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VINGT-QUATRIÈME CONSIDÉRATION
« Tous nous devons comparaître devant le tribunal du Christ »
(2 Corinthiens 5, 10)
Considérons la comparution de l’âme devant son juge, l’accusation, l’examen et la sentence. Commençons par la comparution de l’âme devant son juge. C’est un sentiment commun parmi les théologiens que le jugement particulier se fait au moment où l’homme expire et que, dans le lieu même où l’âme se sépare de son corps, elle est jugée par Jésus Christ. Jésus Christ, n’envoie personne à sa place ; c’est lui-même qui vient pour le jugement. « A l’heure que vous ne penserez pas, dit saint Luc, le Fils de l’homme viendra » (Luc 12, 40). « Objet de joie pour les justes, la venue de Jésus Christ, dit saint Augustin, sera terrible pour les impies » (S. Augustin (auteur inconnu, selon Glorieux, n. 39), Sermon 181, n. 3, PL 39, 2087). Oh ! Quelle épouvante s’emparera de celui qui, se trouvant pour la première fois en face du Rédempteur, le verra tout indigné. « Devant la face de son indignation, qui subsistera ? » (Nahum 1, 6) se demande le prophète. A cette pensée, le vénérable Père Louis du Pont était saisi d’un tel tremblement qu’il faisait trembler même sa cellule (G. Patrignani, Menologio… di alcuni religiosi della Compagnia di Gesù, t. 1 (16 février), Venise, 1730, p. 143). Le vénérable Père Juvénal Ancina, entendant un jour chanter le Dies irae, et se représentant les terreurs de l’âme sur le point d’être jugée, prit aussitôt la résolution de quitter le monde et il le quitta en effet (G. Forti, Vita del Vener… Giovenale Ancina, c. 4, Macerata 1679, p. 15-16) ; « L’indignation du roi est un message de mort » (Proverbes 16, 14) ; et pour le pécheur la vue de son juge irrité sera le prélude de sa condamnation. D’après saint Bernard, l’âme souffrira plus de voir le courroux de Jésus Christ que de se trouver même en enfer. « Oui, dit le Saint, elle aimerait mieux être au fond de l’enfer » (Texte cité d’après S. Bernardin de Sienne, Quadragesimale de christiana religione, sermon 11, art. 3, c. 1, Opera, t. 1, Quaracchi, 1950, p. 45, qui l’attribue à S. Grégoire le Grand où nous ne l’avons pas trouvé. La pensée se lit chez le disciple de S. Bernard, Gueric d’Igny, In festo S. Benedicti, sermon 4, n. 6, PL 185, 116).
On a parfois vu des criminels se couvrir d’une sueur froide rien qu’à se trouver en présence d’un juge sur la terre. Pison, comparaissant devant le Sénat en habit d’accusé, éprouva une telle confusion qu’il se donna lui-même la mort (Tacite, Annales, liv. 3, n. 14-16). Quelle peine pour un enfant ou pour un sujet de savoir, l’un son père, l’autre son roi gravement irrité contre lui ! Mais quelle peine bien plus grande encore éprouvera l’âme en voyant ce Jésus Christ, qu’elle aura méprisé pendant sa vie. « Ils verront, dit l’Écriture, celui qu’ils auront transpercé » (Jean 19, 37). Cet Agneau, qui l’a traitée jusque-là avec tant de patience, l’âme alors le verra plein d’une indignation qu’elle désespérera de jamais apaiser. Aussi demandera-t-elle aux montagnes de l’écraser et de la dérober ainsi au courroux de l’Agneau divin. « Montagnes et rochers, tombez sur nous, et cachez-nous de la colère de l’Agneau » (Apocalypse 6, 16). « A cette heure ils verront le Fils de l’homme », dit saint Luc en parlant du jugement (Luc 21, 27). C’est dans son humanité que le juge se fera voir et quel supplice en ressentira le pécheur ! Car à la vue de celui qui s’immola pour son salut, sa conscience ne lui reprochera que plus vivement son ingratitude. Quand le Sauveur s’élevait vers les cieux, les anges disaient aux disciples : « Ce Jésus qui, du milieu de vous, a été enlevé au ciel, viendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel » (Actes 1, 11). Il viendra donc, comme juge, avec les mêmes plaies qu’il avait en quittant cette terre. Quelle joie pour ceux qui sont avides de le contempler, s’écrie l’abbé Rupert, mais pour ceux qui sont réduits à l’attendre quel sujet de crainte ! (Ruppert de Deutz, De Trinitate et operibus eius, lib. IX, c. 8, PL 167, 1861). Comme la vue de ces plaies consolera les justes et comme elle épouvantera les pécheurs ! Lorsque Joseph dit à ses frères : « Je suis Joseph que vous avez vendu », ceux-ci, raconte la Sainte Écriture, « furent terrifiés au point de ne pouvoir même plus proférer une seule parole » (Genèse 45, 3). Que répondra donc le pécheur à Jésus Christ ? « Aura-t-il par hasard, dit Eusèbe d’Emèse, le front d’en appeler à sa miséricorde, quand il devra précisément rendre compte du mépris qu’il aura fait de cette même miséricorde ? » (Eusèbe d’Emèse, De Symbolo, hom. 2, Opera, Paris, 1575, fol. 257. Dans la Maxima Bibliotheca Patrum, t. 6, Lyon, 1677, col. 631, cette homélie est attribuée à Eusèbe le Gaulois). « Que fera-t-il donc, s’écrie saint Augustin ? Où fuira-t-il, alors qu’il verra au-dessus de lui son juge irrité, sous ses pieds l’horrible enfer, à sa droite tant de péchés qui l’accablent, à sa gauche les démons tout prêts à exécuter la sentence, au-dedans de lui-même sa conscience qui le déchire ? Ainsi cerné de toutes parts, où fuira-t-il ? » (S. Bonaventure (plutôt Guillaume de Lancia, cf. éd. Quaracchi, VIII, CXI), Diaeta salutis, tit. 9. Le texte est attribué à S. Augustin ; en fait, il vient de S. Anselme, Prières et méditations, médit. 2, PL 158, 724 : « O angoisses ! D’un côté des péchés qui accusent, de l’autre une justice qui effraie. En bas l’horrible chaos de l’enfer qui s’ouvre, en haut le juge en colère ; à l’intérieur la conscience brûlante, au-dehors le monde ardent. Le juste à grand peine sera sauvé. Le pécheur, pris en cet état, à quel parti se rangera-t-il ? » (L’Oeuvre de S. Anselme de Cantorbéry, t. 5, Paris, 1988, médit. 1 (et non 2), trad. M. Corbin et H. Rochais, p. 405-407).
O mon Jésus ! C’est ainsi que je veux toujours vous appeler ; car votre nom de Jésus me console et m’encourage en me rappelant que vous êtes mon Sauveur, mon Sauveur mort pour me sauver. Me voici donc à vos pieds. Je le confesse, autant de fois je vous ai offensé par le péché mortel, autant j’ai mérité d’enfers. Je ne mérite point de pardon ; mais vous êtes mort pour me pardonner. O bon Jésus, daignez vous en souvenir, c’est à cause de moi que vous avez vécu ici-bas. Pardonnez-moi, tout de suite, ô mon Jésus ; oui, avant que vous veniez me juger. Car alors je ne pourrai plus implorer mon pardon ; mais maintenant je puis vous le demander et je l’espère. Alors vos plaies seront pour moi un objet d’épouvante ; mais maintenant elles m’inspirent confiance. Mon bien-aimé Rédempteur, j’ai un souverain repentir d’avoir offensé votre bonté infinie. Je fais le ferme propos de tout souffrir, de tout perdre, plutôt que de perdre votre grâce. Je vous aime de tout mon coeur. Ayez pitié de moi. Oui, « ayez pitié de moi, mon Dieu, selon l’étendue de votre miséricorde » (Psaume 50, 1).
O Marie, Mère de miséricorde, ô Avocate des pécheurs, obtenez-moi une grande douleur de mes péchés, le pardon et la persévérance dans l’amour de Dieu. Je vous aime, ô ma Reine, et je mets en vous ma confiance.
Considérez l’accusation et l’examen. « Le jugement se tint, dit Daniel, et, les livres furent ouverts » (Daniel 7, 10). Il y aura deux livres : l’Évangile, on lira ce que l’accusé devait faire ; dans la conscience, on verra ce qu’il a fait. « Chacun, dit saint Jérôme, verra ses oeuvres » (S. Jérôme, Commentaire sur Daniel, ch. 7, vers. 10, PL 25, 532). Richesses, dignité, titres de noblesse, rien de tout cela ne sera placé dans la balance de la justice divine ; on n’y placera que nos oeuvres. « Vous avez été pesé dans la balance, dit Daniel au roi Balthasar, et vous avez été trouvé trop léger » (Daniel 5, 27). Sur quoi le P. Alvarez fait cette remarque : « Ce n’est pas l’or du roi, ce ne sont pas ses royaumes que l’on met dans la balance ; c’est le roi seul qu’on pèse » (A. Spanner, Polyanthea sacra, t. 1, Venise, 1709, p. 476). Voici venir les accusateurs ; et d’abord le démon. « Debout tout à côté du tribunal de Jésus Christ, le démon, dit saint Augustin, lira notre profession de foi et il nous mettra sous les yeux tout ce que nous aurons fait de péchés ; à quel jour, à quelle heure nous les aurons commis » (S. Augustin (plutôt S. Paulin d’Aquilée, selon Glorieux, n. 40), De salutaribus documentis, c. 62, PL 99, 271. Cet ouvrage est publié en Appendice aux oeuvres de S. Augustin, PL 40, 1073). Il lira notre profession de foi, c’est-à-dire qu’il nous rappellera parmi nos promesses, celles que nous aurons violées ; après quoi il présentera la liste de tous nos péchés avec le jour et l’heure où nous y serons tombés. Alors, selon saint Cyprien, s’adressant au souverain Juge, il s’écriera : « Je n’ai été ni souffleté ni flagellé pour eux » (S. Cyprien, Liber de opere et eleemosynis, n. 22, PL 4, 618). Non, Seigneur, je n’ai rien souffert pour ce coupable ; mais vous, vous êtes mort pour le sauver. Eh bien ! Il vous a abandonné pour se faire mn esclave ; par conséquent il m’appartient. Les anges gardiens se présentent aussi comme accusateurs. « Chaque Ange gardien, dit Origène, vient rendre témoignage. Il rappelle combien d’années il a entouré cet homme de ses soins et avec quel mépris il en fut repoussé » (Origène, Homélie 11 sur les Nombres, n. 4, PG 12, 647). Ainsi se vérifiera cette parole : « Ses amis l’ont tous méprisé » (Lamentations 1, 2). Il n’y a pas jusqu’aux murs qui ne se fassent accusateurs, ces murs qui ont vu le coupable à l’oeuvre. « Du milieu de la muraille, di Habacuc, la pierre criera » (Habacuc 2, 11). Quelle accusatrice aussi que la propre conscience du coupable ! « Leur conscience rendra témoignage contre eux… au jour où Dieu jugera » (Romains 2, 15-16). Et, dit saint Bernard, les péchés eux-mêmes parleront. « C’est toi, s’écrieront-ils, c’est toi qui nous a faits ; nous sommes ton ouvrage : nous ne te quitterons pas » (S. Bernard de Clairvaux (plutôt Hugues de Saint-Victor ou au auteur inconnu, selon Glorieux, n. 184), Méditations pieuses… ch. 2, n. 5, PL 184, 488). Enfin, pour derniers accusateurs, il y aura, dit saint Jean Chrysostome, les plaies de Jésus Christ. Les clous se plaindront de toi ; les cicatrices du Sauveur prendront une voix contre toi ; sa croix se fera ton accusateur (G. Mansi, Bibliotheca moralis praedicabilis, tr. 41, disc. 3, n. 12, t. 3, Venise, 1703, p. 921, attribue ce texte à S. Vincent de Beauvais, Speculum morale, lib. 2, p. 2, dist. IX, Venise, 1591, fol. 143). On passera ensuite à l’examen.
« En ce jour-là, dit le Seigneur, je scruterai Jérusalem avec des lampes » (Sophonie 1, 12). La lampe, dit Mendoza (A. Spanner, Polyanthea sacra, t. 1, Venise, 1709, p. 477), projette sa lumière dans tous les coins et recoins de la maison. Et Cornelius a Lapide (Cornelius a Lapide, Commentaires sur Sophonie, c. 1, v. 12, Opera, t. 14, Paris, 1860, p. 282), expliquant aussi cette expression : avec des lampes, dit qu’en ce moment Dieu mettra sous les yeux du coupable les exemples des saints, toutes les inspirations et les lumières qu’il lui aura données pendant sa vie, comme aussi toutes les années qu’il lui aura concédées pour opérer le bien. « Il appellera le temps contre moi » (Lamentations 1, 15). Il faudra, dit saint Anselme (S. Anselme, Prières et méditations, médit. 2, PL 158, 723) : « Que répondras-tu en ce jour-là, quand il te sera demandé compte, jusqu’au moindre coup d’oeil, de tout le temps de vie à toi octroyé et de la manière dont tu l’auras employé ? » (L’Oeuvre… t. 5, Paris, 1988, médit. 1, trad. M. Corbin et H. Rochais, p. 403), « que le pécheur rende compte du moindre clin d’oeil ». Le prophète ajoute : « Le Seigneur purifiera les fils de Lévi et il les fera passer par le creuset » (Malachie 3, 3), c’est-à-dire que, comme on purifie l’or, en le dégageant de toutes les scories, ainsi seront examinées même les bonnes oeuvres, confessions, communions, etc. « Car dit le Seigneur, lorsque le temps en sera venu, je jugerai les justices » (Psaume 74, 3). Que dis-je ? C’est à peine si le juste lui-même se sauvera, comme saint Pierre le déclare : « Le juste aura de la peine à se sauver ; mais l’impie et le pécheur, où se présenteront-ils ? » (1 Pierre 4, 18). « Mais, reprend saint Grégoire, si l’on doit rendre compte de la moindre parole oiseuse, quel compte ne faudra-t-il pas rendre d’une parole impure ? » (S. Grégoire le Grand, Morales sur Job, liv. 7, ch. 37, PL 75, 800). Que sera-ce donc de tant de mauvaises pensées, auxquelles on aura consenti, et de cette multitude de paroles déshonnêtes qu’on aura proférées ? Et quant aux scandaleux en particulier, voici ce que le Seigneur dit à l’adresse de ces ravisseurs d’âmes : « J’irai à leur rencontre comme une ourse qui vient de se voir arracher ses petits » (Osée 13, 8). Enfin le juge prononcera sur les oeuvres du pécheur. « Donnez-lui, dira-t-il, le fruit de ses mains » (Proverbes 31, 31) ; payez-le selon les oeuvres qu’il a faites.
Ah ! Mon Jésus, si vous vouliez maintenant me traiter selon mes oeuvres, je n’aurais en partage que l’enfer. Mon Dieu, que de fois, écrivant moi-même ma sentence de mort, je me suis condamné à ce lieu de tourments ! Soyez béni de m’avoir jusqu’ici supporté avec tant de patience ! S’il me fallait en ce moment comparaître à votre tribunal, hélas ! Quel compte vous rendrais-je de ma vie ? « Seigneur, n’entrez donc pas en jugement avec votre serviteur » (Psaume 142, 2). Mais plutôt attendez-moi un peu et ne me jugez pas encore. Si vous vouliez me juger maintenant, que deviendrais-je ? Oui, attendez-moi, et puisque vous m’avez fait jusqu’ici tant de miséricordes, accordez-moi encore celle-ci, que j’aie une grande douleur de mes péchés. Je me repens, ô mon souverain Bien, de vous avoir tant de fois méprisé. Je vous aime par dessus toutes choses. Père éternel, pardonnez-moi pour l’amour de Jésus Christ et par ses mérites, accordez-moi la sainte persévérance. Mon Jésus, j’espère tout de votre sang divin.
Très sainte vierge Marie, je me confie en vous. « De grâce, ô mon Avocate, tournez vers moi os yeux pleins de miséricorde. » Regardez mes misères et ayez pitié de moi.
En définitive, pour obtenir le salut éternel, il faudra que l’âme se présente au jugement avec des oeuvres conformes à celles de Jésus Christ. « Car ceux qu’il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l’image de son Fils » (Romains 8, 29). Voilà précisément ce qui faisait trembler Job : « Que ferais-je, s’écriait-il, lorsque Dieu se lèvera pour me juger ? Et lorsqu’il m’interrogera, que lui répondrai-je ? » (Job 31, 14). Un serviteur de Philippe II, ayant proféré un mensonge, en fut repris par le roi qui lui dit : Eh quoi ! Vous me trompez. Il n’en fallut pas davantage pour que le malheureux, rentré chez lui, mourût de douleur (E. Nieremberg, Della virtù coronata, c. 4, § 2, Opera, t. 3, Venise, 1715, p. 643). Or, en face de Jésus Christ, son juge, que fera le pécheur et que répondra-t-il ? Hélas ! Il imitera cet homme de l’Évangile, lequel, étant entré sans la robe nuptiale et ne sachant que répondre, « resta muet » (Matthieu 22, 12). Son péché même lui fermera la bouche, et, comme dit le Psalmiste, « chacune de ses iniquités lui servira de bâillon » (Psaume 106, 42). D’après saint Basile, la confusion qu’éprouvera le pécheur en ce moment lui sera un plus grand tourment que le feu même de l’enfer. « Horrible sera le feu, mais plus horrible sera la honte » (S. Basile de Césarée, Homélie sur le Psaume 33, n. 4, PG 29, 359).
Enfin voici que le juge va prononcer la sentence. « Va-t’en loin de moi, maudit, au feu éternel » (Matthieu 25, 41). « Oh ! Quel épouvantable coup de tonnerre, s’écrie Denys le Chartreux » (Denys le Chartreux, De quatuor novissimis, art. 26, Opera, t. 41, Montreuil-Tournai 1912, p. 530). « Celui que ce coup de foudre ne fait pas trembler, dit saint Anselme, n’est pas seulement endormi, il est mort » (S. Anselme, Prières et méditations, médit. 2, PL 158, 722 : « Âme stérile, que fais-tu ? … Le jour du jugement vient… Pourquoi dors-tu ? Celui qui ne s’éveille pas, qui ne tremble pas à un tel tonnerre, ne dort pas, il est mort » (L’Oeuvre…, t. 5, Paris, 1988, médit. 1, trad. M. Corbin et H. Rochais, p. 403). Et Eusèbe ajoute : « Telle sera l’épouvante des pécheurs, en entendant retentir la sentence de leur condamnation, que, s’ils n’étaient immortels, ils mourraient une seconde fois » (A. Calamato, Selva novissima di concetti, Padoue 1717, p. 157, attribue cette citation à Eusèbe de Césarée. A. Giardina, Sacrum stagnum sententiarum, Messine 1645, p. 410, l’attribue à S. Jérôme. Nous ne l’avons trouvée ni chez l’un ni chez l’autre). « Il ne s’agira pas alors, dit saint Thomas de Villeneuve, de recourir à la prière ; personne non plus ne lèvera une voix suppliante ; plus d’amis, plus de père » (S. Thomas de Villeneuve, In dominica I Adventus, concio 2, n. 14, Conciones, t. 1, Milan, 1760, col. 21). Aussi bien à qui recourraient les pécheurs ? A Dieu, peut-être, après l’avoir tant méprisé ? « Malheureux ! Dit saint Basile, qui te sauvera alors et comptes-tu sur ce Dieu, que tu as tant outragé ? » (S. Basile de Césarée, Homélie sur le baptême, n. 7, PG 31, 442). Est-ce aux saints, à la Vierge Marie qu’ils vont avoir recours ? Non. « Car alors les étoiles, c’est-à-dire nos saints Patrons, tomberont du ciel, et la lune, c’est-à-dire Marie, ne donnera plus sa lumière » (Matthieu 24, 29). « La Vierge Marie s’enfuira, dit saint Augustin, de la porte du paradis » (S. Augustin (plutôt Hugues de Saint-Victor ou un auteur inconnu, selon Glorieux, n. 184), Aux frères dans le désert, sermon 16, PL 40, 1262).
« Hélas ! S’écrie saint Thomas de Villeneuve, avec quelle indifférence nous entendons parler du jugement, comme si la sentence de condamnation ne pouvait pas nous frapper et que le jour de notre propre jugement ne dût jamais arriver » (S. Thomas de Villeneuve, In dominica I Adventus, concio 1, n. 18, Conciones, t. 1, Milan, 1760, col. 12). « Quelle folie, dit encore le même saint, que nous soyons en si grande assurance au milieu d’un si grand péril ! » (S. Thomas de Villeneuve, De S. Martino, concio 1, n. 4, Conciones, t. 2, Milan 1760, col. 486). Écoutez, mon cher frère l’avertissement que vous donne saint Augustin : « Ne dites jamais en vous-même : Est-il possible que Dieu se décide à me damner ? » (S. Augustin, Sur le Psaume 73, n. 25, PL 36, 945 : « Maintenant encore, le Serpent ne cesse de murmurer à nos oreilles et de dire : Est-ce que véritablement Dieu condamnera de si grandes fautes et ne sauvera qu’un si petit nombre d’hommes ? » (Vivès, t. 13, p. 356). Non, ne parlez pas de la sorte ; car les Juifs, non plus ne voulaient pas admettre qu’ils dussent être exterminés ; et tant de damnés ne croyaient pas davantage qu’ils seraient précipités dans l’abîme. Mais le châtiment a fini par éclater. « La fin vient. Elle vient la fin. C’est maintenant que je répandrai ma colère sur toi et que je te jugerai » (Ezéchiel 7, 6). « Pour vous aussi, dit saint Augustin, arrivera le jour du jugement, et vous verrez combien étaient véritables les menaces du Seigneur » (S. Augustin, Ibid : « Si vous écoutez les suggestions du démon, et si vous méprisez les commandements de Dieu, le jour du jugement viendra, et vous reconnaîtrez la vérité des menaces de Dieu et la fausseté des promesses du démon »). « Et maintenant, ajoute saint Eloi, à nous de décider ici même quel jugement nous voulons avoir » (S. Eloi (auteur inconnu du IXe siècle, selon Glorieux, n. 87), Homélie 8, PL 87, 616). Pour cela qu’avons-nous à faire ? Régler nos comptes avant le jugement, d’après le conseil du Saint-Esprit : « Avant le jugement prépare la justice » (Ecclésiastique 18, 19). Saint Bonaventure (S. Bonaventure (auteur inconnu, cf. Opera, éd. Quaracchi, X, 30), De vera confessione, t. I, fol. 15.33) dit que les négociants prudents ont soin, pour éviter la ruine, de réviser leurs comptes, et de les tenir en bon état ; et saint Augustin : « Nous pouvons apaiser le juge avant le jugement ; mais une fois à son tribunal, nous ne le pouvons plus » (S. Grégoire le Grand, Morales sur Job, liv. 14, ch. 59, PL 75, 1082 : « Car on ne peut éviter la terreur du Juge qu’avant le jugement. Maintenant on ne le voit pas, mais on l’apaise par la prière. Le jour où il sera sur son trône pour ce jugement redoutable, on pourra le voir et on ne pourra plus l’apaiser, car les fautes des méchants qu’aura supportés longtemps son silence, seront toutes châtiées d’un seul coup par sa prière » (SC 212, trad. Bocognano, p. 445). S. Augustin est cité par inadvertance). Disons donc au Seigneur avec saint Bernard : « C’est avec mon jugement tout fait et non pas à faire, que je veux me présenter devant vous » (S. Bernard de Clairvaux, Sermon 55 sur le Cantique des Cantiques, n. 3, PL 183, 1046 : « J’ai grand peur de tomber aux mains du Dieu vivant : je souhaite paraître devant sa face de colère jugé d’avance, plutôt que pour être jugé » (BEG, p. 577). O Jésus, mon juge, je veux que vous me jugiez et que vous me punissiez en cette vie ; car maintenant c’est le temps de la miséricorde et vous pouvez me pardonner ; mais après la mort ce sera le temps de la justice.
Si je ne vous fléchis à présent, ô mon Dieu, alors il n’en sera plus temps. Mais comment vous apaiserai-je, moi qui ai tant de fois méprisé votre amitié pour de misérables et vils plaisirs, moi qui ai répondu par l’ingratitude à votre immense amour. Et comment une créature peut-elle dignement satisfaire pour des offenses faites à son Créateur ? Ah ! Seigneur, soyez béni de m’avoir, dans votre miséricorde, fourni le moyen de vous apaiser et de satisfaire à votre justice. Je vous offre le sang et la mort de Jésus Christ, votre Fils ; et voilà qu’à l’instant même je vois votre justice apaisée et surabondamment satisfaite. Mais encore faut-il que j’y joigne mon repentir. Eh bien ! Oui, mon Dieu, de tout mon coeur je me repens de toutes les injures dont je me suis rendu coupable envers vous. Et maintenant, ô mon bien-aimé Rédempteur, jugez-moi. Je déteste plus que tout autre mal les déplaisirs que je vous ai donnés. Je vous aime par dessus toutes choses et de tout mon coeur. Je me propose de vous aimer toujours et de mourir plutôt que de vous offenser. Vous avez promis de pardonner à celui qui se repent. Maintenant donc jugez-moi et accordez-moi le pardon de mes péchés. J’accepte la peine que j’ai méritée ; mais, rétablissez-moi dans votre grâce et veuillez m’y conserver jusqu’à la mort. Voilà ce que j’espère.
O Marie, ma mère, je vous remercie des miséricordes sans nombre que vous m’avez obtenues. De grâce, continuez à me protéger.
Saint Alphonse de Liguori, Préparation à la mort, 1758. Texte numérisé par Jean-Marie W. (jesusmarie.com).