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14. Le fils de Dieu

Daria Klanac : Lorsque Jésus dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie », il ne parle pas en tant qu’homme, mais en tant que Fils du Dieu vivant en qui agit l’Esprit. En disant cela, il ne peut pas se tromper

Arnaud Dumouch : Quand il dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie », il parle non seulement en tant que Dieu, mais en tant que Dieu fait homme et c’est logique. Il faut se souvenir que la personne de Jésus est celle de Dieu. Et Dieu, le Verbe, a assumé une nature humaine complète. Donc, Jésus voit, il entend et il a aussi une intelligence et une volonté humaine. Quand Jésus dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie », il parle non seulement de sa nature divine, mais surtout de sa nature humaine, parce que tant que nous sommes sur terre, il nous est impossible de contempler la nature divine du Christ, sauf à travers l’image qu’il en donne dans sa nature humaine. C’est pour cela que Jésus dit à Philippe qui lui demande de lui montrer le Père : « Je suis avec vous depuis si longtemps, et cependant, Philippe, tu ne m’as pas reconnu  ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Pourquoi dis-tu : Montre-nous le Père ? »[14] Sainte Thérèse d’Avila avait essayé dans sa prière de ne contempler que la Trinité, donc le mystère des processions divines, et très vite elle s’était épuisée parce que ce n’est pas encore adapté à notre état. Notre état terrestre passe très fortement par l’image ; nous avons donc besoin des images concrètes que Jésus donne à travers sa vie. La vie des saints, de la Vierge Marie, sont aussi images de Dieu. Tout cela parle davantage à notre manière de connaître et nous permet de contempler Dieu. Ce n’est pas pour rien que les anciens se créaient sans cesse des images de Dieu, ils en avaient besoin. Quand Dieu s’incarne, puisqu’il veut parfaitement se faire connaître, il s’adapte à l’homme. Il crée une image qui cette fois n’est pas faite de main d’homme, et c’est son humanité, son message, sa vie, sa mort, sa Résurrection.

D. Klanac : Alors comment se fait-il qu’on soit si mal préparé à le suivre et à croire en sa Parole ?

A. Dumouch : En réalité, il y a deux forces en nous, la loi du vieil homme et celle de l’homme nouveau. La force que saint Paul appelle le vieil homme est tout simplement notre homme naturel avec ses trois degrés de vie. Le premier est notre vie biologique qui est commune avec les plantes avec ses instincts de reproduction, de nutrition. Le deuxième degré est notre vie psychologique qui est commune avec celle des animaux, c’est-à-dire voir, entendre, imaginer la future proie, avoir des sentiments et, surtout, chercher son plaisir. Et, troisième degré, la vie spirituelle qui est notre intelligence, notre volonté, mais avec une tendance à suivre les deux autres, donc à chercher aussi le plaisir. Toutefois, cette vie spirituelle a une dimension beaucoup plus profonde, comme un creux qui a été créé en elle par Dieu pour chercher quelque chose de plus qu’être heureux dans l’instant. C’est ce qui explique qu’à travers les civilisations humaines – et non seulement les beaux-arts, les arts sacrés –, on voit que l’artiste cherche autre chose que ce qui est limité ; il cherche du grand, du plus beau, du plus fort. Cela explique que même dans une civilisation athée, on n’arrive pas à accepter que la personne retourne au néant. D’ailleurs, quand un des leurs meurt, ils disent « Là où tu es ».

Saint Paul dit que cette double loi, la loi du vieil homme et la loi de l’homme nouveau créé pour la vision béatifique s’opposent. Périodiquement, les civilisations vont de l’une à l’autre. Perpétuellement, au cours de l’histoire de l’Église, on a vu des générations qui se détournaient de la religion, qui n’avait plus de goût pour elle, ce qui est le cas actuellement depuis mai 68. En Europe, les gens semblent ne plus avoir de goût du tout pour les mystères, au point que l’Église se demande comment cela se fait que Jésus attire si peu.

En réalité, cela s’explique très bien par la sociologie. C’est parce que cette génération, dans son enfance, dans les écoles chrétiennes en particulier, a été suralimentée par les fervents de la génération précédente, de prières, de pratiques religieuses, de messes, de confessions, qui souvent étaient détournée de son esprit profond. Les jeunes, l’adolescence passée, se sont détournés de cela pour prendre leur liberté et ils se sont précipités vers le vieil homme. On voit bien que cette génération entière, dans ces élites les plus brillantes, pense que la vie terrestre n’a pas besoin de la vie céleste. « Notre père qui êtes aux Cieux, restez-y et nous nous resterons sur la terre », chantait un artiste français. Seulement, l’homme nouveau, lui, ne peut jamais disparaître. Il est là et il se traduit dans cette génération par des angoisses qui minent et jamais les psychologues n’ont été autant consultés. Aujourd’hui, un psychologue ne peut pas dire que la plupart des angoisses viennent du chômage ou de la grande crise de 2010 qui a fait perdre 5% de ses économies. Mais il peut dire que ses patients avouent tous n’avoir pas trouvé de sens profond à leur vie.

D. Klanac : Peut-on supprimer l’appel de l’homme nouveau qui est fait pour la vision béatifique ?

A. Dumouch : Quand on le supprime, cela provoque une angoisse profonde que la Bible appelle le feu de l’enfer, le feu du purgatoire, c’est-à-dire l’absence de Dieu. La prochaine génération – génération qui n’aura pas subi dans son enfance une surdose de religion, mais aura vécu une famine spirituelle –, se détournera radicalement de la sagesse de mai 68 et cherchera désespérément partout l’Évangile, le vrai Dieu. Ce sont des cycles de balanciers sans doute parce que nous passons toujours d’un extrême à l’autre. Si un jour le juste équilibre se faisait, il paraîtrait bien tiède et ne serait pas accepté. Il n’y a rien à faire : l’homme n’est pas fait pour vivre sur terre.

Le démon oppose les choses, c’est le diviseur. Soit il précipite une génération dans la seule vie terrestre, soit il précipite une autre génération dans la seule exaltation pour la vie céleste, au point que la vie terrestre ne compte plus. C’est ce qu’on voit actuellement dans le retour de ferveur des musulmans. Pour eux, seul le Ciel compte, la terre ne sert à rien, et ils rendent leurs femmes et leurs enfants malheureux en les plongeant dans une exagération d’ascèse. Il y aura une réaction, il y aura le mai 68 des musulmans (cela a été dit en 2010 et la révolte est arrivée en 2011).

Dieu, lui, laisse faire, quelle que soient les affres d’une génération entièrement donnée au vieil homme ou trop donnée à la vie surnaturelle au point d’en détruire ce qui est naturel. De toute façon, comme c’est source de mal-être en soi et que ce mal-être finalement crée un cœur en recherche d’un Sauveur, la vie terrestre porte son fruit. La génération de mai 68, qui a encore à passer par la vieillesse, sera préparée à accueillir le Messie par les angoisses qui viennent de son propre péché. Le grand danger, c’est quand on meurt alors que l’on n’a pas encore expérimenté les limites de sa pseudo sagesse de jeunesse ; c’est quand on meurt en pleine gloire en croyant avoir raison et qu’on arrive de l’autre côté comme un riche. Or, il est plus difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille.[15] De l’autre côté, par une méthode que seul Dieu connaît, il faut donc être débarrassé de ses richesses.

 

14. Jn 14,8-9. [↩]

15. Mt 19,24; Mc 10,25; Lc 18,25. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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