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3. L’éducation par la peur ou dans l’amour ?

Daria Klanac : Peut-on forcer quelqu’un à croire par peur de l’enfer s’il ne fait pas ceci ou cela pour plaire à Dieu ? Parlez-moi de l’importance de l’amour dans l’enseignement et la pratique de la foi pour chaque disciple de Jésus.

Arnaud Dumouch : Je dirais que la peur de l’enfer peut être une pastorale et elle a été utilisée par Dieu et même par l’Église pendant des siècles, mais elle n’est adaptée qu’à un certain type de personnes, des personnes qui ne sont pas assez mûries, dans leur cœur pour vivre de l’amour. Il ne faut pas croire que tout le monde est prêt à vivre tout de suite un amour d’amitié pour Dieu. Certains n’ont pas le cœur assez purifié, et dans ce cas-là, la peur d’une justice, d’un châtiment peut vraiment être efficace.

Si Dieu utilise cette pastorale, c’est parce que, dit la Bible, elle est le commencement de la sagesse pour l’homme au cœur dur, et cela marche. C’est une première préparation.

Ensuite, quand le cœur de l’homme s’affine, petit à petit, Dieu passe à une simple peur du sacré. C’est ce qui va en particulier arriver à David. David est un roi guerrier et à un moment donné il veut oser un amour d’amitié pour Dieu. Il prend l’arche d’alliance et il danse devant. Il veut l’emmener dans son palais. Un peu comme ferait maintenant un chrétien fervent qui demanderait à son curé de mettre le Saint Sacrement dans sa maison pour l’avoir toujours à disposition. Seulement Dieu n’est pas d’accord. Il pense que David n’est pas prêt, aussi, alors que l’arche arrive vers le palais royal, un des prêtres qui la porte manque de trébucher. Un homme essaye de l’aider et touche l’arche pour l’empêcher de tomber. Et cet homme est foudroyé, alors David a peur et il ne prendra jamais l’arche chez lui en se demandant comment est-il possible que Dieu soit aussi terrible.

Le roi David, ce n’est pas n’importe qui, c’est l’auteur des Psaumes. Dieu aurait pu s’adapter. Mais il faut croire que non. David était encore un roi barbare, d’une autre époque. Même actuellement, l’amour d’amitié de tendresse, de proximité ne marche pas pour les foules.

D. Klanac : Est-ce ce dont s’est rendu compte l’Église depuis Vatican II ?

A. Dumouch : Vatican II est un concile qui veut revenir à la Tradition, à la liturgie qui a été instituée par Jésus dans l’Eucharistie. Il remet la table au centre de la messe, car c’est un repas que Jésus a institué. Pour lui, c’est l’amour de tendresse qui rapprochera les gens de Dieu. Quarante ans après, on s’aperçoit que cela marche très bien pour les communautés contemplatives, les gens qui ont une intense vie de la grâce. Mais pour la masse du peuple, l’extrême proximité sans geste de respect, comme l’absence des bancs de communion, de l’agenouillement, etc., a provoqué une sorte de familiarité et a fini par mépriser un peu Jésus dans son Eucharistie. Le pape Benoît XVI, comme avait fait saint Paul à son époque, veut donc remettre des gestes de respect. L’amour d’amitié marche dans un couple parce qu’on est proche l’un de l’autre, on s’aime vraiment. Mais si le gouvernant d’une école ou d’une ville ou d’un royaume veut une relation d’amour d’amitié avec son peuple, cela ne marchera pas. Les gens ont besoin de l’admirer, de le considérer comme un chef et s’il est trop proche, il le méprise.

Au début de l’Église, les chrétiens étaient très peu nombreux et risquaient leur vie tout le temps. Donc, la liturgie pouvait être très proche. Si Vatican II a rétabli une liturgie plus proche, c’est sans doute un signe des temps. Signe de l’approche de ces temps où l’Église va diminuer, perdre des fidèles, pour devenir, petit à petit, un petit reste fervent, et l’amour suffira pour que les gens, les saints de cette époque-là, s’approchent de Dieu. C’est comme cela qu’il faut regarder ce changement liturgique.

D. Klanac : Pour revenir à la pédagogie de la peur de l’enfer…

A. Dumouch : Jésus lui-même s’est servi tout au long de l’histoire de l’Église, de l’instrument de la peur, même auprès de ses saints. Pendant des siècles, les saints, les apôtres, les missionnaires partaient évangéliser les païens parce que sincèrement ils avaient peur pour leur salut. Saint Dominique, paraît-il, priait toutes les nuits en se demandant ce qu’allaient devenir les pauvres pécheurs. Et il pleurait. Quand on y réfléchit, Dieu ne peut pas mettre en enfer une pauvre personne parce qu’elle n’a jamais entendu parler du Messie. Un raisonnement théologique fallacieux leur faisait croire dans une synthèse qui était à la mode : ces gens-là mourraient sans la grâce, sans la charité et donc étaient damnés pour l’éternité. Ils n’avaient pas reçu l’idée que Dieu pouvait, dans le passage de la mort, leur proposer à tous le salut en leur apparaissant. Et bien cette peur provoqua un grand bien dans l’Église, c’est grâce à elle que l’Afrique, l’Asie, l’Océanie connaissent le Christ.

Si la théologie de l’amour de Dieu qui, à la onzième heure de la vie, évangélise lui-même tous les hommes, avait été connue plus tôt, certainement que l’amour tout seul, dans le cœur de beaucoup des missionnaires, n’aurait pas été suffisant pour aller annoncer dans la joie, par simple amour du message du Christ. L’idéal serait que les apôtres ne sentent aucune espèce d’angoisse et, se sachant sauvés, aillent évangéliser et risquer leur vie simplement parce qu’ils annoncent le bonheur d’être sauvés. Mais ce n’est pas comme cela que fonctionne l’être humain, alors Dieu y avait mis une petite dose de peur.

En ces temps qui sont peut-être les derniers, l’Église prend conscience de plus en plus, depuis Vatican II, du fait qu’évidemment Dieu propose son salut à tout homme. Le risque d’une telle prise de conscience de la Révélation pourrait se traduire par la baisse du nombre de missionnaires… je ne le pense pas. J’espère au contraire qu’il se lèvera une génération de missionnaires qui sera sans stress, simplement portée par l’amour. Peut-être que Dieu à travers le désert spirituel que l’Occident a connu pendant 40 ans, l’Esprit Saint s’étant comme retiré, prépare dans les années à venir, pour la nouvelle génération des jeunes, l’annonce de l’Évangile et un grand mouvement d’évangélisation qui sera porté par leur simple joie d’être sauvés. Si c’est le cas, on verra alors à quel point la sainteté s’est approfondie dans l’Église, à quel point on a avancé dans la connaissance de Dieu et de son amour infini.

D. Klanac : L’éducation rigide n’a-t-elle pas éloigné les gens de la véritable image de Dieu ? Nos faiblesses communes et individuelles ont sûrement nui à l’épanouissement de la vraie foi dans l’Église…

A. Dumouch : Sur le corps de l’Église, la pédophilie est une blessure particulièrement douloureuse qui salit le visage du Christ. La question qui se pose ici, c’est encore et toujours autour de ce mystère de l’apostasie de l’Occident. On peut effectivement trouver une première cause qui est du côté de l’être humain et des générations qui se sont succédé. Mais je vais montrer qu’il y a une deuxième cause qui est du côté de Dieu.

Analysons d’abord la cause du côté de l’humain. Normalement la plénitude de la foi n’est ni l’exaltation des vertus ni une sorte de jansénisme, de puritanisme rigide. Ce qui fait le salut chrétien, son fondement, c’est l’humilité. L’acte humble, c’est comme la terre sur laquelle vient pousser un arbre qui s’appelle la charité, l’amour de Dieu et du prochain. L’amour de Dieu s’exerce principalement dans la prière cœur à cœur, et l’amour du prochain très simplement par l’aumône. Le prochain est un acte efficace, ce n’est pas simplement du sentiment. En conséquence, fondés sur cet arbre de la charité vont s’épanouir les feuilles et les fruits, à savoir les vertus morales, la prudence, la chasteté, la générosité, etc. Chaque fois que l’Esprit Saint est puissant dans l’Église, on peut dire que les saints, les chrétiens marchent sur deux pieds, l’humilité et l’amour. L’humilité pour confesser leurs péchés, et l’amour parce qu’assoiffés de Dieu, ils veulent faire du bien au prochain. Seulement cela ne dure jamais. Au bout de 25-30 ans, les choses se dégradent, ne serait-ce que dans la génération suivante parce que même si elle a reçu la bonne prédication, elle n’y voit plus de nouveauté. Et on voit tantôt un mouvement qui va plutôt vers la droite par l’exaltation des vertus morales, tantôt vers la gauche par l’exaltation de l’humilité sans s’occuper trop de l’amour.

C’est ce qui s’est passé en Occident. Après la Révolution française, il y a eu un renouveau profond de l’Église catholique dans le monde entier. À la fin du XIXe siècle, il y a vraiment un fleurissement de la sainteté. Des ordres religieux fondés par de véritables saints ont l’humilité et l’amour comme centre de leur vie. Et puis les choses se dégradent. Elles vont virer plutôt vers la droite. Dans les écoles catholiques, l’éducation est à la vertu, la pratique religieuse n’est pas à la liberté, mais à des pratiques sacramentelles, perpétuelles, excessives.

Dans les années soixante, la génération qui sortira des écoles catholiques aura reçu toute cette éducation rigide, sauf le cœur qui va avec. Elle va faire une crise d’adolescence terrible et ceux qui resteront catholiques interpréteront la vie avec le Christ à l’inverse des valeurs de leurs pères. On exalte la liberté, la miséricorde de Dieu, on se permet des péchés, mais on sait que Dieu pardonnera. Il y a un laxisme très fort. Actuellement, si on faisait voter les catholiques sur des questions comme l’avortement, il est probable que la plupart diraient qu’à l’évidence la femme doit pouvoir avorter. Jamais il n’est venu à l’idée de ces catholiques de la jouissance immédiate que le petit enfant pourrait avoir son âme et que peut-être on le retrouve après la mort.

D. Klanac : Dans tout cela où va l’Église ?

A. Dumouch : L’éloignement de l’Église vient des deux dernières générations, l’une ayant exalté la vertu, la suivante ayant exalté la liberté individuelle. Le clergé actuel, qui a une théologie extrêmement progressiste, identifiée quasiment au socialisme, ne fait pas de fruits, personne ne se consacre à Dieu en suivant ce clergé-là. Les gens ne vont plus à l’Église parce qu’ils n’y trouvent plus rien de sacré. Si le christianisme est identique au socialisme, ce n’est pas la peine de se mettre à genoux dans une église. En revanche, le mouvement des intégristes est très vivant en apparence. Ils semblent très fervents et il y a des vocations, mais en réalité ils attirent peu de monde. En France, on a peut-être quelques centaines de prêtres intégristes, quelques dizaines ou centaines de milliers de fidèles très agissants, mais on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un mouvement de foule.

Et puis, entre les deux, il y a l’Église, la sainte Église, celle qui est portée par Vatican II dans sa vraie interprétation par le pape Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI. Je crois que l’on peut dire que l’Église, telle qu’elle est actuellement dans sa prédication, n’a jamais été aussi sainte et aussi proche de l’Évangile. Et pourtant, en Europe, elle ne semble pas porter de fruits en très grand nombre. Certes, il y a des renouveaux fervents, des communautés nouvelles, des paroisses qui vivent intensément, mais ce n’est pas non plus la foule qui retourne vers le Christ.

D. Klanac : Quelle est l’autre cause que vous avez mentionné ?

A. Dumouch : Parlons de l’autre cause qui est l’Esprit Saint. Actuellement, il se retient d’agir et creuse des abîmes de soif dans le cœur de la génération des enfants de mai 68, qui n’a pas encore vu le retour de la foi. Cette génération est en train de toucher le fond du gouffre de l’angoisse. Mais le jour où l’Esprit Saint voudra bien revenir, le désert refleurira.

Toutes les histoires de pédophilie, tout ce qui déforme actuellement l’Église et son visage, tout cela a toujours existé. Mais quand l’Esprit Saint est là, les gens comprennent très facilement que le péché des membres de l’Église, ce n’est pas le Christ.

Il ne faut pas se laisser impressionner par ces personnes qui de fait ont déjà quitté l’Église. Elles ont une pensée humaniste, sans Dieu et, parce qu’elles ont été élevées dans l’Église, pensent pouvoir dicter au magistère et au Saint-Esprit quelle est la vérité. Elles ne reviendront pas, sauf le jour où l’Esprit Saint les touchera parce qu’alors elles comprendront la cohérence de la foi de l’Église. Tant que l’Esprit Saint s’est retiré, elles interprètent à leur façon, c’est-à-dire de façon humaine, et l’unique valeur devient la tolérance, la recherche du bonheur ici-bas de toutes les manières possibles.

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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