vertu divine pouvait justifier les pécheurs. Il ajoute donc : « Celui qui est de Dieu, entend les paroles de Dieu, et c’est parce que vous n’êtes pas de Dieu, que vous ne les entendez pas. » — S. Augustin. (Traité 43.) Ne considérez donc pas ici la nature, mais le vice de la nature. Les Juifs étaient de Dieu, et n’étaient pas de Dieu ; leur nature venait de Dieu, le vice de leur nature n’en venait point. Or, le Sauveur adresse ce reproche non-seulement à ceux qui étaient coupables de péché, car ils l’étaient tous ; mais à ceux qu’il prévoyait devoir repousser la foi, qui seule aurait pu les affranchir des liens de leurs péchés. — S. Grég. (hom. 18 sur les Evang.) Que chacun se demande s’il écoute les paroles de Dieu avec l’oreille du cœur, et il saura d’où il vient. Il en est, en effet, qui ne veulent même pas écouter les préceptes divins des oreilles du corps ; il en est d’autres qui ouvrent ces oreilles pour les entendre, mais qui n’éprouvent pour ces préceptes aucun désir du cœur ; il en est d’autres enfin, qui reçoivent volontiers la parole de Dieu, et qui s’en laissent pénétrer jusqu’aux larmes, mais après ce moment consacré aux larmes du repentir, ils retournent à leurs iniquités ; et on peut dire qu’ils n’écoutent pas véritablement les paroles de Dieu, parce qu’ils refusent de les traduire dans leurs œuvres.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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