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2. Les interrogations majeures

Daria Klanac : Que signifie encore de nos jours « hors de l’Église point de salut » ?

Arnaud Dumouch : Cette phrase est un dogme et c’est le pape Pie XII qui va expliquer comment il faut l’interpréter. Évidemment, à un moment donné, certains l’avaient interprété en disant : hors de l’Église catholique romaine avec ses rituels et ses sacrements, pas de salut. Le sens de ce dogme est bien plus profond. Qu’est-ce que l’Église, profondément, au-delà de son caractère passager, de sa hiérarchie qui disparaîtra de l’autre côté ? L’Église catholique, comme institution, est importante sur la terre parce que nous sommes des êtres sociaux. Le Christ a donc pensé une institution par rapport à cette vie sociale. Juste avant la fin du monde, l’Antéchrist la fera disparaître dans sa structure. Ce seront les signes de la fin du monde. Mais de l’autre côté, elle disparaît pour ne subsister que dans son mystère, un petit peu comme une chrysalide d’où sort le papillon.

Il n’y a pas de salut hors de l’Église, cela veut dire profondément qu’il n’y a pas de salut en dehors de l’amour d’amitié pour le Dieu unique. Qu’est-ce que l’Église ? C’est la communauté fondée par Dieu qui s’est fait homme. C’est l’ensemble de ceux qui l’aiment de charité, la charité étant un amour d’amitié surnaturelle pour Lui. Le salut que Dieu prépare, c’est exactement cela. C’est un amour d’amitié et à un moment donné il proposera à tous les humains sans exception une véritable alliance matrimoniale. Pour la plupart, ce sera à l’heure de la mort, avant l’entrée dans l’autre monde. Dieu apparaîtra à tous les frères et sœurs qui actuellement ne le connaissent pas, ces ouvriers de la onzième heure comme le dit la parabole[7], qui recevront alors cette proposition du salut.

Dans Gaudium et Spes[8], l’un des dogmes solennels du Concile Vatican II, il est dit que tous sans exception se verront proposer le salut et ce salut, c’est un amour d’amitié. Si on refuse l’amour d’amitié, on n’entre pas dans l’Église à l’heure de sa mort. On a le choix, on a le droit, on n’est pas obligé d’aimer Dieu. De même qu’un époux ne force pas son épouse à l’épouser, de même Dieu ne nous forcera pas et si on ne veut pas l’épouser, on n’entrera pas dans le salut, dans le paradis céleste. On choisit alors librement une autre voie : celle que la théologie catholique appelle l’enfer et que les damnés appellent leur « paradis », qu’ils ne voudraient quitter pour rien au monde parce qu’ils méprisent ce salut particulier des saints du Ciel. Leur paradis, c’est la liberté de faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent, mais ils ne sont pas dans le salut éternel. Évidemment, ils seront obligés malgré tout de voir la vérité : le bonheur total de ceux qui sont dans l’amour d’amitié pour ce Dieu infini qui comble leur cœur. Mais ils proclament parfaitement leur propre bonheur,

D. Klanac : Hors de l’Église point de salut signifie donc autre chose que ce qui nous a été enseigné jusqu’à maintenant ?

A. Dumouch : « Hors de l’Église pas de salut » veut dire que quelqu’un qui refuserait, à l’heure de la mort, la proposition de conversion, d’amour d’amitié pour Dieu ne serait pas sauvé. Il est aussitôt conduit, en enfer, comme le pape Benoît XII.[9] Et il n’en sort jamais parce qu’il a fait un acte tellement lucide que jamais il ne revient en arrière.

« Hors de l’Église pas de salut » veut dire aussi que tous les humains qui seront sauvés, sans exception, deviendront des catholiques. Au sens éternel du terme, ils feront partie de la communauté universelle que le Dieu unique a fondée. Serait-ce dire que ces hommes auront dû croire au pape sur la terre, donc être catholiques romains ? Non, mais nul ne peut être sauvé s’il ne croit que Jésus est mort sur la Croix pour nous. Donc, ils devront adhérer à la totalité de la foi catholique, mais elle leur sera présentée par l’apparition du Christ glorieux, et ils n’auront aucun problème à croire, car ils verront.

Ceux qui n’auront pas entendu parler du Christ durant leur vie, arrivés à cette onzième heure de la vie, comme le dit la parabole, devront être baptisés. C’est le baptême du Saint-Esprit. Quand ces gens acceptent l’amour qui leur est proposé, ils se mettent à vibrer d’amour pour ce Jésus qui leur apparaît. Ils n’auront pas connu l’Eucharistie sur terre, mais ils vivront de l’Eucharistie directement, à savoir qu’ils dévoreront d’un regard d’amour ce Christ qui leur apparaîtra accompagné des saints et des anges. Ils voudront s’unir à eux pour toujours.

D. Klanac : Certains disent croire en Dieu sans sentir le besoin de pratiquer. D’autres ne croient pas en Dieu tout en vivant de vraies valeurs, d’autres encore se proclament heureux de vivre sans Dieu. Est-il normal pour l’être humain de ne pas croire en Dieu ?

A. Dumouch : Cette question contient beaucoup de choses. Il y a des gens qui disent croire en Dieu sans sentir le besoin de pratiquer. On peut effectivement croire en Dieu et même vivre de Dieu par la charité sans pratiquer les sacrements. Les sacrements ne sont pas un piège que Jésus aurait inventé pour faire que quelqu’un qui ne les pratique pas n’aurait plus du tout la vie de la grâce. Non, ils sont une aide supplémentaire adaptée à la sensibilité de l’être humain pour qu’il vive davantage de la grâce. Par contre, il est impossible d’aimer Dieu et même de croire en Lui très longtemps, si on ne pratique pas une chose essentielle à savoir une certaine vie commune avec Lui qu’on appelle la prière, l’oraison du cœur.

Chacun a sa forme de prière. Certains prient une seconde par jour de tout leur cœur, d’autres prient une heure. Normalement, quand on prie cela devrait conduire au désir des sacrements, puisque quand on aime son ami, on aime le fréquenter le plus souvent possible. Si on ne le fréquente pas pendant trente ans, il ne reste qu’un vague souvenir de cet ami-là. On ne sait plus qui il est. L’amour d’amitié a besoin d’un minimum de fréquentation. C’est pour cela qu’on demande au minimum de se confesser et de communier une fois par an. Les femmes, qui ont en général un sens beaucoup plus profond de l’amour d’amitié et de ses exigences, sont plus facilement proches de la religion chrétienne qui est une religion d’amour.

Les protestants sont allés jusqu’à dire que les sacrements étaient inutiles, sauf le baptême et une communion symbolique, la présence symbolique du Christ dans le pain. Ils n’ont plus de sacrements au sens réel du terme. Alors est-ce qu’ils gardent la grâce ? Oui, s’ils gardent la prière. Mais évidemment, ils ont perdu un moyen profond pour augmenter la grâce. Un moyen qui, quand il est vécu par des catholiques de manière légère, en allant à la messe tous les dimanches et en communiant seulement parce qu’on les regarde, peut mener à la perte de la relation avec Dieu, car alors ils mangent leur propre condamnation. Vraiment, ce qui est indispensable, c’est la pratique de l’amour, amour de Dieu, amour du prochain, le reste c’est une aide, si elle est bien vécue.

D. Klanac : Vivre de vraies valeurs et ne pas croire en Dieu, ne va pas toujours ensemble !

A. Dumouch : Il y a des personnes qui ne croient pas en Dieu tout en vivant de vraies valeurs, c’est tout à fait juste aussi. Et Jésus d’ailleurs le décrit explicitement dans l’Évangile, ce qui met en rage parfois certains des interlocuteurs pharisiens qui l’entendent, notamment quand il dit que ce n’est pas vers un juif que Dieu vint quand il y eut une famine, mais vers une femme syro-phénicienne. Quand il rappelle que ce n’est pas un roi juif que Dieu guérit de la lèpre, mais un roi étranger.[10] Dans un autre texte, Jésus parle avec louange de personnes qui ont visité des prisonniers, qui ont donné à manger à des affamés, qui sont allées voir des malades alors qu’ils ne le connaissaient pas et il les accueille au paradis, il leur dit « Venez ! » et eux s’étonnent en disant, mais pourquoi, quand est-ce qu’on a fait cela pour toi  ? Et il leur répond : « Quand vous l’avez fait à un petit qui est à moi c’est à moi que vous l’avez fait. »[11] Est-ce que cela veut dire que les personnes humanistes qui agissent vraiment pour leurs frères avec générosité sont entrées dans le salut ? Non, dira le Concile de Trente[12], pas encore, elles ne sont pas encore entrées dans le salut. Leurs œuvres ne sont pas vaines du tout, elles sont même admirées, applaudies par le Sauveur, comme on le voit dans le texte que je viens de citer. Et pourtant en elles-mêmes, elles ne sont pas encore dans le salut parce ces gens ne connaissent pas celui qui est le salut, Jésus-Christ ; à savoir, ils ne sont pas entrés dans la vie d’amour d’amitié avec lui. Mais, quand, à l’heure de la mort, ils le verront, aussitôt ils entreront avec joie dans le salut, c’est évident.

Comme disait Jésus, celui qui est bon vient à moi. Ils sont bons, ils viendront à lui automatiquement, l’amour humain attire l’amour du Christ. Théologiquement, on dira qu’en eux-mêmes leurs actes humains ne les sauvent pas, mais ils les préparent au salut. Ils sont donc préparés à aimer le Christ dès qu’ils le connaîtront.

D. Klanac : D’autres se proclament heureux de vivre sans Dieu…

A. Dumouch : Seulement, y a-t-il des êtres humains qui se proclament heureux de vivre sans Dieu jusqu’à la fin de leur vie, quand le néant est là, que la mort approche et qu’ils le savent ? Que des jeunes se proclament heureux sans Dieu, c’est logique : ils ont l’éternité devant eux, ils se croient immortels. Mais quand l’expérience vient, l’être humain, qui n’est tout de même pas un animal, se demande forcément à un moment donné, dans des moments d’angoisse : à quoi tout cela sert-il ?

J’ai posé la question plusieurs fois à des élèves de 15 ans en leur demandant lesquels d’entre eux dans la classe n’avaient jamais, jamais, jamais éprouvé l’angoisse. L’angoisse qui fait qu’on se demande ce qu’on fait sur terre. Dans des classes de trente élèves, il n’y a jamais eu plus de trois ou quatre jeunes qui ont levé la main. C’est vrai qu’il existe des battants qui prennent la vie comme elle vient, au jour le jour ; ce sont les plus heureux sur terre. Mais tous les autres ont connu l’angoisse. L’être humain n’a pas la capacité comme un chien ou un chat d’être heureux uniquement parce qu’il a des biens matériels. Il se demande à quoi sert tout cela.

D. Klanac : Est-il normal pour un être humain de ne pas croire en Dieu ?

A. Dumouch : Je dirais non, parce que le propre de l’être humain est de se poser les trois questions fondamentales qui forment la sagesse. À savoir : d’où est-ce que je viens ?, en y répondant non par je viens de mes parents, mais en se posant radicalement la question suivante : Est-ce que je viens de l’évolution pure ou est-ce qu’il y a un créateur qui m’a pensé ? Il faut ensuite se poser la question : Qui suis-je ?, ceci sans répondre superficiellement Je suis un animal raisonnable, mais en se demandant : Y a-t-il en moi une parcelle d’éternité ou pas ? L’amour d’amitié que je crée avec ma femme, mes enfants durera-t-il toujours ? Et ne pas répondre à la troisième question : Où est-ce que je vais ? par un laconique et superficiel : Je vais à la mort », mais s’interroger : Y a-t-il une vie après une vie ou n’y a-t-il rien ?

L’être humain se pose ces questions-là et a besoin de se créer une réponse. Pour certains, assez rares, c’est une réponse philosophique rationnelle. Aristote et Einstein avaient démontré qu’il y avait forcément un créateur. Pour d’autres, c’est une réponse de foi et cette réponse est assez rare finalement, parce qu’il est difficile de croire sans avoir vu. Pour la majorité, la réponse est une hésitation. Ils croient, puis parfois doutent. Dieu les prend en pitié. Dieu donne des signes, parfois des miracles. C’est arrivé pendant des milliers d’années. Des millions de nos ancêtres croyaient que Dieu était le soleil, la lune, la pluie ou une statue qu’ils avaient façonnée devant eux.

Je dirais que l’homme est par nature un être religieux. Il lui est difficile de ne pas croire et ceux qui arrivent à vivre sans croire du tout, sans avoir aucune solution après la mort, sont certainement une minorité. Pourtant, actuellement en Occident, on a l’impression que c’est la pensée admise. On ne croit en rien. C’est souvent une apparence. Je veux dire qu’il y a une pensée publique qui est volontairement athée. On brave l’angoisse. On chasse Dieu de la politique et du monde. Mais en réalité, quand on est face aux êtres, individuellement, on s’aperçoit que la grande détresse est là. C’est pourquoi, quoiqu’on fasse et malgré l’apparence de bien-être matériel, on ne pourra jamais, jamais supprimer la religion. On pourra supprimer les grandes religions. L’Antéchrist le fera certainement, d’après les prophéties chrétiennes, mais il sera bien obligé de donner une religion de substitution à la masse des gens.

 

7. Mt 20,1-16. [↩]

8. 22,5. [↩]

9. 1285-1342. [↩]

10. Luc 4, 27; 2 Rois 5, 11. [↩]

11. Mt 25,34-46. [↩]

12. (1545-1563) Dix-neuvième concile œcuménique reconnu par l’Église catholique romaine et l’un des conciles les plus importants de l’histoire du catholicisme. Convoqué par le pape Paul III en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, il s’étale sur vingt-cinq sessions couvrant cinq pontificats (Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV) et qui se tiennent dans trois villes. En réaction à la Réforme protestante, il confirme la doctrine du péché originel, précise celle de la justification, de l’autorité de la Bible spécifique au catholicisme romain et confirme les sept sacrements, le culte des saints et des reliques ainsi que le dogme de la transsubstantiation. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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