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24. Le mystère de l’Eucharistie

Daria Klanac : Avant de se livrer à la mort, Jésus s’est offert à tous par son corps et son sang. Ce don total de vie n’est pas toujours interprété en accord avec l’enseignement de l’Église. Le mystère de l’Eucharistie, s’il est du domaine des dogmes, peut-il être remis en question ?

Arnaud Dumouch : Le mystère de l’Eucharistie est du domaine des dogmes solennels développés par l’Église, face à Luther qui l’avait mis en doute lors du Concile de Trente.[31] L’Église, dans une session particulière, a défini que l’Eucharistie était véritablement la présence réelle, avec un miracle invisible, à savoir une transsubstantiation. Le pain n’est plus du pain, le vin n’est plus le vin ; ce sont réellement, métaphysiquement (c’est-à-dire au niveau de l’être) le corps et le sang du Christ qui est là, même si les apparences extérieures ne sont pas changées.

D. Klanac : Tous les chrétiens ne vivent pas l’Eucharistie de la même façon

A. Dumouch : Saint Thomas, quand il interprète les paroles de Jésus : « Celui qui boit mon sang et mange ma chair a la vie éternelle », dit que Jésus parle en premier lieu de l’oraison du cœur pas de l’Eucharistie. C’est assez important, parce que les protestants ont gardé l’oraison du cœur, la prière. S’ils n’avaient pas gardé la prière, ils ne seraient plus chrétiens. Donc ils ont une véritable relation avec Dieu par la charité. Finalement, on peut dire que l’Eucharistie est une invention de Dieu, absolument adaptée à ce que nous sommes sur terre.

Il faut savoir que dans l’autre monde, l’Eucharistie disparaît. Fort heureusement, Jésus ne se cache plus sous du pain et du vin, il apparaît véritablement, on le voit de ses yeux, on le touche de ses mains, il apparaît glorieusement. Mais sur terre, c’est véritablement un moyen adapté, un petit peu, dit saint Jean Chrysostome, comme ce qui se passe dans le couple : c’est le rapport entre l’amour des époux, qui est central, qui est fondamental, et le don des corps qui en est une expression, qui en est le sacrement, en ce sens que le don des corps chez les jeunes époux signifie leur amour qui se réalise. Ils s’aiment davantage quand cela a été fait dans un très grand respect de l’autre, dans une grande attention au plaisir de l’autre. De la même façon, l’Eucharistie n’a de valeur que fondée sur la charité. En elle-même l’Eucharistie peut être une ruine, un peu comme le don des corps s’il est fait sans amour détruit le couple, la femme servant d’instrument au seul plaisir sexuel de l’homme. Saint Paul dit que celui qui mange l’Eucharistie sans discerner le corps du Christ mange sa propre condamnation. Cela veut dire qu’il entretient sa tiédeur par des communions hebdomadaires sans aucun sens. Au contraire, quand c’est porté par l’oraison du cœur, cela signifie l’amour de manière palpable. Si Jésus se fait pain et vin, c’est pour signifier comme un baiser, le baiser le plus intime qu’on puisse imaginer. Qu’est-ce qu’il y a de plus intime que la nourriture qui se transforme en soi ? Cela signifie la réalisation de l’amour. Après avoir communié, on se concentre en soi même, on lui parle intensément et on le remercie. C’est l’Action de grâce à la messe.

Les protestants ont sans doute perdu cette présence réelle. Ils ont transformé le don des corps, si intime dans le rapport physique des époux, en un simple baiser symbolique, puisque pour eux il n’y a pas transsubstantiation. Un baiser symbolique a toujours un sens ; il peut signifier quand même l’amour, mais c’est beaucoup moins fort que ce que Jésus a voulu. Les catholiques et les orthodoxes ont gardé intact ce mystère. Si nous n’avions pas, sur terre, ce besoin de passer par la sensibilité pour toucher au spirituel, les protestants auraient raison, un simple rapport mystique avec Dieu suffirait. Quand un protestant, en se passant des sacrements, demande pardon à Dieu dans sa prière pour ses péchés, il est pardonné ; de même quand il prie avec d’autres frères ou tout seul, Jésus répond. Mais il s’est privé d’un des moyens que Jésus lui-même avait inventé pour rendre les choses beaucoup plus adaptées au temps du passage terrestre.

D. Klanac : Quelle est la raison d’être de l’Eucharistie ?

A. Dumouch : L’Eucharistie n’existait pas avant le départ de Jésus, ou très peu (le Jeudi saint seulement), et elle n’existera plus après le retour de Jésus. Elle est le pain du chemin, le viatique, pendant le temps de cette vie terrestre ; elle est la manne comme au désert et il n’y aura plus la manne quand nous serons arrivés dans la Terre promise. On ne peut pas remettre en question le dogme de l’Eucharistie et son utilité, son caractère essentiel. Par contre, on comprend, avec la comparaison que j’ai prise chez saint Jean Chrysostome, qu’en fonction de la vie, elle est vécue différemment. C’est une relation mystique, cela évolue au cours de la vie, comme évolue le don des corps. De même, vers la fin du monde, il nous est annoncé que l’Eucharistie disparaîtra au moment du dernier Antéchrist. Il arrêtera le sacrifice perpétuel, mais dans ce moment-là, comme la Vierge Marie le Samedi saint, il nous restera l’oraison. Personne ne pourra nous détacher de Dieu. Personne. De même que lorsque des époux sont séparés par une catastrophe, un exil, même s’il n’y a pas le don des corps, personne ne peut briser leur amour s’ils décident d’être fidèles. L’Eucharistie est la plus belle, la plus profonde invention de Dieu, mais elle produit son effet par la charité et l’oraison du cœur. Elle est la source de la grâce, quand elle est portée par ce qui lui donne vie, à savoir la charité.

 

31. Convoqué par le pape Paul III en 1542, en réponse aux demandes formulées par Martin Luther dans le cadre de la Réforme protestante, ce dix-neuvième concile œcuménique débute le 13 décembre 1545. Etalées sur dix-huit ans, ses vingt-cinq sessions couvrent cinq pontificats (Paul III, Jules III, Marcel II, Paul IV et Pie IV) et se tiennent dans trois villes. En réaction à la Réforme protestante, il confirme la doctrine du péché originel, précise celle de la justification, de l’autorité de la Bible spécifique au catholicisme romain et confirme les sept sacrements, le culte des saints et des reliques ainsi que le dogme de la transsubstantiation. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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