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TRENTE ET UNIÈME CONSIDÉRATION

De la persévérance

« Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé »
(Matthieu 24, 13)

Premier point

Grand est le nombre de ceux qui commencent bien, mais il est petit le nombre de ceux qui persévèrent ; et, comme le dit saint Jérôme, « commencer est le fait de beaucoup, persévérer est le privilège de quelques uns » (S. Jérôme, Contre Jovinien, liv. 1, n. 36, PL 23, 259). Saül, Judas, Tertullien commencèrent bien ; mais ils finirent mal, faute de persévérer dans la bonne voie. Ce qu’on demande des chrétiens, dit encore saint Jérôme (S. Jérôme, Lettre 54 à Furia, n. 6, PL 22, 552), ce ne sont pas de bons commencements, mais une bonne fin ; ou plutôt, ajoute-t-il, le Seigneur veut que notre vie ait non seulement un bon commencement, mais encore une bonne fin. Seule, la fin obtiendra la récompense. Saint Bonaventure dit également : « la couronne n’est donnée qu’à la persévérance » (S. Bonaventure, Exposition super regulam Fratrum Minorum, opusc. 16, c. II, n. 5, Opera, t. 8, Quaracchi, 1898, p. 398). C’est pourquoi saint Laurent Justinien appelle la persévérance la Porte du ciel (S. Laurent Justinien, Liber de obedientia, c. 26, Opera, Venise, 1721, p. 547). Par conséquent celui qui ne trouve pas cette porte ne peut entrer dans le ciel. Mon frère, vous avez présentement quitté le péché et vous avez lieu d’espérer que le pardon vous a été accordé. Vous voilà donc devenu l’ami de Dieu. Mais, sachez, vous n’êtes pas encore sauvé. Quand serez-vous sauvé ? Quand vous aurez persévéré jusqu’à la fin. « Celui qui persévère jusqu’à la fin sera sauvé » (Matthieu 24, 13). Vous avez commencé de bien vivre ; remerciez-en le Seigneur ; mais tenez-vous pour averti : ceux qui commencent ne tiennent la palme qu’en espérance ; ceux-là seuls la tiennent en réalité, qui ont persévéré. « Promise à ceux qui commencent, dit saint Bernard, la récompense est accordée à ceux qui persévèrent » (S. Bernard de Clairvaux (plutôt Thomas de Froidmont, selon Glorieux, n. 184), De modo bene vivendi, c. 6, n. 15, PL 184, 1209). Il ne suffit pas de courir vers le but ; mais dit l’apôtre saint Paul, « courez de telle sorte que vous y parveniez » (1 Corinthiens 9, 24).

Maintenant donc vous avez mis la main à la charrue, je veux dire que vous avez commencé de vivre chrétiennement. Mais maintenant aussi vous avez plus que jamais à craindre et à trembler. « Opérez votre salut avec crainte et tremblement » (Philippiens 2, 12). Et pourquoi ? Parce que s’il vous arrivait, ce qu’à dieu ne plaise ! De regarder en arrière ou de reprendre votre mauvaise vie, Dieu vous déclarerait exclus du Paradis : « Quiconque, ayant mis la main à la charrue, regarde en arrière, n’est pas propre au Royaume de Dieu » (Luc 9, 62) (En se basant sur ce texte et en l’isolant, certains taxeront S. Alphonse de rigorisme moral. Mais ces paroles doivent être comprises dans le contexte. Cf. dix-septième considération, 2é point). Maintenant, par la grâce de Dieu, vous vous appliquez à fuir les occasions dangereuses, à fréquenter les sacrements, à faire chaque jour la méditation, quel bonheur pour vous, si vous continuez à vivre de la sorte et si Jésus Christ vous trouve en cet état lorsqu’il viendra vous juger. « Heureux ce serviteur que son maître, quand il viendra, trouvera agissant ainsi » (Matthieu 24, 46) ! mais, parce que vous vous êtes mis à servir Dieu, ne croyez pas que les tentations vont cesser ou seulement diminuer. Écoutez cet avertissement que vous donne l’Esprit Saint : « Mon fils, entrant au service de Dieu, prépare ton âme à la tentation » (Ecclésiastique 2, 1). Et même, sachez-le, maintenant plus que jamais vous devez vous préparer à la lutte, parce que vos ennemis, le démon, le monde et la chair, seront plus que jamais armés pour vous combattre et pour vous faire perdre tout ce que vous avez gagné. Denys le Chartreux dit que plus une âme se donne à Dieu avec ferveur et s’applique à le servir, plus l’enfer s’acharne contre elle, pour l’abattre (Denys le Chartreux, Summa de vitiis et virtutibus, lib. 2, art. 43, Opera, t. 39, Montreuil-Tournai, 1910, p. 232). Et l’Évangile le dit assez clairement dans ce passage de saint Luc : « Lorsque l’esprit impur sort de l’homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos ; et n’en trouvant pas, il dit : Je retournerai dans ma maison, d’où je suis sorti. Alors il s’en va et prend avec lui sept autres esprits pires que lui ; et, étant entrés dans cette maison, ils y demeurent. Et le dernier état de cet homme devient pire que le premier » (Luc 11, 24).

A l’oeuvre donc ; et sachez quelles armes il faut que vous employiez pour triompher du démon et pour vous maintenir dans la grâce de Dieu. Pour ne pas succomber sous les coups du démon, nous n’avons d’autre défense que la prière. « Ce n’est pas, dit saint Paul, avec la chair et le sang que nous sommes en lutte, c’est-à-dire, avec des hommes de chair et de sang comme nous, mais avec les princes et les puissances des ténèbres » (Ephésiens 6, 12). L’apôtre nous avertit par là qu’étant incapables de résister à de semblables ennemis, nous avons besoin que Dieu nous aide. Mais aussi, avec l’aide de Dieu, il n’y a rien dont nous ne soyons capables. « Je puis tout en celui qui me fortifie » (Philippiens 4, 13). Ainsi parlait le grand Apôtre ; ainsi doit parler chacun de nous. Or ce secours se donne seulement à celui qui prie pour l’obtenir. « Demandez et vous recevrez » (Jean 16, 24). Ne comptons donc aucunement sur nos bonnes résolutions ; si nous mettons en elles notre confiance, nous sommes perdus. Dans toutes les tentations du démon, c’est en Dieu que nous devons mettre notre confiance, en nous recommandons à Jésus Christ et à la très sainte Vierge Marie. Ainsi devons-nous agir, particulièrement dans les tentations, celles-ci sont les plus terribles, celles qui font remporter au démon le plus de victoires. Par nous-mêmes nous n’avons pas la force de conserver la chasteté ; cette force doit nous venir de Dieu ; aussi Salomon disait-il : « Dès que j’ai su que je ne pouvais être continent, si Dieu ne m’en faisait pas la grâce, je recourus au Seigneur pour le supplier » (sagesse 8, 21). Il faut donc, dans toutes ces tentations, recourir immédiatement à Jésus Christ et à sa sainte Mère en invoquant fréquemment leurs noms bénis. Agir de la sorte, c’est s’assurer la victoire ; agir autrement, c’est se perdre.

Affections et prières

« Ne me rejetez pas de devant votre face » (Psaume 50, 13). Non, mon Dieu, ne me repoussez pas loin de vous. Je le sais bien, vous ne m’abandonnerez jamais, si je commence moi-même à vous abandonner. Hélas ! C’est précisément ce qu’une malheureuse expérience me fait craindre de ma faiblesse. Seigneur, cette force sans laquelle je ne puis triompher des assauts que me livre l’enfer pour me réduire de nouveau en l’esclavage, c’est à vous de me la donner et c’est à vous que je la demande pour l’amour de Jésus Christ. Faites régner entre vous et moi, ô mon Sauveur, une paix continuelle, une paix à jamais indissoluble. A cette fin donnez-moi votre saint amour. « Celui qui n’aime pas demeure dans la mort » (1 Jean 3, 14). C’est à vous, ô Dieu de mon âme, de me préserver de cette mort malheureuse. J’étais perdu, vous le savez ; et je ne dois qu’à votre infinie bonté d’être rentré dans vos bonnes grâces. Ah ! J’espère bien ne les perdre plus jamais. O mon Jésus, par cette mort douloureuse que vous avez endurée pour moi, ne souffrez pas que j’aille encore, de gaieté de coeur, perdre votre amitié. Je vous aime par-dessus toutes choses. Les chaînes de votre saint amour, j’espère les porter toujours ; j’espère mourir avec elles et vivre avec elles durant toute l’éternité.

O Marie, vous vous appelez la Mère de la persévérance ; vous êtes la dispensatrice de ce grand don. C’est donc à vous que je le demande, et de vous que j’espère.

Deuxième point

Venons-en maintenant à la manière de vaincre le monde. Le démon est un ennemi redoutable, mais le monde est plus redoutable encore. Si le démon n’avait pas à son service le monde, c’est-à-dire, les hommes pervers qui constituent le monde, nous ne le verrions pas remporter autant de victoires. Aussi le Rédempteur nous avertit d’être bien plus sur nos gardes contre les hommes que contre le démon : « Gardez-vous des hommes » dit-il (Matthieu 10, 17). Et, en effet, les hommes sont souvent pires que les démons ; car ceux-ci au moins s’enfuient devant la prière et l’invocation des saints noms de Jésus et Marie. Mais pour les méchants, en vain, quand ils veulent perdre une âme, leur propose-t-on quelque sainte parole, non seulement ils ne prennent pas la fuite, mais ils redoublent d’efforts ; ils appellent le ridicule à leur secours ; on n’est plus qu’un homme de rien, sans éducation, sans capacité ; et, à défaut d’autres accusations, c’est, disent-ils un hypocrite qui joue la sainteté. Et certaines âmes faibles, pour se dérober à ces critiques et à ces moqueries, pactisent misérablement avec ces ministres de Satan et retournent à leur vomissement. Mon frère, persuadez-vous bien que, si vous voulez mener une vie chrétienne, vous ne pouvez échapper aux railleries et aux mépris des impies. « Car les impies ont en abomination ceux qui sont dans la voie droite » (Proverbes 29, 27). Celui qui vit mal ne peut supporter la vue de ceux qui mènent une bonne vie. Et pourquoi ? Parce que leur vie est une continuelle censure de la sienne. Aussi, pour mettre fin aux remords que lui cause le spectacle de la vertu, l’impie voudrait-il que tout le monde l’imitât dans ses désordres. Celui qui sert Dieu ne peut échapper aux persécutions du monde, selon ce que dit l’Apôtre : « Tous ceux qui veulent vivre pieusement en Jésus Christ, souffriront persécution » (2 Timothée 3, 12). Tous les saints ont été persécutés. Qui fut plus saint que Jésus Christ ? Aussi le monde l’a-t-il persécuté, au point de le faire mourir de douleur sur une croix.

Impossible de changer cet état de choses ; car les maximes du monde sont entièrement opposées à celles de Jésus Christ. Ce que le monde estime, Jésus Christ l’appelle folie : « La sagesse de ce siècle est folie devant Dieu » (1 Corinthiens 3, 19). Le monde, en revanche, traite de folie tout ce que Jésus Christ estime, telles les croix, les souffrances, les humiliations : « La parole de la croix est folie pour ceux qui se perdent » (1 Corinthiens 1, 18). Mais consolons-nous : si les méchants nous méprisent, Dieu nous bénit et nous loue. « Ils le maudiront ; mais vous, Seigneur, vous le bénirez » (Psaume 108, 28). Au surplus, ne nous suffit-il pas d’être loués par Dieu, par Marie, par tous les anges, par tous les saints et par tous les hommes de bien ? Laissons les pécheurs dire ce qu’il leur plaît et continuons de contenter notre Dieu, lui, si libéral et si fidèle envers ceux qui le servent. Plus nous rencontrons d’obstacles et d’oppositions dans la pratique de la vertu, plus nous ferons plaisir à Dieu et plus aussi notre mérite sera grand. Quand les méchants nous tournent en ridicule, recommandons-les au Seigneur, et, pleins de reconnaissance pour la lumière que Dieu nous donne et qu’il ne donne pas à ces malheureux, poursuivons notre chemin. Ne rougissons pas de paraître chrétiens ; car, si nous rougissons de Jésus Christ, Jésus Christ proteste qu’à son tour il rougira de nous et nous refusera de nous mettre à sa droite au jour du jugement. « Quiconque aura rougi de moi, et de mes paroles, le Fils de Dieu rougira de lui lorsqu’il viendra dans sa sainteté » (Luc 9, 26).

Si nous avons à coeur de nous sauver, il faut que nous nous résignions à souffrir, à faire des efforts et même à nous faire violence. « Combien est resserrée la voie qui conduit à la vie ! » dit Jésus Christ (Matthieu 7,14). Il ajoute : « Le Royaume des cieux souffre violence et seuls les violents le ravissent » (Matthieu 11, 12). Donc sans efforts pas de salut. Car, bon gré, mal gré, pour pratiquer la vertu il faut que nous allions à l’encontre de notre nature rebelle. Ces efforts, il est particulièrement nécessaire de les faire dès le commencement, afin de déraciner ainsi nos mauvaises habitudes et d’en acquérir de bonnes ; car la bonne habitude, une fois prise, vous rend facile, douce même l’observation de la loi de Dieu. On ne pratique pas la vertu sans rencontrer des épines ; mais, disait Jésus Christ à sainte Brigitte, pour celui qui en souffre les premières piqûres avec patience et courage, les épines ne sont bientôt plus que des roses (S. Brigitte de Suède, Révélations, liv. 1, ch. 15, « Ce qui semblait fort pesant devient léger, et ce qui semblait âpre et poignant devient doux » (Ferraige, t. 1, p. 38). Attention donc, chrétien, mon frère. Jésus Christ nous dit en ce moment, comme au paralytique : « Vous voilà guéri ; ne péchez plus, de crainte qu’il ne vous arrive pire » (Jean 5, 14). « Sachez-le, reprend saint Bernard, et pensez-y bien, si vous avez le malheur de retomber, votre chute vous sera plus funeste que toutes vos chutes précédentes » (S. Bernard de Clairvaux, Sermon 54 sur le Cantique des Cantiques, n. 11, PL 183, 1043 : « La rechute est donc pire que la chute, et devant un péril accru, la crainte doit s’accroître » (BEG, p. 573). Malheur, dit Dieu, à ceux qui prennent le bon chemin et qui le quittent ensuite ! « Malheur à vous fils de désertion » (Isaïe 30, 1). « Ils furent rebelles à la lumière », s’écrie Job (Job 24, 13) ; eh bien ; ils seront punis comme rebelles à la lumière. Or, à ceux qui, favorisés d’abord de grandes lumières d’en haut, sont ensuite devenus infidèles, le châtiment que Dieu inflige, c’est de les abandonner dans leur aveuglement et de les laisser ainsi mourir dans leur péché. « Si le juste se détourne de la justice, est-ce qu’il vivra ? Toutes les oeuvres de justice qu’il avait faites, seront oubliées et il mourra dans son péché » (Eséchiel 18, 24).

Affections et prières

Hélas ! Mon Dieu, plus d’une fois déjà j’ai mérité ce châtiment, puisque plus d’une fois sorti du péché, grâce à la lumière que vous m’aviez donnée, j’y suis misérablement retombé. Je bénis infiniment votre miséricorde de ne m’avoir pas abandonné dans mon aveuglement, en me privant entièrement de votre lumière, comme je le méritais. Que d’obligations je vous ai, ô mon Jésus, et combien je serais ingrat envers vous, si je vous abandonnais de nouveau. Non, ô mon Rédempteur. « Éternellement je chanterai les miséricordes du Seigneur » (Psaume 88, 2). Tout le temps qui me reste à vivre et durant toute l’éternité, j’espère chanter et louer sans cesse vos grandes miséricordes, en vous aimant toujours et en demeurant toujours dans votre grâce. Mes ingratitudes passées, non seulement je les déteste et je les maudis maintenant plus que tout autre mal, mais je veux m’en servir encore pour déplorer toujours avec d’autant plus de douleur les offenses que je vous ai faites et pour m’animer davantage à vous aimer, puisque après avoir reçu de moi tant d’injures, vous m’avez accordé tant de grâces. Oui, ô mon Dieu, vous êtes digne d’un amour infini et je vous aime. Désormais c’est vous que je choisis pour mon unique amour, mon unique bien. Père éternel, je vous demande, par les mérites de Jésus Christ, la persévérance finale dans votre grâce et dans votre amour. Je le sais, chaque fois que je vous demanderai la persévérance, vous me l’accorderez. Mais hélas ! Qui m’assure que j’aurais toujours soin de vous la demander ? C’est pourquoi ô mon Dieu, je vous demande et la persévérance et la grâce de toujours vous la demander.

O Marie, mon avocate, mon refuge, mon espérance, obtenez-moi par votre intercession la constance à solliciter sans cesse de Dieu la persévérance finale. Obtenez-moi cette grâce, je vous en supplie au nom de tout l’amour que vous avez pour Jésus Christ.

Troisième point

Venons-en au troisième ennemi, le pire de tous, la chair ; et voyons par quels moyens nous devons lui résister. Premier moyen : la prière ; il en étais question plus haut. Second moyen : la fuite des occasions ; ce second moyen demande une particulière attention. D’après saint Bernardin de Sienne, « de tous les conseils donnés par Jésus Christ, voici le plus important, celui qui sert en quelque sorte de fondement à la vie chrétienne : fuir les occasions du péché » (S. Bernardin de Sienne, Quadragesimale de christiana religione, sermon 21, art. 3, c. 3, Opera, t. 1, Quaracchi, 1950, p. 268). Le démon lui-même, contraint un jour par les exorcismes de l’Église, confessa que de tous les sermons aucun ne lui déplaît comme le sermon sur la fuite des occasions (S. Léonarde de Port – Maurice, Manuale sacro, p. I, n. 4, Rome, 1734, p. 19). Et cela se comprend. Car le démon se moque bien de toutes les résolutions et de toutes les promesses d’un pécheur qui se repent de ses péchés, mais qui ne s’éloigne pas de l’occasion. L’occasion, spécialement en matière de plaisirs sensuels, est pour l’homme comme un bandeau qui s’applique sur les yeux, ne lui laisse plus voir ni résolutions prises, ni lumières reçues, ni vérités éternelles, bref, elle lui fait tout oublier et le frappe d’une sorte de cécité. C’est pour n’avoir pas fui l’occasion que nos premiers parents succombèrent. Dieu ne voulait même pas qu’ils touchassent au fruit défendu, comme Ève s’en expliquait avec le serpent : « Dieu nous a commandé de n’en point manger et de n’y point toucher » (Genèse 3, 3). Mais l’imprudente regarda, prit et mangea. Ève commence donc par regarder la pomme ; puis, elle la prend en main et elle finit par la manger. Quiconque, de propos délibéré, s’expose au péril, y trouvera sa perte. « Celui qui aime le danger y périra » (Ecclésiastique 3, 27). Saint Pierre nous apprend que « le démon rôde sans cesse, cherchant qui dévorer » (1 Pierre 5, 8). Or, pour rentrer dans une âme d’où il a été chassé, que fait-il ? Se demande saint Cyprien (S. Cyprien, Liber de zelo et livore, c. 2, PL 4, 639). Il épie l’occasion, répond le saint, il examine s’il ne découvrira pas quelque part une issue pour pénétrer. Et si l’âme consent à se laisser entraîner dans l’occasion, bientôt elle sera envahie et dévorée par l’ennemi. L’abbé Guerric observe que Lazare ressuscita les mains et pieds liés ; aussi, ajoute-t-il, ressuscité de la sorte, Lazare subit une seconde fois la mort (Guerric d’Igny, Sermonum miscella, Lyon, 1630, p. 382). L’auteur veut par là nous faire comprendre combien est à plaindre l’infortuné qui, sortant de la tombe du péché, demeure enlacé dans quelque occasion. C’est pourquoi quiconque veut se sauver doit nécessairement quitter, non pas seulement le péché, mais encore l’occasion du péché, c’est-à-dire, tel ami, telle maison, telle correspondance.

Mais direz-vous, j’ai maintenant changé de vie et je ne me sens plus, à l’égard de cette personne, aucune mauvaise intention, pas même de tentation. Je réponds. Il se trouve, dit-on, en Mauritanie certains ours qui vont à la chasse des singes (Cf. Aelianus, De natura animalium, lib. 5, n. 54, Paries, 1858, p. 92). Dès que ceux-ci les voient venir, ils se sauvent sur les arbres. Que fait alors l’ours ? Ils se couche au pied de l’arbre et fait le mort. Mais à peine les singes sont-ils descendus que l’ours se redresse, se jette sur eux et les dévore. Ainsi fait le démon. A l’en croire, la tentation est morte. Alors l’âme descend et se met dans l’occasion du péché ; mais aussitôt le démon réveille la tentation et l’âme est dévorée. Oh ! Combien d’âmes, qui pratiquaient l’oraison, fréquentaient les sacrements et qu’on pouvait regarder comme autant de saintes, devinrent misérablement la proie de l’enfer pour s’être exposées à l’occasion ! On rapporte, dans l’histoire ecclésiastique (H. Engelgrave, Lux evangelica in omnes anni dominicas, embl. 41, § 1, t. 1, Cologne, 1677, p. 291), qu’une sainte dame, pieusement occupée à donner la sépulture aux corps des martyrs, trouva une fois un de ces martyrs qui donnait encore signe de vie. Elle le recueillit dans sa maison : et il guérit. Mais qu’arriva-t-il à ces deux saints ; car on pouvait bien les tenir pour tel ? Eh bien, exposés qu’ils étaient à l’occasion prochaine, ils perdirent d’abord la grâce de Dieu et ensuite la vraie foi.

« Va, disait le Seigneur à Isaïe, et crie : Toute chair est comme l’herbe » (Isaïe 40, 6). Sur quoi saint Jean Chrysostome fait la réflexion suivante : « Mettez le feu à l’herbe sèche et osez prétendre qu’elle ne brûle pas ! » (S. Jean Chrysostome (auteur incertain), Homélie 1 sur le Psaume 50, n. 5, PG 55, 570) « Est-il possible, s’écrie dans le même sens saint Cyprien, de se trouver au milieu des flammes et de ne pas brûler ? » (S. Cyprien (auteur inconnu, selon Glorieux, n. 4), De singularitate clericorum, c. 2, PL 4, 837). Le prophète Isaïe nous avertit encore que « notre force est semblable à celle de l’étoupe jetée dans le feu » (Isaïe I, 31). Et Salomon demande pareillement : « Est-ce qu’un homme peut marcher sur des charbons sans se brûler la plante des pieds ? » (Proverbes 6, 28). De même, bien insensé serait l’homme qui prétendrait se jeter dans l’occasion, sans pécher. Il faut donc de toute nécessité fuir devant le péché, comme devant un serpent, ainsi que l’ordonne l’Écriture. « Fuis le péché comme à l’aspect du serpent » (Ecclésiastique 21, 2). Ce n’est pas assez d’éviter la morsure du serpent, remarque Walfrie, il faut de plus éviter de le toucher et même de l’approcher (Cf. G. Mansi, Bibliotheca moralis praedicabilis, tr. 55, disc. 2, n. 3, t.3, Venise, 1703, p. 495). Mais, dites-vous au sujet de cette maison, de cette liaison, il y va de mes intérêts. Qu’importe ! Vous voyez que « cette maison est pour vous le chemin de l’enfer » (Proverbes 7, 27), dès lors il faut absolument la quitter, si vous avez à coeur votre salut. Ce serait même votre oeil droit, du moment qu’il devient pour vous une cause de damnation, vous devez l’arracher et le jeter loin de vous. « Si ton oeil droit te scandalise, dit le Seigneur, arrache-le et jette-le loin de toi » (Mattieu 5, 29). Qu’on remarque cette parole : loin de toi ; il faut jeter non à deux pas, mais au loin ; autrement dit, il faut en finir tout à fait avec l’occasion. Parlant des personnes de piété qui se sont données à Dieu, saint François d’Assise disait que le démon ne les tente pas de la même manière que les mauvais chrétiens (S. Bonaventure, Legenda Major, c. 5, n. 5 (DV, p. 625). Ce n’est pas au moyen d’une corde qu’il songe à les lier tout d’abord ; il se contente, pour commencer, de les lier avec un cheveu, puis il les lie par un fil, ensuite par une ficelle, jusqu’à ce qu’enfin, les tenant avec une corde, il les entraîne dans le péché. Aussi, pour échapper à ce dernier, est-il de toute nécessité que de prime abord on écarte tous les cheveux, c’est-à-dire toutes les occasions : Politesses, présents, billets et choses semblables. Et pour parler en particulier de celui qui a vécu dans l’habitude du vice impur, ce ne sera pas assez qu’il fuie les occasions prochaines ; à moins de fuir même les occasions éloignées, il retombera dans son péché.

Celui qui veut véritablement faire son salut, doit s’affermir et se retremper sans cesse dans la résolution de ne plus vouloir jamais se séparer de Dieu ; et, pour cela, qu’il se rende familière cette parole des saints : « Tout perdre plutôt que de perdre Dieu ». Toutefois la résolution de ne plus vouloir se séparer de Dieu ne suffit pas, il faut en outre employer les moyens. Le premier moyen, c’est la fuite des occasions. Nous venons d’en parler. Le second, c’est la fréquentation des sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. Quand on balaye souvent une maison, la propreté y règne partout. Ainsi, par la confession l’âme se conserve nette et pure, parce que par la confession elle n’obtient pas seulement la rémission de ses péchés, mais encore les secours nécessaires pour résister aux tentations. Quand à la Sainte Communion, elle est appelée le pain céleste, parce que, comme le corps ne peut vivre sans la nourriture tirée de la terre, ainsi l’âme ne peut vivre sans ce pain descendu du ciel. « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez point la vie en vous » (Jean 6, 54). Par contre, à celui qui s’en nourrit souvent, promesse est faite qu’éternellement il vivra : « Celui qui mangera de ce pain aura la vie éternelle » (Jean 6, 52). Et c’est pourquoi le concile de Trente appelle la sainte communion : « un remède qui nous délivre des péchés véniels et nous préserve des mortels » (Concile de Trente, Session 13, Décret sur le T.S. Sacrement de l’Eucharistie, ch. 2 : « Mais il a voulu que ce sacrement fût reçu comme l’aliment spirituel des âmes qui nourrisse et fortifie ceux qui vivent de la vie de celui qui a dit : Qui me mange vivra aussi par moi (Jean 6, 58), et qu’il fût l’antidote qui nous libère de nos fautes quotidiennes et nous préserve des péchés mortels » (737). Le troisième moyen, c’est la méditation, ou l’oraison mentale. « Rappelez-vous vos fins dernières et jamais vous ne pécherez » (Ecclésiastique 7, 40). Celui qui a toujours devant les yeux les vérités éternelles, la mort, le jugement, l’éternité, ne commettra pas le péché. Dans la méditation, Dieu nous éclaire. « Approchez-vous de moi et soyez éclairés » (Psaume 33, 6). C’est là qu’il nous parle et qu’il nous montre ce que nous devons fuir et ce qui nous devons faire : « Je la conduirai dans la solitude et je lui parlerai au coeur » (Osée 2, 14). Là encore, comme dans une bienheureuse fournaise d’amour, il nous embrase de son saint amour : « Dans ma méditation le feu s’est embrasé » (Psaume 38, 4). Ce n’est pas tout : plusieurs fois déjà nous avons dit que, pour persévérer dans la grâce de Dieu, il est absolument nécessaire de toujours prier et de demander sans cesse les grâces dont nous avons besoin. Or celui qui ne fait point d’oraison mentale priera difficilement ; et, ne priant pas, nul doute qu’il ne se perde.

Nécessité donc d’employer les moyens pour se sauver ; de là, nécessité de se tracer un règlement de vie : Le matin, dès le lever, réciter les actes du chrétien : actes du remerciement, d’amour, d’offrande et de bon propos, prière à Jésus Christ et à Marie de nous préserver en ce jour de tout péché. Puis, faire sa méditation et entendre la sainte messe. Pendant la journée faire la lecture spirituelle ainsi que la visite au Très Saint Sacrement et à la divine Mère. Le soir, chapelet et examen de conscience. La sainte communion, plusieurs fois par semaine, selon le conseil du directeur qu’on a choisi et qu’il faut bien se garder de quitter. Il serait aussi fort utile de faire une retraite dans quelque maison religieuse. Il faut encore honorer la très Sainte Vierge Marie par quelque hommage spécial, tel par exemple que le jeûne du samedi. Elle s’appelle la Mère de la persévérance ; et cette grande grâce de la persévérance, elle la promet à ses serviteurs. « Ceux qui agissent à l’ombre de ma protection ne pécheront pas » (Ecclésiastique 24, 30). C’est surtout la sainte persévérance que nous devons sans cesse demander à Dieu et particulièrement au moment de la tentation, et cela, en invoquant alors plus souvent, et tant que la tentation dure, les saints noms de Jésus et de Marie. Si vous agissez de la sorte, certainement vous vous sauverez ; et si vous n’agissez pas ainsi, certainement vous vous damnerez.

Affections et prières

Mon bien aimé Rédempteur, je vous remercie de m’éclairer en ce moment et de me faire connaître les moyens que je dois prendre pour me sauver. Je forme la résolution et je vous fais la promesse de les mettre constamment à exécution. Accordez-moi votre secours afin que je vous sois fidèle. Ah ! Je le vois, vous voulez mon salut ; et moi aussi je le veux, principalement pour plaire à votre coeur, qui désire tant de me voir sauvé. Non, mon Dieu, non, je ne veux pas résister davantage à l’amour que vous me portez. C’est parce que vous m’aimez tant que vous m’avez supporté avec tant de patience alors que je vous offensais. Vous m’invitez à vous aimer ; et moi, je ne désire que de vous aimer. Je vous aime, ô Bonté infinie ; je vous aime, ô Bien infini. Je vous en conjure par les mérites de Jésus Christ, ne permettez pas que je persévère dans mon ingratitude, faites que je cesse d’être ingrat ou que je cesse de vivre. Seigneur, vous avez commencé l’oeuvre ; achevez-là. « Confirmez, Seigneur, ce que vous avez opéré en nous » (Psaume 67, 29). Que votre lumière me guide, que votre force me soutienne, que votre amour m’embrase !

O Marie, ô vous qui êtes la trésorière des grâces, secourez-moi. Vous-même décernez-moi ce titre de serviteur de Marie ; et priez Jésus pour moi. Les mérites de Jésus Christ d’abord, puis vos prières, voilà ce qui doit me sauver.

Saint Alphonse de Liguori, Préparation à la mort, 1758. Texte numérisé par Jean-Marie W. (jesusmarie.com).

 

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