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22. Humilité de Dieu

Le Christ aux outrages de Matthias Grünewald.

Daria Klanac : Fidèle jusqu’au bout à sa mission, Jésus va être condamné à la crucifixion. Quelqu’un peut-il être plus humble et plus vrai en amour que Dieu lui-même en son Fils Jésus qui a vécu le mépris, le rejet, l’humiliation, les tortures les plus atroces ?

Arnaud Dumouch : Personne ne peut l’être. Cependant, je dois ajouter que Jésus, qui est Dieu fait homme, a voulu vivre à la Croix toutes les espèces de souffrances qu’on peut imaginer. Il les a peut-être vécues en quantité beaucoup plus que certains condamnés qui restaient parfois huit jours crucifiés avant de mourir, alors que lui n’est resté que six heures pendu à la croix. Cependant, la souffrance ultime qu’il a vécue, c’est le désespoir. Il l’a vit quand il dit dans son humanité : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il n’y a pas de souffrance plus grande que celle-là, c’est le moment ultime : « Tout est accompli. »

Est-ce qu’on peut dire que le Christ, dans son désespoir, a souffert plus que tout homme qui existe sur terre ? Je ne suis pas sûr qu’on puisse quantifier le désespoir. Le désespoir, c’est l’expérience de la souffrance qui n’a pas de fond. Elle conduit obligatoirement au désir de disparaître, de retourner au néant pour ne plus souffrir. La souffrance du mauvais larron, c’est la souffrance de l’athée. Est-ce que cette souffrance-là est moins grave ou pire que celle de Jésus ? Je pense qu’elle est ultime, on ne peut pas la quantifier. Seulement, elle est vécue chez lui dans la haine et chez Jésus dans l’amour. La souffrance du bon larron, lui qui est humble, qui reconnaît ses torts, atteint aussi le désespoir, mais elle est vécue dans la soif d’un sauveur. Donc est-ce que Jésus a souffert plus que les autres ? Je n’oserais plus parler comme les théologiens anciens, même si ce qu’ils disaient était très vrai. On a une sensibilité immense, une délicatesse de cœur qui fait qu’on reste à jamais marqué par cette passion de Jésus.

À l’heure actuelle, on doit parler autrement en disant qu’aussi bien le Fils de l’homme que les fils des hommes, tôt ou tard, passent par cette expérience de désespoir ici-bas ou dans l’autre monde. Jésus en a expliqué le sens à sa croix en vue d’un plus, en vue d’une résurrection, de la vie éternelle, de la vision béatifique. Seulement, Jésus vit ce désespoir sans aucun péché ; il n’a jamais eu un seul retour sur lui-même. Aussi, ce désespoir, même s’il n’est peut-être pas plus douloureux tout étant absolu, ce désespoir est infiniment aimant, infiniment humble, plus que jamais personne ne l’a vécu.

Comme je l’ai rappelé ailleurs, et comme il faut sans cesse le rappeler : à la croix, Jésus révèle que ces souffrances sont faites et envoyées par le Père non pas pour nous écraser, mais pour nous façonner un cœur brisé, un esprit humain humilié. On voit qu’à la croix ce qui est rejoint, c’est le testament de Moïse dans le Deutéronome 28, 65, quand Dieu dit : « Je vous enverrai dans une terre étrangère, vous serez écrasés par des peuples qui n’auront aucune pitié pour vous et là je vous façonnerai des yeux baissés. » Ce texte qui est dans le testament de Moïse révèle ce que Dieu fait par ces souffrances-là. Évidemment, Lucifer immédiatement dira que Dieu le fait pour nous écraser, pour nous dominer. La réponse que donne Jésus n’est pas celle-là, ce n’est pas du tout pour nous écraser, sinon il ne serait pas venu le vivre lui-même. C’est parce que nul ne peut voir Dieu dans sa Trinité face à face sans avoir un cœur brisé, tout simplement parce que dans sa Trinité, Dieu est infiniment humble, infiniment kénose.

Quand on voit Dieu face à face, on ne peut pas posséder la moindre parcelle d’égoïsme, d’orgueil. Si on n’est pas comme Lui Est, il est impossible de Le voir. Il faut mourir à soi-même.

Voilà pourquoi tout homme passe par la souffrance : les bons, les justes, les mauvais, le but étant que ceux qui finalement accepteront le pardon de Dieu et le salut arrivent avec un cœur brisé, pour avoir la capacité de supporter la vision béatifique.

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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