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Jn  13  21-30

S. Chrys. (hom. 72 sur S. Jean.) Notre-Seigneur venait d’offrir cette double consolation à ses Apôtres, qui devaient bientôt parcourir le monde entier, mais il se trouble à la pensée que le traître disciple devait être privé : « Lorsqu’il eut dit ces choses, Jésus se troubla en son esprit, » etc. — S. Augustin. (Traité 60 sur saint Jean.) Ce n’était pas la première fois que cette pensée lui venait dans l’esprit, mais il allait désigner si clairement celui qui devait le trahir, qu’il ne lui serait plus possible de rester caché parmi les autres, et c’est une des causes de son trouble. D’ailleurs, Judas allait bientôt sortir pour amener les Juifs et leur livrer le Sauveur, et Jésus était encore troublé par les approches de sa passion, par les dangers qui le menaçaient, et par la trahison imminente de son perfide disciple, dont il connaissait par avance les intentions. (Traité 6l.) Notre-Seigneur « voulu nous apprendre aussi par ce trouble, que lorsque la nécessité force l’Eglise de séparer de faux frères de son sein avant la moisson, ce ne doit jamais être sans un grand sentiment de trouble. Or, il fut troublé, non dans sa chair, mais dans son esprit ; car au milieu de ces scandales, le trouble des hommes vraiment spirituels ne vient pas d’un sentiment répréhensible, mais de la charité qui leur fait craindre qu’en arrachant l’ivraie, on ne déracine en même temps le bon grain. (Mat 13) — (Traité 60.) Que ce trouble ait eu pour cause ou un sentiment de compassion pour Judas, qui allait se perdre, ou les approches de sa mort, ce n’est point par faiblesse d’âme, mais par un acte de sa puissance que Jésus se trouble ; car ce trouble n’est point forcé, il est tout à fait volontaire, il se troubla lui-même, comme il est dit plus haut. Or, ce trouble est une source de consolation pour les membres faibles de son corps, c’est-à-dire, de son Eglise, que Jésus apprend à ne point se regarder comme coupables, si le trouble s’empare de leur âme aux approches de la mort de ceux qui leur sont chers. — Origène. (Traité 32.) Jésus est troublé en esprit, c’est-à-dire, que ce sentiment humain était produit par la puissance de l’esprit. En effet, si tous les saints vivent, agissent et souffrent en esprit, à combien plus forte raison devons-nous l’assurer de Jésus, le premier et le chef de tous les saints.

S. Augustin. (Traité 60.) Périssent donc tous les raisonnements des stoïciens, qui prétendent que l’âme du sage doit être complètement inaccessible au trouble ; de même qu’ils prennent la vanité pour la vérité, ils regardent l’insensibilité comme un indice de la force de l’âme. L’âme du chrétien peut donc légitimement être troublée, non par la souffrance, mais par un sentiment de compassion. (Traité 61.) Jésus dit : « L’un de vous, » par le nombre, non par le mérite ; l’un de vous par l’apparence et non par sa vertu.

S. Chrys. Mais comme il n’avait pas désigné le traître par son nom, ils sont tous de nouveau saisis de frayeur : « Les disciples donc se regardaient l’un l’autre, ne sachant de qui il parlait. » Leur conscience ne leur reprochait aucun dessein de ce genre, et cependant cette déclaration du Sauveur l’emportait dans leur esprit sur leurs propres pensées. — S. Augustin. (Traité 61.) Leur pieuse tendresse pour leur maître ne les empêchait pas, sous l’impression d’un sentiment de faiblesse naturelle, de concevoir ces soupçons les uns à l’égard des autres. — Origène. Ils se rappelaient d’ailleurs par l’expérience qu’ils avaient de la faiblesse humaine, que la vertu, chez les parfaits, n’est point à l’abri de la mutabilité, et que les désirs les plus louables peuvent facilement se changer en désirs contraires.

S. Chrys. Tous donc étant saisis de crainte, et Pierre, leur chef, tout tremblant lui-même ; Jean, comme le disciple bien-aimé, inclina sa tête sur la poitrine de Jésus : « Or, un des disciples de Jésus, que Jésus aimait, reposait sur son sein. » — S. Augustin. C’était Jean, l’auteur de cet Evangile, comme il le déclare plus loin lui-même. En effet, lorsque les écrivains sacrés racontent un fait où il est question d’eux-mêmes, ils ont coutume d’en parler comme d’une tierce personne. Et en effet, en quoi peut souffrir la vérité du récit, lorsque les choses sont dites telles qu’elles sont, et qu’en même temps l’écrivain échappe au danger de la vanité ?

S. Chrys. Si vous désirez connaître la cause d’une si grande familiarité de la part de Jean, c’était l’amour de Jésus pour lui, c’est pour cela qu’il ajoute : « Celui qu’aimait Jésus. » Jésus aimait tous les autres Apôtres, mais il avait pour celui-ci une affection plus spéciale. — Origène. Je pense que Jean, reposant sur le sein du Verbe, veut nous apprendre qu’il goûtait, un doux repos dans la considération des mystères secrets du Verbe. — S. Chrys. Il voulait encore montrer par là qu’il était innocent du crime de trahison, et il s’exprime de la sorte pour ne point vous laisser penser que Pierre lui fit signe comme à quelqu’un qui lui serait supérieur en dignité. En effet, l’Evangéliste ajoute : « Simon-Pierre lui fit signe et lui dit : Qui est celui dont on parle ? » En toutes circonstances, nous voyons Pierre comme emporté par la vivacité de son amour ; comme il en a déjà été repris par le Sauveur, il ne prend plus lui-même la parole, et cherche à savoir ce qu’il désire par l’intermédiaire de Jean, car le saint Evangile nous montre partout Pierre, plein de ferveur, et vivant dans une grande intimité avec Jean.

S. Augustin. Remarquez ici cette manière de s’exprimer sans parler, et par un simple signe. Il lui fît signe dit l’Evangéliste, et il lui demande, c’est-à-dire, il lui demande par le signe même qu’il faisait ; car si la pensée seule est un véritable langage, comme l’atteste l’Ecriture dans ce passage : « Ils dirent en eux-mêmes, » combien plus peut-on parler par signes, puisqu’alors on manifeste au dehors par une expression quelconque la pensée qu’on a conçue dans son cœur ? — Origène. On peut dire encore que Pierre commence par faire signe, et que non content de ce signe, il fit cette question : « Quel est celui dont il parle ? »

« C’est pourquoi ce disciple s’étant penché sur la poitrine de Jésus, lui dit : Seigneur, qui est-ce ? » Précédemment l’Evangéliste avait dit sur le sein, il dit maintenant sur la poitrine. — Origène. On peut dire encore qu’il était couché sur le sein de Jésus, et qu’ensuite il monta plus haut et reposa sur sa poitrine. Il semble que s’il ne se fût point reposé sur la poitrine de Jésus, et qu’il fût resté couché sur son sein, le Seigneur ne lui aurait pas fait connaître ce que Pierre désirait savoir. En reposant donc en dernier lieu sur la poitrine de Jésus, il nous apprend qu’il était le disciple privilégié de Jésus, par l’effet d’une grâce plus haute et plus abondante. — Bède. Ce repos qu’il prend sur le sein et sur la poitrine de Jésus, n’est pas seulement la preuve de l’amour du Sauveur pour lui, mais le présage de ce qui devait arriver, c’est-à-dire, que Jean devait puiser sur la poitrine de Jésus cette voix qui devait retentir et qu’aucun des siècles précédents n’avait entendue. — S. Augustin. (Traité 61 sur S. Jean.) Le sein est en effet ici la figure d’un mystère caché, et le sein de la poitrine est comme la source secrète de la sagesse.

S. Chrys. (hom. 72.) Cependant Notre-Seigneur ne fait pas encore connaître par son nom le traître disciple : « Jésus lui répondit : C’est celui à qui je présenterai le pain trempé. » Cette manière de le faire connaître avait pour but de lui faire changer de résolution ; et puisqu’il n’avait point rougi de s’asseoir à la même table que son divin Maître, il devait rougir au moins en mangeant le même pain.

« Et ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon. » — S. Augustin. (Traité 62.) On ne peut admettre, avec quelques lecteurs superficiels, que Judas reçut alors seul le corps du Seigneur ; nous devons admettre au contraire que le Sauveur avait déjà distribué le sacrement de son corps et de son sang à tous ses disciples, et que Judas était du nombre, au témoignage de saint Luc (Lc 22). Ce ne fut qu’après la communion que, suivant le récit de saint Jean, le Seigneur fit connaître celui qui devait le trahir en lui donnant un morceau de pain trempé. Peut-être, par ce pain trempé, voulut-il désigner l’hypocrisie du traître disciple, car tout ce qui est trempé n’est point pour cela purifié, et quelquefois une chose est souillée, par cela seul qu’elle est trempée ; si au contraire ce morceau de pain trempé est le symbole d’une grâce particulière, l’ingratitude de Judas, après le nouveau bienfait, rend plus juste encore sa réprobation.

« Et quand il eut pris ce morceau, Satan entra en lui. » — Origène. Remarquez que Satan n’était pas tout d’abord entré dans le cœur de Judas, il lui avait seulement suggéré la pensée de trahir son Maître, ce ne fut qu’après ce morceau qu’il entra dans son âme. Prenons donc bien garde que le démon ne fasse pénétrer dans notre âme quelques-uns de ses traits enflammés, car s’il y réussit, il redouble ses efforts pour entrer lui-même. — S. Chrys. Tant que Judas fit partie du corps des Apôtres, le démon n’osait s’emparer entièrement de lui, il se contentait de l’attaquer extérieurement, mais lorsqu’il l’eût fait connaître et qu’il l’eût séparé des autres disciples, il se trouva plus libre pour se saisir de sa personne. — S. Augustin. Ou bien : « Satan entra en lui, » dans ce sens qu’il prit complètement possession de celui Qui lui appartenait déjà, car il était déjà dans Judas, lorsque ce perfide disciple convint avec les Juifs du prix de sa trahison, comme saint Luc le dit clairement : « Or, Satan entra en Judas, surnommé Iscariote, l’un des douze ; et il s’en alla conférer avec les princes des prêtres et les officiers du temple, sur les moyens de le leur livrer. » Il était donc au pouvoir de Judas, lorsqu’il vint se mettre à table avec Jésus, mais après qu’il eut reçu ce morceau de pain, Satan entra en lui, non plus comme pour tenter un homme qui lui fût étranger, mais pour posséder plus pleinement celui qui lui appartenait déjà. — Origène. Il était juste, à mon avis, qu’après que ce morceau de pain lui l’ut présenté, il perdit le bien dont il était indigne et qu’il croyait posséder, et qu’ainsi dépouillé de ce bien, le démon pût entrer plus facilement dans son âme.

S. Augustin. Il en est qui disent : Est-ce qu’un morceau de pain pris sur la table du Seigneur, a pu avoir pour effet de livrer à Satan l’entrée du l’âme de ce perfide disciple ? Nous répondons que nous devons apprendre par là avec quel soin nous devons éviter de recevoir les grâces du ciel dans de mauvaises dispositions, car si Dieu traite si sévèrement celui qui ne discerne pas (c’est-à-dire, qui ne distingue pas des autres aliments) le corps du Seigneur, quelle sera la condamnation de celui qui, sous les dehors de l’amitié, s’approche de sa table avec un cœur hostile ?

« Et Jésus lui dit : Ce que vous faites, faites-le vite. » On ne peut dire avec certitude à qui s’adressent ces paroles, car Notre-Seigneur a pu dire également à Judas ou à Satan : « Ce que vous faites, faites-le vite, » en provoquant, pour ainsi dire, son ennemi au combat, ou en pressant le traître disciple d’aider à l’accomplissement du mystère, qui devait être le salut du inonde, et dont il pressait l’exécution, loin de vouloir la retarder. — S. Augustin. Toutefois, il ne commande pas le crime, il le prédit simplement, non point pour hâter la perte de son perfide disciple, que pour accomplir au plutôt l’œuvre du salut des nommes. — S. Chrys. Ces paroles : « Ce que vous faites, faites-le au plus vite, ne sont ni un ordre ni un conseil, mais un reproche, et une preuve que le Sauveur ne voulait mettre aucun obstacle à la trahison de son disciple : « Aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela. » Une difficulté assez grande se présente ici, et on se demande comment les disciples qui avaient demandé quel était celui dont Jésus parlait, n’aient pas compris la réponse du Sauveur : « Celui à qui je présenterai un morceau de pain trempé. » Il faut donc admettre que Jésus fit cette réponse à voix basse, de manière que personne ne l’entendit, et que Jean, qui reposait sur son sein, lui fit précisément cette question à l’oreille, pour ne point faire connaître celui qui devait le trahir ; car, si le Sauveur l’eût clairement désigné, Pierre eût pu le mettre à mort. C’est pour cela que l’Evangéliste dit qu’aucun de ceux qui étaient à table ne comprit pourquoi il lui disait cela, pas même Jean, qui ne pouvait penser qu’un disciple de Jésus put se porter à cet excès de scélératesse ; ne pouvant soupçonner dans les autres l’idée d’un crime dont il était si éloigné lui-même. Les Apôtres ne comprirent donc point le véritable motif des paroles de Jésus. L’Evangéliste nous apprend dans quel sens ils les entendirent en ajoutant : « Quelques-uns pensaient que, comme Judas avait la bourse, Jésus lui avait dit : Achetez ce dont nous avons besoin pour la fête, » etc.

S. Augustin. Notre-Seigneur avait donc une bourse, dans laquelle il conservait les offrandes des fidèles destinées à pourvoir aux besoins de ses disciples et au soulagement des pauvres. Telle fut la première institution de la propriété ecclésiastique. Lors donc que le Sauveur nous ordonne de ne point songer au lendemain, (Mt 6) ce précepte n’est pas une défense faite aux fidèles de ne conserver aucun argent, mais un avertissement de ne point servir Dieu en vue de l’argent, et de ne jamais sacrifier la justice par crainte de la pauvreté. — S. Chrys. Aucun des disciples de Jésus ne lui apportait d’argent ; mais l’Evangéliste nous fait entendre ici que de pieuses femmes fournissaient à Jésus ce qui lui était nécessaire pour son entretien. Or, celui qui ordonne à ses apôtres de ne porter ni sac, ni bâton, ni urgent, portait lui-même une bourse pour subvenir aux besoins des pauvres, afin de nous apprendre que celui même qui embrasse une vie de pauvreté et de crucifiement à tout ce qui est dans le monde, doit cependant avoir une grande sollicitude pour les pauvres ; car, Notre-Seigneur a fait beaucoup de choses dans sa vie, uniquement pour notre instruction.

Origène. Le Sauveur avait dit à Judas : « Ce que vous faites, faites-le au plus vite, » et le traître disciple n’obéit que sur ce point à son Maître ; aussitôt qu’il a reçu ce morceau de pain, il se hâte d’accomplir, sans aucun retard, son criminel dessein. « Judas, ayant donc pris ce morceau de pain, sortit aussitôt. » Et, en effet, il sortit, non-seulement en quittant la maison où il se trouvait, mais en se séparant tout à fait de Jésus. Quant à moi, je pense que Satan, qui était entré dans Judas, après qu’il eut reçu ce morceau de pain, ne pouvait supporter d’être plus longtemps dans le même lieu que Jésus ; car il ne peut y avoir aucun point de contact entre Jésus et Satan. Il n’est pas inutile de rechercher pourquoi l’Evangéliste, qui nous rapporte que Judas reçut ce morceau de pain, n’ajoute pas qu’il le mangea. Est-ce qu’eu effet Judas ne mangea point le morceau de pain ? Ne peut-on pas dire que, lorsqu’il eut pris ce morceau de pain, le démon, qui lui avait suggéré la pensée de trahir son Maître, craignant qu’en mangeant de ce pain il ne renonçât à son dessein, se hâta d’entrer en lui aussitôt qu’il l’eut reçu des mains du Sauveur, et le fit sortir aussitôt de la maison ? On peut dire encore, avec autant de raison, que de même que celui qui mange indignement le pain du Seigneur ou boit indignement son calice, le mange et le boit pour sa condamnation ; ainsi Jésus donna ce pain aux uns pour leur salut, et à Judas pour sa perte ; en sorte que Satan entra en lui aussitôt qu’il l’eut reçu.

S. Chrys. L’Evangéliste ajoute : « Or, il était nuit, » pour faire ressortir l’audace téméraire de Judas, que le temps ne dut ni retenir ni détourner de son dessein. — Origène. Cette nuit extérieure et sensible était d’ailleurs la figure des ténèbres, qui s’étendaient sur l’âme de Judas. — S. Grég. (Moral., 2, 2.) La circonstance du temps fait ressortir la nature et la fin de l’action, et l’Evangile nous fait voir Judas accomplissant dans la nuit son œuvre de trahison, parce qu’il ne devait jamais eu concevoir de repentir.

Saint Thomas d’Aquin, Glose continue des Évangiles. La chaîne d’or, ouvrage rédigé de 1263 à 1264.
Trad. par l’abbé J.-M. Peronne, Librairie Louis Vivès, 1868.

 

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