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Quatrième conférence

Du lieu de l’immortalité ou de l’état des corps glorieux après la résurrection

Et dixit qui sedebat in throno – Ecce novo facio omnia.
Et il dit, celui qui étais assis sur le trône : Voilà que je fais toutes choses nouvelles.
(Apoc. xxi, 5.)
 

Le ciel visible et la terre que nous habitons ne sont qu’un lieu de passage, une tente mobile et dressée pour un jour, la prépara­tion et l’esquisse grossière d’un monde meilleur.

Le monde présent est comme un chantier où tout est en fer­mentation et en travail. – Les éléments se mutilent, se décom­posent, pour revêtir de nouvelles formes ; ils courent, ils se cher­chent mutuellement ; tous les êtres gémissent et sont livrés aux douleurs de l’enfantement : Omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc.[132] Ils soupirent après le jour où, délivrés de la ser­vitude et de la corruption, ils entreront dans la gloire et dans la liberté des enfants de Dieu, où le Créateur les renouvellera dans un ordre plus parfait et plus harmonieux.

C’est pourquoi il y aura une fin du monde, dans le vrai sens de ce mot, et cette fin transformant le ciel et la terre, fera de l’univers le lieu de l’immortalité.

Une des sommités de la science contemporaine a dit cette parole sublime : « La terre, dans ses évolutions perpétuelles, cherche sans doute le lieu de son repos. »

Leibnitz disait déjà : « Le monde sera détruit et réparé dans le « temps que demande le gouvernement des esprits. » – Un écrivain de l’école protestante disait encore : « Il est probable que cette riche variété cherche son unité. Les créatures iront toutes se réunir dans une école de bien et de beauté. Les fleurs de tous les mondes seront rassemblées dans un même jardin.[133] »

Mais, il est sur ce point un mot de notre Maître, qui fait pour nous de cette attente une certitude. Le Seigneur nous dit : « Les cieux et la terre passeront, les forces du ciel seront ébranlées et les étoiles tomberont.[134] » Déjà le prophète avait dit : « Seigneur, vous avez créé la terre au commencement, et les cieux sont l’ouvrage de vos mains ; ils périront, mais vous demeurerez ; ils vieilliront et vous les ferez changer de forme comme un manteau.

Or, quel sera l’état de la création et de tous les êtres, lorsqu’ils auront irrévocablement brisé leurs chaînes vieillies et qu’ils s’épa­nouiront dans le repos et dans la vie totale et consommée ? La terre tournera‑t‑elle encore sur son axe ? Les astres, emportés avec une rapidité vertigineuse, courront‑ils comme maintenant autour de leur centre ; les étoiles continueront‑elles à ne lancer qu’une pâle et froide lueur dans l’immensité ? – Ce sont là de graves et mystérieuses questions, que la raison humaine cherche­rait vainement à résoudre si elle n’était aidée par la lumière révé­lée. Nul toutefois ne contestera que cette étude sur le lieu de l’im­mortalité et de l’habitation de l’homme dans les siècles à venir, est une étude incomparablement plus sérieuse et plus digne de fixer nos esprits, que ces études bornées pour lesquelles les hommes se passionnent, et dont l’unique objet est de dérober à la nature changeante et éphémère d’ici‑bas quelques‑uns de ses vains et stériles secrets.

Les hommes, tels que les rationalistes et les panthéistes, qui ne partagent pas nos espérances. mais qui toutefois admettent l’immortalité et une vie future, ne savent comment définir l’état des esprits au‑delà du trépas. – Ils se les représentent comme des figures vaines et sans consistance, errant dans des espaces vapo­reux et indéfinis, sans séjour circonscrit et déterminé, pareils à des ombres dépourvues de la conscience de leur personnalité, noyées dans cet être suprême que l’on appelle le grand tout, comme les fleuves qui se noient dans les profondeurs de l’Océan. Immortalité fantastique et imaginaire, qui n’est autre que la froide image de l’éternelle nuit, le rêve sombre de la fatalité et du néant.

La sainte Écriture dément toutes ces fables et toutes ces vaines hypothèses. Elle nous enseigne qu’à l’époque de la seconde des­cente de Jésus‑Christ, la terre que nous habitons et le ciel qui nous éclaire seront le théâtre de deux changements en sens inverse.

Le premier de ces changements sera la destruction complète de l’ordre physique actuel. Saint Pierre dit : « Il viendra comme un voleur le jour du Seigneur, où les cieux passeront avec une grande impétuosité, où les éléments seront dissous par la chaleur, où la terre et tout ce qui est à sa surface sera consumé par le feu.[135] » Ainsi, ce monde visible, englouti une fois par les eaux du déluge, est destiné à périr de nouveau et il sera mis en conflagra­tion. – La même cause qui a occasionné le déluge amènera le cataclysme final ; la terre sera détruite, parce que les péchés des hommes l’ont souillée. Les éléments seront entièrement dissous, parce que « sans le vouloir ils ont été assujettis à la vanité ». Les cieux seront repliés avec une vélocité extraordinaire, parce qu’eux aussi, suivant la parole de Job, ne sont pas purs en la présence du Seigneur.[136]

Mais le second changement, la restauration totale de la créa­tion, aura lieu aussitôt que la ruine de l’univers sera consommée. Ce temple radieux et prédestiné que le Seigneur va construire, comme la plus éclatante manifestation de sa gloire, ne saurait être un instant obscurci et profané par la présence des réprouvés. Ce sera seulement lorsque ceux‑ci auront été engloutis dans les pro­fondeurs de la terre et que la parole infernus et mors missi sunt in stagnum ignis, sera réalisée, que les êtres matériels seront affranchis et que Dieu procédera à leur grand renouvellement.

Saint Augustin dit : « Lorsque le jugement sera achevé, alors le ciel et la terre cesseront de subsister. » Et saint Pierre, Ep. 11, ch. 111, 13 : « Nous attendons de nouveaux cieux et de nouvelles terres où habitera la justice, selon les promesses qui nous ont été données.[137] »

Alors le mécanisme de l’univers sera soumis à d’autres lois, le soleil et les astres n’accompliront plus leurs révolutions, les cieux et la terre demeureront fixes et en repos. En vain la fausse science proteste contre les affirmations des Livres saints et soutient qu’elles répugnent aux lois de la matière et aux principes consti­tutifs des éléments. Mais qui nous dit que le mouvement est une propriété essentielle des éléments et de la matière[138] ? Les éléments et la matière créés pour l’homme, ne sont que ses serviteurs et ses auxiliaires : le Créateur a voulu les approprier à notre condi­tion et à notre mode d’existence ; maintenant que nous sommes voyageurs, et que nous vivons dans le transitoire, la matière est soumise à l’altération et au changement ; mais lorsque l’hom­me entrera dans le perpétuel et l’absolu, les éléments seront mis en harmonie avec la vie nouvelle, dont il sera doué. – Il n’y aura plus de temps : Quia tempus non erit amplius, et il n’y aura pas non plus des vicissitudes d’années et de jours. « Le soleil ne se couchera plus, dit Isaïe, et la lune n’aura pas d’éclipse.[139] » « Le firmament cessera ses révolutions, et tout deviendra stable, quand le Seigneur sera devenu pour nous une lumière sempiternelle et qu’il aura complété les jours de deuil et de désolation.[140] »

Ainsi la création ne périra pas : le temple de l’immortalité ne sera pas un lieu éthéré et incorporel comme quelques‑uns l’ima­ginent et le professent, mais un séjour matériel et une cité. Saint Anselme décrit cette terre nouvelle en disant : « Cette terre qui a soutenu et nourri le corps saint du Seigneur, sera un paradis. Parce qu’elle a été arrosée du sang des martyrs, elle sera éternellement décorée de fleurs odoriférantes, de violettes et de roses inflétrissables.[141] »

Et Guillaume de Paris, après avoir affirmé que les animaux, les végétaux, les substances minérales elles‑mêmes seront brûlées et détruites par le feu, ajoute : « Un grand nombre de sages parmi les chrétiens estiment que la terre, après la résurrection, sera ornée de nouvelles espèces toujours verdoyantes, de fleurs incorruptibles et qu’il y régnera un printemps et i une aménité perpétuels comme dans le paradis où furent placés nos pères.[142] » Les paroles suivantes du Prophète semblent s’accom­moder à ce sentiment émis par ces deux docteurs (Ps. 103). « Envoyez votre esprit et ils seront créés, et vous renouvellerez la face de la terre.[143] »

Quant à l’ordre, aux dimensions, à la structure du temple de l’immortalité, saint Jean nous en trace le tableau dans son Apo­calypse, ch. XXI.

A la vérité, pour nous décrire des réalités aussi transcendantes et qui dépassent toutes les conceptions de notre esprit, il est forcé de recourir à des images énigmatiques, à des termes mystérieux et obscurs. Pour nous faire ressortir la perfection et l’harmonie de cette glorieuse cité, il nous dit qu’elle est construite de pierres polies et toutes taillées. – Afin de nous décrire sa richesse et sa splendeur, il nous dit que « la ville a une grande et haute muraille, où il y a douze portes et douze anges, un à chaque porte, or, la ville est bâtie en carré, et elle est aussi longue que large. Et l’ange qui parlait avec moi en mesura la muraille, qui était de cent quarante coudées. Et cette muraille était bâtie de jaspe, et la ville était d’un or très pur, semblable à du verre très clair. – Et les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de toutes sortes de pierres précieuses, de jaspe, de saphir, de calcédoine, d’émeraude, de sardonyx, de topaze, d’hyacinthe. Les douze portes étaient douze perles, et chaque porte était faite de l’une de ces perles, et la place de la ville était d’un or pur comme du verre transparent… »[144]

Toutes ces expressions et ces images doivent être prises au figuré et interprétées allégoriquement.

Mais il est certains traits à retenir, et qui dénotent que le séjour des élus glorifiés n’offrira aucune analogie avec les lieux que nous habitons ici‑bas. – Saint Jean nous dit dans le même chapitre qu’il n’y aura pas de temple, et cela parce que le Seigneur Dieu tout‑puissant et l’Agneau en sont eux‑mêmes le temple.[145] – Il n’y aura pas non plus de soleil ni de lune, parce que la clarté de Dieu l’illumine, et que l’Agneau immolé en est lui‑même la lampe.[146] – On peut en conclure, par analogie et par induction, qu’il n’y aura point de tribunaux, parce qu’il n’y aura pas de crimes ; qu’il n’y aura pas de soldats, parce qu’il n’y aura plus ni guerres ni discordes. – Il n’y aura pas non plus de tyrans ni de despotes, puisque le Seigneur sera la force et la parure des habi­tants de cette cité, et qu’il les fera régner éternellement : Quoniam Dominus illuminabit illos, et regnabunt in sœcula sœculorum.[147] – Saint Jean autorise lui‑même toutes ces diverses interprétations quand il nous dit « qu’il n’y entrera rien de souillé, ni aucun de ceux qui commettent l’abomination et le mensonge », et lorsqu’il nous apprend, dans les versets qui précèdent « qu’il n’y aura • pas de gardes sur les remparts pour éloigner les agressions malfaisantes, que les portes ne se fermeront pas de jour[148], et que l’on y apportera l’honneur et la gloire des nations. »

Ce qui est certain, c’est que tout dans cette cité sera paisible et divinement ordonné. – La tristesse et l’envie en seront à jamais exclues ; car, comme l’explique saint Augustin, « la tristesse et l’envie procèdent de nos mauvaises passions et des désirs qui nous font convoiter le bien d’autrui[149] ; mais dans la cité de Dieu, il n’y aura plus de désirs puisque tous ceux qu’ont jamais éprouvés les élus seront entièrement satisfaits : – l’Agneau les abreuvera à la source des eaux vives et leur soif sera pleinement étanchée. » – Secondement, il n’y aura pas de bien d’autrui à convoiter. – Dans la cité sainte, les biens et les richesses ne seront autres que le Dieu Charité, qui se départira lui‑même intégralement à chacun des élus, suivant le degré et la mesure de leurs mérites. Ainsi, l’universalité des anges et des hommes se trouvera consommée en une unité parfaite, par la vertu de Celui qui est appelé le premier-né de la création, la tête du corps de l’Église, qui a reçu la primauté de toutes choses.[150] afin que Dieu soit tout en tous : Ut sit Deus omnia in omnibus.[151]

Tels sont le langage et les enseignements de la foi et des Livres saints ; mais la théologie sacrée déduit et fait jaillir des mêmes tex­tes que nous avons cités, des applications également certaines, et des points de vue tout aussi lumineux.

La théologie part de ce principe, qu’après la résurrection, les éléments et la nature matérielle seront appropriés à la nature et à la condition des corps glorieux ; par conséquent, il suffit de nous rappeler ce qui nous est enseigné sur l’état des corps glorieux, pour que notre esprit puisse parvenir à s’ouvrir de nouveaux horizons et à se former une idée plus nette et plus précise de ce palais de la création renouvelée, destiné à être un jour notre domaine et notre habitation.

La première prérogative dont jouiront les corps ressuscités des élus sera celle de la subtilité. – De même que le Seigneur ressus­cité passa à travers un tombeau qui était scellé, et que le lende­main il apparut soudain devant ses disciples, dans un appartement dont les portes étaient closes, ainsi notre corps, non plus composé d’une substance inerte et grossière, mais animé et traversé en tous sens par l’esprit, corpus spirituale, traversera les espaces, comme un rayon de soleil, et aucun obstacle corporel ne parvien­dra à l’arrêter.

La seconde propriété des corps glorieux sera l’agilité ils courront comme des étincelles à travers des roseaux, tanquam scintillœ in arundineto discurrent.[152] Ils auront la faculté de se mouvoir avec la célérité de la pensée elle‑même, et partout où l’esprit le voudra, le corps s’y transportera aussitôt.

Notre corps ne sera donc plus retenu à la terre par la force d’attraction, mais, dégagé de toute corruption et de toute pesan­teur, il prendra librement son essor. Et de même que le Seigneur a été enlevé au ciel, ainsi nous serons emportés à sa rencontre dans les airs, et nous volerons nous aussi, assis sur les nuées.

Déjà, l’ordre physique actuel nous offre une image et une faible représentation de cet état nouveau auquel notre nature sera un jour élevée. Des éléments impondérables, tels que l’électricité et le magnétisme, ne pénètrent‑ils pas librement à travers les substan­ces les plus denses et les plus opaques, ne circulent‑ils pas rapide­ment et sans effort à travers les granits et les métaux ? Il en sera ainsi de nos corps après la résurrection, la matière ne pourra plus ni les arrêter ni les borner. La bassesse sera absorbée dans la gloire, le sensible dans le spirituel, l’humain dans le divin.

Il n’y aura plus de maladie, plus de mort, et partant plus de nourriture, plus de génération, plus de distinction de sexe ; notre chair, maintenant fragile, sujette à mille infirmités, deviendra impassible, douée d’une force, d’une solidité, d’une consistance qui l’affranchiront à jamais de tout changement, de toute fatigue, de toute altération.

Enfin les élus ressuscités posséderont la clarté. Ils seront envi­ronnés d’une telle splendeur, qu’ils apparaîtront comme autant de soleils : Tunc justi fulgebunt sicut sol in regno Patris eorum[153] – A la vérité. cette clarté sera départie à des degrés divers aux élus, suivant l’inégalité de leurs mérites », car autre est la clarté du soleil, autre est celle de la lune, autre est celle des étoiles. Les étoiles elles‑mêmes diffèrent entre elles en clarté. Ainsi en sera‑t‑il à la résurrection des morts.[154]

Les élus qui apparaîtront entourés de plus de gloire, seront les docteurs : « Ceux qui auront éclairé les peuples dans la vraie doctrine, brilleront comme la lumière du firmament. – Les pasteurs, ceux qui les auront formés à la justice, seront comme des étoiles, pendant toute la durée des éternités.[155] » – La clarté dont les élus seront ornés jettera sans cesse de nouveaux reflets, elle prendra à tout instant une nouvelle croissance ; les saints glo­rifiés se communiqueront éternellement les biens qu’ils possèdent. et ils réfléchiront les tins sur les autres les torrents de splendeur dont ils seront illuminés. La source et le foyer de cette clarté divine ne seront autres que Dieu lui‑même, qui, selon saint Jean, est tout « lumière » et en qui il n’y a aucun mélange d’imperfec­tions et de ténèbres : Cum apparuerit, similes ei erimus, quoniam videbimus eum sicuti est.[156]

La vision de Dieu, que les élus contempleront face à face et dans son essence, inondera leur âme de ses plus ineffables irradia­tions, et celle‑ci à son tour illuminera le corps qui apparaîtra environné d’une clarté aussi grande que le peut comporter une nature créée.

De toute cette doctrine, nous pouvons conclure avec certitude que nos corps entreront dans un mode d’existence infiniment différent de leur manière d’être ici‑bas, qu’ils seront ennoblis, embel­lis, transfigurés, au point qu’il y aura, entre ce nouvel état et l’état présent, une différence infiniment plus grande qu’entre une roche inerte et les plus brillants rayons de soleil, qu’entre l’or le plus pur et le limon le plus grossier et le plus ténébreux.

D’ailleurs, il est écrit que les corps des saints seront modelés et configurés sur le corps ressuscité de Jésus‑Christ : Configurati corpori claritatis Christi.[157] Jésus‑Christ dans l’Eucharistie nous donne une image et une représentation de ce que seront un jour les corps glorieux. Sans quitter le Ciel, où il est assis à la droite de son Père, il se trouve chaque jour substantiellement présent en mille lieux de la terre ; il est tout entier, sans réduction, sans diminution, dans chaque parcelle de l’Hostie, dans chaque goutte du calice. – Par ce mode d’existence surnaturelle et incompré­hensible, ne témoigne‑t‑il pas que ceux qui se sont élancés dans la vie nouvelle ne sont plus assujettis ni dominés par les lois de la nature physique actuelle, et que la matière inerte ne saurait mettre obstacle à la bonté et à l’infinie puissance de Dieu ?

En parcourant la vie des saints, on retrouve encore d’innom­brables analogies de cet état où nous serons élevés dans la vie future.

Dès qu’une âme a pris son essor vers Dieu, que l’esprit d’en haut est descendu en elle, la soulevant au‑dessus de la tyrannie des sens et de la sujétion aux appétits inférieurs, il arrive que la chair ressent le contrecoup de la vie nouvelle dont l’âme est investie, et souvent elle éprouve les effets anticipés de cette liberté de la gloire où entreront les enfants de Dieu. – Des Thérèse et des multitudes d’âmes extatiques, consumées intérieurement de la flamme des Séraphins. se sont élevées d’elles‑mêmes et sans point d’appui dans les airs. – Saint Maur, disciple de saint Be­noît, marchait à pied sec sur les eaux. – D’autres, tels que saint François Xavier, saint Alphonse de Liguori, furent affranchis des lois de l’espace, et on les vit simultanément prêchant, priant dans une ville, et assistant un malade ou portant secours à des naufra­gés dans les lieux les plus éloignés.

D’autres fois, la lumière que l’esprit de Dieu a versée dans l’âme des saints émane sur leur physionomie, sur leurs vête­ments, dans tout leur être, et les illumine d’une auréole dont ils paraissent glorieusement entourés. Il en doit être ainsi ; car ceux qui ont semé dans la chair récoltent de la chair la corruption, et ceux qui ont semé dans l’esprit recueillent la vie éternelle de l’esprit.[158]

Il est encore une vérité certaine et d’une certitude de foi, c’est que le jugement achevé, Jésus‑Christ remontera aussitôt dans le Ciel, ayant pour escorte tous ses élus. Il désignera à chacun d’eux la place qu’il lui a préparée au jour de son Ascension : Vado parare vobis locum.

Les élus auront pour demeure le Ciel empyrée. celui qui est au‑dessus de tous les astres et de toute la nature corporelle et visible. Suivant ce qui est écrit : « Nous serons enlevés avec eux « dans les nuées, à la rencontre du Christ dans les airs, et ainsi « nous serons toujours avec le Seigneur.[159] »

S’ensuivra‑t‑il que le reste de la création. les astres et notre monde sublunaire resteront vides et dépeuplés d’habitants ? – Mais s’il en devait être ainsi, pourquoi la sagesse divine les recons­truirait‑elle sur un nouveau plan et en les ornant de toutes les merveilles de sa splendeur et de ses beautés ? ‑ Saint Thomas nous enseigne que le Ciel est destiné à servir de séjour et d’habi­tation principale aux saints glorifiés, mais ils n’y seront pas pour autant immobiles et circonscrits dans un espace déterminé. – Les élus auront chacun leur trône, ils occuperont suivant leur mérite des demeures et des places plus élevées ; – mais, observe saint Thomas, le mot de place, locum, doit s’entendre plutôt de l’excellence du rang, de l’ordre de primauté, que de l’éminence du lieu qui sera désigné. Le Christ quitterait momentanément le Ciel, le lieu où il irait s’établir serait toujours le plus digne et le plus haut, et les autres lieux d’autant plus honorables, qu’ils seront plus voisins de celui qu’occupera le Christ ; les anges qui jouissent de la gloire ne descendent‑ils pas du Ciel et n’y montent-­ils pas à leur gré ? – Il faut conclure que le temple de l’immen­sité s’épanouira dans toute son étendue et dans tout son éclat aux regards ravis des élus, et que sans quitter un seul instant le Christ, il sera en leur pouvoir de se transporter en un clin d’œil jusqu’aux confins du firmament. – Il leur sera facultatif d’explo­rer les astres, de reparaître sur cette terre. de parcourir de nou­veau les lieux où ils ont vécu, prié, et qui ont été le théâtre de leurs travaux et de leurs immolations. Ce sentiment concorde avec les textes des Livres saints lorsqu’ils nous disent que les demeures du Père céleste sont innombrables[160], que les saints brilleront comme des étoiles dans de perpétuelles éternités, et que partout où sera le corps c’est‑à‑dire la sainte humanité de Jésus-Christ, partout aussi les aigles se rassembleront.[161]

Ici la science est en accord avec la foi, elle nous aide à conce­voir l’ordre, l’étendue, la magnificence de ce temple qui servira de domaine à l’homme renouvelé.

De nos jours, le génie fécond et entreprenant de l’homme, après avoir exploré la terre à sa surface et dans ses replis les plus intimes, s’est élancé jusqu’aux astres et a mis hardiment sa langue dans les cieux : In cœlo posuit os suum.[162] Armée des plus puis­sants instruments que l’art humain ait jamais su construire, l’astro­nomie contemporaine a déchiré sur une grande étendue le voile de l’immensité qui semblait impénétrable à l’intelligence de l’homme, et avec la patience de l’étude et de l’analyse, elle a fixé les rivages du ciel étoilé, elle en a scruté toutes les profondeurs et tous les secrets.

Or, il est constaté, à l’heure présente, que cette terre que nous habitons n’est qu’un atome minuscule auprès des milliards de mondes qui peuplent les espaces du firmament. Je ne parle pas seulement de notre système planétaire. Tout le monde sait que le soleil qui en est le centre et qui nous vivifie de sa chaleur, en même temps qu’il nous éclaire de ses rayons, est séparé de nous par une distance de plus de quarante millions de lieues, et sa lumière, qui parcourt trois cent mille kilomètres par seconde, met plus de vingt minutes pour arriver à nos paupières.[163]

Autour du soleil gravitent non seulement notre terre, mais un grand nombre d’autres astres plus vastes, plus volumineux, qui décrivent autour de ce même centre des orbites plus étendues que celle que par sa translation annuelle la terre décrit dans son parcours. Tous ces astres, dont la science actuelle a tracé la carte, et dont elle est parvenue à construire avec précision toute la géographie, ne sont eux‑mêmes qu’un grain de poussière, un point insignifiant, comparativement à cette multitude d’autres mondes épars dans l’immensité.[164] – Ces étoiles innombrables qui parais­sent immobiles et, à cause de leur distance incalculable de notre terre, nous semblent comme des grains de lumière semés au-dessus de nos têtes, sont elles‑mêmes autant de soleils. – Ces soleils, à leur tour, éclairent et meuvent des planètes et des satel­lites, et ils emportent dans leur course des mondes probablement plus brillants et certainement plus étendus que ne l’est notre monde solaire.[165]

Si nous voulons supputer le nombre de ces mondes qui ornent l’immensité et dont l’ensemble forme ce que l’on appelle le monde des constellations, il faut nous ressouvenir qu’à l’œil nu on en découvre à peu près six mille huit cents. Mais, à mesure que l’on construit des instruments d’optique plus parfaits, le nom­bre s’en accroît dans des proportions prodigieuses. Herschel a cal­culé qu’au moyen d’un télescope on pouvait en distinguer plus de vingt millions. Durant les nuits sereines. un observateur qui jette les yeux sur le firmament aperçoit une longue nébuleuse blanche qui entoure le ciel tout entier. On a reconnu, en décomposant la lumière, qu’elle est formée d’une multitude incalculable d’étoiles, qui. à la distance où elles sont situées de la terre, sem­blent se confondre et former entre elles une seule route lumineuse et continue. En analysant leurs lumières, on a pu connaître la structure de ces globes, la matière qui compose leur masse atmo­sphérique. On a constaté que ces étoiles fixes étaient incandescen­tes, composées des mêmes éléments et ayant des températures aussi élevées que celles du soleil qui nous éclaire.[166] Quant aux planètes, on sait maintenant qu’elles ont, comme la terre, de l’eau, de l’air, des vapeurs…, et on est parvenu à préciser la condition de leurs climats. Il n’est pas douteux qu’elles ne soient, comme notre sphère, sillonnées par des continents et des mers, qu’elles n’aient des plaines, des montagnes se couronnant de neiges en hiver et s’en découronnant au printemps.[167]

Que d’autres mystères dans l’immensité que la faiblesse de nos esprits ne parviendra jamais à sonder ! Et c’est ainsi que la science, en se perfectionnant, nous révèle de plus en plus la grandeur divine, et nous invite à nous écrier avec les transports du Prophète : « Que vos œuvres sont admirables, ô Seigneur… Les cieux proclament vraiment votre gloire, le jour l’annonce au jour, la nuit la publie à la nuit…[168] » – Voilà le domaine de l’homme, le temple magnifique destiné à lui servir un jour de palais et d’habitation ; une fois ressuscité, glorieux et incorrupti­ble, il embrassera d’un regard les richesses remplissant ces espa­ces, il franchira d’un seul trait ces vastes distances, avec plus de célérité que la lumière elle‑même ne les parcourt.

La science hostile à nos croyances, a voulu se servir de ces considérations pour ravaler l’homme, combattre ses espérances et ses glorieuses destinées.

Comment admettre, a‑t‑elle dit, que ces vastes sphères que la lumière arrose à profusion et où les éléments possèdent toute leur énergie et toute leur vitalité, soient des solitudes mornes et dépeu­plées d’habitants ? – Pendant que notre planète qui, auprès des autres globes, n’est qu’une parcelle imperceptible, servirait de séjour à des êtres vivants capables de connaître et d’aimer, ces milliards de mondes suspendus au‑dessus de nos têtes, ne compte­raient d’autres sujets que des corps inertes, accomplissant méca­niquement la loi de leur nature, ou des animaux esclaves de leur instinct et incapables de connaître la main qui les nourrit ? – Dans une goutte d’eau suspendue à la pointe d’une aiguille, on distingue, à l’aide d’un microscope des millions d’animalcules ; chaque grain de poussière que nous foulons aux pieds renferme peut‑être autant d’êtres vivants et organisés qu’il y en a sur toute la surface de la terre. Et le Créateur, si prodigue de la vie animale, aurait semé la vie intellectuelle avec épargne ? Ces in­nombrables mondes, chargés de raconter sa gloire, ne seraient que des lyres suspendues dans le vide, sans esprit pour les enten­dre, sans cœur pour leur faire écho et tressaillir à l’harmonie de leurs chants ?

Si donc la raison et toutes les analogies des choses existantes nous invitent à conclure que la vie et la pensée animent toutes les sphères, qu’est‑ce alors que l’homme au milieu de ces êtres innombrables, de ces races douées comme lui d’une âme et d’un corps, et dont le dénombrement échappe à tous nos calculs et à toutes nos suppositions ? Et comment admettre qu’il est le centre de toutes choses, que c’est pour lui que tout a été fait et que la destinée finale de cette multitude d’êtres, d’une nature sans doute supérieure à la sienne, soit subordonnée aux épreuves et aux vicis­situdes du pèlerinage éphémère qu’il accomplit ici‑bas ?

Je réponds à cette difficulté que, sur cette question, l’Église n’a rien défini. Les Livres saints n’ont pas été écrits pour donner un vain aliment à notre curiosité. Dans le récit qu’ils nous ont fait de la création, ils ne nous parlent que de deux sortes de natures intellectuelles : les anges et les hommes. Ils ne se sont point souciés de nous apprendre quelle pouvait être la constitution minéralogique, l’état des plantes et des animaux dans les sphères autres que celles que nous habitons. En cette matière, l’Église n’a condamné aucun système, et le champ reste ouvert à toutes les conjectures et à toutes les opinions.

Les anciens docteurs pensaient assez généralement que les intelligences supérieures étaient préposées à la direction des astres du ciel. – Il est rationnel de penser que les êtres capables de bénir et de louer Dieu remplissent tous les espaces, comme ils remplissent tous les temps ; ce n’est donc pas s’éloigner de la tradition catholique que de rattacher l’existence matérielle des astres à l’existence d’êtres intelligents et libres comme nous.

L’Église nous donne même à entendre qu’ils ont été le théâtre de la première scène du drame providentiel de ce grand combat entre les esprits supérieurs que saint Jean nous décrit en son Apocalypse, et dont nos luttes terrestres sont la continuation.[169] C’est dans la partie la plus lumineuse du ciel, au‑dessus des astres les plus brillants, dit Isaïe, que Lucifer essaya de se dresser sur un trône et qu’il en fut précipité ; c’est au sommet de ce ciel des cieux, dit le Psalmiste, que Jésus‑Christ s’est élevé.[170]

Mais si ces sentiments ne sont que des opinions théologiques, ce que l’on doit regarder comme certain et comme article de la foi, c’est que tous les astres et tous les soleils ont été régénérés par le sang divin et qu’ils ont participé à la grâce de la Rédemp­tion ; l’Église l’affirme dans une de ses hymnes solennelles : Terra, pontus, astra hoc lavantur flumine.

Le sceptre du ciel et de la terre a été mis dès le commence­ment entre les mains du Fils de Dieu. Cette multitude de mondes, dont le nombre, aussi bien que les dimensions, dépassent toute mesure, ne sont que la minime partie de la dot attribuée à son humanité, en vertu de son indissoluble union avec la divinité ; « car Dieu, son Père, a mis toutes choses sous ses pieds, il l’a « placé à sa droite, dans les cieux, au‑dessus de toute principauté, « de toute puissance, de toute vertu, de toute domination, de « tout ce qui a un nom, soit dans le siècle présent, soit dans le « siècle à venir. Il est le lien de toutes les choses visibles et invi­sibles, et tout ce qui a été créé n’existe que par lui et en « lui…[171] »

Si vous me demandez maintenant pourquoi, parmi les autres sphères incomparablement plus vastes et plus brillantes, le Créa­teur a discerné la plus petite des étoiles habitées pour en faire le lieu de son anéantissement, le théâtre de ses travaux et de tous les mystères de son Incarnation et de notre Rédemption, je répon­drai que le Verbe incréé, voulant manifester les profondeurs et l’excès de son amour en s’abaissant outre mesure, s’est élancé du sein de son Père et des collines de son Éternité, comme parle l’Écriture, et il a franchi sans s’y arrêter tous les ordres des hiérarchies intellectuelles. Traversant le ciel empyrée, où habitent les natures angéliques, il ne s’est pas uni à elles, et ce n’est pas dans leur demeure qu’il a fixé son séjour : Nusquam enim angelos apprehendit.[172] Descendant ensuite dans les régions les plus hautes du firmament, celles qu’éclairent les grands soleils, il les a jugées également trop somptueuses et trop brillantes. – Comme il est écrit dans le Cantique des cantiques, il s’est élancé dans ses descentes de collines en collines, jusqu’à ce qu’il soit parvenu à ce qu’il y a de moindre : Ecce venit saliens in montibus.[173] – Pour y fixer ses pas mortels, pour s’y cacher, pour y souffrir, il a choisi entre tous les astres de la création un des plus petits et des plus obscurs. Vérifiant à l’égard des mondes, comme à l’égard des individus, cette parole du Prophète (Psaume CXII, v. 16) : « Il a suscité l’indigent de ce qui est bas et il a élevé le pauvre de sa poussière et de son fumier. »

Sans doute, par la préférence qu’a donnée le Christ à notre planète si inférieure et si bornée, et par la perpétuelle transsubs­tantiation de sa substance matérielle au corps de Dieu, qui se consomme par l’Eucharistie, notre terre n’a pas acquis cette prio­rité dans l’ordre physique que lui attribuaient à tort les anciens, mais elle possède la priorité dans l’ordre moral et dans celui de l’épreuve. – Elle est le centre du monde surnaturel. – C’est d’elle, dit l’Apôtre, que se répand sur tous les autres mondes la vertu qui les conserve et les déifie ; elle rallie dans son unité toutes les perfections que comprend l’univers elle restaure dans son ensemble la diversité des existences créées par elle, les cieux se sont inclinés, Dieu s’est rapproché de ce bas monde, et sui­vant la belle expression de saint Ambroise, il s’est revêtu de l’uni­vers comme d’un manteau, et il a resplendi dans l’universalité des créatures.

Voilà tout ce qu’il nous est possible de dire sur l’état futur des mondes et sur le lieu de l’immortalité.

Évidemment, nous n’entendons pas décrire aujourd’hui la féli­cité suprême et essentielle des élus, ce que nous appelons la vision béatifique, c’est‑à‑dire cette possession de Dieu, tellement intime et inhérente à notre être, que nous lui serons unis comme le fer s’unit au feu, et qu’en le voyant face à face, au foyer des clartés de son éternelle essence, nous serons transformés à la ressem­blance de ses divines splendeurs ; cette vision appelée la vie éter­nelle, parce qu’elle confère à l’homme une participation directe et immédiate à la béatitude de Dieu, n’est dépendante d’aucun espace ni d’aucun lieu. – Dieu est infini et présent partout. – L’âme juste est le sanctuaire où il habite préférablement. Les an­ges qui nous assistent et nous protègent sur cette terre voient sans cesse la face du Père Céleste, et les âmes saintes séparées de leur corps portent leur paradis en quelque endroit qu’elles soient placées. Fussent‑elles au milieu des plus épaisses ténèbres de l’abîme, Dieu qui les possède et les rassasie ne laisserait pas de les inonder de ses clartés, et les jouissances dont il les abreuve n’en ressentiraient aucune diminution. Si l’homme était un pur esprit, il n’aurait pas besoin, au‑delà de la vie présente d’un lieu matériel déterminé. Alors la terre et la création visible n’auraient plus aucune raison d’être, et elles seraient irrévocablement détruites. Mais l’humanité est destinée à renaître, d’où il suit que la matière qui lui a servi de vêtement est, elle aussi, appelée à se restaurer à l’instar de son hôte rajeuni et glorifié.

Ainsi, le corps total de l’humanité, l’ensemble de la création visible passeront par l’épreuve du feu, et ils en sortiront éclatants et purifiés. De même que le métal n’est pas jeté dans la fournaise pour être consumé et détruit, mais pour en sortir raffiné et à l’état d’or pur, ainsi l’embrasement que subira le monde ne l’anéantira pas, mais il ne fera que le purifier, le transfigurer en une représentation plus nette et plus pure de l’idée de Dieu réalisée en lui.

« Et je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui, venant de Dieu, descendait du ciel comme une épouse parée pour son époux, et j’entendis une grande voix qui venait du trône et qui disait : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il demeurera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu demeurera avec eux, et il sera leur Dieu.[174] »

Ah ! n’allez pas croire, parce que le monde aura cessé de tour­ner sur lui‑même, et de courir toujours dans le même cercle, comme l’esclave attaché à la meule, que, dans cette nouvelle terre, l’air y sera sans fraîcheur, les prairies sans verdure, les arbres dépouillés de leurs fleurs et que les fontaines n’auront plus d’eau jaillissante. – Quoi ! vous vous imagineriez que cette nature qui maintenant court, s’agite, fermente pleine d’élan et de vie, sous la lumière indirecte et partielle de notre soleil ténébreux, va demeurer inerte, stérile, glacée sous le regard direct de Dieu

Le monde nouveau, c’est une chose vivante La Jérusalem céleste, c’est l’Église éternelle, c’est la fille de Dieu, l’épouse sans tache de l’Agneau. – L’Agneau, Verbe incarné, occupe le milieu de son cœur. – C’est lui qui en est la vie, le foyer, l’eau jaillis­sante, le flambeau inextinguible et toujours brûlant. – Quant aux êtres fortunés qui l’habitent, ils s’élanceront toujours de clarté en clarté, de progrès en progrès, de ravissement en ravissement…

« Dieu ne peut croître, mais la créature croîtra toujours. Seulement elle s’attachera immuablement à son centre par un amour immense, et c’est là ce qui s’appellera son repos et son immobilité.[175] »

De ces enseignements, quelles conséquences pratiques et mora­les déduire pour la direction de notre vie et la règle de nos actions ?

Le première est celle‑ci : que le comble de la folie humaine est de s’attacher aux biens périssables et corruptibles d’ici‑bas.

Que diriez‑vous d’un grand roi, maître d’un vaste empire, qui, dédaignant ses trésors somptueux, l’éclat de sa couronne, fixerait ses regards et toutes ses pensées sur une poignée de sable ou un morceau de fange, qui tiendrait collés à cette ville matière son cœur et toutes ses affections ? – On raconte d’un empereur ro­main qu’au lieu de commander ses armées et de rendre la justice, il passait son temps à enfiler des mouches. – Ainsi en est‑il de la plupart des hommes, appelés à la possession d’un royaume qui embrasse toute l’étendue des firmaments : ils se passionnent, ils entreprennent des luttes insensées et à outrance pour des intérêts moindres que la toile fragile filée par l’araignée, que l’herbe qui se fane ou que la vie abjecte et sans valeur du ver qui rampe à nos pieds.

La seconde de ces conséquences, c’est que la souffrance en cette vie n’est qu’un mal relatif.

Il y a sur cette terre des angoisses sombres, de cruelles et saignantes meurtrissures, des séparations poignantes et inénarra­bles. – L’histoire nous offre en spectacle des mères qui virent sous leurs yeux leurs enfants flétris, dégradés, livrés à des miséra­bles pires que les démons, qui torturaient leurs corps et s’étu­diaient par mille raffinements à tuer leurs âmes… Elle nous les a dépeintes en proie à des tortures morales plus terribles que les supplices et la mort. – Un grand poète l’a dit : « L’habitant de la cabane et celui des palais, tout souffre et tout gémit ici‑bas ; les reines ont été vues pleurant comme de simples femmes, et l’on s’est étonné de la quantité de larmes que contiennent les yeux des rois.[176] »

Mais tous ces déchirements et toutes ces souffrances ne sont qu’un laboratoire et un creuset où la divine bonté jette notre nature, afin que, semblable au noir et vil charbon, elle en ressorte sous la forme d’un diamant précieux et étincelant.

Jésus‑Christ a dit : « Une femme, lorsqu’elle enfante, est dans la tristesse, parce que son heure est venue ; mais après qu’elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de sa douleur, à cause de sa joie, parce qu’un homme est né au monde. – Vous donc aussi, vous avez maintenant de la tristesse : mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira, et nul ne vous ravira votre joie.[177] »

Il en est de même de tout l’ensemble de la création. Elle est dans la douleur, elle sème la moisson à venir dans les tribulations et dans les larmes, mais tôt ou tard se lèvera sur elle le soleil de cet autre monde dont la foi nous fait entrevoir l’aurore. Et tout ce qui gît maintenant enseveli et accablé sous le poids du péché et de la mort, tout ce qui soupire douloureusement sous la malé­diction et la corruption se dilatera dans la lumière et dans la joie, se relèvera dans la gloire d’une félicité sans mesure et sans fin.

La troisième conséquence de notre doctrine, c’est qu’il ne faut pas se laisser troubler par le bruit de nos agitations sociales et par les ébranlements de nos révolutions. Tout cela n’est qu’un prélude. C’est le chaos précédant l’harmonie ; c’est la mobilité qui cherche le repos, le crépuscule qui marche vers le jour. La cité de Dieu se construit invisiblement. mais sûrement, au milieu de ces grandes secousses et de ces convulsions déchirantes. Les désastres publics et les grands fléaux ne sont autres que le glaive du Seigneur et le van de sa justice discernant la paille du bon grain. Nos guerres, nos luttes morales, nos discordes civiles hâtent le jour de la délivrance, celui où la cité de Dieu sera parfaite et consommée. Et quand la tourmente des siècles aura passé, il se fera un grand calme et un grand apaisement. – Ce sera alors le progrès et la croissance, l’éternelle demeure des créatures libres et intelligentes, l’unité qui ne fera de tous qu’une seule âme dans la vie et dans l’éternelle lumière de Dieu.

Saint Augustin, après son baptême, ayant examiné en quel lieu il pourrait servir Dieu plus utilement, résolut de retourner en Afrique avec sa mère, son frère et un jeune homme nommé Evo­dius.

Quand ils furent arrivés à Ostie. ils s’y reposaient du long chemin qu’ils avaient fait depuis Milan et se disposaient à s’em­barquer.

Un soir, saint Augustin et sa mère, appuyés sur une fenêtre qui regardait le jardin de la maison, s’entretenaient avec une suavité extrême, oubliant tout le passé et portant leurs regards vers le céleste avenir.

Ce soir‑là, la nuit était calme, le ciel pur, l’air silencieux, et aux clartés de la lune et à la douce scintillation des étoiles, on voyait la mer étendre au loin à l’horizon l’azur argenté de ses flots.

Augustin et Monique cherchaient quelle serait la vie éternelle. Ils franchissent d’un seul bond de l’esprit les astres, le ciel et tous les espaces qu’habitent les corps. Ils passent ensuite avec le même élan au‑dessus des anges et des créatures spirituelles, ils se sen­tent transportés jusqu’au trône de la Sagesse éternelle, et ils ont comme une vision de Celui par lequel tous les êtres sont, et qui Lui‑même est toujours, sans aucune différence de temps.

Combien de temps dura cette extase ? Elle leur sembla fugi­tive comme l’éclair, et ils se sentirent hors d’état d’en évaluer la durée.

Revenus à eux‑mêmes et obligés d’entendre de nouveau le bruit des voix humaines, Monique s’écria : « Pour ce qui me regarde, je n’ai plus aucun plaisir en cette vie, je ne sais ce que je fais encore ni pourquoi j’y demeure. » – Cette scène est demeurée célèbre et populaire. De grands maîtres l’ont immortalisée par les chefs-d’œuvre de leur art. Les peintures et les représentations qu’ils en ont tracées ont été mille fois reproduites et ont laissé vivante et impérissable cette sublime page de la vie de Monique et d’Augustin.

Le lendemain de ce jour, Monique fut saisie par la maladie qui amena sa mort, et neuf jours après l’extase qui l’avait ravie et élevée au‑dessus de ses sens, elle alla contempler face à face cette beauté souveraine dont, dès ici‑bas, elle avait entrevu le rayonnement et l’image.[178]

Dans ce séjour de la vie bienheureuse qu’entrevit sainte Moni­que. le Christ sera vraiment roi, non pas seulement en tant que Dieu, niais en tant qu’il est visible, et s’est revêtu de notre nature humaine ; il régnera éternellement sur la maison de Jacob.[179]

La prise de possession de son royaume ne sera définitive, et la gloire dont il est investi à la droite de son père, ne sera parfaite et consommée, que lorsqu’il aura achevé de mettre ses ennemis sous l’escabeau de ses pieds.[180]

Alors toutes choses lui seront soumises et lui‑même sera sou­mis à Celui qui lui a assujetti toute créature. Jusque‑là, le Christ combat avec son Église, occupé à conquérir son royaume, soit en en éliminant les impies, soit en rappelant à lui les justes, par les ineffables attraits de sa miséricorde. – Son royaume dans le Ciel sera reconstruit sur un ordre tout nouveau et sur un mode très différent de celui sur lequel il est établi ici‑bas.[181] – En cette vie nouvelle, Jésus‑Christ ne sera plus représenté par une Église enseignante, les élus n’auront pas besoin d’être éclairés et assistés par les bons anges, ni de recourir pour leur sanctification aux sacrements. – Leur état sera une pure et perpétuelle contempla­tion de la divinité, où le Christ, tête de l’humanité, emportera avec lui, dans le sein de son Père, l’universalité de ses membres, afin de les soumettre à Celui à qui il est lui‑même soumis. Et tunc Filius erit subjectus Patri, ut sit Deus omnia in omnibus.

Il n’y aura plus que la domination d’un seul Dieu s’étendant à tous, il n’y aura plus qu’une seule gloire, la gloire de Dieu, devenue le partage de tous. De même que la vie présente est sou­mise à des assujettissements variés, qu’elle demande pour se sou­tenir des tempéraments et des conditions d’air, de vêtement et de nourriture, ainsi, dit saint Grégoire de Nysse, dans le royaume du Christ, la vision divine suppléera à ces nécessités diverses. Les élus puiseront en elle tout ce qu’il leur sera possible d’aimer et de désirer ; elle sera leur vêtement, leur aliment, leur breuvage, et s’accommodera à toutes les exigences de leur vie renouvelée.[182]

Heureux celui qui peut oublier un instant les sollicitudes pré­sentes, pour tourner ses espérances vers ce séjour fortuné, et s’élever par la pensée à ces hautes sphères de la contemplation et de l’amour.

Mais, ô mon Dieu, que ces idées sont loin de la pensée de la plupart des hommes, et quel est celui qui daignera donner une faible attention tu peu que nous nous sommes efforcés de bal­butier ? – Le grand nombre, aveuglé par ses passions, dévoré par la fièvre de la cupidité et de l’orgueil, est à mille lieues de s’occuper de son âme et de son avenir. Enfants des hommes, jusqu’à quand aurez‑vous le cœur appesanti, et demanderez‑vous votre nourriture au mensonge et au néant ? … Quand cesserez­-vous de vous retracer la mort comme un épouvantail, et de la regarder comme l’abîme des ténèbres et de la destruction ? – Essayons aujourd’hui de comprendre qu’elle n’est pas l’obstacle, mais le moyen ; elle est le passage et la pâque qui mène du royaume des ombres à celui de la réalité, de la vie mobile à la vie immuable et indéfectible. – Elle est la sœur amie dont la main écartera un jouir les nuages et les vains fantômes, pour nous intro­duire dans le Saint des saints de la certitude et de l’incomparable beauté.

Ah ! dans ce discours il nous a peut‑être été permis de pres­sentir et d’entrevoir ce qui se passera dans le pays de la gloire. – Quant à nous en faire une idée exacte, nous ne le pouvons pas plus que celui qui, habitant depuis le sein de sa mère une caverne souterraine, ne pourrait se représenter la lumière d’un beau jour.

En vous retraçant le royaume du Christ, nous n’avons pu vous parler qu’en énigmes et en figures ; mais ces énigmes et ces figures sont le portrait de choses grandes et véritables, l’irréfutable et éloquent commentaire de cette parole de l’Apôtre : « L’œil de « l’homme n’a pas vu. son oreille n’a point entendu, son cœur n’a pas pressenti ce que Dieu prépare à ceux qui l’ont aimé « et servi sur cette terre.[183] »

Ici la parole expire. Au‑delà de ce que nous avons dit, la raison est impuissante à rien concevoir. L’homme ne peut que croire, espérer, aimer et se taire. « Et celui qui était assis sur le trône me dit : Écris car ces paroles sont sûres et véritables. » Et dixit mihi : hœ verba fidelissima sunt et vera.[184]

Nous vous avons obéi, Seigneur mon Dieu, nous les avons dites ces choses, nous les avons écrites, nous les avons prêchées. Puissent ceux qui les ont entendues, et nous avec eux, en obtenir un jour, par une vie sainte et exempte de péché, la parfaite réa­lisation !

 

132. Rom., vin, 22, [↩]

133. Herder, Idée sur la Philosophie, liv. 1, c. II. [↩]

134. Les incrédules se sont moqués de cette chute des étoiles tombant sur la terre comme des grêlons. Le Fils de Dieu ignorait‑il donc qu’il y a dans le monde d’autres centres d’attraction que la terre ? Il n’a pas dit que les étoiles tomberont sur la terre… mais les étoiles tomberont. ‑ De nos jours, on a observé des groupes d’étoiles, c’est‑à‑dire des groupes de soleils ayant un centre de gravité commun, autour duquel ils décrivent, non des cercles et des ellipses, mais des spirales ; ces spirales aboutissent au centre ; ce sont des milliers de mondes qui s’unissent et pour toujours ne seront qu’un. (P. Gratry, De la connaissance de l’âme, t. 11, p. 368.)
Voir les Études religieuses des Pères de la Compagnie de Jésus, livraison d’octobre 1879, article Stelloe cadent, par le P. de Bonniot. [↩]

135. Adveniet autem dies Domini, sicut fur in quo cœli magno impetu transient, elementa vero calore solventur, terra autem et quæ in ipsa sunt opera exurentur. (Petr., Ep. 1.) [↩]

136. Cœli non sunt mundi in conspectu Domini. (Job., 13.) [↩]

137. Novos vero cœlos et novam terram secundum promissa ipsius expectamus. [↩]

138. Juxta veriorem philosophiam, cœlum ex peculiari ac propria natura non magis postulat motum quam quietem ; sed in ordine ad naturam universalem, seu generalem mundi gubernationem, illud dicitur esse illi magis naturale quod juxta totius universi statum magis consentaneum, magisque accommodatum fuerit. (Sanctus Thomas, Sum., quæst. v, de Potent. A.S.) [↩]

139. Non occidet ultra sol, et luna ultra non minuetur. (Isai., c. Lx). [↩]

140. Quia erit tibi Dominus in Lcem sempiternam et complebuntur dies Lctus. (Isai, LX.) [↩]

141. Terra quæ in gremio suo Domini corpus confovit, tota erit ut paradisus, et quia sanctorum sanguine est irrigata, odoriferis floribus, rosis, violis immar­cessibiliter erit decorata. (Ansel., in ELcid.) [↩]

142. De terra quidam ex sapientissimis Christianorum discerunt, quod graminibus semper virentibus, et immarcescibilibus floribus, ac perpetua amænitate, instar paradisi terrestris, sit decoranda. (Guillel. Paris, cujus verba refert Carthui.) [↩]

143. Emitte spiritum tuum et creabuntur et renovabis faciem terræ. [↩]

144. Apoc., XXI, Il à 21. [↩]

145. Id., Ibid., 11 à 22. [↩]

146. Id., Ibid., 24. [↩]

147. Id., XXII, 2. [↩]

148. Saint Jean nous dit que les portes ne se fermeront pas de jour ; il eût été inutile d’ajouter qu’elles ne se fermeront pas non plus la nuit, puisque la nuit aura à jamais été détruite, suivant ce qu’il dit ailleurs, et nox ultra non erit. [↩]

149. De civit., Dei, lib. ult., cap. ult. [↩]

150. Consummans in unum, pet eum qui est primogenitus omnis creaturæ, caput corporis Eclesiæ, in omnibus primatum tenens. (Colos., 1, 18.) [↩]

151. I Cor., XV, 28. [↩]

152. Sap., III, 7. [↩]

153. Mt., XIII, 43. [↩]

154. Eph., XV, 41, 42. [↩]

155. Qui autem docti fucrint fulgebunt quasi splendor firmamenti. Et qui ad justitiam erudiunt multos, quasi stellæ in perpetuas æternitates. (Dan., XII, 3.) [↩]

156. I Jn, 1, 5. [↩]

157. Philipp., ni, 20. [↩]

158. Ga., VI. [↩]

159. Simul rapiemur cum illis in nubibus, obviam Christo in aera, et sic semper cum Domino erimus. (Ths., IV.) [↩]

160. Joan., XIV, 2. [↩]

161. Lc., XVII. [↩]

162. Ps. LXXII. 9. [↩]

163. Au passage de Vénus sur le soleil, observé en 1769, les différents calcu­lateurs ont déduit, pour la parallaxe du soleil. 8,91 ; la parallaxe de 8,91 cor­respond à une distance de la terre au soleil de 23,150 demi‑diamètres terrestres, ou de 148 millions de kilomètres ; la lumière parcourant 300 mille kilomètres par seconde, celle du soleil met pour venir jusqu’à nous 8 min. 13 s. [↩]

164. En donnant aux étoiles de première grandeur la parallaxe de 0/1, nous avons pour durée du trajet de leur lumière 32 ans. Pour les étoiles de neuvième grandeur la lumière nous arriverait en 1,024 ans ; quant à celles de seizième grandeur, les dernières visibles dans le télescope d’Herschel, elles mettraient 24,192 ans à envoyer leur lumière jusqu’à nous. Toutes les étoiles pourraient donc s’anéantir que nous continuerions à les voir encore presque toutes Pen­dant plusieurs générations. (Secchi, J)es étoiles, t. il, p. 145.) [↩]

165. Il est évident qu’à la prodigieuse distance où les étoiles sont de nous (une étoile ayant une parallaxe d’une seconde entière est 200,000 fois plus éloignée de nous que le soleil), on ne peut distinguer les planètes qui les entourent, mais certains phénomènes permettent d’induire avec certitude que ces astres ont des satellites obscurs qui accomplissent autour d’eux leurs révo­lutions. ‑ Le P. Secchi a constaté qu’il y avait des étoiles dont la grandeur était variable. ‑ Il cite Algol ou B de Persée. Cette étoile de deuxième grandeur a son maximum d’éclat pendant 2 jours 13 heures ; elle commence ensuite à diminuer lentement ; au bout de 3 heures 30 minutes elle est réduite à un minimum qui atteint à peine une étoile de quatrième grandeur. La période complète de la variation a une durée de 2 jours 20 heures 48 minutes 55 se­condes. Des observations attentives ont constaté que ce phénomène dépendait d’un astre obscur qui occultait partiellement J’étoile pendant un certain temps, produisant une véritable éclipse partielle. (Secchi, t. 1, p. 152.) [↩]

166. Par des études spectrales et en décomposant la lumière par des instruments optiques, on est parvenu à reconnaître la nature chimique des substances incan­descentes dont sont formées les étoiles. ‑ Ont y a constaté la présence abondante de l’hydrogène. du sodium, du fer. Le spectre des étoiles offre approximativement les mêmes raies métalliques et lumineuses que le soleil… Preuve que la composition du soleil et des étoiles fixes est identique. Les étoiles sont comme le soleil, des astres incandescents et lumineux par eux‑mêmes. Dans plusieurs étoiles, comme dans Sirius, on a observé des raies larges très dilatées ; ce qui est l’indice d’une température très élevée et d’une densité dans l’atmo­sphère hydrogénée de ces astres. (P. Secchi, Des étoiles, I, II, III.) [↩]

167. A l’époque actuelle, où l’on est parvenu à construire des instruments d’optique d’une puissance extraordinaire, où l’on a constaté l’état météoro­logique et la composition chimique des planètes et des étoiles, la question de leurs habitants préoccupe vivement l’opinion, et la science n’a pu se dispenser d’en chercher, autant qu’il était en elle, la solution. ‑ M. Flammarion, auteur sceptique, a écrit, sur les habitants des mondes stellaires, un livre dépourvu de toute valeur scientifique et qui n’est autre qu’une œuvre d’imagination et de fantaisie, un pur roman. ‑ La Civilta cattolica, revue romaine, a publié sur ce sujet intéressant, une série d’articles sérieux, dont nous ne donnerons que quelques aperçus. Dans son étude sur la planète Jupiter, elle démontre par des preuves irréfutables que cette planète ne saurait être habitée, ou tout au moins qu’elle ne peut l’être que par des êtres d’une organisation totalement différente de la nôtre. ‑ Ainsi d’une part la pesanteur de Jupiter n’est qu’un cinquième de celle de la terre, mais de l’autre, son volume équivaut à 310 globes ter­restres, d’où il suit que notre terre comparée à cette planète est dans les propor­tions d’un grain de lentille, vis‑à‑vis d’une orange. ‑ Un voyageur qui s’aventurerait dans Jupiter, pèserait deux fois plus qu’il ne pèse sur la terre : un homme de 70 kilogrammes acquerrait un poids de 310 kilogrammes, à peu près celui dit président de la fameuse société de corpulence instituée naguère aux États-Unis, Comme la terre et toutes les autres planètes, Jupiter accomplit un mouvement de rotation sur son axe, et il y a un mouvement de translation autour du soleil. Il tourne sur son axe en dix heures ; telle est la mesure de ses jours. Cette planète a cinq heures de nuit, et est éclairée cinq heures seule­ment par le soleil. ‑ En revanche, les années sont beaucoup plus longues que les nôtres. Jupiter n’accomplit sa révolution autour du soleil qu’en onze ans dix mois dix‑sept jours, de nos jours terrestres, Ainsi, qui vivrait vingt ans sur cette planète, aurait vécu environ vingt‑cinq fois plus, que celui qui aurait vécu sur la terre la même durée de temps. ‑ Tout le monde sait que l’axe de rotation de la terre est incliné de 23 degrés environ sur le plan de son orbite annuelle. ‑ Il résulte de cette inclinaison, que les deux hémisphères boréal et austral se trouvent successivement l’un et l’autre exposés à l’action directe des rayons solaires : de là vient la différence des températures, l’ordre et la variété des saisons. Dans Jupiter, l’axe de rotation n’a qu’une incli­naison de trois degrés, quantité insignifiante ; il s’ensuit que les Saisons sont uniformes, la température égale, et que les deux pôles de la planète sont plongés dans une éternelle nuit. Ajoutons qu’à la distance où Jupiter est du soleil, le disque de cet astre se réduit pour cette planète à un cinquième du volume de celui sous lequel il se montre aux habitants de la terre. La lumière et la chaleur que reçoit Jupiter ne sont que le 27e de celles que reçoit la terre.
La température de son équateur y serait donc celle de notre pôle nord. Jupiter est en outre enveloppé d’une masse prodigieuse de vapeurs ; son atmosphère est sillonnée de raies noires d’une densité telle qu’il serait impossible à un observateur transporté clans cette planète, de jouir de la vue du ciel étoilé, ni même de parvenir à distinguer les quatre lunes ou satellites qui entourent Jupiter. ‑ Il s’ensuit que les conditions atmosphériques de Jupiter ne comportent pas un règne végétal et animal pareil à celui qui existe sur notre terre, et que, s’il y a des habitants, leur constitution physiologique n’a aucune analogie ou similitude avec la nôtre.
Si, après Jupiter, nous étudions Saturne, planète éloignée de la terre de 1,411 millions de lieues et séparée de Jupiter par un espace de 641 millions de lieues, nous arrivons à cette même conclusion, que Saturne ne peut être peuplé d’habi­tants, ayant une organisation analogue à la nôtre. ‑ Le volume de Saturne égale six cent soixante‑quinze fois celui de la terre et sa densité n’est que de vingt fois plus grande. ‑ Saturne accomplit sa révolution autour du soleil en 29 ans 166 jours 97 minutes. ‑ Ses hivers et ses étés sont en conséquence de sept ans continus ; ses pôles sont ensevelis quatorze ans dans une nuit pro­fonde. Nos régions tropicales ont sur la terre une température moyenne de 25 degrés, elles en auraient sur Saturne 0,25. Ainsi notre pôle, avec ses qua­rante degrés de froid, serait une Sicile ou même un Sahara auprès des climats tempérés de Saturne. Ajoutons encore qu’il paraît établi que Saturne, avec son anneau et ses sept satellites, est formé de substance gazeuse. Ainsi les habitants de cette aimable planète ne reçoivent qu’un centième de la lumière et de la chaleur que le soleil envoie à la terre. Il s’ensuit que, pour voir tant soit peu clair ils devraient avoir des yeux confectionnés comme ceux des chats‑huants et des hiboux. Ils auraient de plus l’agrément de vivre à l’état de volatiles flottant à travers les espaces comme les flocons de laine et des bulles de vapeur.
Une planète paraîtrait se rapprocher des conditions atmosphériques de notre terre : c’est Mars. Mars est de toutes les planètes celle qui a été le plus soigneusement étudiée à cause de sa proximité relative de la terre, elle n’en est éloignée que de 56 millions de kilomètres. On est parvenu à en dresser la carte, et à tracer les configurations de ses continents et de ses mers. ‑ Mars exécute sa révolution en un an et 331 jours : son volume est le 71 de celui de la terre, à peu près cinq fois celui de la lune. ‑ Les jours y sont de 24 heu­res 77 minutes, à peu près la durée des nôtres. ‑ La lumière du soleil l’éclaire en quantité suffisante, et sa température diffère encore peu de la nôtre. Les continents apparaissent avec une teinte rouge, soit que le coloris soit dû à l’atmosphère, soit qu’il ait pour cause la teinte du sol ou des végé­taux. Les mers sont de couleur verdâtre, et il y a au pôle des taches blanches qui s’étendent ou se rétrécissent suivant les saisons, ce qui fait supposer qu’elles sont des neiges. ‑ Or les années sur cette planète étant plus du double des nôtres, ses hivers s’y prolongent dans les mêmes proportions ; et puisqu’en prenant la distance de la terre au soleil pour unité, la distance de Mars à ce même astre est de 1,52, il s’ensuit que Mars n’a qu’un quart de la mesure de lumière et de chaleur que reçoit la terre. C’est donc une pure fantaisie de se représenter Mars comme une oasis jetée dans l’espace, comme un séjour printanier et un ciel éblouissant d’azur tel que serait la Sicile ou les îles Madère.
Disons encore un mot de Vénus, la plus radieuse et la plus poétisée des planètes, appelée Lcifer, à cause de son éclat : les Phéniciens, les Romains, les Grecs l’ont mise au rang des divinités, en l’appelant Junon, Isis, Vénus. Elle est désignée sous le nom d’étoile du matin. Tantôt elle précède, souvent de 4 heures, le lever du soleil, et se montre baignée dans les demi clartés de l’aurore. Tantôt elle précède le coucher du soleil, se perd dans ses feux et devient pour nous invisible. Tantôt elle suit le soleil quand il tombe de l’Occi­dent, brille de nouveau et s’appelle l’étoile du soir. Afin de réfuter Flamma­rion qui vante les charmes dont jouissent les habitants de Vénus, sous son ciel enchanteur et toujours rayonnant, il nous suffira de faire observer que le diamètre de Vénus est inférieur seulement d’un dixième à celui de la terre. Son volume et sa densité sont à peu près les mêmes : ses jours aussi sont à peu près de même durée, 23 heures 27 minutes 6 secondes. Toutefois, l’année de Vénus n’est que de 230 jours, et les saisons n’y sont que de 57 jours, au lieu de 90 jours, comme sont les nôtres.
De toutes ces réflexions on pourrait induire peut‑être que le climat de Vénus vaut le nôtre. Mais voici le revers de la médaille. L’axe de l’orbite terrestre, comme on le sait, est incliné sur celui de l’équateur de 23o environ, Si l’axe de l’équateur était parallèle à celui de l’écliptique, il y aurait sur toute la terre égalité de saisons et de climats. Dans Vénus l’axe de l’orbite au lieu d’une inclinaison de 23 degrés a une inclinaison de 50 degrés. Si l’axe de la terre était incliné dans cette proportion, tous les climats de la terre seraient boule­versés. La France, l’Allemagne auraient une température tropicale pendant l’été et un froid plus intense que celui du pôle pendant l’hiver, et vu que chaque saison, dans Vénus, n’a qu’une durée de 57 jours, il serait impossible à des végétaux comme les nôtres de croître et de mûrir, ni à des animaux, tels que sont ceux de notre terre, de subsister avec une transition aussi rapide, d’une chaleur torride au froid le plus extrême.
Ajoutons encore qu’il est établi, par l’étude des phénomènes de réfraction, que Vénus a une atmosphère deux fois plus dense que la terre. Et les roman­ciers des mondes célestes en concluent néanmoins que les habitants de ces planètes ayant comme nous des aptitudes poétiques et des sens délicats à satis­faire, sont les plus heureux des mortels ; qu’ils vivent dans ces régions enchan­tées et toujours sereines… Et puisque dans ces bains de vapeur ils ne doivent être sujets à aucun ennui, ni à aucune tristesse, il faut admettre que sous leurs épaisses nuées, ils ne sentent jamais aucun désir de voir briller au‑dessus d’eux le soleil pendant le jour, ni de voir scintiller les étoiles durant la nuit… [↩]

168. Ps. XIX, 1, 2, 3. [↩]

169. Isaïe, XIV, 12, 13. ‑ Apoc., XIII, 7. [↩]

170. Ramière, Horizon des serviteurs du Cœur de Jésus. ‑ (Messager du Sacré-Cœur, livraison d’avril 1879, p. 384.) [↩]

171. Eph., 1, 21. [↩]

172. Hebr., II, 16. [↩]

173. Cant. des Cant., II, S. [↩]

174. Apoc., XXI, 2. [↩]

175. Gratry, De la connaissance de l’âme, t. II, ch. ri, § 6. [↩]

176. Chateaubriand, Génie du Christianisme [↩]

177. Jean, XVI, 21, 22. [↩]

178. Confessions de saint Augustin, liv. IX, X. [↩]

179. Et regnabit in domo Jacob in æternum et regni ejus non erit finis (Lc, II). [↩]

180. Dixit Dominus Domino meo : Sede a dextris meis, donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. (Ps. 109, v. 1.) [↩]

181. Tunc enim cessabunt omnia ministeria, novæ illuminationes in beatis, accidentalia gaudia de conversione peccatorum et similia, sed erit quasi pura quædam contemplatio divina eodem modo stabilis ac perpetua, qua tutus Christus, id est, caput cum omnibus membris feretur in Deum eique subjiciatur. Et huic expositioni quadrat ratio subjuncta a Paulo : Et tune Filius erit subjec­tus Patri, ut sit Deus omnia in omnibus : id est, ut unus Deus in omnibus dominetur et glorificetur, et omnes in Deo habeant quidquid sancte et juste amare possunt ac desiderare. (Suarez, quæst. LIX, art. 7.) [↩]

182. Cum vita quam in præsenti transigimus, varie a nobis exigatur, multæ res sunt quarum participes sumus, ut aeris, loci, cibi ac potûs, et aliarum rerum ad usum vitæ necessariarum, quarum nulla est Deus. Beatitudo vero quam expectamus, nullius quidem harum rerum egena est, omnia autem nobis, loco­que omnium erit Divina natura, ad omnem usum ac necessitatem illius Vitæ, sese convenienter et apte impartiens. (Greg. Nyss, Lib. de anima et resurr.) [↩]

183. Quod oculus non vidit, nec auris audivit, nec in cor hominis ascendit, quæ præparavit Deus iis qui diligunt illum. (l Cor., II, 9.) [↩]

184. Apoc., XXII, 6. [↩]

Abbé Charles Arminjon, Fin du monde présent et mystères de la vie future, 1881.

 

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