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21. La promesse des béatitudes

Daria Klanac : Jésus est venu pour tous, mais spécialement pour les malades, les pauvres et les pécheurs. Qui de nous, à un moment donné, n’a pas été d’une façon ou d’une autre malade, pauvre et pécheur ?

Arnaud Dumouch : Je voudrais d’abord définir ce que Jésus entend par les pauvres, les malades, les pécheurs. C’est évidemment un langage qui parle de l’esprit et il faut se souvenir que l’être humain est fait de quatre degrés de vie concrète.

Le premier, c’est le degré biologique : si on est malade, on est physiquement malade. Ce n’est pas à ce degré-là que réside la maladie la plus profonde.

Le deuxième degré, c’est celui de la vie sensible, c’est-à-dire tout le domaine des sensations, sentiments, qui nous sont communs avec les animaux d’ailleurs. À ce degré-là, on est équilibré quand on éprouve des sentiments épanouis, une sécurité par rapport à son futur, une valorisation par rapport à son passé et une certaine autonomie par rapport au présent. Si on ne va pas bien, c’est beaucoup plus douloureux que la souffrance du premier degré. Le troisième degré de vie, c’est le degré moral. À ce degré-là, une personne est pauvre et malade quand elle n’a pas de finalité humaine à sa vie, quand elle n’a pas d’espoir sur terre. Si son couple vient à casser, la souffrance est en premier lieu morale. La personne éprouve un sentiment de trahison par rapport à une promesse qu’elle avait donnée et cela se répercute au niveau psychologique. Les sentiments de valorisation, de sécurité, d’autonomie ne sont plus là, car remplacés par de la culpabilité qui vient tuer la valorisation. La personne cherche ce qu’elle a pu faire de mal pour obtenir cet échec. Au niveau du présent, elle est dépendante au lieu d’être autonome, parfois elle cherche un autre amour, un support auprès des amis. Et au niveau du futur, le sentiment de sécurité est remplacé par une angoisse : que va-t-elle devenir ? La souffrance morale est beaucoup plus douloureuse que la souffrance psychologique seule et elle la provoque.

Il y a un quatrième degré en nous, c’est le degré mystique, c’est-à-dire mystérieux. C’est un degré de vie très spécial, parce que quand les trois autres vont bien, il se met parfois à aller mal. C’est ce qui spécifie le plus profondément l’être humain. Une partie de son esprit cherche plus, davantage de bonheur, plus d’épanouissement et refuse l’ennui. Ce degré mystique inspire aux artistes les œuvres d’art les plus profondes et crée aussi le désir de Dieu. Concrètement, ce degré mystique est épanoui quand un homme sait ce qu’il fait sur terre, qu’il y a une vie après la mort. Tout ce qui est pénible sur terre, même au niveau moral, devient supportable, parce que plus on vieillit plus l’avenir est devant soi.

Quand Jésus dit qu’il est venu d’abord pour les malades, il pense certainement en premier lieu à ce quatrième degré, c’est-à-dire aux gens qui manquent d’espérance profonde, qui ne savent pas ce qu’ils font sur terre. C’est la souffrance la plus profonde de toutes les souffrances. Celui qui l’a expérimentée sait ce que c’est que l’angoisse, cette souffrance particulière que saint Thomas appelait le feu de l’absence de Dieu. En comparaison, la souffrance physique n’est rien. On peut être heureux au niveau moral, c’est-à-dire avoir un couple très équilibré, des enfants en bonne santé et laisser cette souffrance mystique ronger le couple, parce qu’on ne sait plus ce que l’on fait sur terre. Jésus est venu principalement pour ces gens-là, car il guérit principalement sur le sens de la vie. Certes, il est venu pour tous les degrés de vie, mais principalement pour le plus douloureux, celui qui concerne la vie éternelle.

D. Klanac : Qu’apporte-t-il comme remède ?

A. Dumouch : Il explique ce qu’on fait sur terre, le pourquoi de la vie quotidienne et de l’âge qui passe. Il comble les trois souffrances psychologiques : la culpabilité, l’aliénation dans son présent et l’angoisse par rapport à son futur à travers les trois vertus théologales. Celui qui a de l’espérance n’a plus d’angoisse parce qu’il a un avenir, même quand il est très vieux. Il sait qu’il retrouvera les siens et qu’il y a une vie après la mort. Comblé par la foi, celui qui croit profondément a les réponses aux questions que l’on peut se poser sur terre. Il est indépendant. Quand on aime Dieu et son prochain et qu’on est aimé par Dieu, toute sa vie prend sens et trouve sa valeur. C’est une conséquence des vertus théologales.

Ce que je viens de décrire ne signifie pas que Jésus ne vient pas pour ceux qui sont dans la misère physique, pour ceux qui sont affamés du pain de la terre. C’est sûr, Jésus est venu aussi pour cette souffrance-là. N’a-t-il pas multiplié le pain quand il le fallait ? Mais ce n’est pas pour cette souffrance-là qu’il vient en premier. La preuve, c’est quand Satan, au désert, lui dit de transformer les pierres en pains, Jésus ne se laisse pas tenter. Quand, un peu plus tard, il multipliera les pains, l’effet produit par cette nourriture matérielle poussera les gens à vouloir en faire le Roi de la terre pour avoir du pain matériel. Actuellement, dans le monde occidental, la famine de pain matériel a été vaincue, mais les gens en sont-ils plus heureux ? À ce niveau-là, oui, même si parfois ils ne s’en rendent pas compte et ne cessent de se plaindre. Le pain matériel est important, mais l’homme ne vit pas seulement de pain, il vit d’abord de la Parole qui sort du cœur de Dieu.

Finalement, les seules personnes pour lesquelles il ne vient pas, ce sont celles qui disent ne pas avoir besoin de médecin.

D. Klanac : Dans les Béatitudes, Jésus ne nous a-t-il pas donné toutes les garanties du bonheur qu’il nous réserve ?

A. Dumouch : Peut-on alors penser que les Béatitudes peuvent guérir, ici-bas sur terre, ceux qui sont malades à ces quatre niveaux-là ? Pas forcément. Quand il y a un retour à la foi, au début, Dieu donne généralement des signes visibles parce qu’il veut attirer quelqu’un qui débute dans la foi, et pour cela il faut parler à son corps. Il y a souvent des guérisons physiques, un mieux-être psychologique, un retour au calme au niveau moral, un retour vers l’autre, vers son conjoint, une meilleure entente en famille. Cependant, cela ne dure pas toujours. On sait très bien que les chrétiens, comme les autres, meurent de cancer, vivent des divorces, consultent des psychiatres et des psychologues.

Les souffrances psychologiques, elles, sont tout à fait fréquentes chez des personnes très saintes. Quant aux souffrances physiques, les cancers, les maladies, elles arrivent tôt ou tard. La guérison totale n’est pas pour cette terre, elle est pour l’autre monde. Saint Paul dit que la mort sera le dernier ennemi, qu’il sera tiré dans le cortège triomphal et mis sous le pouvoir du Père. En attendant, les souffrances nous sont parfois laissées parce qu’elles ont la capacité d’éviter de nous enorgueillir. Saint Paul le décrit très précisément en parlant des révélations qu’il a reçues : « Et pour que l’excellence même de ces révélations ne m’enorgueillisse pas, il m’a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter, pour que je ne m’enorgueillisse pas ! À ce sujet, par trois fois j’ai prié le Seigneur pour qu’il s’éloigne de moi. Mais il m’a déclaré : “Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse”. »[30] En d’autres termes : ce quatrième degré, cette vie mystique te suffit et le reste, et bien je te laisse les souffrances, sinon tu risquerais bien de te croire presque Dieu sur Terre.

 

30. 2Cor 12,7-9. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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