Note liminaire

Pourquoi cette réédition ?

Il est rare, en effet, que l’ouvrage d’un auteur parfaitement ignoré du plus grand nombre soit réédité cent ans après sa quatrième et plus récente édition, cent vingt ans après la mort de l’auteur.

Et cependant, comment hésiterait‑on à présenter – au moins aux fervents de sainte Thérèse et aux esprits curieux d’étudier le cheminement des influences d’un livre sur une telle âme ‑ cette Fin du Monde Présent et Mystères de la Vie Future de l’abbé Arminjon dont la « petite » sainte de Lisieux a dit qu’il avait été à l’égal de l’Imitation, l’aliment de son âme ?

Le long passage qu’elle consacre ‑ huit ans plus tard ! ‑ à ces souvenirs de ses quatorze ans se trouve aux feuillets 46 et 47 du manuscrit de l’Histoire d’une âme, et par le fait même, de l’édition dite des Manuscrits autobiographiques.

Mais laissons la parole à Mgr André Combes, le profond historien de l’introduction à la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant‑Jésus.[1]

A l’école de l’Imitation, la petite Thérèse n’a donc pu que renforcer et développer sa notion d’une vie entièrement faite pour Dieu et résolue à ne rien cueillir des joies terrestres. C’est ailleurs qu’elle a trouvé la confirmation et les élucidations doctrinales que désiraient son impatience des joies célestes et son estime souveraine d’une vie intégralement consacrée à l’amour divin dans l’austérité du Carmel.

« A quatorze ans, avec mon désir de science, le bon Dieu trouva nécessaire de joindre à « la plus pure farine, du miel et de l’huile en abondance ». Ce miel et cette huile, il me les fit goûter dans les conférences de M. l’Abbé Arminjon sur la fin du monde présent et les mystères de la vie future. La lecture de cet ouvrage plongea mon âme dans un bonheur qui n’est pas de la terre ; je pressentais déjà ce que Dieu réserve à ceux qui l’aiment ; et voyant ces récompenses éternelles si disproportionnées avec les légers sacrifices de cette vie, je voulais aimer, aimer Jésus avec passion, lui donner mine marques de tendresse pendant que je le pouvais encore. »[2]

En écrivant ces lignes, sainte Thérèse de l’Enfant‑Jésus a rendu à l’historien de sa pensée un service de tout premier ordre. Je ne crois pas, en effet, qu’aucun de ceux qui auraient pu s’inquiéter de discerner les influences subies par la petite Thérèse Martin fût allé chercher cet auteur fort oublié qu’est l’abbé Arminjon. Il aurait eu tort, car le témoignage est formel et, qui plus est, fort précis. Thérèse cite l’ouvrage qui a satisfait son désir de science, elle nous fait connaître l’impression éprouvée à sa lecture et elle résume en quelques mots extrêmement suggestifs les avantages qu’elle est sûre d’en avoir retirés. Rien ne saurait être plus important pour notre enquête.[3]

Missionnaire apostolique, chanoine honoraire de Chambéry et d’Aoste, ancien professeur d’Écriture Sainte, d’histoire ecclésiastique et d’éloquence sacrée au Grand Séminaire de Chambéry, membre de l’Académie impériale de Savoie, l’abbé Arminjon fut un prédicateur apprécié et recherché dont le Catalogue des Imprimés de la Bibliothèque Nationale fait connaître un certain nombre de discours, panégyriques ou conférences. En 1881, il publia, à la Librairie de l’Œuvre de Saint‑Paul, sous le titre Fin du monde présent et mystères de la vie future, un volume contenant neuf conférences prêchées à la cathédrale de Chambéry et tendant, selon un avis au lecteur assez remarquable, à lutter contre « l’erreur fatale et la grande plaie de notre siècle » qui « est l’absence de l’esprit surnaturel et l’oubli profond de la vie future ». S’expliquant sur son dessein, l’auteur ajoutait : « Puisque les sages ont constaté de tout temps que les contraires se guérissent par l’application des contraires, il nous a paru que le remède le plus efficace pour combattre sûrement le mal invétéré du naturalisme était un exposé clair, net, précis, sans diminution, des vérités essentielles ayant trait à la vie future et à l’inévitable conclusion des destinées humaines ».

Comme un tel dessein répondait bien au désir de Thérèse, mais comme la lectrice même de ce livre s’éclaire désormais à nos yeux !

Tout se passe, en effet, comme si ce livre lu, Thérèse avait conclu : « Un exposé, le meilleur remède ? Non, mais une vie, une vie intégralement surnaturelle, et tout entière toujours tendue vers son éternité ». C’est du moins ce que Thérèse a fait, et son expérience montre à quel point sa démonstration valait mieux que celle de son maître. Mais que l’auteur d’un tel livre ait pu satisfaire l’avidité d’une telle lectrice, plonger son âme dans un bonheur surnaturel, répondre à son pressentiment en lui apprenant avec autorité ce que Dieu réserve éternellement à ceux qui l’aiment et quelle disproportion sépare les récompenses divines des sacri­fices qui les achètent, qu’il ait pu inspirer à cette âme déjà sublime la volonté d’aimer Jésus avec passion, voilà qui reste pour cet orateur trop oublié non seulement un titre de gloire, mais un droit à la reconnaissance de tous les dévots de sainte Thérèse, donc de l’Église entière. Car c’est avec lui que Thérèse a précisé l’orien­tation définitive de sa vie ; c’est de lui qu’elle tient les motifs doc­trinaux qui ont rassuré son esprit et développé l’élan spontané de son cœur ; c’est même à son commerce que sont dus quelques‑uns des traits de son style et sa tendance à ne mettre nulle limite à ses désirs. « Puissions‑nous, disait l’abbé Arminjon, le 8 mai 1881, contribuer à faire aimer Notre Seigneur Jésus‑Christ et son Église et inculquer de plus en plus à ceux qui nous liront cette vérité capitale : Servir Dieu et observer ses commandements, c’est là tout l’homme. »[4]

Comme ce désir a été exaucé ! C’est surtout par sa septième conférence « De la béatitude éternelle et de la vision surnaturelle de Dieu » que ce livre a dû frapper Thérèse. En pensant à cette influence, on ne peut lire sans émotion des pages comme celles‑ci :

Comme jamais mère n’a aimé son fils le plus tendre, ainsi le Sei­gneur aime ses prédestinés ; il est jaloux de sa dignité, et, dans la lutte du dévouement et des libéralités, il ne saurait se laisser vaincre par sa créature. Ah ! le Seigneur ne peut oublier que les Saints, lorsqu’ils vécurent jadis sur la terre, lui firent l’hommage et la donation totale de leur repos, de leur jouissance et de tout leur être, qu’ils auraient voulu dans leurs veines un sang intarissable, pour le ré­pandre comme un gage vivant et inépuisable de leur foi ; qu’ils eussent désiré dans leur poitrine mille cœurs pour les consumer d’inextinguibles ardeurs, posséder mille corps, afin de les livrer au martyre, comme des hosties sans cesse renaissantes. Et le Dieu recon­naissant s’écrie : « Maintenant, mon tour » ![5] Au don que les Saints m’ont fait d’eux‑mêmes, puis‑je répondre autrement qu’en me donnant moi‑même, sans restriction et sans mesure ? Si je mets entre leurs mains le sceptre de la création, si je les investis des torrents de ma lumière, c’est beaucoup. C’est aller plus loin que se seraient jamais élevés leurs sentiments et leurs espérances : mais ce n’est pas le dernier effort de mon Cœur je leur dois plus que le Paradis, plus que les trésors de ma science, je leur dois ma vie, ma nature, ma substance éternelle et infinie. ‑ Si je fais entrer dans ma maison mes serviteurs et mes amis, si je les console, si je les fais tressaillir, en les pressant dans les étreintes de ma charité, c’est étancher surabondamment leur soif et leurs désirs, et plus qu’il n’est requis pour le repos parfait de leur cœur ; mais c’est insuffisant pour le contentement de mon Cœur divin, l’étanchement et la satisfaction parfaite de mon amour. Il faut que je sois l’âme de leur âme, que je les pénètre et les imbibe de ma Divinité, comme le feu imbibe le fer, que, me montrant à leur esprit, sans nuage, sans voile, sans l’intermédiaire des sens, je m’unisse à eux par un face à face éternel, que ma gloire les illumine, qu’elle transpire et rayonne par tous les pores de leur être, afin que « me connaissant comme je les connais, ils deviennent des Dieux eux‑mêmes ».[6]

Il suffisait de recueillir le témoignage de Thérèse tel que nous le fait connaître l’Histoire d’une âme et de lui attribuer l’importance qu’il mérite pour déceler cette influence. Deux fragments thérésiens inédits[7] qu’il m’est possible d’ajouter à ces pages confirment mon induction et achèvent de lui donner toute sa portée.

Ce livre avait été prêté à Papa par mes chères carmélites, aussi contrairement à mon habitude (car je ne lisais pas les livres de Papa), je demandai à le lire. Cette lecture fut une des plus grandes grâces de ma vie, je la fis à la fenêtre de ma chambre d’étude et l’impression que j’en ressentis est trop intime et trop douce pour que je puisse la rendre… Je copiai plusieurs passages sur le parfait amour et sur la réception que le bon Dieu doit faire à ses élus au moment où Lui‑même deviendra leur grande et éternelle récompense, je redisais sans cesse les paroles d’amour qui avaient embrasé mon cœur… Toutes les grandes vérités de la religion, les mystères de l’éternité me ravissaient.

Voici l’un de ces passages copiés par Thérèse. Extrait de la cinquième conférence « Du Purgatoire », il se présente comme une citation de saint Jean Chrysostome, sans référence précise. Thérèse l’avait gardé dans le Manuel du Chrétien dont elle se servait au Carmel. Il s’y trouve encore.

L’homme qui est embrasé de la flamme du divin amour est aussi indifférent à la gloire et à l’ignominie que s’il était seul et sans témoin sur la terre. Il méprise les tentations. Il n’a pas plus souci des souffrances que si elles étaient endurées dans une chair autre que la sienne. Ce qui est plein de suavité pour le monde n’a pour lui aucun attrait. Il n’est pas plus susceptible d’être épris d’aucun attachement à la créature que l’or sept fois éprouvé n’est susceptible de la rouille. Tels sont, même sur cette terre, les effets de l’amour divin, quand il s’empare vivement d’une âme.

30 mai 1887[8]

Nous savons aussi qu’étant au Carmel, Thérèse conseilla à sa sœur Céline de faire lire les Conférences de l’abbé Arminjon à une personne dont la foi était ébranlée.[9] Nous pourrons apprécier mieux encore cette dépendance lorsque nous retrouverons Thérèse et Céline au Belvédère. D’ores et déjà, nous voici éclairés sur une méprise singulière de l’histoire. Un biographe, qui s’est voulu pénétrant et sincère, a naguère diagnostiqué chez Thérèse de Lisieux un immense orgueil, pour la raison décisive qu’elle finira par écrire, ce qui dépasse tout le reste : « Il (Dieu) sait que c’est l’unique moyen de nous préparer à le connaître comme il se connaît, à devenir des dieux nous‑mêmes ».[10]

Étrange objectivité, qui ne se scandalise que de son ignorance ! D’abord, il est inexact de dire que Thérèse finira par cette folie : c’est ainsi qu’elle commence. La phrase qu’on lui reproche, Thérèse l’a réellement écrite et soulignée, dans sa troisième lettre à Céline, le 23 juillet 1888.[11]

Mais en écrivant cette phrase, la jeune carmélite prouve simplement qu’elle est encore sous le charme de ce qu’elle lisait avant de quitter le monde ; et ce qui l’a charmée sous la plume de l’abbé Arminjon, c’est l’écho le plus authentique de l’Écriture et de la Tradition. Pour pénétrer la psychologie des saints, aucune sympathie ne peut suffire qui ne prenne soin de s’informer de la doctrine même dont ils vivent.

Un peu plus loin, dans le même ouvrage, Mgr Combes fait état des précieuses confidences que fit Céline sœur Geneviève de la Sainte Face sur ce qu’elle a appelé les « Entretiens du Belvédère » c’est‑à‑dire les conversations qu’avaient ensemble aux environs de la Pentecôte 1887 les deux sœurs Thérèse et Céline qui lisaient ensemble « La fin du monde présent » au balcon de la chambre haute (Belvédère) des Buissonnets.

Il me semble, dit Thérèse dans l’Histoire d’une âme, que nous recevions de bien grandes grâces. Comme le dit l’Imitation, Dieu se communique parfois au milieu d’une vive splendeur, ou bien, doucement voilé sous des ombres ou des figures. Ainsi daignait‑il se manifester à nos cœurs ; mais que ce voile était transparent et léger ! Le doute n’eût pas été possible ; déjà la foi et l’espérance quittaient nos âmes, l’amour nous faisant trouver sur la terre Celui que nous cherchions.

On ne saurait exagérer le prix d’une telle confidence.

Quel crédit faut‑il lui accorder ?

Interrogée sur son degré d’exactitude, l’autre actrice de ces jeux de la Terre et du Ciel, Céline, ou plutôt la vénérable sœur Geneviève de la Sainte Face, a bien voulu déclarer ce qui suit :

« Ces conversations au Belvédère m’ont laissé un souvenir si profond, si net que je me les rappelle comme si c’était hier. Ce que Thérèse en a écrit dans l’Histoire d’une âme non seulement ne paraît pas exagéré, mais semble plutôt au‑dessous de la vérité. Nous avons vécu vraiment des heures de consolation céleste. Quels mots pourraient les traduire ? Souvent, nous commencions par répéter avec une incroyable ardeur ces paroles de saint Jean de la Croix : « Seigneur ! Souffrir et être méprisé pour vous ! » Oui ; nous y aspirions de toutes nos forces. Puis nous pensions au Ciel et nous redisions l’une à l’autre le mot de l’abbé Arminjon : « Et le Dieu reconnaissant s’écrie : Maintenant mon tour »[12] Alors nous quittions en quelque sorte la terre pour la vie éternelle. Comme l’a écrit notre sainte, la foi et l’espérance disparaissaient, c’était la possession de Dieu dans l’amour. Après tant d’années, je puis affirmer qu’il n’y avait pas là un feu de paille, un enthousiasme passager, mais un élan irrésistible vers Dieu. Il me semble que nous n’étions plus de ce monde. C’était l’extase.

Précisant ce terme qui seul lui paraît capable de désigner un tel état, sœur Geneviève a ajouté :

« Cette extase ne nous privait pas de la conscience, ne nous soulevait pas au‑dessus du soi. Je revois encore Thérèse qui me pressait les mains, je revois ses beaux yeux pleins de larmes, c’était l’extase de saint Augustin et de sainte Monique à Ostie ».[13]

Tel était d’ailleurs l’avis de Thérèse elle‑même, car voici ce qu’on vient de m’apprendre qu’elle a noté à ce sujet dans ses souvenirs inédits :

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que l’épanchement de nos âmes ressemblait à celui de sainte Monique avec son fils, lorsque au port d’Ostie, ils restaient perdus dans l’extase à la vue des merveilles du Créateur. Il me semble que nous recevions des grâces d’un ordre aussi élevé que celles accordées aux grands saints.

Une telle impression dans une âme si humble, une telle convergence de témoignages, ne permettent pas à l’historien de douter. Thérèse ‑ et sa sœur, car la solitude thérésienne ne commencera qu’au Carmel ‑ ont reçu au Belvédère des grâces d’union à Dieu par amour senti qui, quel que soit le système de théologie spirituelle que l’on professe, semblent bien mériter le nom de mystiques, et qui prennent, dans l’itinéraire intérieur de Thérèse, une valeur pathétique et comme un reflet sanglant. La foi et l’espérance de ces deux enfants ayant atteint leur point culminant, leur charité se dilate tellement qu’elle opère presque dans leur âme cette élimination qui lui est propre et qui coïncide avec l’accès à la vision béatifique. Substituant, par son intensité même, aux appréhensions obscures, aux désirs voilés, une prise de possession si immédiate, si totale, si ravissante, qu’elle s’impose comme une manifestation de Dieu présent et certifiant lui-même sa présence, elle ne laisse pratiquement plus de place à ces vertus de la terre que sont l’espérance et la foi ».

Enfin, Mgr Combes observe qu’en juillet 1889, Thérèse écrit à Céline :

C’est là un grand martyre d’aimer Jésus sans sentir la douceur de cet amour, c’est là un martyre… Eh bien ! mourons martyres… Oh ! ma Céline… le doux écho de mon âme, comprends‑tu ? … Le martyre ignoré, connu de Dieu seul, que l’œil de la créature ne peut découvrir, martyre sans honneur, sans triomphe… Voilà l’amour poussé jusqu’à l’héroïsme. Mais un jour le Dieu reconnaissant s’écriera : « Maintenant, mon tour ».[14]

Impossible de venir avec plus de générosité et de gentillesse au‑devant de son historien ! Thérèse a donc pris la peine d’écrire au moins une fois cette phrase lue avec enthousiasme sous la plume de l’abbé Arminjon, afin de nous garantir qu’à une certaine période elle en a fait vraiment le leitmotiv de sa vie intérieure, le principe de son espérance, le stimulant de tous ses sacrifices. Aujourd’hui, nous le savons, elle en a vérifié la fécondité.[15]

Qu’ajouter à de si profondes observations, sinon qu’après d’autres encouragements elles nous ont déterminé à cette publication ?

Deux remarques cependant :

La première sur les concordances chronologiques très évidentes : La fin du monde présent a été prêtée à Thérèse par son père qui la tenait des Carmélites en mai 1887.

Le lundi 30 mai, Thérèse copie un fragment de la cinquième conférence et le date. Les samedi et dimanche 4 et 5 juin, elle copie et date de sa main, sur quatre pages, un long fragment de l’abbé Arminjon, septième conférence sur la Béatitude éternelle « Maintenant mon tour ». Or, c’est le 29 mai, dimanche de la Pentecôte, que Thérèse obtient de son père l’autorisation d’entrer au Carmel à 15 ans… « Cet ouvrage plongea mon âme dans un bonheur qui n’est pas de la terre… »

Deuxième remarque : si la réédition d’un livre qui a eu une telle portée s’impose sans aucun doute, on pouvait la comprendre de deux façons : partielle ou intégrale.

Après avoir pris conseil à bonnes sources, nous avons pensé que nous n’avions pas même le droit ‑ que personne n’a le droit ‑ de choisir de son plein gré et à sa guise dans un ouvrage qui est avant tout un DOCUMENT en soi.

Il n’est pas permis de le tronquer. Il n’est pas permis de choisir tel ou tel passage puisque nous savons que Thérèse et sa sœur l’ont lu et relu, longuement médité et que soixante‑dix ans après cette lecture, sœur Geneviève attestait encore avec enthousiasme l’influence qu’il avait eue sur Thérèse et sur elle-même.

S’il contient des passages qu’on ne récrirait plus, que leur auteur lui‑même modifierait peut‑être sensiblement, c’est une autre affaire. Nous entrerions dans l’hypothèse.

Or, nous n’entendons livrer qu’un Document intact, complet, sans aucune modification, serait‑ce une virgule.[16] Et c’est pour cet aspect Documentaire de la publication que nous avons reçu des encouragements sans équivoque.

Le livre a‑t‑il vieilli, comme on pourra le dire ? Est‑il démodé, dépassé ? Émet-il des vues qui portent trop la marque de son époque ? Est‑il en défaut quant à la Théologie, quant à l’Histoire, quant à la Science ? Peut‑être… Peut‑être… « Certainement oui » pourrait‑on dire… et que nous importe ?

Ne lit‑on pas le Discours sur l’Histoire universelle parce qu’il donne une chronologie du monde tout à fait contestée aujourd’hui ? Ne lit‑on pas la Cité de Dieu parce que Saint Augustin y nie avec force « qu’il puisse y avoir des hommes aux antipodes et qui habitent cette partie de la terre où le soleil se lève quand il se couche pour nous » ?

La Fin du monde Présent n’est certes ni de Bossuet, ni de saint Augustin, mais a‑t‑on la preuve que la Cité de Dieu elle-même ait suscité une vocation comme celle de la petite Thérèse ?

Ce n’est pas un livre écrit en 1964. Mais c’est le livre qui ravissait en extase « la plus grande sainte des temps modernes » dans l’instant même qu’elle prenait la plus grande décision de sa vie.

Et peut‑être, au fond, n’est‑il fait que de ces choses dont Jésus dit : « Je vous loue, Père, de les avoir cachées aux sages et aux habiles et de les avoir révélées aux Petits » ? (Luc. X. 21)

7 juillet 1964

 

1. Librairie Vrin, Paris 1948, 2e édition. ‑ Les citations qui suivent sont extraites des pages 135 à 158 de cet ouvrage. Il en est de même pour les notes numérotées en chiffres. [↩]

2. Manuscrit autobiographique, f. 47. [↩]

3. Personne en France, ajoute en note Mgr Combes, ne me paraît avoir songé à lire Arminjon par‑dessus l’épaule de Thérèse. Mgr Laveille (Sainte Thérèse de l’Enfant‑Jésus, p. 143) cite la deuxième partie du texte que je viens de rappeler, mais se contente d’observer que cet ouvrage « ne paraît pas avoir conservé auprès du public catholique la faveur qu’elle lui accorda ». Le R. P. Petitot a pu écrire tout son livre si remarquable : Sainte Thérèse de Lisieux, Une renaissance spirituelle, sans nommer Arminjon, même pas dans le § 111 du chap. II « Les livres spirituels de Sœur Thérèse » (p. 68‑76). Le P. Piat (Histoire d’une famille, p. 263‑264) observe très justement : « Ces Conférences » (…) « font date dans sa spiritualité », et publie pour la première fois les lignes de Thérèse que je donne plus loin (« je copiai… mon cœur »), mais ne cherche pas à préciser cette relation. En rendant compte de la première édition de cette Introduction dans la Revue d’Ascétique et de Mystique (ri, 89, mars 1947, p. 84‑85), le R.P.M. Olphe‑Galliard s.j. a signalé que ce problème précis avait été abordé, en 1928, dans la revue Il Conforto des Camilliens de Vérone, par le R.P. Alghisio Daniele del Bon, dans une série d’articles intitulés Il Paradisio visto alltraverso la « Storia d’un’Anima »… [↩]

4. Charles Arminjon, op. cit., p. XXXI [↩]

5. Cf. Histoire d’une âme, p. 513. [↩]

6. Ch. Arminjon, op. cit., 7e Conférence, p. 289‑290. [↩]

7. Ils sont aujourd’hui réintégrés dans l’Histoire d’une âme et on les trouve, bien sûr, dans les manuscrits autobiographiques. [↩]

8. Documentation du Carmel de Lisieux. C’est Thérèse elle‑même qui a daté sa copie. [↩]

9. Cf. Lettre CVI à Céline du 3 avril 1891. [↩]

10. Lcie Delarue‑Mardrus, Sainte Thérèse de Lisieux, p. 93. [↩]

11. Cf. Histoire d’une âme, p. 318, date rectifiée par Documentation du Carmel de Lisieux. [↩]

12. Quelle récompense qu’un tel texte pour un historien. (Note de Mgr Combes.) [↩]

13. Documentation du Carmel de Lisieux. [↩]

14. Lettre LXXII à Céline du 14 juillet 1889. [↩]

15. Un an avant cette lettre, Thérèse avait déjà écrit à Céline le 23 juillet 1888, un an après les entretiens du Belvédère : « Il n’est pas loin. Il est près de nous qui regarde, qui nous mendie cette tristesse, cette agonie… Il en a besoin pour les âmes, pour notre âme. Il veut nous donner une si belle récompense ! Ses ambitions pour nous sont si grandes, mais comment dira‑t‑Il « Mon Tour » si le nôtre n’est venu, si nous ne lui avons rien donné ? » [↩]

16. Nous avons cependant supprimé les lettres de félicitations d’un grand nombre d’évêques qui se trouvaient en tête de l’ouvrage. [↩]

Abbé Charles Arminjon, Fin du monde présent et mystères de la vie future, 1881.

 

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