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28. L’Église est-elle parfaite ?

Daria Klanac : Les premières communautés chrétiennes ne formaient certes pas, malgré leur enthousiasme et leur bonne volonté, une Église parfaite. Il y a eu des désaccords dès le début parmi les apôtres. Des courants divers ont surgi. Nous avons tendance à exiger la perfection, alors qu’elle ne semble pas être de ce monde ni dans les plus hautes sphères de l’Église. Par contre, de saints hommes et de saintes femmes ont fructifié et fortifié la vie de l’Église depuis les premiers martyrs jusqu’à nos jours.

Arnaud Dumouch : La sainteté est à son sommet quand deux qualités particulières sont acquises par une personne. Comme fondement, c’est l’humilité et je dirais même plus pour certains, c’est carrément la kénose. Cela veut dire un cœur tellement conscient de ses limites qu’il se met plus bas que les autres. On est frappé quand on approche un saint, car lui, qui est infiniment plus vertueux, admire les qualités des pauvres pécheurs que nous sommes.

La deuxième qualité, c’est évidemment l’amour. C’est comme l’arbre qui pousse dans cette bonne terre, cet humus qui serait l’humilité, et son absolu, la kénose. Les fruits et les feuilles de ces arbres, ce sont les vertus, la perfection de la sainteté. Seule la Vierge Marie et Jésus avaient à la fois l’humus, l’arbre de la charité, et tous les fruits sans exception. Tous les autres saints de la terre, sans aucune exception, avaient en partie l’humilité, mais pas tous. Certains ont été canonisés tout en ayant beaucoup de fierté. Ils exerçaient la charité, à leur niveau, parfois de manière très dure. Ce sont les saints des débuts de l’Église, à partir de l’Édit de Milan[40] ; comme saint Jérôme, par exemple, qui a rédigé de nombreuses lettres d’insultes à l’intention des contradicteurs théologiques. L’humilité était quelquefois moins développée que le zèle de Dieu, qui est un fruit de la charité aussi.

En revanche, pour ce qui est des feuilles et des fruits, les saints ne les ont pas tous eus. Certains en ont développé quelques-uns de manière héroïque et n’en ont pas eu d’autres. Ils avaient des défauts. Les deux périodes où les saints sont les plus grands au point de vue de l’humilité et de l’amour, je pense que c’est au tout début de l’Église, au temps des persécutions romaines, et cela le sera de nouveau, à la fin du monde, au temps des persécutions de l’Antéchrist. Cela veut dire que les plus grandes vertus des saints seront présentes quand l’Église sera humiliée, petite, marginalisée par rapport au monde. Le temps de la gloire de l’Église a duré de l’Edit de Milan jusqu’à 1870, lors de la perte des États du Vatican. C’est là que commence l’épreuve de l’Église.

Les saints sont des hommes comme tout le monde. Cela veut dire qu’ils participent à la fierté, à la certitude d’être dans la vérité et à la capacité d’imposer le message évangélique, parfois violemment, parfois en manque d’humilité. Ils sont tout de même canonisés. Pourquoi ? Parce que Dieu ne demande pas une perfection absolue. Il saura bien la donner dans l’autre monde, mais il demande au moins le zèle de vouloir aimer. En fait, on peut se réjouir des épreuves actuelles de l’Église sous le rapport de la sainteté : depuis que l’Église est de nouveau marginalisée, qu’elle n’est plus la reine du monde, elle vit en acte. C’est la prophétie de Jésus qui avait dit à Pierre : « En vérité, en vérité, je te le dis, quand tu étais jeune, tu mettais toi-même ta ceinture, et tu allais où tu voulais ; quand tu auras vieilli, tu étendras les mains, et un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas. »[41] Il indiquait par quel genre de mort Pierre devait glorifier Dieu.

D. Klanac : Le temps d’épreuves est un temps de grâces

A. Dumouch : Depuis que l’Esprit Saint permet que les épreuves chargent l’Église et qu’un autre lui mette sa ceinture et l’emmène petit à petit, je pense que la sainteté est immensément plus grande qu’à une autre époque. Saint Louis-Marie Grignon l’avait annoncé dans le Traité de la vraie dévotion à Marie. Vers la fin du monde, la sainteté de ceux qui vivront encore sera immensément plus grande que celle qu’on voyait auparavant. Ils rayonneront en humilité, en amour, en zèle pour Dieu. On ne pourra pas vaincre ces personnes-là tant leur parole viendra de l’Esprit Saint. Ils paraîtront faibles, sans puissance, mais si la force du Royaume de Dieu vient d’abord de la charité et de l’humilité, ils auront un très grand impact, une très grande autorité sur les cœurs.

Si Dieu sur terre nous empêche de porter tous les fruits et toutes les feuilles qui feraient de nous des saints parfaits, c’est parce qu’étant donné qu’on est sur terre, la plupart d’entre nous, sans s’en rendre compte, développeraient un cancer invisible qui s’appelle l’orgueil. Tant qu’on est sur terre, Dieu envoie des épreuves. Il nous suscite des ennemis intérieurs ou extérieurs parce que sans cela nous deviendrions orgueilleux. Les péchés extérieurs se voient, les péchés comme l’orgueil quelquefois ne se voient pas du tout. Quelqu’un d’orgueilleux peut paraître extrêmement dévoué, peut passer son temps à s’occuper des autres. L’orgueil, ce cancer intérieur, ne se révèle que face au Christ qui sonde les reins et les cœurs.

 

40. Edit de Milan ou édit de Constantin, promulgué par les empereurs Constantin Ier et Licinius en avril 313, est un édit de tolérance par lequel chacun peut « adorer à sa manière la divinité qui se trouve dans le ciel » ; il accorde la liberté de culte à toutes les religions et permet aux chrétiens de ne plus devoir vénérer l’empereur comme un dieu. [↩]

41. Jn 21,18. [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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