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Jn  14  22-27

S. Augustin. (Traité 76 sur S. Jean.) Notre-Seigneur venait de dire : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez. » Judas, non pas le traître surnommé Iscariote, mais celui dont l’Epître est au rang des Ecritures canoniques, Judas lui demande l’explication de ces paroles : « Judas, non pas l’Iscariote, lui dit : Seigneur, d’où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Il lui demande donc la raison pour laquelle il doit se manifester, non pas au monde, mais à ses disciples, le Seigneur lui donne cette raison, c’est qu’il est aimé des uns et qu’il n’est pas aimé des autres. Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, » etc. — S. Grég. (hom. 30 sur les Evang.) La preuve de l’amour ce sont les œuvres ; l’amour de Dieu ne peut jamais être oisif, dès qu’il existe, il opère de grandes choses, s’il refuse d’agir, ce n’est qu’un simulacre d’amour.

S. Augustin. L’amour qui distingue et sépare les saints des partisans du monde, est cet amour qui inspire un même esprit à ceux qui habitent (Ps 68, 7) dans la maison où le Père et le Fils font leur demeure, en répandant leur amour sur ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Il y a donc une certaine manifestation intérieure de Dieu, complètement inconnue des impies, à qui Dieu le Père ne se manifeste jamais. Quant au Fils, ils ont pu le voir, mais seulement dans sa chair, cette manifestation ne ressemble nullement à l’autre, elle ne peut d’ailleurs leur être toujours présente, elle ne dure qu’un peu de temps, et loin d’être pour eux une cause de joie et de récompense, elle est bien plutôt un principe de jugement et de condamnation : « Et nous viendrons à lui. » Le Père et le Fils viennent à nous, lorsque nous venons nous-mêmes à eux ; ils viennent à nous en nous secourant, nous venons à eux en obéissant à leur inspiration, ils viennent à nous en nous comblant de leur lumière, nous venons à eux en la contemplant, ils viennent à nous en nous remplissant de leurs dons, nous venons à eux en les recevant. Cette vision n’a aucun rapport avec les sens extérieurs, elle est tout intérieure, et cette demeure n’est point passagère, elle est éternelle : « Et nous ferons en lui notre demeure. » — S. Grég. Dieu vient dans certaines âmes et n’y demeure pas, parce que si le repentir leur fait tourner les regards vers Dieu, elles oublient ce repentir aux approches de la tentation, et retombent dans leurs anciens péchés, comme si elles ne les avaient jamais pleurés. Celui donc qui aime Dieu d’un amour véritable, voit le Seigneur venir en lui et y établir sa demeure, parce qu’il est tellement pénétré de l’amour de Dieu, qu’il lui reste fidèle dans le temps même de la tentation, et il aime véritablement Dieu, parce que le plaisir criminel ne peut triompher de son âme en lui arrachant son consentement.

S. Augustin. Mais devons-nous admettre que l’Esprit saint reste étranger à cette demeure que le Père et le Fils font dans l’âme de celui qui les aime ? Alors que signifieraient ces paroles que le Sauveur a dites précédemment de l’Esprit saint : « Il demeurera au milieu de vous, et il sera en vous, » à moins qu’on ne pousse l’absurdité jusqu’à penser que lorsque le Père et le Fils arrivent, le Saint-Esprit s’éloigne comme pour laisser la place à ceux qui lui sont supérieurs ? La sainte Ecriture va du reste au-devant de cette grossière objection, lorsqu’elle dit : « Afin qu’il demeure en vous éternellement. » L’Esprit saint sera donc éternellement dans la même demeure avec le Père et le Fils, parce qu’il ne peut venir sans eux, et qu’ils ne peuvent venir sans lui. C’est pour établir la distinction des personnes de la sainte Trinité, que quelques opérations sont attribuées nominativement à chacune des personnes, mais il ne faut jamais en exclure les autres personnes, parce qu’il n’y a qu’une seule et même nature dans la Trinité.

S. Grég. Plus on se livre aux plaisirs bas et terrestres, plus on s’éloigne de l’amour des biens célestes. « Celui qui ne m’aime pas, poursuit Notre-Seigneur, ne garde point mes commandements. » L’amour du Créateur exige donc le concours de la langue, du cœur et de la vie. — S. Chrys. (hom. 75 sur S. Jean.) On peut encore donner cette explication : Judas pensait qu’ils ne verraient le Sauveur que comme nous voyons les morts pendant notre sommeil, et c’est pour cela qu’il lui fait cette question : « D’où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Langage qui revient à celui-ci : Malheur à nous ! Vous allez mourir, et vous ne nous apparaîtrez plus que comme les morts ont coutume d’apparaître. C’est pour détruire ce soupçon que Notre-Seigneur leur dit : « Mon Père et moi, nous viendrons à lui, » c’est-à-dire, je me manifesterai de même que mon Père. « Et nous ferons en lui notre demeure ; » ce qui éloigne toute idée de sommeil et de songe ; il ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n’est pas de moi, mais de mon Père, qui m’a envoyé. » C’est-à-dire, celui qui n’écoute pas ma parole, n’aime ni mon Père, ni moi. Le Sauveur s’exprime de la sorte, parce qu’il ne dit rien qui soit en dehors de son Père, ou qui ne soit conforme à son bon plaisir. — S. Augustin. Peut-être est-ce pour établir une distinction, que lorsqu’il s’agit de ses propres paroles, le Sauveur parle au pluriel : « Celui qui ne m’aime pas, ne garde pas mes commandements ; » tandis que lorsqu’il parle au singulier de sa parole, c’est-à-dire du Verbe du Père, il ne dit point que c’est sa parole, mais celle du Père, c’est-à-dire lui-même. En effet, il n’est point son Verbe, mais le Verbe du Père ; de même qu’il n’est point son image, mais l’image du Père ; de même qu’il n’est point son Fils, mais le Fils du Père. C’est donc avec raison qu’il attribue à l’auteur de son être ce qu’il fait comme étant son égal, puisque c’est de lui qu’il a reçu ce qui lui donne cette parfaite égalité.

S. Chrys. Parmi les choses que le Sauveur vouait de leur dire, les unes étaient claires, les autres étaient restées incomprises ; il ajoute donc, pour calmer le trouble de leur âme : « Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous. » — S. Augustin. (Traité 77) Cette demeure qu’il vient de promettre pour l’avenir, est toute différente de celle qu’il déclare exister actuellement. La première est toute spirituelle, et se réalise au dedans de l’âme ; l’autre est extérieure ut accessible aux yeux du corps comme au sens de l’ouïe. — S. Chrys. Or, pour les préparer à supporter plus patiemment la privation de sa présence corporelle, il leur promet que son départ sera pour eux la cause des biens les plus abondants, car tant qu’il restait au milieu d’eux d’une manière visible, sans que l’Esprit saint vint en eux, ils ne pouvaient comprendre aucune vérité importante. Aussi Notre-Seigneur ajoute : « Mais le Paraclet, l’Esprit saint, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » — S. Grég. Le mot grec παράχλητος veut dire en latin avocat ou consolateur. L’Esprit saint est appelé avocat, parce qu’il intercède auprès de la justice du Père en faveur des pécheurs qui se sont égarés, et en inspirant l’esprit de prière à ceux qu’il remplit de ses dons. On lui donne aussi le nom de consolateur, parce qu’il délivre de l’affliction et de la tristesse les âmes que la pensée de leurs crimes plongent dans une mer d’amertumes, en leur faisant entrevoir l’espérance du pardon. — S. Chrys. Il leur représente encore l’Esprit saint comme consolateur, en vue des tribulations dont ils allaient être assaillis.

Didyme. (De l’Esprit saint, liv. 2) Le Sauveur affirme que l’Esprit saint est envoyé par le Père en son nom, et le nom du Sauveur est celui de Fils, qui exprime à la fois l’unité de nature et la distinction des personnes. En effet, il est exclusivement le propre du Fils de venir au nom du Père, en conservant les relations qui existent du Père le Fils ; aussi nul autre n’est venu au nom du Père, mais plusieurs sont venus au nom du Seigneur Dieu tout-puissant. De même donc que les serviteurs qui viennent au nom de leur maître rappellent le souvenir de leur maître, par cela seul qu’ils sont ses serviteurs et ses subordonnés ; ainsi le Fils qui vient au nom de son Père porte et rappelle son nom par cela seul qu’il est reconnu pour le Fils unique de Dieu. Par cela donc que l’Esprit saint est envoyé par le Père au nom du Fils, il montre les liens étroits qui l’unissent au Fils ; aussi est-il appelé l’Esprit du Fils, et par la grâce de l’adoption, il donne à ceux qui veulent le recevoir le titre et les droits d’enfants de Dieu. Or, ce divin Esprit, qui est envoyé par le Père et qui vient au nom du Fils, enseignera toutes choses à ceux dont la foi eu Jésus-Christ est parfaite, c’est-à-dire tous les mystères et les secrets spirituels de la vérite et de la sagesse, et il les enseignera non comme les hommes enseignent les arts et la sagesse, à force d’étude et d’habilité, mais cet Esprit de vérité les enseignera comme étant lui-même par essence la doctrine et la sagesse, et répandra invisiblement dans les âmes la science des choses divines.

S. Grég. La parole de celui qui enseigne demeure nécessairement infructueuse si l’Esprit saint n’est présent dans le cœur de celui qui reçoit ses enseignements. Que personne donc n’attribue à celui qui enseigne l’intelligence des vérités qui sortent de ses lèvres, car sans la présence de ce maître intérieur, la langue de celui qui enseigne travaille inutilement à l’extérieur. Le Créateur lui-même ne parle point à l’homme pour son instruction, à moins que l’Esprit saint ne lui parle on même temps par son onction. — S. Augustin. Mais est-ce donc que le Fils parle et que l’Esprit saint enseigne, de manière que nous entendions les paroles du Fils, et que l’enseignement de l’Esprit saint nous en donne l’intelligence ? C’est donc la Trinité tout entière qui parle et qui enseigne ; mais si l’action de chacune des divines personnes ne nous était présentée comme distincte et séparée, la faiblesse humaine ne pourrait en aucune manière la comprendre.

S. Grég. (hom. 30.) Examinons encore pourquoi le Sauveur dit de l’Esprit saint : « Il vous suggérera toutes les choses, » etc., ce qui parait indiquer un ministère inférieur. Mais il faut nous rappeler que le mot suggérer a quelquefois le sens de fournir, de donner, et on dit de l’Esprit invisible qu’il suggère, non qu’il nous inspire la science puisée dans les régimes inférieurs, mais parce qu’il la tire des profondeurs cachées aux yeux des hommes. — S. Augustin. Ou bien encore ces paroles : « Il vous suggérera, » c’est-à-dire il vous rappellera, doivent nous faire comprendre que c’est pour nous un devoir de ne jamais oublier que ses salutaires enseignements ont pour objet et pour fin la grâce que l’Esprit nous remet en mémoire. — Théophile. L’Esprit saint a donc tout ensemble enseigné et remis en mémoire ; il a enseigné les vérités que Jésus-Christ n’avait pas voulu faire connaître à ses disciples, parce qu’ils n’étaient pas capables de les comprendre ; et il les a fait ressouvenir de celles que le Sauveur leur avait enseignées, mais dont ils avaient perdu la mémoire par suite de l’obscurité des choses elles-mêmes ou de la lenteur de leur intelligence.

S. Chrys. Ces discours du divin Maître jetaient le trouble dans leur âme, en leur représentant les persécutions elles combats qu’ils auraient à soutenir après que Jésus les aurait quittés ; il les console donc le nouveau en leur disant : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » — S. Augustin. Il nous laisse la paix dans ce monde, afin qu’elle nous serve à vaincre nos ennemis et à nous aimer les uns les autres ; il nous donnera sa paix dans le siècle futur, où nous régnerons sans avoir à craindre ni les attaques des ennemis, ni les dissentiments avec nos frères. Or, c’est lui-même qui est notre paix, et lorsque nous croyons qu’il est et lorsque nous le verrons tel qu’il est. Mais pourquoi, lorsqu’il dit à ses disciples : « Je vous laisse la paix, » ne dit-il point : Ma paix, tandis que dans la proposition suivante il dit : « Je vous donne ma paix ? » Devons-nous sous-entendre ce pronom ma dans la phrase où il n’est pas exprimé ? Ou bien y a-t-il ici quelque vérité cachée ? Par sa paix, il veut que nous entendions celle dont il jouit lui-même. Quant à la paix qu’il nous laisse pendant cette vie, c’est plutôt notre paix que la sienne. Le Sauveur n’a en lui aucun élément de guerre intérieure, parce qu’il n’y a en lui aucun péché ; tandis que la paix que nous pouvons avoir en ce monde ne nous empêche pas de dire : « Pardonnez-nous nos péchés. » De même encore la paix règne entre nous, parce que nous croyons à l’amour mutuel que nous avons les uns pour les autres ; mais cette paix n’est point parfaite, parce que nous ne pouvons pénétrer réciproquement les pensées secrètes de nos cœurs. Je sais toutefois que l’on peut entendre ces paroles du Sauveur dans le sens d’une simple répétition de la même pensée. Il ajoute : « Je ne vous la donne pas comme le monde la donne ; » c’est-à-dire, je ne la donne pas comme la donnent les hommes qui aiment le monde. Ils s’accordent mutuellement la paix, afin de pouvoir jouir des biens de ce monde sans inquiétude et sans crainte ; et s’ils laissent la paix aux justes en ce sens qu’ils ne les persécutent pas, ce ne peut être une paix véritable, parce qu’il ne peut y avoir de véritable entente là où les cœurs sont séparés. — S. Chrys. D’ailleurs, la paix qui n’est qu’extérieure est souvent très-dangereuse, et n’est d’aucune utilité pour ceux qui la possèdent.

S. Augustin. (serm. 59 sur les par. du Seign.) La paix, c’est la sérénité de l’âme, la tranquillité de l’esprit, la simplicité du cœur, le lien de l’amour, l’union intime de la charité ; celui qui n’aura point voulu observer ce divin testament de la paix, ne pourra parvenir à l’héritage du Seigneur, et il ne peut espérer d’être en paix avec Jésus-Christ, s’il est en guerre avec un de ses frères en Jésus-Christ.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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