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18. Le progrès avant toute chose

Daria Klanac : Au nom du progrès et du bonheur, on sélectionne d’un côté les êtres humains à naître et de l’autre on expédie à la mort bon gré mal gré les malades incurables et les personnes âgées. Où est la dignité humaine dans la pratique de l’eugénisme, de l’avortement, de l’euthanasie ?

Arnaud Dumouch : L’eugénisme, l’avortement, l’euthanasie sont des conséquences d’une humanité qui a perdu le sens du fait que cette vie terrestre n’est que la première marche d’une échelle qui conduit au Ciel. Actuellement, chez les Occidentaux, il y a réellement la conviction que seule la vie terrestre compte et qu’il faut tout faire pour être heureux. Souvent le bonheur, à cause de la publicité, est identifié à la possession matérielle, aux loisirs, au fait d’avoir un corps en pleine jeunesse. Quand il n’y a pas ce bonheur matériel, on déclare la vie indigne d’être vécue. Et c’est par humanisme, par amour, que souvent sont pratiqués les avortements, parce que l’enfant n’est pas prêt à être reçu ou qu’il a un petit handicap et n’aura pas toutes les conditions pour être parfaitement heureux. C’est un raisonnement de folie, évidemment. Si on comprenait que la clé du vrai bonheur sur terre n’est pas seulement dans la beauté physique, il n’y aurait pas tant de jeunes filles magnifiques physiquement, les plus belles du monde, qui se donnent la mort.

Nous sommes dans une métaphysique du désespoir. Carpe diem, profitons du jour présent et profitons-en en urgence avant que la fleur ne se fane, tant et si bien que la vie qui vaut la peine d’être vécue se restreint. Le meurtre d’un enfant scandalise beaucoup dès qu’il atteint la liberté, vers deux-trois ans. Pour la mort d’un nourrisson, les peines sont constamment en diminution, car on dit que le nourrisson n’est pas encore libre, qu’il ne peut être considéré comme une vraie personne humaine. Quant aux vieillards et aux handicapés, on en est presque à admirer le courage de ceux qui les mettent à mort. Dans la métaphysique chrétienne, quand on donne la vie, on sait qu’on donne des passages de souffrance, on sait qu’il n’y aura pas que le bonheur, mais on se souvient – même si chez les chrétiens c’est de moins en moins fréquent –, on se souvient de cette parole de la Vierge à sainte Bernadette : « Je ne vous promets pas de vous rendre heureuse en ce monde, mais dans l’autre. »

D. Klanac : L’Occident chrétien n’est-il pas surtout à la recherche du bonheur sur terre ?

A. Dumouch : La plupart des chrétiens, en tout cas occidentaux, ont cru que la vraie interprétation du Concile Vatican II est la recherche du seul bonheur sur terre, telle que de trop nombreux prêtres leur ont enseigné. Les prêtres qui ont enseigné cela ont réduit le christianisme au socialisme, à une sagesse humaine, terrestre. Donc, il faut comprendre la logique de ceux qui veulent pratiquer l’eugénisme, l’avortement, l’euthanasie. Cette logique a sa cohérence et ceux qui la pratiquent ne sont pas des monstres : ils sont victimes de la perte du sens de Dieu et de la vie éternelle. Les chrétiens, et le pape en particulier, sont là pour parler dans le désert et pour rappeler, sans cesse, que l’enfant à naître a une âme. Ah ! Si les théologiens pouvaient sans arrêt rappeler la véritable raison de l’opposition de l’Église à l’avortement, même dans le cas d’une femme violée : l’enfant n’est pas responsable de l’horreur qu’a faite son père ; l’enfant a son âme et l’avorter ne règle rien, on le retrouve après la mort. Alors les gens comprendraient la logique de la position de l’Église. Je ne dis pas qu’ils seraient d’accord, mais ils la comprendraient. La raison de l’opposition à l’avortement, c’est le respect de la vie humaine qui est faite pour l’éternité et qu’on ne pourra jamais arrêter une fois conçue.

Il ne faut pas se faire d’illusion, si un jour on revient en arrière pour les lois sur l’avortement, ce sera sous l’influence de l’Esprit Saint, c’est-à-dire du retour de ce sens de la vie profond, du fait que la vie terrestre est un purgatoire. Tant que l’athéisme, l’humanisme athée, règnera comme maintenant, avec le matérialisme consumériste, on estimera que certaines vies ne valent pas la dignité d’être vécue. Et l’on entendra de plus en plus souvent que les personnes âgées coûtent cher, que les soins des derniers moments sont extrêmement onéreux. Il y a même des infirmières de plus en plus nombreuses, je le sais de source sûre, qui organisent discrètement la mort, par amour, en estimant que c’est aider la personne qui souffre trop.

L’Église s’oppose évidemment à l’euthanasie, même quand elle est demandée par la personne concernée. Pourquoi ? Parce que quelquefois pendant les 15 derniers jours de notre vie, quand on perd ses capacités, quand on a peur de la mort, on apprend plus sur soi-même et ces quelques jours préparent à la vie éternelle davantage que tout le reste de la vie. Si on perd ses 15 derniers jours, arrivé de l’autre côté, on se rendra compte que tout le travail pour acquérir ce cœur qui réfléchit à sa propre faiblesse devra être fait dans le purgatoire. Attention ! Cela ne veut pas dire qu’il faut se réjouir de la souffrance de quelqu’un et qu’il ne faut rien faire. Quand quelqu’un souffre physiquement, il y a des remèdes pour empêcher la souffrance. Mais il faut tout faire pour que la personne garde sa conscience et ne pas la tuer avec les médicaments. On l’entoure, on ne l’abandonne pas. La mort, le pape Jean-Paul II en a donné l’exemple, doit être vécue comme une grâce, comme un chemin qui conduit à la vie éternelle. En faisant de sa mort une icône pour toutes les personnes âgées du monde, pour tous les malades, Jean-Paul II a fait une prédication extraordinaire.

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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