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Cinquième conférence

Du purgatoire

Miseremini mei, miseremini mei,
saltem vos amici mei, quia manus Domini teti­git me.

Ayez pitié de moi, ayez pitié de moi,
vous du moins mes amis, car la main de Dieu m’a touché.
(Job, XIX, 21.)
 

Que la Religion est belle, qu’elle est admirable et consolante dans ses enseignements et dans la ravissante obscurité de ses mystères ! En nous laissant mourir à la terre par le dépouille­ment de nos corps, elle ne nous fait point mourir à nos cœurs par la rupture des amitiés qui en sont la joie et le soutien.

Le Sauveur miséricordieux qui, par un sentiment d’exquise déli­catesse, daignait s’appeler le Dieu d’Abraham, qui promettait à ses apôtres, en récompense de leur fidélité, de les faire reposer un jour dans le sein d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, ne sem­ble‑t‑il pas nous marquer par ce religieux souvenir accordé aux ancêtres, que la mort n’a pas le privilège de briser les nœuds légitimes de la vie, et que les affections saintes ne s’éteignent point dans les glaces du trépas.

Notre tâche en ce jour est difficile ; il faut que nous vous fas­sions aimer et craindre le Purgatoire. – Le Purgatoire mérite d’être craint. Il est en toute vérité l’atelier de la Justice infinie. La rigueur et les sévérités divines s’y exercent avec une intensité qui ici‑bas nous est inconnue. De graves Docteurs nous assurent que toutes les cruautés exercées par les bourreaux sur les mar­tyrs, que toutes les souffrances et les afflictions accumulées sur les hommes depuis l’origine des temps, ne sont pas comparables à la peine la plus légère de ce séjour d’expiation. – Mais, d’autre part, le Purgatoire est le chef-d’œuvre du Cœur de Dieu, l’inven­tion la plus merveilleuse de son amour, à un tel point que nous ne saurions vous dire si les consolations qu’on y goûte ne sont pas plus excessives que les tourments eux‑mêmes.

L’état des saintes âmes, dont nous voulons vous faire enten­dre les plaintes, est incompréhensible et ineffable. Leur béatitude n’est pas celle du Ciel où les joies sont sans mélange ; leurs tour­ments ne sont pas ceux de l’Enfer où la souffrance est sans adou­cissement. Leurs peines n’ont aucune analogie avec celles de la vie présente où les jours heureux alternent avec les jours de déso­lation et de tristesse.

Ces âmes sont heureuses et malheureuses simultanément. Les tribulations les plus extrêmes, les plus grandes angoisses que l’âme puisse ressentir, sont indissolublement unies en elles aux joies les plus réelles, les plus enivrantes qui puissent se conce­voir, si l’on excepte celles du Ciel.

Ah ! n’accusez pas le Seigneur de cruauté envers ces âmes qu’un jour il plongera dans l’océan de ses lumières, et qu’il abreu­vera de délices en les recevant dans son sein, de torrente volup­tatis potabis eos.[185] Admirez plutôt comment l’amour et la justice s’unissent par un mutuel tempérament dans ce grand travail de redressement et d’épuration.

A la lueur de ces terribles flammes, nous apprécierons le degré profond de malice renfermé dans ces fautes que nous considérons comme légères et sans conséquence. – D’autre part, les douceurs que la clémence infinie daigne répandre sur ces sombres brasiers, nous aideront à calmer les appréhensions dont nous serons saisis à notre dernière heure ; au moment de notre mort, elles mettront la paix dans nos âmes et nous inspireront le courage, la confiance et une vraie résignation.

Donc en deux mots, le Purgatoire est aimable et consolant, il est un séjour béni et digne de toute notre sollicitude et de toute notre prédilection en tant que les supplices qu’on y endure s’y exercent sur des âmes saintes et chéries de Dieu. – Le Purgatoire est un théâtre d’affliction et d’angoisses en tant que la justice de Dieu s’y dédommage de la part de sacrifice et d’amour que nous lui avons refusée ici‑bas.

Anges sacrés, gardiens de ces gouffres embrasés, aidez‑moi à évoquer du sein de ces flammes qui les tourmentent, ces âmes si saintes et si résignées. Faites‑nous reconnaître parmi elles nos pères, nos mères, nos sœurs, nos frères. Laissez pénétrer jusqu’à nos oreilles leurs cris si tendres et si déchirants, qu’ils seraient capables de fendre les montagnes et d’adoucir la cruauté elle-même.

Ah ! si nos cœurs ne sont pas pétrifiés, si une goutte de sang chrétien bouillonne encore dans nos veines, nous comprendrons qu’il n’y a pas de détresse plus grande à secourir, qu’il n’y a pas d’exercices plus méritoires et plus pressants à pratiquer ! ! !

I

L’existence du Purgatoire est formellement attestée par la sainte Écriture et par la tradition constante de l’Église juive et chrétienne. – Il est dit aux livres des Macchabées que c’est une pensée sainte et salutaire de prier pour les morts, afin de les dé­livrer des fautes et des imperfections dont elles se souillèrent du­rant la vie : ut a peccatis solvantur.[186] – Saint Paul, parlant des prédicateurs légers et présomptueux qui, dans l’exercice de leur ministère, se laissent séduire par l’amour des louanges, s’aban­donnent à des pensées de vanité et à des sentiments de complai­sance, dit qu’ils seront sauvés, mais après avoir été préalablement éprouvés par les flammes : sic quasi per ignem.[187] – Saint Grégoire enseigne que les âmes coupables de prévarications qu’elles n’auraient pas suffisamment expiées pendant leur vie, seront baptisées dans le feu : ab igne baptizabuntur. – C’est leur second baptême. – Le premier est nécessaire pour nous introduire dans l’Église de la terre, le second pour nous introduire dans l’Église du Ciel. – Au dire de saint Cyrille, de saint Thomas, le feu du Purgatoire est de même nature que celui de l’Enfer. Il a la même ardeur, et n’en diffère que parce qu’il est temporaire. – Enfin, la liturgie sacrée nous apprend que le Purgatoire est un abîme affreux, un séjour où les âmes sont dans l’angoisse et dans une cruelle attente, un brasier où elles brûlent sans interruption, soumises à l’action d’un feu subtil, allumé au souffle de la jus­tice divine et dont l’énergie est la mesure de ses très justes et très redoutables vengeances : Dies irœ, dies illa… Lacrymosa dies illa, qua resurget ex favilla judicandus homo reus[188].

L’Église, au Canon de la messe, offre à Dieu ses suffrages, afin d’obtenir pour ces âmes locum lucis, un lieu de lumière : d’où il suit qu’elles sont dans la nuit et enveloppées de ténèbres épaisses et impénétrables. – Elle demande pour elles locum refrigerii, un lieu de rafraîchissement : d’où il suit qu’elles sont dans d’intolérables ardeurs. – Elle demande encore pour elles locum pacis, un lieu de paix : d’où il suit qu’elles sont livrées à des inquiétudes et à d’inexprimables anxiétés.

Ce simple exposé fait frissonner d’horreur tout notre être. Hâ­tons‑nous de dire que les consolations que goûtent ces âmes capti­ves sont aussi inexprimables.

A la vérité leurs yeux ne sont pas encore récréés par l’aspect de la douce lumière, les anges ne descendent pas du Ciel pour transformer leurs flammes en une rosée rafraîchissante ; mais elles ont le trésor le plus doux, celui qui suffit seul pour relever l’homme le plus affaissé sous le poids de ses peines, faire lever l’aube de la sérénité sur les fronts les plus tristes et les plus abat­tus : elles possèdent le bien qui reste ici‑bas à l’homme le plus misérable, le plus dénué, lorsqu’il a épuisé, tari la coupe sans cesse renaissante de toutes les afflictions, et de toutes les peines… Elles ont l’espérance ; l’espérance, elles la possèdent à l’état le plus éminent, à ce degré qui exclut toute incertitude, toute appré­hension, qui fixe le cœur dans le repos, dans la plus profonde et la plus absolue sécurité : Reposita est mihi corona justitiœ.[189]

Ces âmes sont assurées de leur salut. Saint Thomas nous donne deux raisons de cette certitude immuable, si consolante qu’elle leur fait en quelque sorte oublier leurs peines. – D’abord ces âmes savent qu’il est de foi que les damnés ne peuvent ni aimer Dieu, ni détester leurs péchés, ni opérer aucune ouvre bonne or. elles ont la conscience intime qu’elles aiment Dieu, qu’elles détestent leurs fautes et qu’elles ne peuvent plus opérer aucun mal. Elles savent en outre d’une certitude de foi, que les âmes qui meurent en état de péché mortel sont précipitées en Enfer, sans délai, à l’instant où elles rendent leur dernier soupir. Ducunt in bonis dies suos, et in puncto ad inferna descendunt.[190] Or les âmes dont je parle, ne sont pas livrées au désespoir, ne voient pas la face des démons, elles n’entendent pas leurs imprécations et leurs blasphèmes, elles en concluent par le fait et d’une manière infaillible qu’elles ne sont pas décédées en état de péché mortel, mais qu’elles sont en état de grâce et agréables à Dieu.

Aussi, quel sujet de contentement pour elles de pouvoir s’écrier avec l’assurance de saint Paul : « Plus de rechute dans le péché ! plus de séparation entre Dieu et moi ! plus de mort à Jésus‑Christ qui est nia vie : Certus sum enim ! plus de ces doutes formida­bles sur ma prédestination. Ah ! c’en est fait, je suis sauvée… J’ai entendu de la bouche même de mon Dieu l’arrêt irrévocable de mon salut ; je sais, à n’en plus douter, qu’un jour les portes de la cité céleste s’ouvriront pour mon entrée triomphale, que le Ciel, la terre, les Principautés, les Puissances réunies, le glaive lui-même, sont sans puissance pour me séparer de la charité de Dieu et me déposséder de mon éternelle couronne : Quia neque princi­patus neque creatura alia poterit nos separare a charitate Dei, quœ est in Christo Jesu.[191] »

Ah ! sans doute, s’écrie cette âme, mes douleurs sont aiguës ! Rien n’est comparable à la violence de mon supplice ; niais ce supplice et ces souffrances sont sans force pour m’éloigner de Dieu, détruire en moi la flamme de son amour : Quis ergo nos separabit a charitate Christi ! An tribulatio, an angustia, an fames…[192] Ah ! … ma faiblesse maintenant n’est plus sujette à se trahir par des emportements, par des impatiences, par des mur­mures. Soumise au bon plaisir de Dieu, je bénis la main qui me châtie, j’accepte avec joie tous mes tourments.

Ces tourments ne sauraient abattre mon âme, ni la jeter dans le trouble, l’amertume ou l’anxiété… non contristabit justum quid­quid ei acciderit. Je sais qu’ils sont réglés et tempérés par cette divine Providence, qui, pour le bien de ses créatures, dispose toute chose avec amour et avec équité…[193] Je dis plus, je préfère mes tourments aux délices du Ciel, s’il pouvait m’être donné d’en jouir contre le gré de cette volonté souveraine, à laquelle je suis désormais soumise absolument et sans retour mes vœux, mes aspirations se résument dans une seule devise « Tout ce que Dieu veut, comme il le veut, à l’heure où il le veut. » Oh ! Dieu de mon cœur, mon trésor et mon tout, que suis‑je pour que vous daigniez descendre jusqu’à moi et épurer, de votre main paternelle, une âme ingrate et déloyale.

Ah ! coupez, taillez dans le vif, épuisez la coupe inimaginable de vos tourments. N’écoutez que votre honneur et les intérêts de votre justice, et jusqu’à ce que celle‑ci soit pleinement satisfaite, n’ayez égard ni à mes gémissements ni à mes plaintes.

Pauvres âmes ! Elles n’ont qu’une passion, qu’une ardeur, qu’un désir, celui de briser l’obstacle qui les empêche de s’élancer vers Dieu, qui les appelle et les attire à lui de toute l’énergie et de toute la violence de sa beauté, de sa miséricorde et de son amour sans bornes.

Ah ! si elles le pouvaient, afin de hâter l’heure fortunée de leur délivrance, volontiers elles attiseraient les flammes qui les consu­ment, elles accumuleraient à l’envi tourments sur tourments, Purgatoire sur Purgatoire. – Il y a dans ces âmes des restes de péché, un alliage de misères, de souillures, de défectuosités qui ne leur permet pas de s’unir à la substance divine. Leurs imper­fections, les taches vénielles dont elles se sont laissé ternir ont obscurci et mutilé leur œil intérieur. Si, avant leur complète purification, la vive et éclatante lumière du Ciel tombait sur leurs yeux malades et affaiblis, elles en éprouveraient une impression plus douloureuse et plus cuisante mille fois que celles qu’elles ressentent au sein des plus épaisses ténèbres de l’abîme. Dieu, lui‑même, voudrait les transformer, de suite, à la ressemblance de sa gloire en les éclairant de très purs rayons de sa divinité ; ces rayons trop vifs, trop éblouissants ne pourraient les pénétrer ; ils seraient interceptés par les scories et les résidus de cette poussière et de cette boue terrestre, dont elles sont encore souillées. – Il est indispensable que, jetées dans un creuset dévorant, elles dé­posent la rouille des imperfections humaines, afin que, semblables au vil et noir charbon, elles en sortent sous la forme d’un cristal précieux et transparent ; il faut que leur être se subtilise, s’épure de tout mélange d’ombres et de ténèbres, qu’il devienne apte à recevoir sans obstacle les irradiations et les splendeurs de la gloire divine qui, coulant un jour en elles à pleins bords, les remplira comme un fleuve sans rivages et sans fond.

Figurez‑vous une personne atteinte d’un mal hideux, qui lui ronge les chairs et la rend pour ceux qui l’entourent un objet d’éloignement et de dégoût… Le médecin qui veut la guérir appli­que sans ménagement le fer et le feu. Il fouille avec son terrible instrument jusqu’à la moelle des os. Il va saisir le principe et la racine du mal dans ses plus secrètes profondeurs. Les convulsions de la malade sont si violentes qu’elle est près de rendre l’âme ; mais l’opération terminée, elle se sent renaître, le mal a disparu, elle a retrouvé sa beauté, sa jeunesse et sa vigueur. Ah ! loin de s’emporter en plaintes et en reproches, elle n’a pas de paroles ni de bénédiction assez grandes pour témoigner sa reconnaissance à l’homme de l’art qui, en lui faisant souffrir mille maux, lui a donné ce qu’il y a de plus précieux, la santé et la vie.

Ainsi en est‑il des âmes dans le Purgatoire. – Elles tressaillent de bonheur en voyant leurs taches et leurs souillures disparaître par l’effet merveilleux de ce châtiment réparateur. Sous l’action de ces flammes purifiantes, leur être plus ou moins défiguré s’embellit et se restaure. Ce feu lui‑même perd son intensité, dit saint Thomas, à mesure qu’il consume et détruit les imperfections et les défectuosités qui alimentaient ses ardeurs. – Une barrière d’une dimension imperceptible sépare encore ces âmes du séjour des récompenses. Ah ! elles éprouvent une joie et des transports in­descriptibles, voyant se développer en elles les ailes qui leur per­mettront de s’élancer bientôt vers les célestes demeures… Déjà elles entrevoient l’aube de leur délivrance. – Ah ! elles ne tou­chent point encore à la terre promise ; mais, comme Moïse, elles se la retracent en esprit. Elles en pressentent les lumières et les riants rivages, et elles en respirent à l’avance les parfums et les souffles embaumés. – Chaque jour, à chaque instant, elles voient poindre dans une vision moins lointaine l’aurore de leur déli­vrance, elles sentent se rapprocher de plus en plus le séjour de leur éternel repos : Requies de labore. – Que dirai‑je encore ? Ces âmes ont la charité qui cette fois a pris possession complète et absolue de leur cœur… Elles aiment Dieu, elles l’aiment d’un amour si puissant qu’elles voudraient se fondre et s’anéantir pour sa gloire.

« L’homme embrasé de la flamme du divin amour », dit saint Jean Chrysostome « est aussi indifférent à la gloire et à l’ignominie que s’il était seul et sans témoin sur cette terre. Il méprise toutes les tentations. Il n’a pas plus souci des tenailles, des grils, des chevalets, que si ces souffrances étaient endurées dans une chair autre que la sienne. Ce qui est plein de suavité pour le monde, n’a pour lui aucun attrait, aucune saveur ; il n’est pas plus susceptible d’être épris d’un attachement criminel, que l’or sept fois éprouvé n’est susceptible d’être terni par la rouille. Tels sont, même sur cette terre, les effets de l’amour divin, quand il s’empare vivement d’une âme. »

Or l’amour divin agit sur les âmes dont je parle, avec d’autant plus de force que, séparées de leurs corps, privées de toutes conso­lations humaines, livrées à mille martyres, elles sont forcées de recourir à Dieu et de rechercher en lui seul tout ce qui leur manque.

Un de leurs plus grands sujets de souffrance est de savoir que les peines qu’elles endurent ne leur sont d’aucun profit. La nuit est venue pour elles, où il ne leur est plus possible de travailler ni d’acquérir : venit nox quando nemo potest operari.[194] Le temps où l’homme peut satisfaire lui‑même pour ses péchés, amasser des mérites, accroître sa couronne céleste, expire avec la mort. – Au moment de son entrée dans l’autre vie, tout être humain subit l’arrêt de son éternelle sentence. Son sort est immuablement fixé, et il ne lui est plus facultatif d’accomplir des œuvres bonnes ou mauvaises, dont il puisse être de nouveau justiciable au tribunal de Dieu. Mais si les âmes du Purgatoire ne peuvent croître en sainteté et amasser par leur résignation et leur patience de nou­veaux mérites, elles savent d’autre part qu’elles ne démériteront plus, et c’est pour elles une douce joie de souffrir d’un amour gra­tuit et tout désintéressé.

Sans doute, ce singulier mélange de bonheur, au sein des plus cruels tourments, est un état que nos esprits grossiers ne peuvent comprendre ; mais interrogez les martyrs : les Thérèse, les Luce, les célestes amants de la croix, ils vous diront que c’est le plus souvent dans la tristesse et au milieu des peines et des plus cruel­les désolations de l’esprit, que celui qui ne cherche qu’à vivre en Dieu, éprouve comme un avant‑goût du Paradis, qu’il sent affluer dans son cœur les joies et les délices les plus douces et les plus enivrantes.

Les âmes du Purgatoire aiment Dieu ; de plus, elles sont aimées des Églises du Ciel et de la terre, qui entretiennent avec elles des rapports et des communications incessantes. L’Église catho­lique fait appel à la charité de ses enfants, et par leur médiation elle leur prodigue, jour et nuit, ses suffrages et ses secours. La charité des bons anges leur dispense à toute heure les gouttes cé­lestes que le bon Jésus fait tomber de son Cœur. Elles s’aiment entre elles, et se consolent mutuellement par des entretiens inef­fables.

Un incommensurable chaos n’est point dressé entre ces âmes et leurs amis de la terre, et il nous est facultatif de leur porter à tout instant cette goutte d’eau que le mauvais riche réclamait en vain de la pitié de Lazare.

Saint Jean eut un jour une admirable vision : il vit un temple, et dans le sanctuaire de ce temple il aperçut un autel, et sous cet autel la multitude des âmes souffrantes : vidi subtus altare animas interfectorum.[195] Ces âmes ne sont point devant l’autel, comme l’observe un commentateur ; il ne leur est plus permis de s’y présenter. Ce n’est qu’indirectement et par voie de suffrage qu’elles participent au fruit de l’immolation eucharistique. Elles sont sous l’autel et attendent, résignées et gémissantes, la part que nous voudrons bien faire arriver à leurs lèvres.[196]

L’Église catholique n’a rien défini sur le lieu du Purgatoire. Diverses opinions ont été émises sur ce point par les Docteurs et par les Pères, et il est facultatif de les admettre les unes ou les autres, sans pour autant manquer à l’orthodoxie et s’écarter de la vraie foi.

Saint Thomas, saint Bonaventure, saint Augustin enseignent que le Purgatoire, situé au centre de la terre, est un séjour intermédiaire entre l’Enfer des réprouvés et les limbes où sont détenus, au moins jusqu’au jugement, les enfants morts sans baptême.

Ils citent en témoignage de leurs opinions les paroles que fait chanter l’Église : « Délivrez, Seigneur, les âmes des fidèles défunts des peines de l’Enfer et du lac profond.[197] » Et ces paroles de l’Apocalypse : « Et personne, ni dans le Ciel, ni sur la terre, ni sous la terre, ne fut trouvé digne d’ouvrir le livre et de le regarder.[198] » Il est certain, d’après cette parole de saint Jean, qu’il n’y a eu que des justes conviés à ouvrir le livre mystérieux. Or, en faisant mention de ceux qui sont sous la terre, l’Apôtre ne semble‑t‑il pas nous faire entendre qu’il y a des justes captifs pour un temps dans ses sombres entrailles ? – Il est dit ail­leurs, dans l’Écclésiaste : « Je pénétrerai les parties inférieures de la terre, j’y visiterai ceux qui dorment, et je ferai luire à leurs yeux l’espérance du salut. » – Les interprètes établissent avec raison que, dans ce passage, l’auteur inspiré a voulu désigner les limbes où les Patriarches et les saints de l’Ancien Testament repo­saient dans le sein d’Abraham. Mais cette explication confirme le sentiment de saint Thomas et de saint Bonaventure au lieu de l’infirmer. En effet, si les Patriarches et les justes de l’Ancien Testament, purifiés de toutes leurs fautes actuelles, ont eu pour demeure les régions inférieures de la terre, jusqu’au jour où le péché légué par Adam à notre race ait été expié et pleinement effacé sur la croix[199], à plus forte raison, paraît‑il convenable que les âmes, coupables de fautes actuelles qu’elles n’ont pas suffi­samment réparées, soient punies et détenues dans les profon­deurs de la terre : Inferiores partes terrœ.

Le témoignage de saint Augustin ajoute un degré de probabi­lité de plus à cette opinion : dans son Épître XCIX, ad Evod., il déclare que le Christ en descendant aux Enfers, alla non seule­ment dans les limbes, mais aussi dans le Purgatoire où il délivra quelques‑unes des âmes captives, suivant ce que semblent indiquer les Actes des Apôtres : Solutis doloribus inferni.

La seconde opinion, relative au lieu du Purgatoire, est celle de saint Victor et de saint Grégoire le Grand dans ses dialogues. L’un et l’autre soutiennent que le Purgatoire n’a pas de lieu déterminé, et qu’un grand nombre d’âmes défuntes expient leurs fautes sur la terre, et dans les lieux même où elles ont le plus souvent péché[200].

La théologie sacrée concilie ces témoignages divers, en établis­sant premièrement, que le Purgatoire est un séjour déterminé et circonscrit, situé au centre de la terre, et où la plupart des âmes descendent afin d’expier les fautes dont elles étaient restées souillées.

Pourtant, le Purgatoire n’est pas un lieu unique. – Soit à cause du peu de gravité de leurs fautes, soit par une dispensation exceptionnelle de la sagesse divine, il est un nombre plus ou moins grand d’autres âmes qui ne sont pas plongées dans cette prison, et qui subissent leurs peines sur la terre et dans le lieu où elles avaient péché. – Cette interprétation des grands théologiens explique et confirme une multitude d’apparitions et de révélations faites aux saints, dont plusieurs s’offrent avec des caractères de vérité qui ne permettent pas de les rejeter.[201]

Afin d’éclaircir pleinement notre doctrine, parmi toutes les révélations que cite saint Grégoire le Grand dans ses dialogues, nous choisirons celles dont l’authenticité est à l’abri de toute contradiction.[202]

Un pèlerin du territoire de Rodez, revenant de Jérusalem, est‑il dit dans les annales de Cîteaux, fut obligé par la tempête de relâcher sur une île voisine de la Sicile. – Il y visita un saint ermite qui s’informa de ce qui touchait à la religion dans son pays de France, et lui demanda en outre s’il connaissait le monas­tère de Cluny et l’abbé Odilon. – Le pèlerin répondit qu’il les connaissait. et ajouta qu’il lui saurait gré de lui dire quel intérêt le portait à lui adresser cette question. – L’ermite reprit il y a ici tout près un cratère dont nous apercevons les cimes à cer­taines époques il vomit avec fracas des tourbillons de fumée et de feu. – J’ai vu des démons emporter les âmes des pécheurs. et les précipiter dans ce gouffre affreux, afin de les tourmenter pour un temps. Or, il m’arrive, à certains jours, d’entendre les mauvais esprits s’entretenir mutuellement, et se plaindre de ce que quel­ques‑unes de ces âmes leur échappent ; ils murmurent contre les personnes de piété qui par leurs prières et leurs sacrifices, hâtent la délivrance de ces âmes. Odilon et ses religieux sont les hommes qui paraissent leur inspirer plus d’effroi. C’est pourquoi, quand vous serez de retour dans votre pays, je vous prie, au nom de Dieu, d’exhorter les moines et l’abbé de Cluny à redoubler leurs prières et leurs aumônes pour le soulagement de ces pauvres âmes. – Le pèlerin à son retour s’acquitta de la commission. – Le saint abbé Odilon considéra et pesa mûrement toutes choses ; il eut recours aux lumières de Dieu et ordonna que dans tous les monastères de son ordre, on fît chaque année, le deuxième jour de novembre, la commémoration de tous les fidèles trépassés. Telle fut l’origine de la fête des morts.[203]

Saint Bernard, dans la vie de saint Malachie, cite un autre trait.

Ce saint raconte qu’il vit un jour sa sœur trépassée depuis quelque temps. Elle faisait son Purgatoire au cimetière. – A cause de ses vanités, des soins qu’elle avait eus de sa chevelure et de son corps, elle avait été condamnée à habiter la propre fosse où elle avait été ensevelie et à assister à la dissolution de son cadavre. Le saint off rit pour elle le sacrifice de la messe pendant trente jours. – Ce terme expiré, il revit de nouveau sa sœur. – Cette fois, elle avait été condamnée à achever son Pur­gatoire à la porte de l’Église, sans doute à cause de ses irrévé­rences dans le lieu saint, peut‑être parce qu’elle avait détourné les fidèles de l’attention des mystères sacrés, pour attirer sur elle la considération et les regards. – Elle était profondément triste, voilée de deuil, dans une angoisse extrême. Le saint célébra de nouveau le sacrifice pour elle durant trente jours, et une dernière fois elle lui apparut dans le sanctuaire, le front serein, rayon­nante, vêtue d’une robe blanche. L’évêque connut à ce signe que sa sœur avait obtenu sa délivrance.

Ce récit constate la coutume universellement en vigueur dès les premiers âges de l’Eglise, de prier pour les morts durant l’espace de trente jours. En ce point, le christianisme n’avait fait que suivre la tradition mosaïque.

« Mes enfants », disait à ses fils le patriarche Jacob à son lit de mort, « ensevelissez‑moi dans la caverne de Mambré, qui est dans la terre de Chanaan », et les petits‑fils d’Isaac pleurèrent leur père durant trente jours. – A la mort du grand prêtre Aaron et de son frère Moïse, le peuple renouvela ce deuil de trente jours. Et la pieuse coutume de prier pour les défunts tout un mois devint bientôt une loi de la nation choisie. – Saint Pierre, prince des Apôtres, au dire de saint Clément, aimait à faire prier pour le soulagement des morts, et saint Denys l’Aréo­pagite nous décrit en termes magnifiques avec quelle majesté les fidèles célébraient les funérailles. Dès les premiers siècles, l’Église, en mémoire des trente jours de deuil observés dans la loi mosaï­que, encouragea les prières pendant un mois, après la mort des fidèles.

Oh ! vous donc, qui regrettez des êtres que vous jugez à tort absents, vous qui versez des larmes de ne pouvoir plus reposer vos yeux sur ces visages chéris, sachez‑le bien, les portes de leur prison sont ouvertes toutes larges à vos prières et à votre charité.

Le Prophète se consolait sur ses amis morts dans la paix de Dieu en leur faisant des visites assidues. C’était avec une con­fiance sans pareille qu’il répétait ces paroles : « Penetrabo omnes inferiores partes ferrœ, et inspiciam omnes dormientes, et illumi­nabo omnes sperantes in Domino.[204] »

Ah ! nous craignons, peu s’en faut, que nos discours ne refroi­dissent votre dévotion envers ces âmes ; qu’en entendant parler de leurs nombreuses et solides consolations, votre compassion ne s’amoindrisse, et que vous n’ayez pas pour elles toute la pitié qu’elles méritent. Rappelons‑nous donc que leur bonheur et leur consolation sont mélangés d’afflictions et de tourments.

II

Nous l’avons dit, mes frères, ces âmes confirmées en grâce, sont merveilleusement consolées par la certitude de leur salut. Mais, d’autre part, affranchies de ce corps qui, comme un voile épais, obscurcissait en elles la vue et l’intelligence des objets surnaturels et invisibles, elles sentent cruellement le délai de la possession divine.

Ici‑bas, la privation et l’éloignement de Dieu ne cause à la plupart des hommes qu’un médiocre déplaisir ! Séduits par l’ap­pât des biens de ce monde, absorbés par le spectacle des objets sensibles, nous comprenons Dieu d’une manière trop imparfaite pour en apprécier toute la perte ; mais, à la mort, le bandeau des sens sera déchiré, tous nos attachements humains périront, les vains fantômes qui nous abusaient se seront enfuis sans retour. Il n’y aura plus d’amusements, plus de distractions, plus d’entre­tiens. Nos penchants, nos aspirations, toutes nos tendances se porteront alors vers ce divin Époux, notre unique et incompré­hensible trésor.

Ah ! ces pauvres âmes, avides des éternels embrassements, se précipitent vers le Dieu qui est leur fin, avec plus d’énergie que l’aimant attire le fer, avec plus d’impétuosité que les choses naturelles se précipitent vers leur centre.

Sous cette grande ruine du trépas, dans la séparation absolue de tous ces objets sur lesquels s’appuie notre vie, il ne reste plus rien à l’âme… plus rien, si ce n’est cet amour qui se dérobe, et ne lui laisse que l’inimaginable regret d’avoir, par sa faute, retardé d’un jour, d’une année, d’un siècle, cette union consommée qui doit être pour elle le réel, le parfait, le seul et éternel bonheur.

Représentez‑vous tout ce qu’a d’amer et de déchirant, pour une mère, l’éloignement d’un fils, parti pour les pays lointains ou enlevé par une mort prématurée, et qu’elle n’a aucune espérance de revoir. – Depuis que les yeux de cette mère ne se reposent plus sur cet enfant chéri, une partie de sa vie s’en est allée… le monde n’a plus de joie, plus de plaisir qui puisse combler l’abîme profond et sans mesure, que le départ ou la perte de ce fils a creusé dans son cœur.

Combien sont plus amers et plus déchirants les cris de cette âme infortunée 1 L’entendez‑vous s’écrier du lieu désolé de son expiation : Où est‑il celui qui est l’âme de mon âme ? En vain je le cherche sur cette couche de flammes où je n’étreins que les ténèbres et le vide ! … Oh ! le bien‑aimé de mon cœur, pourquoi me faire persévérer dans cette longue attente. Augmentez mes tourments, mettez, s’il le faut, dans les minutes des siècles de supplices ! … Ah ! en vous soustrayant à mon âme avide qui aspirerait à vous voir, à se noyer et à se fondre en vous, que vous me punissez sévèrement de ma lâcheté et de mes froideurs !

A cette peine de l’éloignement de Dieu, se joint la peine du feu.

Disons toutefois, afin d’être précis et de n’émettre aucune opinion discutable et controversée, que l’Église n’a pas défini que les âmes du Purgatoire sont soumises à l’action d’un feu matériel. – C’est simplement une vérité de foi divine et théolo­giquement certaine.[205]

Dans la première session du concile de Florence, les Pères de l’Église grecque refusèrent constamment et d’une manière formelle, d’admettre l’existence matérielle du feu du Purgatoire ; d’autre part, ils confessaient unanimement que le Purgatoire est un lieu ténébreux, où les âmes, exemptes du supplice du feu, endurent des souffrances et des peines très graves, consistant sur­tout dans l’obscurité et les angoisses d’une cruelle détention. – Les Pères de l’Église latine, unanimes à soutenir le sentiment opposé, n’estimèrent cependant pas que sur ce point l’Église grecque errât dans la foi. Pour cette raison, dans le décret d’union des deux Églises on ne fit pas mention du supplice du feu. – Il fut simplement dit que les âmes qui n’avaient pas entièrement satisfait à la justice de Dieu en cette vie, endurent dans l’autre vie des peines proportionnées au nombre et à la grandeur de leurs fautes, et que les souffrances qu’elles endurent sont adoucies ou abrégées par les prières et les bonnes œuvres des vivants, et sur­tout par le sacrifice de la messe.

Si le concile de Florence, en définissant les peines du Purga­toire, n’a pas jugé opportun de mentionner l’existence du feu, soit par égard pour les Pères de l’Église grecque, et afin de ne pas retarder un rapprochement si longtemps désiré, soit aussi parce que leur erreur n’atteignait pas le fond et la substance du dogme, il ne faut pas moins considérer l’existence du feu matériel du Purgatoire, comme une vérité démontrée et qui ne saurait être sujette à aucun doute, ni à aucune restriction. D’abord, dans ce même concile de Florence, l’existence matérielle du feu du Purga­toire a été soutenue par le suffrage unanime de tous les Pères de l’Église latine. ‑ Cette opinion a donc pour elle le plus grand courant de la tradition et le sentiment de la presque universalité des docteurs. ‑ Saint Paul semble l’enseigner formellement par ces paroles : Salvi erunt sic quasi per ignem, et il faut observer qu’il ne se sert pas de la particule quasi comme d’un diminutif, mais afin de mieux expliquer le mode de purification. Enfin toutes les visions et toutes les révélations qui ont trait au Purgatoire, assimilent les peines et le feu qu’on y endure, aux peines et au feu de l’Enfer, sans autre restriction si ce n’est celle que ce feu n’est pas éternel mais temporaire.

Ici se soulève une question d’une solution difficile ; un feu matériel peut‑il agir sur des âmes séparées de leur corps et sur de purs esprits ? – C’est là, répondons‑nous, un mystère de la justice de Dieu, un secret que la raison humaine ne parviendra jamais à pénétrer. Tout ce que la théologie nous apprend du Purgatoire, c’est que ce feu matériel ne s’identifie pas avec l’âme humaine, qu’il ne lui est pas uni substantiellement, comme ici-bas l’esprit l’est au corps. Lorsque les saints et d’éminents Doc­teurs nous disent que les réprouvés et les âmes du Purgatoire sont revêtus d’un corps de feu, ils nous parlent métaphorique­ment et pour s’accommoder à notre manière de concevoir. – Ce qui est encore certain, c’est que ce feu, comme certains Docteurs l’ont soutenu, ne se bornera pas à former comme une prison ou une sorte d’enceinte autour des âmes qu’il tourmente et qu’il puri­fie, il ne les fera pas uniquement souffrir par la contrariété dont il affectera leur volonté, par les obstacles qu’il mettra à l’exercice et au libre essor de leurs puissances intellectuelles et de leurs facultés sensitives.

L’opinion vraie est que le feu du Purgatoire, quoique corporel, agira comme instrument de la justice de Dieu et par un mode inef­fable, il affectera l’âme dans le vif. C’est le sentiment exprimé par les paroles suivantes de saint Augustin : Cur enim non dica­mus, quamvis miris, tamen veris modis, etiam spiritus incorporeos posse pœna corporali ignis affligi[206] – Il agira donc sur l’âme immédiatement. Saint Grégoire exprime plus clairement la même pensée en disant : « C’est un feu visible et corporel qui suscitera dans l’âme une ardeur et une douleur invisibles.[207] »

Mais qui pourra jamais comprendre combien est pénétrant ce feu qui n’atteint pas l’homme comme celui de la terre, médiate­ment et à travers son enveloppe matérielle, mais qui agit dans le vif de la substance ; ce feu actif, prodigieusement efficace, qui atteint l’âme dans ses replis les plus secrets, jusqu’aux points de jonction qui l’unissent à l’esprit : Usque ad divisionem animœ et spiritus…[208] Ce feu qui ne laisse subsister aucune tache ; feu immortel qui discerne jusqu’aux faiblesses insaisissables à l’œil de la créature ; feu sédentaire, comme l’appelle le prophète, qui s’appesantit sur l’âme coupable, la dévore, l’assiège sans lui accor­der un seul instant de repos, dont l’âpreté et les ardeurs ne sont tempérées par aucun adoucissement, ni sujettes à aucune diver­sion, et éprouvent les enfants de Lévi comme l’or et l’argent dans la fournaise : Sedebit conflans et purgabit filios Levi et colabit eos quasi aurum et argentum.[209]

Ici‑bas la douleur est intermittente. La fièvre n’a pas toujours la même violence. Le sommeil interrompt les plaintes du malade. Il peut se tourner et se retourner sur son lit de souffrance, se distraire dans l’entretien de ses amis ; mais le feu du Purgatoire consume sans relâche et sans trêve. Ces âmes sentent et soutien­nent à chaque instant tout le poids et toute la profondeur d’une douleur dont elles ne peuvent se distraire une minute, une seconde.

Une personne, à qui l’on avait fait une opération terrible, avait refusé de se laisser endormir. Elle souffrit sans pousser un soupir, les yeux fixés sur l’image de Jésus‑Christ. L’opération dura cinq minutes. Quand elle fut terminée « il m’a semblé » dit‑elle, « qu’elle avait duré un siècle. » – De même qu’il est reconnu qu’une joie très vive ôte à l’esprit l’impression de la fuite des heures, de même on petit concevoir une douleur tellement intense qu’elle donne à une minute la longueur d’une durée séculaire. Or, s’il cri est de la sorte, si dans le Purgatoire les minutes équi­valent à des années et les années à des siècles, que sera‑ce de res­ter plongé dans cette prison ténébreuse des nuits, des années, peut-être jusqu’à la fin du monde.[210]

O vous dont la vie est si molle, vous qui, pour plaire au monde ou épargner à votre corps un instant de peine, ne craignez pas de vous souiller de mille fautes ! Dites, avez‑vous compris les mystères de la justice de Dieu, avez‑vous médité la longueur et la durée des tourments qui vous attendent : Indica mihi si habes intelligentiam[211] ?

Église primitive ! berceau du Christianisme ! modèle de tous les âges ! Vous qui comptiez autant de saints que de fidèles ! vous qui, instruite par les Apôtres, aviez reçu en première main les oracles du Verbe incarné ! quelle idée terrible n’aviez‑vous pas de la grandeur des peines dues au péché ? Vous le vengiez dès cette vie avec une sévérité qui nous étonne.

Dans l’Église des premiers âges, la loi canonique était appli­quée dans toute sa rigueur. Il n’y avait ni rémission, ni condescen­dance. La pénitence et les œuvres satisfactoires étaient imposées dans la mesure strictement requise pour satisfaire intégralement à la justice de Dieu. – Cette pénitence ne consistait pas dans la récitation de quelques courtes prières ; elle consistait dans de longs jeûnes au pain et à l’eau, dans la récitation quotidienne des psaumes, dans de longs et pénibles pèlerinages, dans une multitude considérable d’œuvres pies. – Un voleur, suivant la quantité du larcin, était condamné à deux ou à cinq ans de pénitence, un blasphémateur à sept ans, un impudique à dix et souvent à douze ans de jeûne, de larmes, de prostrations publi­ques sur le seuil du lieu saint… Suivant ce terrible calcul, une vie entière passée dans les macérations des anachorètes, fut-elle aussi longue que celle des anciens patriarches, suffirait à peine pour expier l’habitude des péchés les plus ordinaires aux hommes de nos jours ? – Combien donc sera long et terrible le Purga­toire de la plupart des pécheurs !

Sans doute, une pensée serait susceptible d’adoucir l’infortune de ces âmes souffrantes, ce serait celle que leur souvenir n’est pas éteint, que les amis qu’elles ont laissés sur cette terre sont en travail pour les secourir ou les délivrer.

Hélas ! c’est là une consolation dont se berce vainement leur cœur. A la vérité, c’est notre coutume de témoigner le regret que nous accordons à leur mémoire.

Sans doute, la religion est loin de condamner ce tribut accordé à la douleur. Elle condamne bien plutôt la dureté de ceux qui, aussitôt qu’ils ont perdu leurs parents et amis, n’en gardent plus le souvenir. – Les saints pleuraient leurs amis, mais ils songeaient surtout à les secourir. – Non, ce n’étaient pas des larmes que demandait sainte Monique à saint Augustin, lors­qu’elle lui disait à son lit de mort : « Je vous demande, mon fils, de vous souvenir de moi, chaque fois que vous offrirez le sacri­fice à l’autel ». – Ce n’était pas par des larmes que saint Am­broise voulait marquer le grand attachement qu’il avait eu pour l’empereur Théodose. lorsqu’il disait : « Je l’ai aimé ce prince et parce que je l’ai aimé. je ne l’abandonnerai pas que je ne l’aie introduit dans ce séjour où l’appellent ses vertus. Peuples, accou­rez et répandez avec moi, sur les restes de ce prince, l’encens de vos prières, les profusions de votre charité et les regrets de votre pénitence. »

Mais, que dis‑je, des larmes ! ces larmes qui promettaient de couler toujours ne tardent pas à tarir. Nos cœurs inconstants et égoïstes se lassent d’appeler des noms qui ne nous répondent par aucun écho, de chercher à évoquer des images qui se sont enfuies de nos yeux sans retour. Lancé dans le tourbillon du monde et des frivolités, on se détourne d’un souvenir trop aus­tère, et trop pénible. A la distraction succède l’oubli, et les douleurs des morts sont les plus délaissées de toutes les douleurs.

Pauvres morts ! Après un petit nombre de jours passés dans le regret et dans le deuil, après quelques hommages payés à l’éti­quette et aux convenances, vous serez de nouveau ensevelis dans un tombeau plus cruel et plus froid que celui où une première fois on vous a descendus, et ce second tombeau, ce sera l’oubli, l’oubli dur, inhumain, implacable, pareil à ce linceul, dernier vêtement de vos membres pulvérisés…, l’oubli planant sur vos demeu­res silencieuses, que personne ne visitera plus, l’oubli sur votre nom que personne ne prononcera plus, l’oubli à votre foyer, dans le cœur de vos amis et de vos enfants, où votre souvenir ne sera plus amené par aucun discours, par aucun entretien… Oui ! l’oubli profond, complet, sans remède, et cela malgré les adieux si déchi­rants qui vous furent adressés, malgré les serments si pleins d’immortalité, malgré les protestations si pleines de tendresse.[212]

Un jour, Notre Seigneur Jésus‑Christ rencontra sur les bords de la piscine un homme profondément malheureux. Cet homme avait le visage d’une pâleur de mort, ses yeux étaient caves et éteints, ses membres desséchés et raides ; il gisait paralysé, immo­bile, sur les bords de la piscine Probatique, foulé par les passants, exposé à toutes les intempéries et à toutes les injures de l’air. – Cependant, cet homme était loin d’être atteint d’un mal incurable. Pour le guérir, il n’était pas besoin de consulter des médecins habi­les, d’explorer les vallées et les montagnes pour y chercher des médicaments et des herbes rares et inconnues. Il suffisait de lui donner une légère impulsion et de le descendre dans la piscine, au moment où l’ange du Seigneur y descendait pour agiter les eaux. – Et cependant, dans une ville aussi populeuse que J’était la capitale de la Judée, au milieu de cette affluence de pèlerins qui accouraient pour les solennités de tous les points de l’univers, pas un parent, pas un ami pour lui rendre un service aussi facile. – Or, Jésus, apercevant un jour ce paralytique, sentit son cœur divin s’attendrir, et d’une voix émue il lui dit : Infortuné, tu ne veux donc pas guérir ? – Et le malheureux de répondre, Mais, Seigneur, le puis‑je ? Je n’ai pas un homme, pas un passant pour me jeter dans la piscine, lorsque l’ange y descend pour agiter les eaux, hominem non habeo ut, cum turbata fuerit aqua, mittat me in piscinam.[213] Que cet infortuné paralytique nous représente, sous des traits saisissants, les âmes dont je vous retrace les plaintes ! Elles sont assises sur les bords de la piscine de ce sang qui a sauvé le monde : elles n’ont ni la puissance d’en recueillir les fruits, ni celle de s’en dispenser elles‑mêmes les gouttes vivifiantes… Et voilà peut‑être des années qu’elles nous implorent en vain, et qu’elles sont torturées faute d’une main secourable.

Hélas ici‑bas, il n’y a pas d’infortuné qui n’ait une ressource. Les plus malheureux ont du moins celle de leurs larmes, et lors­que tout nous manque à la fois, le Ciel et la terre, lorsque nous sommes en butte à l’injustice, à l’oppression, que nous subissons les abus et les excès de la force, il nous reste dans notre propre cœur un refuge où Dieu nous attend toujours. De chacune de nos douleurs nous pouvons faire un sacrifice ; de chacun de nos actes nous pouvons nous composer une couronne et un trésor. Mais souffrir et toujours souffrir, et savoir que la souffrance ne produit rien ; verser des larmes de feu et sentir que sous la rosée brûlante de ces pleurs rien ne peut germer, que les souffrances succéderont aux souffrances, jusqu’à ce que la justice divine soit satisfaite ; c’est là une situation capable d’attendrir des entrailles de bronze ; c’est là une infortune qui ne saurait être pleurée que par des lar­mes de sang, et à laquelle ne saurait rester indifférent celui qui n’a pas éteint dans son âme tout sentiment d’humanité et de com­passion.

Ah ! si sous cette terre épaisse qui recouvre leurs corps, si du sein de leurs demeures sombres et impénétrables, ces âmes pouvaient se réveiller un instant, et faire parvenir, jusqu’à nos oreil­les et à nos cœurs, leurs cris et leurs plaintes déchirantes, quelle ne serait pas la profondeur de leurs gémissements, avec quels accents d’indicibles angoisses elles nous appelleraient à leur aide ! Ah ! diraient‑elles, ayez pitié de nous, vous qui fûtes nos amis. Brisez nos fers, sauvez‑nous… Délivrez‑nous : levez‑vous, parcou­rez les demeures que nous avons habitées ; parlez d’autant plus haut que le silence est plus profond sur nos tombeaux. – Prêtre de Jésus‑Christ, ministre de toutes les infortunes ! faites entendre à cet enfant oublieux la voix de sa mère… Je l’avais élevé, je ne vivais que pour lui ; il était l’enfant de mon cœur… A mon chevet d’agonie il aurait voulu prolonger mes jours aux dépens de ses jours. – Demandez‑lui comment la religion elle‑même est impuis­sante maintenant à me rappeler à son souvenir. Prêtre de Jésus-Christ ! élevez la voix plus haut encore… Ne craignez pas, en montrant mon image tout entourée de flammes, de porter la honte et le remords dans l’âme de cet époux insouciant qui se console de sa viduité par de grossiers plaisirs. Demandez‑lui où est la foi jurée, ce qu’est devenue cette tendresse, cette fidélité dont il me donna. jusque dans les bras de la mort, des témoignages si écla­tants et si vifs… Demandez‑lui comment il faut qu’aujourd’hui j’implore. par des cris si navrants, sa sollicitude et son appui. Ah ! il reste impassible et me démontre cruellement que je suis morte à jamais dans son cœur.

Dites encore à nos amis et aux étrangers qui ne nous sont pas unis par le sang, mais qui sont nos frères, dans la foi, et qui pas­sent insouciants sur cette mer agitée de la vie humaine, dont les flots rapides nous emportaient naguère comme ils les empor­tent eux‑mêmes à leur tour…, dites‑leur de s’arrêter et de consi­dérer s’il est une douleur plus amère et plus profonde, et en même temps plus délaissée et plus solitaire que la nôtre… Ah ! frère, père, époux, ami, nous vous implorons, suppliants du fond de ce lac enflammé…, de grâce ! une goutte d’eau, une prière, un jeûne. une aumône, une main secourable et nous sommes sau­vés… Frère, ami, père, époux, considérez que si nous souffrons, c’est en partie à cause de vous.

Oui, cette âme souffre à cause de nous.

Cette mère souffre parce qu’elle a eu trop de faiblesse pour son fils, parce qu’elle n’a pas redressé ses torts, corrigé les écarts de son adolescence. ‑ Cette épouse souffre parce qu’elle a accordé trop exclusivement à son époux un cœur qui n’appartenait qu’à Dieu. parce qu’elle a eu pour lui des complaisances trop exa­gérées et trop aveugles. – Cet ami souffre parce qu’il a été le com­plice des infidélités de son ami, qu’il a épousé et servi ses querel­les, qu’il a coopéré à ses désordres et à ses dérèglements… et nous les laisserons porter seuls le poids de la justice ! En échange de cette malheureuse indulgence qu’ils ont eue pour nous, nous ne consentirons pas à les décharger d’un jour de sacrifice, à leur épargner des siècles de tortures !

Ah ! si vous saviez qu’à l’heure où nous vous parlons, votre père, votre mère, vos frères, les êtres que vous chérissez le plus sont sur le point de périr dans un incendie, ou sous un éboule­ment, et qu’ils vont être envahis par les eaux ou par le feu, et si, pour les délivrer, il n’y avait qu’à exposer votre vie, courir à leur secours et leur tendre la main, fallut-il marcher dans les flammes, fallut-il laisser brûler votre main. risquer votre vie. vous n’hésite­riez pas à risquer votre vie, à marcher dans les flammes et à laisser brûler votre main… Si la peur ou l’égoïsme ou tout autre lâche sentiment vous faisait hésiter, vous rougiriez de vous, et vous vous regarderiez à bon droit comme les êtres les plus durs et les plus ingrats.

On raconte qu’au temps des croisades et dans les guerres que nos pères firent en Orient, un chevalier chrétien fut fait prisonnier par les barbares. Jeté dans un affreux cachot, dans l’impuissance de se procurer la rançon demandée, il n’attendait plus que l’es­clavage et la mort. – Soudain, une pensée généreuse s’empare de sa fille, faible encore, à la fleur de l’âge. Seule et sans guide, elle traverse de vastes régions, parvient à franchir d’immenses dé­serts ; elle arrive sur les bords de la mer où elle offre ses services pour le prix de son passage… Enfin elle touche au rivage de l’Europe… Sans prendre de repos, elle parcourt aussitôt les villes, elle s’adresse à la pitié de tous, elle va de maison en maison recueillir la somme exigée par les barbares… Dès qu’elle l’a trou­vée, elle se met en devoir d’affronter une seconde fois ces courses périlleuses, cette navigation pénible à laquelle elle n’a échappé que par miracle. Enfin elle rejoint son père et, grâce à ses efforts surhumains, à l’aide de cette rançon obtenue au prix de tant de périls et de si dures privations, elle parvient à sauver l’auteur de ses jours et à l’arracher aux fers de la captivité.

Quel courage dans cette jeune enfant ! quelle énergie et quelle puissance d’affection filiale ! Comme cette fille héroïque, nous avons aussi reçu de Dieu une âme tendre, miséricordieuse et aimante. Qu’un malheureux, dans une détresse extrême, nous tende la main, nous ne considérons pas s’il nous est uni par l’amitié et le sang ; notre devoir, notre fortune, notre cœur sur­tout, lui sont instantanément acquis. Au besoin, nous n’hésiterions pas à nous priver des aliments et des choses les plus nécessaires, afin de soustraire un infortuné à l’infamie, à la captivité, à la mort… Eh bien ! en faveur de nos parents, de ceux que nous avons aimés, qui tiennent à nous par les liens les plus étroits, nous ne réclamons ni le sacrifice de votre santé, ni votre liberté, ni la tota­lité de vos biens, niais simplement la goutte d’eau que le riche demandait en vain à la pitié de Lazare.

Qu’ajouterai‑je encore ?

Combien s’en trouve‑t‑il parmi vous qui, après une vie de dissipation et de désordre, ont perdu jusqu’au courage de l’ex­piation et à la volonté du repentir ; ils frémissent à la pensée de ce jour où leur âme, dépouillée de son corps, souillée de mille iniquités, sera exposée toute vive aux yeux du souverain Juge. – Il est un moyen facile d’obtenir les miséricordes de la dernière heure, c’est celui que nous enseigne Jésus‑Christ lui‑même : Facite vobis amicos ut recipiant vos in œterna tabernacula[214], faites-­vous des amis qui vous introduisent dans les tabernacles éternels. Procurez‑vous avec cet or, qui a servi d’instrument à tant de mau­vaises passions, l’appui et la protection des saintes âmes du Purgatoire. – Les morts nous disent encore : Vous vous méprenez sur nos désirs et la nature des soulagements que nos douleurs réclament ; vous avez cru nous témoigner vos regrets et votre amour en ordonnant avec pompe nos funérailles. Vous avez érigé, sur les lieux de notre dernière demeure, des monuments qui sont plutôt une satisfaction à votre orgueil qu’un hommage rendu à notre mémoire. A quoi bon tout ce faste et toutes ces splendeurs ? S’il le faut, renversez ces mausolées, mettez en pièces ces monuments et ces pierres, et achetez avec leurs débris les prières et les suffrages de l’Église.

Voilà ce que demandent les morts, et si nous les écoutons, je vous le dis en vérité, notre charité sera bénie. Les morts ne seront pas ingrats. Un jour, affranchis par nos soins de leurs tourments, ils nous aideront de leurs puissantes intercessions, et lorsque nous nous envolerons vers la céleste patrie, ils nous feront cortège ; ils chanteront autour de nous l’hymne de la reconnaissance, et accroîtront la joie de l’éternelle félicité qui sera notre récompense et notre gloire.

 

185. Ps. XXXV, 9. [↩]

186. Macch., XII, 46. [↩]

187. Cor., III, 15. [↩]

188. D’après saint Bonaventure, saint Thomas, saint Augustin, les tourments du Purgatoire surpassent en gravité toutes les peines que l’homme peut endurer en Cette vie.
Et si acternus non sit, miro tamen modo gravis est ; excedi(que citrines poenas quas aliquis in hoc vita passus est (Aug., lib. 50, homil., c. XVIII.) ‑ Unde in Psalm XXXVII : Doinine ne in furore lito arguas nie, ait damnatos argui in furore Dei, justos veto in purgatorio corrigi in ira Dei.
Anselmus, 1 Cor. 3. Sciendum. est quod gravior est ille ignis quam quidquid homo pati potest in bac vita.
Coesarius, homil. 8. Nemo hoc dicat, fratres charissimi, quia ille ilise purga­torius ignis durior erit, quam quod possit poenarum in hoc soeculo, aut accidere, aut sentiri, aut cogitari.
Toutefois saint Bonaventure (in 4. D. 20, a. I, 4. 2.) interprète dans un plus mitigé les diverses opinions que nous venons (le citer. Les peines du purgatoire sont, dit‑il, d’un ordre surnaturel ; en conséquence il est certain que, considérées en elles‑mêmes, elles dépassent par leur nature intrinsèque toutes les souffrances de la vie présente. ‑ Mais, on tic saurait admettre pour autant, que dans leur application, et par rapport à chaque individu, la plus légère des peines du Purgatoire excède tous les tourments qu’un homme peut endurer sur cette terre. Ainsi, par exemple, si une âme n’est coupable que d’une faute vénielle très minime, il n’y aurait pas de proportion entre le péché et la peine, si elle était condamnée pour cette seule faute à endurer tous les supplices des martyrs. L’opinion de saint Bonaventure concorde avec les déclarations d’un grand nombre de saints, qui ont su, par révélation, que des hommes n’ont été condamnés au Purgatoire, que pour un temps très court, et que la peine du feu leur a été épargnée. A plus forte raison peut‑on conclure que, parmi les âmes du Purgatoire, il en est un certain nombre qui ne sont condamnées qu’à des peines relativement légères. [↩]

189. II Timothé IV, 8. [↩]

190. Job., XXI, 13. [↩]

191. Rom., viii, 38. [↩]

192. Rom., viii, 35. [↩]

193. Censeo esse de fide, illas animas non ita perturbari doloribus, ut irra­tionalern quamquam anxictatem, vel impatientiam sustineant. Probatur ex pro­verbio XII : non contristabit justum quidquid ei acciderif. Quod si hoc dixit sapiens de justo in hac vita degente quando divina gratia et protectione custo­ditur, quid dicendum est de animabus illis, quoe confirmatoe sunt in gratia, et in omni bono, et certissime norunt illas poenas esse justissimas, et ex Dei ordinatione evenire ? (Suarez, Dispui. XLVII, sect. tir, p. 932.) [↩]

194. Jean, IX, 4. [↩]

195. Apoc., VI, 9. [↩]

196. C’est le sentiment de saint Jérôme et de plusieurs Docteurs, que lorsque le Saint‑Sacrifice est célébré à l’intention d’un défunt, il cesse d’endurer les ardeur du Purgatoire pendant toute la durée de la célébration. [↩]

197. Libera, Domine, animas fidelium defunctorum de poenis inferni et de prof‑indo lieu. [↩]

198. Nemo inventus est dignus aperire librum, neque in coelo, neque in terra, neque subtus terram. (Apoc., v.) [↩]

199. C’est une tradition que les limbes où se trouvaient détenus, après leur mort, les justes de l’Ancien Testament, étaient situées au centre de la terre. Les justes de l’Ancien Testament n’étaient pas souillés de la faute originelle : ils avaient un moyen pour l’effacer ; néanmoins, ils ne pouvaient entrer dans le Ciel, parce que ce séjour, par suite du péché d’Adam, avait été fermé à toute la race du premier homme, et ne pouvait être rouvert que par les mérites de Jésus‑Christ. [↩]

200. Unumquern purgari ubi potissima peccata commi%it, sicut mutis documen­tis sxpe probaturn est. (Hug. de saint Victor, lib. II, de sacram., p. 16, cap. IV.) [↩]

201. Les morts et les âmes du Purgatoire peuvent‑ils apparaître, et en réalité se manifestent‑ils quelquefois d’une manière visible aux vivants ? Saint Augustin affirme que ces apparitions peuvent avoir lieu, et qu’elles ont eu lieu plusieurs fois par une disposition spéciale de la volonté divine. Il cite pour preuve les âmes de Moïse et de Samuel (I Rois, XXVIII) ; les âmes de Jérémie et du grand prêtre Onias (Il Macch., XVII), qui reparurent sur la terre, quoiqu’elles fussent encore captives dans les limbes. — Pour ce qui est des apparitions des âmes bienheureuses et qui habitent le Ciel, elles sont fréquentes dans la vie des saints. Théodoret, liv. V de son Histoire Ecclésiastique, et Nicéphore, liv. XII, en citent de nombreux exemples. — Il est vraisemblable qu’en vertu de la même disposition divine, les âmes du Purgatoire apparaissent ou se mani­festent quelquefois pour le salut et l’instruction des vivants. C’est la doctrine de saint Grégoire le Grand, qui cite divers traits de ces apparitions ; mais la doctrine probable est que les âmes détenues dans le centre de la terre, n’obtien­nent que rarement la permission d’en sortir. Comme il est constaté par le fait que cite saint Bernard dans la vie de saint Mlie, les âmes qui se montrent aux vivants, sont d’ordinaire celles qui sont condamnées à faire leur Purga­toire dans les lieux de la terre où elles ont habité. — Quoi qu’il en soit de ces sentiments divers, il est certain que, dans les cas très rares où il est accordé aux âmes du Purgatoire de reparaître et de se manifester aux vivants, leurs souffrances ne sont pas suspendues ; une telle interruption ne serait pas dans leur intérêt, puisqu’elles retarderait leur entrée dans ; la béatitude. — De même que le feu de l’Enfer tourmente les démons habitant les régions de l’air, ainsi les âmes du Purgatoire endurent leur peine en quelque lieu qu’elles soient transférées. [↩]

202. Saint Grégoire le Grand (Dialog., c. XXV) dit que l’évêque Paschase, homme très austère et très saint, apparut à Herman, évêque de Capoue, dans des thermes voisins de cette ville, et lui dit qu’il avait été condamné à subir sa peine en ce lieu, en punition des complaisances qu’il avait eues pour l’archiprêtre Laurent, révolté contre le Pape Symmaque, et qui s’était déclaré lui‑même antipape.
Saint Pierre Damien eut une vision semblable qu’il raconte, Épître II, ad Desiderium. Il cite l’exemple d’un évêque faisant son Purgatoire dans un fleuve : cet évêque apparut à un certain prêtre, et lui saisit la main, afin de lui faire sentir la vivacité de sa douleur. [↩]

203. Il y a une objection contre l’authenticité de ce récit. Il ne paraît pas théologiquement admissible, que les saintes âmes du Purgatoire soient livrées aux démons pour être tourmentées. D’abord, il n’est nullement nécessaire que les mauvais esprits portent ou détiennent ces âmes dans le lieu de leur expiation ; une fois que la volonté de Dieu leur est connue, elles lui obéissent et s’y soumettent de plein gré. — C’est une pieuse croyance, que les âmes décédées dans l’amitié de Dieu, sont conduites en Purgatoire par leurs bons anges et que ceux‑ci les assistent et leur apparaissent pour les consoler. L’opinion que les âmes du Purgatoire ont à souffrir la présence et l’obsession des mauvais esprits, est une opinion, qui répugne à l’état de justice et de sainteté dont elles sont revêtues et à l’amour que Dieu a pour elles ; si les démons avaient pouvoir d’exercer sur ces âmes leurs cruautés, ce ne pourrait pas être en vertu d’un commandement de Dieu, mais simplement par sa permission. — Tout ce qu’il faut dire de la vision qu’eut ce pèlerin de Rodez, c’est qu’elle est une image, un apologue approprié à nos esprits grossiers et dont Dieu a voulu se servir pour retracer l’horreur et les ténèbres de la prison où ces âmes sont jetées. S’il est vrai pourtant que des âmes non réprouvées soient livrées au démon pour un temps, il ne peut s’agir que de certains grands pécheurs coupables de crimes énormes, et qui ne se seraient réconciliés avec Dieu qu’au moment de leur dernier soupir. L’opinion commune des théologiens est qu’en règle générale, les âmes saintes du Purgatoire ne sont pas tourmentées par les démons. [↩]

204. Eccl., XXIV, 45. [↩]

205. Une vérité de foi ecclésiastique est celle qui a été définie par les conciles et par les Papes et que l’on ne peut nier sans encourir la note d’hérésie. et devenir anathème, c’est‑à‑dire sans être retranché du sein et de la communion de l’Église. — Une vérité de foi divine est celle qui est contenue dans le dépôt de la révélation, mais qui n’a pas encore été définie par les conciles ou par les Papes. Ainsi 1’lmmaculée‑Concept ion de la sainte Vierge avant sa définition était une vérité de foi divine. Ainsi en est‑il de l’Assomption de la sainte Vierge qui n’a pas encore été définie. — On peut rejeter les vérités de foi divine sans être frappé de censure et subir la note d’hérésie, mais non sans encourir la note de témérité, ni sans se rendre coupable d’une faute très grave, à moins que l’on ne puisse invoquer le bénéfice de la bonne foi, ou que l’on ne soit excusé par une invincible ignorance. — Une vérité théologiquement certaine est une vérité qui ressort des saintes Ecritures, qui a été admise par la tradition et par l’enseignement du plus grand nombre des Docteurs et des Pères, qui repose ainsi sur des preuves irréfutables. Pour offrir un exemple et une appli­cation de cette triple distinction, nous citerons l’infaillibilité du Pontife ro­main, niée par les gallicans avant le concile du Vatican, et qui est une vérité de foi divine, depuis le concile elle est une vérité de foi ecclésiastique. Quant à l’existence du feu matériel du Purgatoire, notre opinion est qu’elle n’est pas seulement une vérité théologiquement certaine, mais une vérité de foi divine. [↩]

206. Pourquoi ne le dirions‑nous pas, les substances incorporelles peuvent très réellement, quoique par des modes incompréhensibles à notre raison et que nos paroles ne peuvent expliquer, être affligées par la peine corporelle du feu. (St. Aug., De la cité de Dieu, ch. VI.) [↩]

207. Ex igne visibili ardor atque dolor invisibilis trahitur. [↩]

208. Heb., iv, 12. [↩]

209. Ml., III, 3. [↩]

210. L’Église n’a rien défini par rapport à la durée du Purgatoire. Le théolo­gien Dominique Soto émet l’opinion qu’aucune âme n’est détenue dans le Purgatoire au-delà de dix ans. Il cherche à établir son allégation en donnant pour raison que, puisqu’il est facultatif à la puissance divine de substituer l’in­tensité des peines à leur durée, comme elle le fera à l’égard des hommes qui mourront peu de jours ou peu d’heures avant le jugement dernier, il est ration­nel et conforme aux idées que nous avons de la bonté infinie de Dieu de penser qu’il se servira de ce moyen et de ce tempérament, afin de hâler l’entrée dans le Ciel des âmes qui lui sont si chères. Disons que cette opinion est personnelle au théologien Dominique Soto, et qu’elle ne repose sur aucun fondement positif et sérieux. D’autre part, plusieurs saints ont cru savoir par révélation, qu’il y avait un grand nombre d’âmes condamnées au Purgatoire jusqu’à la fin du monde, et qui, malgré le secours des prières et des’suffrages de l’Église, gémissent dans cette prison depuis plusieurs siècles. — Le fait peut être vrai dans des cas très exceptionnels, et lorsqu’il s’agit de très grands pé­cheurs revenus seulement à Dieu à l’article de la mort. Mais il n’y a aucune preuve ni aucun témoignage des Pères, qui établisse que ce sentiment doive s’entendre de la généralité des fidèles défunts. — À la vérité, l’Église autorise les fondations de messes à perpétuité, mais elle n’entend nullement déclarer par cet usage, que les âmes, au profit desquelles ces messes sont dites, puissent être détenues dans le Purgatoire jusqu’à la fin des temps. ‑ Elle autorise cette coutume, premièrement, parce que les jugements de Dieu lui sont cachés ; secondement, afin d’offrir aux fidèles l’occasion tic racheter leurs péchés et de la justice de Dieu, par la pratique de la charité et la fondation d’œuvres pies. Enfin l’Église sait que si ses suffrages ne profitent pas directement à l’âme pour laquelle ils sont offerts, ils sont appliqués pour le soulage­ aient et la délivrance d’autres lunes inconnues et plus délaissées. ‑ La vérité est, que nous ne pouvons nous livrer à aucune conjecture sur la durée moyenne du temps que les âmes passent dans le Purgatoire ; les révélations faites sur ce point ne sont applicables qu’à des cas personnels et spéciaux, et nous ne pouvons tirer, sur ce sujet, aucune induction générale et qui fasse autorité. [↩]

211. Job., XXXVIII, I [↩]

212. R. P. Félix : Discours sur les morts. [↩]

213. Jn., V, 7. [↩]

214. S. Lc, XVI, 9. [↩]

Abbé Charles Arminjon, Fin du monde présent et mystères de la vie future, 1881.

 

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