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14. Le paradis sur terre

Daria Klanac : Comment pouvons-nous imaginer le Paradis terrestre ? Etait-ce un lieu physique réel, un endroit choisi et désigné pour nos ancêtres en ces débuts de la vie sur Terre ou tout simplement la description d’une image des états d’âme qui s’exprime en chacun de nous selon ce que nous vivons en conformité avec ou sans Dieu ?

Arnaud Dumouch : C’était les deux parce qu’Adam et Ève, ce premier homme et cette première femme, avaient un vrai corps biologique et donc un lieu où ils vivaient sur cette Terre. Le paradis terrestre, c’est un paradis de la Terre. La Bible le situe en Irak. Est-ce que c’est vrai, est-ce que c’est faux ? La science, selon ses connaissances en progrès, peut-être le fixera. Pour le moment, elle pense (selon ses connaissances actuelles) que homo sapiens vivait peut-être un peu plus du côté de l’Afrique.

Et voilà comment on peut le comprendre : avant le péché originel, Dieu dit à Adam et Ève de manger. Ils ne mangent pas d’animaux, ils mangent des plantes. D’autre part, ils reçoivent déjà l’ordre de faire des enfants. C’est donc bien que leur corps est biologique. Il est dans le même état que le nôtre actuellement[36]: il respire, il se nourrit, il mange, il devient fécond. Cela veut dire que sans doute le corps d’Adam et Ève a été pris dans une espèce animale préexistante ; il y a eu quelques modifications biologiques et puis, leur âme a été unie à leur corps pour former leur être. Ils ont constaté qu’ils étaient dans un monde où les animaux se dévoraient entre eux, ils l’ont vu.[37] Et c’est tout à fait cohérent, on voit bien que Dieu les met en garde contre le péché. La potentialité du mal existe déjà. Sous forme d’un symbole, d’un vestige, Dieu leur révèle que s’ils pèchent ils mourront, c’est du concret puisque les animaux eux, ils meurent. Quand saint Paul dit que la mort est entrée dans le monde par le péché originel, il parle évidemment de la mort de l’homme et de la femme qui n’auraient pas dû mourir. Mais, je montrerai de quelle façon leur être, qui est biologique et qui, par nature, est mortel, n’aurait pas dû mourir. Ce n’est pas par nature, c’est par un miracle de Dieu.

Le paradis terrestre, c’est aussi un état d’âme. Fondamentalement, ce qui harmonise leur âme, c’est une présence presque palpable de Dieu. Mais attention, ce n’est pas la vision béatifique. Je veux dire qu’Adam et Ève ne voient pas face à face l’essence infinie de la Trinité. S’ils l’avaient vue à ce moment-là, étant donné que l’essence de Dieu est équivalente au bonheur, et bien ils n’auraient pas pu se séparer de Dieu. Leur liberté n’aurait pas existé parce qu’on ne peut pas librement choisir autre chose que le bonheur qui est identique à l’essence de Dieu. Cette présence de Dieu était ressentie, comprise, envahissait tout leur être, les entourait de tendresse, de force et de sécurité, un peu comme quand le soleil brille tout d’un coup après un hiver qui a été long, une sorte d’allégresse qui prend l’être. Ils vivaient très bien dans cette allégresse de la présence de Dieu que nous ne connaissons pas. Elle était si forte qu’elle venait comme harmoniser tout leur être, qui est fait, rappelons-le, de deux natures unies. Substantiellement une union hypostatique, une nature animale complète, sans doute à partir de l’ADN d’un hominidé préexistant (ce domaine ne concerne pas la théologie, mais la biologie), avec ses passions, avec ce besoin de vivre, ses instincts de reproduction, et puis un « petit ange », l’esprit (c’est une analogie) créé exprès pour ce corps fait pour en former avec lui un seul être. Pour que ces deux natures s’harmonisent, Dieu avait certes créé des propriétés naturelles dans l’union hypostatique qu’il faisait en créant l’âme d’Adam et Ève, mais il parachevait l’harmonie par sa présence qui irradiait d’abord leur sensibilité, au point qu’elle obéissait totalement à leur volonté. Je veux dire que pour eux, il était impossible de commettre un péché de faiblesse.

D. Klanac : Pour quelle raison ?

A. Dumouch : Parce que toute leur sensibilité obéissait parfaitement, donc pas de faiblesse possible comme pour nous où, dépassé par une passion venant de notre vie animale, notre esprit se laisse entraîner. Chez eux, cela se faisait tout naturellement.

D’autre part, leur corps biologique aussi était harmonisé par leur esprit, avec une santé parfaite, une vigueur, une énergie qui fait qu’ils ne pouvaient pas tomber malade et pourtant, il y avait des microbes. Tout était là : un monde qui avait évolué tel qu’on le voit actuellement, mais qui devait évidemment être beaucoup plus riche en vie que maintenant. Cette irradiation sortait d’eux de façon très naturelle, si bien que les animaux sauvages qui passaient à côté d’eux étaient comme fascinés, un peu comme le loup de Gubbio par rapport à saint François d’Assise, un peu comme on est attiré par la lumière. Il n’aurait jamais eu l’idée de venir manger Adam et Ève.

D. Klanac : Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer ces choses-là ?

A. Dumouch : C’est simplement la comparaison avec la nouvelle Ève, l’Immaculée Conception, la Vierge Marie qui reçoit exactement la même grâce originelle qu’Ève. Elle a la même présence de Dieu. Ève ne devait pas passer par la mort, mais monter au ciel si elle ne péchait pas. Marie reste fidèle totalement à cette présence de Dieu toute sa vie. La différence avec Ève, c’est que Marie est plongée dans un monde où des hommes sont pécheurs. Elle ne voit pas seulement des animaux qui se mangent entre eux et qui sont féroces, mais aussi des hommes qui se mangent entre eux et qui sont féroces, ce qui est beaucoup plus violent pour une sensibilité si pure comme la sienne. La Vierge Marie a un corps biologique comme nous, elle met au monde un enfant avec un ovule qui, miraculeusement, est fécondé par la puissance de Dieu ; elle ne vit pas dans un paradis céleste, même si son âme, par la présence de Dieu, connaît un état qui n’est pas le même que le nôtre.

 

36. Le corps d’Adam et Ève possède comme Jésus et Marie la grâce originelle, ce qui, tout en lui laissant sa nature biologique, le rend parfaitement harmonieux avec leur âme. [↩]

37. Objection : c’est faux ; rien de cela dans la Genèse. Réponse : dans la Genèse, tout animal mange et tout est créé « selon leurs espèce ». Difficile donc d’imaginer des lions herbivores ! [↩]

Arnaud Dumouch et Daria Klanac, Un entretien pour notre temps, Montréal, 2012.

 

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