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13. Le renouveau après le concile

Daria Klanac : Maintenant, qu’est-ce qui caractérise l’époque d’après Concile et le renouveau qu’il devait apporter ? A-t-il été bien compris, suffisamment expliqué et mis en pratique ?

Arnaud Dumouch : Le Concile en lui-même est véritablement un saint concile. Un Concile dans toute la tradition. D’ailleurs, il ne peut pas en être autrement, au moins pour les parties dogmatiques. En effet, il y a une protection absolue de l’Esprit Saint pour que toutes les définitions de la foi ne puissent pas faillir.

Le Concile apporte de véritables nouveautés au plan dogmatique. Non qu’il invente une nouvelle foi, mais il définit en théologie une foi contenue depuis l’origine. Il se prononce en général dans un Magistère ordinaire, cela veut dire qu’il n’y met pas de forme solennelle comme dans les précédents Conciles. Nous verrons que le Concile a été manipulé par la suite, par beaucoup de membres de l’Église, qui en ont fait simplement ce que leur rêve théologique avait espéré bien avant.

Certains théologiens, surtout intégristes, disaient que ce Concile est purement pastoral, qu’il ne contient rien de dogmatique. On peut dire qu’effectivement Jean XXIII avait prévu de faire un Concile pastoral pour faire un aggiornamento, comme il disait, c’est-à-dire une mise à jour pastorale du visage de l’Église, mais l’Esprit Saint et les pères en ont jugé autrement.

Une autre vérité dogmatique importante est définie : l’infaillibilité pontificale. Les théologiens plutôt progressistes disaient : « Le Concile Vatican II a corrigé ce qu’exagérait le Concile Vatican I par rapport à l’infaillibilité pontificale. » Il ne l’a pas corrigé, il a étendu la définition qui n’avait pas été terminée par le précédent concile. Vatican I définissait des cas extrêmement exceptionnels d’infaillibilité, presque extraordinaires, qui ne peuvent avoir lieu que rarement, comme la proclamation de l’Assomption, de l’Immaculée Conception. Le Concile Vatican II montre que l’infaillibilité est non seulement solennelle, quand on définit quelque chose qui est dans l’Écriture, mais qu’elle peut être ordinaire, quand le pape simplement rappelle la foi avec un ton neutre. Le pape Jean-Paul II, dans un Motu Proprio appelé Ad Tuendam Fidem[33], a même changé le droit canonique pour montrer qu’il fallait que les théologiens tiennent compte de cette infaillibilité ordinaire. Il y a même un serment de fidélité des théologiens pour qu’ils adhèrent à ce qui est défini de manière ordinaire par le Magistère. Et beaucoup ne l’ont pas pris au sérieux. Ils relativisent le Magistère malgré Vatican II.

D. Klanac : Il y a autres avancées du Concile à souligner.

A. Dumouch : Oui, la liberté religieuse. Certains diront que ce n’est pas dogmatique. C’est dogmatique, même si cela porte sur quelque chose qui est philosophique, à savoir que l’être humain est une personne libre et qu’on ne saurait le contraindre à croire en telle ou telle religion. Cela ne signifie pas qu’il est libre de faire n’importe quoi, car alors il pèche évidemment, mais cela veut dire que selon sa conscience s’il estime que telle religion est la vraie, il doit la suivre. Saint Thomas d’Aquin le disait déjà, donc le Concile a défini là quelque chose qui est déjà philosophique. C’est très important parce que cela vient remettre en cause ce qu’on avait cru pendant des siècles, à savoir qu’on pouvait imposer la foi. On l’avait cru parce que les décrets politiques pastoraux des papes allaient dans ce sens à une époque où ils avaient tous les pouvoirs. Le Concile remet les choses au point.

Il y a bien d’autres dogmes, mais au-delà, il y a un esprit fantastique qui aura comme conséquence le changement de la liturgie. À partir du Conseil de Trente[34], la spiritualité consiste principalement à dire que Dieu seul compte, et c’est le but du christianisme, d’où la messe de saint Pie V avec l’autel très en hauteur, la majesté de Dieu, le prêtre tourné vers Dieu, le peuple tourné avec le prêtre vers Dieu. Et le Concile Vatican II va rectifier cela en disant : Dieu seul compte et il veut que l’alliance avec l’homme soit au centre, l’homme et Dieu unis dans une alliance de type amour matrimoniale. La liturgie s’en trouve ramenée à ce qu’elle était avec Jésus. Le prêtre est l’intermédiaire entre Dieu et l’homme, il est tourné vers le peuple, l’Eucharistie est entre le peuple et le prêtre. Il s’agit d’une remise au point précise qui ne s’oppose pas du tout au Concile de Trente, mais qui simplement vient mettre une nuance, une précision. Dieu reste le centre de notre amour. Mais Dieu a aussi parlé dans Vatican II en disant que pour lui, le centre de son amour c’est l’homme. Ce Concile, on le voit, est extrêmement profond et mystique.

D. Klanac : Les réactions à ce Concile n’ont pas manqué !

A. Dumouch : Les intégristes réagissent : « C’est le Concile Vatican II qui a détruit l’Église en enlevant l’honneur à Dieu. En mettant l’honneur sur l’homme, il a exalté l’humanisme. » Là, ils confondent le saint Concile Vatican II avec la réaction du clergé majoritaire conciliaire, en Occident qui, lui, a suivi mai 68. Il a déformé le Concile, il s’en est accaparé, il s’est détourné très souvent du Magistère en le relativisant.

Les universités en général ont fait une sorte de coupure par rapport au Magistère. J’en ai encore eu récemment la preuve. Je voulais aller à Louvain-la-Neuve pour passer une thèse. J’en parle à un ami professeur dans cette université en disant que je voudrais être fidèle au Magistère. La réponse a été fulgurante : « Ah ! Non ! Notre université a voulu relativiser le magistère, ce n’est pas pour retourner en arrière ! » Tout est dit, cela résume bien ce qui s’est passé. Heureusement, Dieu a envoyé à son Église un pape lumineux, le pape Jean-Paul II, qui a bien montré, venant des églises du silence, à quel point le Concile était traditionnel et nouveau, comme chaque concile. Traditionnel parce qu’il garde toute la Tradition sans exception, et nouveau parce qu’il ajoute sa pierre, il précise des choses. Les intégristes, qui sont toujours en lutte, ont dit : « Ce pape ne peut être un vrai pape, il est allé embrasser le Coran. » Seulement, ils oublient que le geste d’embrasser le Coran, il faut le comprendre comme un signe et qu’il n’a sa valeur que par l’explication qu’en donne Jean-Paul II lui-même. Le pape ne reconnaît pas l’islam comme étant une religion équivalente, où tout serait relatif, tout sauverait. Non ! Il reconnaît avec Vatican II ce qui dans l’islam est semence de l’Esprit Saint, ce qui vient de l’Esprit Saint. Par exemple, ils croient en un Dieu unique, ils croient qu’il est juste, qu’il est miséricordieux, c’est le Dieu d’Abraham : ils croient qu’il proposera la vie éternelle, qu’il ressuscitera la chair, que les méchants seront punis par l’enfer. Ce que le pape a embrassé, c’est cette partie qui vient de l’Esprit Saint et cela n’empêche pas que tous les dogmes d’avant qui montraient dans l’islam certaines hérésies restent valables. Le fait de l’avoir embrasser, c’est l’action de l’Esprit Saint.

D. Klanac : Mais la mise en pratique du Concile a connu une crise profonde !

A. Dumouch : En regardant ces 40-50 ans qui ont suivi le Concile, on peut dire qu’il a été profondément trahi par beaucoup de prêtres et d’évêques catholiques, aussi bien intégristes que progressistes. L’explication authentique du Concile, on la doit aux papes Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI et c’est donc vers eux qu’il faut se tourner. Il faut lire aussi les textes qui parlent par eux-mêmes, et l’on voit bien qu’ils ne sont ni progressistes en réduisant le christianisme au culte de l’homme tout seul ; ni intégristes, c’est-à-dire qu’ils ne méprisent en aucun cas la nature humaine. Ils ne réduisent pas le christianisme au culte du serviteur prosterné devant leur maître et Seigneur ; il crée entre Dieu et l’âme une relation d’amour. C’est l’Évangile.

Tout Concile a connu après sa proclamation une crise de ce genre-là. Il faut se souvenir des Conciles qui ont défini la Trinité. Il faut savoir qu’à un moment donné l’Église a quasiment été à cent pour cent aryenne, presque témoin de Jéhovah, croyant que Jésus Christ fut un homme ou un ange fait homme, mais certainement pas Dieu. Puis le temps a passé et la vérité a triomphé. Il en sera de même ici. Le pape essaye de résoudre le schisme intégriste qui a été provoqué par Mgr Lefebvre. C’est déjà en grande partie gagné, les personnes de bonne volonté dans ce schisme sont déjà revenues en Église. Les plus durs, eux, se sont durcis davantage dans leurs positions, ils refusent strictement la théologie de Vatican II. Un schisme quand il commence, continue. De plus en plus renfermés sur eux-mêmes, de plus en plus sectaires, ce sera une petite Église parallèle qui sera témoin de ce que nous étions finalement au XIXe siècle, parce que nous avions tendance, dans nos frères catholiques, nos pères de l’époque, à être assez jansénistes, centrés sur la vertu seul.

Avec les progressistes, par contre, il n’y a pas fécondité. Les séminaires des progressistes se vident, ils n’ont pas de vocations et les jeunes, quand ils veulent devenir prêtres cherchent des communautés nouvelles, soit des séminaires qui sont retournés à la fidélité, à la foi, au Magistère, aux trois blancheurs.[35] Cela veut dire que dans les années à venir, le clergé sera en Occident moins nombreux, mais de meilleure qualité. Il vaut mieux un curé d’Ars que cent prêtres qui éloignent peut-être de la foi.

 

33. Lettre apostolique 18 mai 1998. [↩]

34. 1542-1560. [↩]

35. Dans la vision de saint Jean de Bosco, trois colonnes blanches protègent de la tempête le bateau de l’Église. Ces trois colonnes sont Marie, l’Eucharistie et la soutane blanche du pape. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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